Romano Prodi est confirmé dans ses fonctions à la tête du
gouvernement italien. Mercredi, il a gagné un vote de confiance au Sénat, où sa
coalition de neuf partis a obtenu une très courte majorité, (162 voix contre 157).
Il lui fallait 160 voix pour l’emporter.
On s’attend à ce que le vote qui suivra à la Chambre des
députés soit une simple formalité. La coalition centre-gauche de l’Unione
du premier ministre Prodi y détient une importante majorité. [NDT : Au
moment de la traduction, le résultat du vote de la Chambre des députés était
connu. Prodi a recueilli 342 voix pour, 198 contre et deux abstentions.]
Prodi sort donc renforcé de la crise ministérielle qu’il
a lui-même provoquée le 21 février après avoir perdu de justesse un vote au
Sénat sur sa politique étrangère. Depuis, les neuf partenaires politiques de la
coalition ont déclaré leur soutien sans réserve aux fondements de la politique
de Prodi.
Prodi a insisté pour que tous les partis de la coalition donnent
leur accord à un ultimatum en douze points qui comprend le soutien à
l’intervention militaire controversée de l’Italie en Afghanistan, à
laquelle une bonne partie de la population s’oppose,
l’agrandissement de la base militaire à Vicence, la construction
d’une ligne de train à grande vitesse entre l’Italie et la France
et la « réforme » du système italien des retraites. De plus,
l’accord donne à Prodi le pouvoir extraordinaire de régler à lui seul les
conflits au sein de la coalition.
Parmi ceux qui ont soutenu Prodi lors du vote de confiance de
mercredi, on trouve le sénateur Franco Turigliatto, dont l’abstention
lors du vote sur la politique étrangère il y a une semaine avait été un élément
clé de la défaite de Prodi.
Turigliatto avait été élu au Sénat italien en tant que membre
de Refondation communiste (Rifondazione Comunista). Il appartient à la
tendance Gauche critique (Sinistra Critica), affiliée internationalement
au Secrétariat unifié pabliste, une tendance qui a rejeté les principes et le
programme du trotskysme et quitté la Quatrième Internationale au début des
années 1950 et qui a longtemps été sous la direction d’Ernest Mandel. Les
membres italiens du Secrétariat unifié militent au sein de Refondation
communiste depuis sa fondation en 1991, ayant joué un rôle majeur dans la
construction de ce parti.
Le comité exécutif de Refondation communiste avait appelé à
l’expulsion de Turigliatto après son abstention le 21 février. Turigliatto
lui-même avait entrepris des démarches pour abandonner son poste de sénateur.
Jusqu’à ce qu’il obtienne l’acceptation officielle de sa
démission, il demeure au Sénat, mais n’est plus membre du groupe
parlementaire de Refondation communiste. Il fait plutôt partie du groupe
parlementaire mixte de la Chambre.
En refusant tout d’abord de voter pour Prodi puis, une
semaine plus tard, en votant pour lui, Turigliatto et Gauche critique ont fait
la démonstration de leur opportunisme sans borne qui caractérise non seulement
la tendance pabliste, mais les groupes petits-bourgeois gauchistes en général.
D'un côté, Turigliatto et Gauche critique ne ménagent par
leurs efforts pour se présenter comme des opposants socialistes du capitalisme.
Ils ont critiqué de nombreux aspects de la politique du gouvernement de Prodi.
De l’autre, ils insistent sur le fait qu’il n’y a pas
d’alternative à ce gouvernement si ce n’est le retour au pouvoir du
gouvernement de droite de Silvio Berlusconi. C’est sur cette base qu’ils
demeurent membres de Refondation communiste, qui fait partie de la coalition de
Prodi, et continuent à soutenir le gouvernement Prodi au parlement.
Ils s’opposent avec véhémence à un mouvement indépendant
de la classe ouvrière dirigé contre le système capitaliste et son élite
dirigeante. Leur organisation prône la politique de contestation, insistant
sans arrêt sur la nécessité de se mobiliser et de manifester. Mais en tant que
membres du gouvernement, ils soutiennent Prodi, et leur véritable rôle consiste
à s’emparer de la direction de telles mobilisations dans le but de les conduire
dans une impasse politique. Ils offrent une couverture de « gauche » à
la politique de droite de Prodi.
Après neuf mois du gouvernement Prodi au pouvoir, il est clair
qu’en ce qui concerne son programme anti-social dans le pays et sa
politique étrangère impérialiste ce gouvernement est pratiquement indissociable
du gouvernement précédent de Berlusconi. Cette situation a forcé les pablistes
italiens, qui se décrivent comme un « courant » de Refondation
communiste, à faire des contorsions encore plus grotesques pour justifier leur
soutien au gouvernement.
