Des troupes américaines et irakiennes ont déclenché
une série d’attaques sur le mouvement chiite loyal à l’imam Moqtada
al-Sadr dans son bastion de Bagdad le week-end du 5 mai. Le mouvement
sadriste, qui a un large soutien au sein de la classe ouvrière chiite, possède
une grande milice armée et demande le retrait des forces américaines. Il est
considéré par Washington comme une menace à la domination à long terme de
l’Irak par les Etats-Unis.
Une des principales raisons ayant poussé
Bush à accroître le nombre de soldats déployés en Irak est de détruire, ou à
tout le moins de sérieusement affaiblir, la milice sadriste, particulièrement à
Bagdad. Quatre des cinq brigades supplémentaires étant maintenant déployées (il
est prévu que la dernière le sera le 1er juin), le commandant de l’armée
américaine, le général David Petraeus, et le gouvernement irakien intensifient
leurs opérations contre la direction politique des sadristes et son aile armée,
l’Armée du Mahdi.
L’armée américaine a entrepris une
série d’attaques contre les sadristes vendredi et dimanche derniers. Les
maisons de quelques dirigeants du mouvement dans le quartier chiite à majorité
ouvrière de Sadr City ont été l’objet de descentes au petit matin.
Selon l’armée américaine, les
descentes visaient une prétendue « cellule secrète d’un réseau
terroriste » qui fait entrer en Irak des armes et des explosifs en
provenance d’Iran de type EFP (Explosively Formed
Penetrators ou Pénétrateurs à explosion), actionnés à
distance et capables de transpercer un blindage, et en font usage contre les
troupes américaines. Seize prétendus terroristes furent arrêtés lors des
descentes de vendredi.
Les descentes de dimanche ont provoqué un
échange de tirs dans les rues de Sadr City. Des miliciens munis d’armes
légères et de lance-grenades ont affronté les forces qui les attaquaient. Des
hélicoptères de combat américains ont été appelés pour qu’ils tirent sur
des bâtiments où l’on croyait que des défenseurs se trouvaient.
Jusqu’à huit personnes ont été tuées et
les hôpitaux ont rapporté au moins vingt blessés. Quelque quarante familles
vivant dans les environs ont fui vers un camp de déplacement aux limites du
quartier.
Selon le major général William Cladwell, les
forces américaines et irakiennes ont par la suite trouvé 150 mortiers, des
munitions, des « composants » servant à la construction de bombes
utilisées sur les routes et « ce qui semble être une chambre de
torture » dans une des maisons. Il a dit à la
presse : « Nos renseignements indiquent que la cellule secrète
est liée à un réseau de kidnappeurs qui mènent des attaques partout en Irak, et
qui est en contact avec des voyous dans tout l’Irak et
l’Iran. »
On a ensuite fait exploser la maison, à cause
de prétendues « inquiétudes » sur la façon de déplacer les munitions
capturées. Au même moment, la démolition assurait de façon commode que les
déclarations américaines ne puissent pas être vérifiées de façon indépendante.
Des porte-parole du mouvement sadriste ont
immédiatement rejeté les allégations américaines que les personnes arrêtées
étaient des « terroristes » liés aux Iraniens et qu’ils opéraient
des chambres de torture, tel que rapporté sans critique dans les médias
américains et internationaux.
Alwan Hassan, un parlementaire sadriste, a déclaré au
journal Azzaman : « Les opérations des troupes
d’occupation à Sadr City ont mené à l’arrestation d’un grand
nombre de nos membres et les allégations américaines selon lesquelles il existe
des groupes armés et violents à Sadr City sont complètement fausses. Les
troupes d’occupation ciblent des chefs du mouvement sous prétexte
qu’ils dirigent des escadrons de la mort et des gangs de kidnappeurs.
Elles tentent de fausser l’image du mouvement sadriste, qui représente la
tendance nationale s’opposant à l’occupation. »
Ahmad al-Sharifi, un leader sadriste de Sadr City, a
dénoncé l’Alliance irakienne unifiée chiite (AIU), qui domine le
gouvernement, pour avoir collaboré avec les attaques sur l’Armée du
Mahdi. Les sadristes font encore officiellement partie de l’AIU, bien que
Moqtada al-Sadr ait signalé aux six membres de son mouvement de quitter le
cabinet du premier ministre Nouri Al-Maliki, car celui-ci n’avait pas
exigé une date de retrait de toutes les forces étrangères de l’Irak.
