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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Suicides en série chez Renault

Par Françoise Thull
2 mars 2007

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Le 20 février, le Parquet de Versailles a ouvert une enquête « pour vérifier les conditions de travail » de cet employé de Renault, âgé de 38 ans seulement, qui s’était donné la mort à son domicile quatre jours auparavant après avoir laissé une lettre où il évoquait ses difficultés au travail. Son décès s’est produit presque un an jour pour jour après le lancement par Carlos Ghosn, le nouveau patron de Renault, du plan de relance « Renault Contrat 2009 ».

Il s’agit du troisième suicide en quatre mois d’un employé travaillant sur le centre de recherche du Technocentre Renault à Guyancourt (Yvelines). Ce suicide est intervenu trois semaines à peine après la marche silencieuse de ses collègues en hommage aux deux collègues qui s’étaient suicidés peu de temps avant, respectivement en octobre et janvier.

Depuis l’annonce du troisième suicide, des conjointes de salariés qui travaillent sur le Technocentre ont contacté les syndicats par crainte que leurs maris ne fassent la même chose. Le délégué syndical de la CGT (Confédération générale du travail) Vincent Neveu en témoigne : « Leurs maris présentent des caractéristiques proches de nos collègues qui se sont suicidés : retour au domicile après 22 heures, impression d’être dépassé par la charge de travail. L’une d’elles a fini en larmes. Elle n’avait pas osé dire à son mari qu’elle contactait un syndicat. »

Les inquiétudes des épouses sont fondées comme le confirme Pascal Bahnweg de la CFDT à LCI.fr : « Depuis deux ans, la pression sur les salariés est beaucoup plus forte. La réorganisation a perturbé un certain nombre de salariés, dont la situation est souvent difficile à détecter. »

Le Technocentre Renault de Guyancourt, en région parisienne, a été inauguré en 1998 pour réunir sous un même toit la recherche, l’ingénierie, les achats et les directions de projets. Ce centre ultra moderne regroupe 12 000 personnes (y compris prestataires, sous-traitants et filiales de Renault) sur 400 000 m2.

Le but de ce centre est avant tout de réduire à 15 heures le temps de montage quel que soit le modèle. A titre d’exemple, le montage actuel d’une Volkswagen Golf dure 47 heures à Wolfsburg en Allemagne contre 17 seulement pour une Mégane Renault à Palencia en Espagne. La course incessante à la productivité ne se limite pas seulement aux ouvriers de la zone de montage, elle soumet également les techniciens à des pressions immenses.

Le 9 février, alors que le marché automobile mondial est en plein marasme et que les fermetures d’usines et les suppressions d’effectifs sont à l’ordre du jour, Carlos Ghosn a publié des résultats pour 2006 qui se voulaient rassurants. Il y a un an, il avait dévoilé le plan de relance « Renault Contrat 2009 » qui consiste à lancer d’ici 2009 26 modèles de véhicules dont 13 remplaceront des modèles actuels et 13 seront des nouveautés. Le but étant de devenir le constructeur européen généraliste le plus rentable avec une marge opérationnelle de 6 pour cent de son chiffre d’affaires d’ici 2009 contre 2,5 pour cent en 2006.

D’après un communiqué officiel, Renault prévoit entre autres une progression de 80 pour cent des ventes hors Europe. Après avoir affiché des bénéfices nets de 1,6 milliard d’euros pour le premier semestre de 2006 et ce, malgré un recul des ventes, le plan de Ghosn représentera pour les actionnaires de Renault une progression du dividende de 1,8 euro par action aujourd’hui à un objectif de 4,5 euros par action en 2009.

Compte tenu de l’accumulation des pressions au travail, il est clair que le « Contrat 2009 » a des conséquences sociales dramatiques pour l’ensemble du personnel. Les effets de la dégradation des conditions de travail ne se seront pas seulement fait sentir parmi le personnel de Renault et celui de la sous-traitance en France mais également sur le plan international. Les travailleurs français de Renault sont soumis au chantage de la menace de délocalisation. Aux dires du délégué Vincent Neveu de la CGT : « Quand il présente son plan, Ghosn dit que si on n’atteint pas ses objectifs c’est l’avenir de Renault qui s’annonce mal, donc l’emploi. »

Selon des sources roumaines, le groupe Renault, qui dispose de plus de 30 sites industriels de par le monde projette d’investir 100 millions d’euros pour établir dès 2007 en Dâmbovita, près de Bucarest, un centre complet de conception, développement et tests où une partie des futurs modèles seront conçus et testés par des ingénieurs roumains. Deux autres centres identiques seront construits en Corée du Sud et au Brésil.

Pour ce qui est des décès au Technocentre, les représentants de Renault déclarent d’un côté qu’« un suicide est toujours le résultat d’une situation personnelle complexe », autrement dit que ces décès n’ont aucune signification générale, et de l’autre que tout le monde est responsable. Antoine Lepinteur de la direction du Technocentre Renault estime que ces drames représentent « un échec collectif, pour nous, direction de l’établissement, mais aussi pour les organisations syndicales et tous les collègues ».

Les syndicats, notamment la CGT (proche du Parti communiste) et la CFDT (proche du Parti socialiste) ont en effet une grande part de responsabilité pour ces tragédies, mais pas comme l’entend Lepinteur. Les syndicats sont responsables du fait de leur vision nationaliste et de leur complicité avec la direction, ce qui leur fait accepter l’accélération des cadences et la logique de la compétition acharnée sur le marché international mondialisé.

Les bureaucraties syndicales sont actuellement engagées à limiter des dégâts. Ils revendiquent, pour sauver la face, qu’une expertise psychosociale indépendante soit faite pour « mettre en lumière les causes du mal vivre au Technocentre ». Les autres travailleurs de Renault ne sont même pas concernés par cette revendication, et il n’est même pas question d’améliorations fondamentales des conditions de travail.

La détresse de ces travailleurs, quoi qu’en disent la direction et les syndicats, est en fait la conséquence d’une guerre commerciale à laquelle se livrent les groupes internationaux sur le dos de la classe ouvrière internationale pour accaparer des parts du marché mondial.

La logique de la situation est brutale. Le Financial Times l’a ainsi résumée : « Bien qu’il ne soit pas possible d’établir un lien direct entre ces tragédies et la pression au travail, les syndicats ont inévitablement remis en question la gestion plus dure introduite par Carlos Ghosn depuis que ce réducteur des coûts a pris les commandes il y a deux ans. Il y a bien eu un changement de culture chez Renault depuis l’arrivée de M. Ghosn. Mais il y a aussi le fait que les temps ont changé et que Renault a besoin de devenir plus compétitif. » Autrement dit, les choses ne vont pas s’arranger, bien au contraire.

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