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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Derrière la destitution de Paul Wolfowitz, président de la Banque mondiale

Par Patrick Martin
30 mai 2007

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Paul Wolfowitz le président de la Banque mondiale est finalement parti en maugréant. Il accepta une résolution aux formulations anodines du Conseil des gouverneurs, le remerciant d’avoir passé deux années à la direction de cette institution financière tout en déclarant que des « erreurs avaient été commises ».

Les détails du scandale ayant conduit à son départ sont à la fois sordides et relativement bénins. Il avait arrangé pour son amie, Shaha Ali Riza, une responsable de moyen niveau à la Banque mondiale, une hausse de traitement de 60.000 dollars puis avait affirmé, selon toute apparence faussement, que les responsables du personnel et le comité d’éthique de la banque avaient approuvé l’opération. 

Lorsque les circonstances de l’affaire furent connues grâce à des documents découverts par un groupe de surveillance, l’association du personnel de la banque se mit à organiser des protestations exigeant sa destitution et le Conseil des gouverneurs créa une sous-commission à des fins d’investigation. Le rapport de cette commission, présenté le 14 mai, fut catégorique dans sa conclusion que Wolfowitz avait enfreint le règlement et qu’il semblait se considérer comme au-dessus de celui-ci.

Les plus enragés des défenseurs de Wolfowitz, les éditorialistes du Wall Street Journal, ont soutenu que le scandale financier lié à Shaha Ali Riza était un coup monté orchestré par des responsables de la Banque mondiale, européens et originaires du tiers monde, opposés au programme de « réformes » de Wolfowitz et soutenus par les puissances européennes.

Quelle que soit la véracité de cette accusation, l’inquiétude subite et touchante du Wall Street Journal et d’une bonne partie de la droite républicaine devant l’organisation d’un scandale sordide se servant d’une affaire privée pour une attaque politique a une indubitable ironie. Ils n’avaient pas tant de scrupules lorsqu’ils braillaient en faveur de l’« impeachment » de Clinton.

Il est néanmoins vrai que l’affaire Wolfowitz est l’expression de questions politiques plus profondes. Elle trouve son origine avant tout dans le conflit entre l’impérialisme américain et ses principaux rivaux européens et asiatiques. Il y eut, durant la dernière phase de l’affaire, au niveau international clairement deux camps : d’un côté les USA, le Canada et le Japon, les défenseurs relativement isolés de Wolfowitz et de l’autre toutes les puissances européennes (parmi lesquelles le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne), la Chine, l’Inde, le Brésil et la plupart des pays pauvres.

Ces tensions se sont manifestées tout au long des deux années pendant lesquelles Wolfowitz a été à la direction de la Banque mondiale, une institution qui avait la réputation d’avoir une approche relativement souple dans l’imposition des exigences du capital financier international dans la plupart des pays opprimés. Tandis que le FMI (Fonds monétaire international) représentait le bâton, ses prêts n’étant consentis qu’à des conditions dures et onéreuses, lui même dictant quasiment la politique économique des pays bénéficiant de prêts, la Banque mondiale représentait elle la carotte, accordant des prêts à longue durée et à taux d’intérêt peu élevés, et dans de nombreux cas carrément des aides, une grande partie allant aux pays les plus appauvris de l’Afrique subsaharienne.

Wolfowitz essaya de réorienter la Banque mondiale vers une politique plus directement en accord avec la politique extérieure américaine, bien que dissimulant cela avec un discours condamnant la corruption et un engagement à se préoccuper plus de la pauvreté et de la misère sociale la plus excessive en Afrique et d’autres régions du globe. Des prêts furent annulés pour les pays qui s’opposaient à Washington comme ce fut le cas pour l’Ouzbékistan après que ce pays eut fermé ses bases aux avions de guerre américains pour leurs sorties en Afghanistan. D’autres furent accordés à des gouvernements en bons termes avec l’administration Bush, comme les régimes fantoches irakien et afghan, et à des Etats clients des Etats-Unis.

Afin de réaliser cette politique, Wolfowitz avait amené avec lui son propre personnel, y compris d’anciens conseillers du Pentagone et de la Maison-Blanche qui, avec leur comportement intimidant, leur arrogance et leurs préjugés droitiers se mirent le personnel de la Banque mondiale à dos. Il recruta aussi des politiciens de droite de gouvernements alignés sur la politique américaine en Irak. L’ancienne ministre des Affaires étrangères espagnole Ana Palacio fut ainsi nommée conseillère juridique et première vice-présidente, tandis qu’un politicien droitier du Salvador, Juan José Daboub, fut nommé à l’un des deux postes de directeur général de la banque.

On apprit en avril que Daboub avait ordonné que toute référence au « planning familial » et au « changement climatique » soit retirée des documents de la Banque mondiale, ce qui était en accord avec les efforts de l’administration Bush pour battre en brèche les programmes de planning familial et les droits à l’avortement et pour nier la réalité du réchauffement de la planète.

Lorsque le scandale Shaha Riza éclata à la mi-avril, au moment de la réunion de printemps de la Banque mondiale à Washington, il était devenu évident que Wolfowitz avait perdu le soutien de la majorité du Conseil des gouverneurs. Presque tous les gouvernements européens exprimèrent leur opposition et le parlement européen passa une résolution appelant à sa destitution.