Sharifi s’en est ainsi pris au Conseil suprême de la
révolution islamique en Irak (CSRII), un rival. Le CSRII et les sadristes sont
présentement engagés dans une lutte pour le contrôle politique dans de
nombreuses zones chiites au sud du pays. Azzaman a rapporté que les
forces de sécurité irakiennes participant aux opérations de Sadr City aux côtés
des troupes américaines étaient membres de la milice du CSRII,
l’organisation Badr.
Sharifi a déclaré : « Ces affrontements sont le
résultat du contraste entre le programme local [irakien] du mouvement sadriste
et celui du CSRII, qui est soutenu par des parties étrangères... L’AIU
est devenue une alliance pleine d’incompatibilités. Chaque parti qui la
constitue attend l’opportunité de détruire l’autre. »
Ces commentaires et la résistance opposée aux attaques de
dimanche sont d’autres signes qu’une rébellion se développe parmi
les sympathisants sadristes contre les instructions de Moqtada al-Sadr de ne
pas offrir de résistance ni se laisser provoquer par les Etats-Unis ou par les
troupes du gouvernement. La détention de dizaines de leaders sadristes et de
centaines de jeunes hommes suspectés d’être des combattants de
l’Armée du Mahdi a provoqué l’indignation, particulièrement alors
que les extrémistes sunnites continuent de perpétrer à répétition d’horribles
attentats-suicides contre les civils et les mosquées chiites.
Avant dimanche, les miliciens avaient déjà commencé à
répliquer. Le 29 avril, les combattants du Mahdi ont repoussé une tentative
menée par les forces américaines et du gouvernement irakien de les déloger de
leur position défensive autour d’une mosquée chiite vénérée dans la
banlieue de Bagdad. Huit miliciens et un soldat irakien ont été tués lors de
cette confrontation, est-il rapporté.
Des sources irakiennes et américaines ont rapporté à Associated
Press que des troupes gouvernementales ayant reçu l’ordre de prendre
part à l’offensive se seraient mutinées et auraient rejoint les
combattants chiites. Le lendemain, des milliers de chiites ont protesté dans
les rues et les législateurs chiites ont fait passer une motion au parlement
interdisant aux troupes étrangères d’approcher à moins d’un
kilomètre du lieu sacré.
La réponse à l’incursion a forcé les militaires
américains à céder pour le moment la mosquée aux sadristes. Le
lieutenant-colonel Steve Miska, le commandant américain dans la région, à dit à
Associated Press en fin de semaine : « Il y a beaucoup de
personnes affiliées au JAM (l’armée du Mahdi) et si nous en faisons tous
des ennemis, nous allons être dans l’eau chaude. »
Le 4 mai dernier, à Najaf, site du plus important lieu
saint chiite et base des établissements cléricaux chiites, des miliciens de
l’Armée du Mahdi ont temporairement pris le contrôle du centre de la
ville. La mobilisation était en réponse à la rumeur voulant que les forces de
sécurité gouvernementales, aient tué le dirigeant clérical de Najaf, Salh
al-Ubaidi, au moment où il tentait d’entrer dans la ville. Il est
rapporté que de miliciens ont encerclé et désarmé les soldats irakiens et les
gardes du corps personnels d’Ammar al-Hakim, le fils du dirigeant du
CSRII, Abdel Aziz Hakim. Un intense face-à-face entre les renforts
gouvernementaux et l’Armée du Mahdi n’a pris fin qu’après des
négociations entre le bureau local sadriste et le gouverneur de Najaf.
Depuis la fin de semaine, la presse
irakienne a rapporté que les forces gouvernementales ont été soumises à des
attaques à Diwaniyah, à l’est de Bagdad, et dans les principales villes
du sud de Basra et Amarah, toutes des régions où l’appui pour les
sadristes est en croissance. Loin de stabiliser l’occupation américaine, la
décision de l’administration Bush de prendre pour cible l’Armée du
Mahdi ne fait qu’enflammer les masses chiites et prépare le terrain pour une
autre expansion de sa sanglante guerre néo-coloniale.