Le 20 février, le Parquet de Versailles a ouvert une enquête
« pour vérifier les conditions de travail » de cet employé de
Renault, âgé de 38 ans seulement, qui s’était donné la mort à son domicile
quatre jours auparavant après avoir laissé une lettre où il évoquait ses
difficultés au travail. Son décès s’est produit presque un an jour pour
jour après le lancement par Carlos Ghosn, le nouveau patron de Renault, du plan
de relance « Renault Contrat 2009 ».
Il s’agit du troisième suicide en quatre mois d’un
employé travaillant sur le centre de recherche du Technocentre Renault à
Guyancourt (Yvelines). Ce suicide est intervenu trois semaines à peine après la
marche silencieuse de ses collègues en hommage aux deux collègues qui
s’étaient suicidés peu de temps avant, respectivement en octobre et
janvier.
Depuis l’annonce du troisième suicide, des conjointes de
salariés qui travaillent sur le Technocentre ont contacté les syndicats par
crainte que leurs maris ne fassent la même chose. Le délégué syndical de la CGT
(Confédération générale du travail) Vincent Neveu en témoigne :
« Leurs maris présentent des caractéristiques proches de nos collègues qui
se sont suicidés : retour au domicile après 22 heures, impression
d’être dépassé par la charge de travail. L’une d’elles a fini
en larmes. Elle n’avait pas osé dire à son mari qu’elle contactait
un syndicat. »
Les inquiétudes des épouses sont fondées comme le confirme
Pascal Bahnweg de la CFDT à LCI.fr : « Depuis deux ans, la
pression sur les salariés est beaucoup plus forte. La réorganisation a perturbé
un certain nombre de salariés, dont la situation est souvent difficile à
détecter. »
Le Technocentre Renault de Guyancourt, en région parisienne, a
été inauguré en 1998 pour réunir sous un même toit la recherche,
l’ingénierie, les achats et les directions de projets. Ce centre ultra
moderne regroupe 12 000 personnes (y compris prestataires, sous-traitants
et filiales de Renault) sur 400 000 m2.
Le but de ce centre est avant tout de réduire à 15 heures le
temps de montage quel que soit le modèle. A titre d’exemple, le montage
actuel d’une Volkswagen Golf dure 47 heures à Wolfsburg en Allemagne
contre 17 seulement pour une Mégane Renault à Palencia en Espagne. La course
incessante à la productivité ne se limite pas seulement aux ouvriers de la zone
de montage, elle soumet également les techniciens à des pressions immenses.
Le 9 février, alors que le marché automobile mondial est en
plein marasme et que les fermetures d’usines et les suppressions
d’effectifs sont à l’ordre du jour, Carlos Ghosn a publié des
résultats pour 2006 qui se voulaient rassurants. Il y a un an, il avait dévoilé
le plan de relance « Renault Contrat 2009 » qui consiste à lancer
d’ici 2009 26 modèles de véhicules dont 13 remplaceront des modèles
actuels et 13 seront des nouveautés. Le but étant de devenir le constructeur
européen généraliste le plus rentable avec une marge opérationnelle de 6 pour
cent de son chiffre d’affaires d’ici 2009 contre 2,5 pour cent en
2006.
D’après un communiqué officiel, Renault prévoit entre
autres une progression de 80 pour cent des ventes hors Europe. Après avoir
affiché des bénéfices nets de 1,6 milliard d’euros pour le premier
semestre de 2006 et ce, malgré un recul des ventes, le plan de Ghosn
représentera pour les actionnaires de Renault une progression du dividende de
1,8 euro par action aujourd’hui à un objectif de 4,5 euros par action en
2009.
Compte tenu de l’accumulation des pressions au travail,
il est clair que le « Contrat 2009 » a des conséquences sociales
dramatiques pour l’ensemble du personnel. Les effets de la dégradation
des conditions de travail ne se seront pas seulement fait sentir parmi le
personnel de Renault et celui de la sous-traitance en France mais également sur
le plan international. Les travailleurs français de Renault sont soumis au
chantage de la menace de délocalisation. Aux dires du délégué Vincent Neveu de
la CGT : « Quand il présente son plan, Ghosn dit que si on
n’atteint pas ses objectifs c’est l’avenir de Renault qui
s’annonce mal, donc l’emploi. »
Selon des sources roumaines, le groupe Renault, qui dispose de
plus de 30 sites industriels de par le monde projette d’investir 100
millions d’euros pour établir dès 2007 en Dâmbovita, près de Bucarest, un
centre complet de conception, développement et tests où une partie des futurs
modèles seront conçus et testés par des ingénieurs roumains. Deux autres
centres identiques seront construits en Corée du Sud et au Brésil.
Pour ce qui est des décès au Technocentre, les représentants
de Renault déclarent d’un côté qu’« un suicide est toujours le
résultat d’une situation personnelle complexe », autrement dit que
ces décès n’ont aucune signification générale, et de l’autre que
tout le monde est responsable. Antoine Lepinteur de la direction du Technocentre
Renault estime que ces drames représentent « un échec collectif, pour
nous, direction de l’établissement, mais aussi pour les organisations
syndicales et tous les collègues ».
Les syndicats, notamment la CGT (proche du Parti communiste)
et la CFDT (proche du Parti socialiste) ont en effet une grande part de
responsabilité pour ces tragédies, mais pas comme l’entend Lepinteur. Les
syndicats sont responsables du fait de leur vision nationaliste et de leur
complicité avec la direction, ce qui leur fait accepter l’accélération
des cadences et la logique de la compétition acharnée sur le marché international
mondialisé.
Les bureaucraties syndicales sont actuellement engagées à limiter
des dégâts. Ils revendiquent, pour sauver la face, qu’une expertise
psychosociale indépendante soit faite pour « mettre en lumière les causes
du mal vivre au Technocentre ». Les autres travailleurs de Renault ne sont
même pas concernés par cette revendication, et il n’est même pas question
d’améliorations fondamentales des conditions de travail.
La détresse de ces travailleurs, quoi qu’en disent la
direction et les syndicats, est en fait la conséquence d’une guerre
commerciale à laquelle se livrent les groupes internationaux sur le dos de la
classe ouvrière internationale pour accaparer des parts du marché mondial.
La logique de la situation est brutale. Le Financial Times
l’a ainsi résumée : « Bien qu’il ne soit pas possible
d’établir un lien direct entre ces tragédies et la pression au travail,
les syndicats ont inévitablement remis en question la gestion plus dure
introduite par Carlos Ghosn depuis que ce réducteur des coûts a pris les
commandes il y a deux ans. Il y a bien eu un changement de culture chez Renault
depuis l’arrivée de M. Ghosn. Mais il y a aussi le fait que les temps ont
changé et que Renault a besoin de devenir plus compétitif. » Autrement
dit, les choses ne vont pas s’arranger, bien au contraire.