Wolfowitz dénonça ceux qui le critiquaient avec véhémence, affirmant qu’il était victime d’une campagne de calomnies basée sur des « fuites organisées d’informations erronées incomplètes et personnelles » et jurant qu’il ne céderait jamais. La Maison-Blanche se voyant confrontée en même temps à une campagne contre Wolfowitz et contre Alberto Gonzales, le ministre de la Justice, se comporta d’abord en forteresse assiégée, le vice-président Cheney et le conseiller politique en chef Karl Rove exigeant une défense agressive de ces deux politiciens.

Le fait que la Maison-Blanche ait renoncé à cette défense acharnée est une indication de l’isolement international et de l’affaiblissement politique de l’administration Bush.

C’est le gouvernement allemand qui semble avoir joué un rôle décisif dans l’affaire Wolfowitz, l’Allemagne étant le troisième plus important contributeur financier de la Banque mondiale et occupant actuellement la présidence de l’Union européenne

Eckhardt Deutscher, représentant allemand au conseil d’administration de la banque et son directeur exécutif, déclara le 19 avril dans un discours que la banque avait besoin d’une direction qui ait « de la crédibilité, de la crédibilité et encore de la crédibilité », une nette rebuffade à l’égard de Wolfowitz et de son attitude consistant à prêcher l’anticorruption au niveau international tout en faisant le contraire au niveau interne.

On rapporte que la chancelière allemande, Angela Merkel, lors de sa visite à Washington à la fin du mois d’avril, avait soulevé la question Wolfowitz avec le président Bush. Si Bush défendit Wolfowitz avec véhémence lors d’une conférence de presse commune à la Maison-Blanche, Merkel n’y fit, elle, aucune allusion en public, un contraste illustrant de façon frappante les tensions sous-jacentes existant entre l’Europe et les Etats-Unis.

Le coup de grâce fut porté le 16 mai, lorsque Heidemarie Wieczorek-Zeul, la ministre social-démocrate du Développement du gouvernement de coalition appela publiquement à la démission de Wolfowitz et dit qu’il n’était pas le bienvenu au colloque sur l’Aide à l’Afrique organise par la Banque mondiale et devant se tenir plus tard à Berlin. « Il rendrait un grand service à la Banque et à lui-même s’il démissionnait » dit-elle, ajoutant « ce serait la meilleure solution pour toutes les parties concernées ».

L’affaire Wolfowitz est ironique à plus d’un titre. L’ancien vice-ministre de la Défense et l’un des principaux avocats et architectes de la guerre en Irak, ne fut pas traîné devant un tribunal de type Nuremberg pour crimes de guerre, comme il l’aurait amplement mérité, pour répondre de l’accusation d’avoir fomenté une guerre illégale et d’avoir perpétré un meurtre de masse. Au lieu de cela sa carrière, du moins celle du personnage public, s’est terminée dans un scandale nauséabond. Wolfowitz sera maintenant sans doute reçu dans l’univers des sinécures lucratives, des groupes de réflexion et des contrats mirifiques du marché du livre.  

Wolfowitz quitta le Pentagone au début de 2005 pour devenir le postulant américain à la présidence de la Banque mondiale. Sa sélection était une gifle calculée de l’administration Bush à la grande majorité des pays et des gouvernements qui s’étaient d’une manière ou d’une autre opposés à l’invasion de l’Irak. Elle exprimait le mépris avec lequel l’élite dirigeante américaine regarde les institutions internationales, même celles créées dans le passé par les Etats-Unis eux-mêmes et particulièrement celles qui constituent, dune façon ou d’une autre, un frein ou une entrave à l’exercice de la puissance militaire, économique et politique de Washington.

Les pays européens, qui apportent deux fois plus de ressources financières à la Banque mondiale que les Etats-Unis, acceptèrent cette gifle, suivant l’arrangement traditionnel qui veut que l’Europe choisisse le directeur du FMI et les Etats-Unis celui de la Banque mondiale. Cette façon de se partager le butin date des accords qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale, une période où la plus grande partie de l’Afrique et une bonne partie de l’Asie, représentant presque la moitié de la population mondiale, vivaient encore sous la domination des pays coloniaux européens et où les Etats-Unis installaient ou renversaient régulièrement des gouvernements dans leur sphère d’influence semi-coloniale de l’hémisphère Ouest.

Les deux principales figures à avoir avalé la provocation nommée Wolfowitz furent le président français Chirac et le chancelier allemand Schröder. Leurs représentants s’étaient opposés à la guerre en Irak lors du débat au Conseil de sécurité de l’ONU précédant l’invasion américaine, mais en 2005, voulant éviter toute autre confrontation avec Washington, ils avaient accepté l’occupation de l’Irak. Ils s’inclinèrent docilement devant la nomination d’un criminel de guerre notoire au poste de directeur d’une institution prétendument dédiée à combattre la pauvreté dans le monde.

Pendant les deux années qui viennent de s’écouler, la crise irakienne a empiré, la base politique de l’administration Bush s’est effritée et la position internationale de l’impérialisme américain s’est dégradée à tous les points de vue : puissance militaire, solvabilité et autorité morale. L’Affaire Wolfowitz est, en dernière analyse, l’expression de ce déclin et reflète la volonté accrue des puissances capitalistes rivales européennes et asiatiques de résister à cette soi-disant « superpuissance unique».

(Article original paru le 19 mai 2007)


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