Une conférence de Gauche critique qui s’est tenue les 27
et 28 janvier a été forcée d’arriver à la conclusion que : « Le
bilan de la participation de Refondation communiste au gouvernement de l’Unione,
la coalition de centre-gauche dirigée par Romano Prodi, est
catastrophique. »
Dans le magazine pabliste international, International Viewpoint,
la dirigeante de Gauche critique, Flavia d’Angeli, a rapporté :
« Avec l’adoption du budget pour 2007, le budget de la plus grande
austérité de toute l’histoire de la république, l’envoi de troupes
au Liban, le maintien des troupes en Afghanistan, la confirmation de la
soumission aux diktats du Vatican sur les questions de droits civils et de
laïcité, les camarades de Gauche critique réaffirment la nécessité de la
construction d’une opposition de gauche à ce gouvernement afin de réagir
au malaise grandissant dans la société italienne. »
Cependant, la conférence n’a pas tiré la conclusion qui
s’imposait : rompre avec le parti gouvernemental de Refondation
communiste. Il a été décidé plutôt, selon le rapport d’Angeli, de
« fonder sa propre association, sans toutefois se séparer du PRC ».
La différence exacte entre un « courant » est une
« association » est laissée à l’imagination du lecteur, tout
comme la question de savoir comment développer une « opposition de
gauche » à un gouvernement auquel on appartient. Cependant, s’il est
une chose qui reste sûre, ce sont les revenus considérables que les
représentants de Gauche critique reçoivent de leurs mandats et de leur
appartenance à un parti gouvernemental.
Trois semaines seulement après la conférence, Gauche critique
a mené sa rébellion peu enthousiaste durant le vote sénatorial sur la politique
étrangère. Malgré l’abstention de Turigliatto, d’autres sénateurs
de Gauche critique ont voté pour.
Suite à la décision du comité exécutif de Refondation
communiste d’exclure Turigliatto, Gauche critique a lancé une campagne
internationale de solidarité qui s’est rapidement attiré le soutien de
nombreux radicaux bien connus, comme Noam Chomsky, George Galloway, Tariq Ali,
Olivier Besancenot, Alex Callinicos et le réalisateur Ken Loach.
La déclaration de solidarité appelle à s’opposer à
« la décision incorrecte d’exclure Turigliatto ». L’appel
se poursuit avec un franc-parler qui en dit long : « Nous avons
besoin de gestes comme ceux-ci, même s’ils sont compliqués et difficiles,
pour réduire le fossé entre la politique officielle et la société. »
Autrement dit, les actions de Turigliatto visent à rétablir, et non à miner, la
crédibilité de la « politique officielle » du gouvernement Prodi.
Dans une « lettre ouverte à tous ceux qui ont exprimé
leur solidarité », Turigliatto a expliqué pourquoi il avait
l’intention d’appuyer Prodi dans le vote de confiance qui devait
avoir lieu sous peu, bien qu’il rejette les douze points de
l’ultimatum de Prodi, qui, dit-il, « signifient l’accord avec
une politique de libre échange, un politique de sacrifice et de guerre
multilatérale ».
Il n’avait jamais eu l’intention de faire tomber
le gouvernement Prodi, a-t-il protesté. Il ne cherchait qu’à faire
avancer le « dialogue » avec les sections du mouvement et la gauche
qui pensent de cette façon. « En agissant ainsi, le gouvernement devrait
pouvoir rester en place », a-t-il déclaré.
Turigliatto a rendu un dernier service à Prodi en abandonnant
volontairement son mandat sénatorial, une capitulation complète et couarde.
La résolution de solidarité réussit, tout à la fois, à faire
bon accueil et à rejeter la démission de Turigliatto dans une seule et même
phrase. Elle dit : « Dans un contexte politique où un siège au
parlement est considéré comme plus important que tout, démissionner du Sénat
après quarante années d’activité politique aux côtés des travailleurs et
après avoir participé à la construction de Refondation communiste depuis le
tout début, nous semble être un geste qui est à la fois sans précédent et
moralement correct, même si nous pensons qu’il devrait retirer sa
démission. »
L’évolution du gouvernement Prodi et de Refondation
communiste ne surprend pas les marxistes. Le World Socialist Web Site —
et les journaux papier du Comité international de la Quatrième Internationale
qui l’ont précédé — ont montré clairement à plusieurs reprises que
Refondation communiste sert de soutien de gauche à l’ordre bourgeois.
Dans les années 1990, elle a soutenu politiquement le gouvernement technocrate
dirigé par le chef de la Banque centrale Lamberto Dini et celui de Azeglio
Ciampi, tout comme le premier gouvernement Prodi. Ces trois gouvernements ont
entrepris des attaques importantes contre la classe ouvrière.
Pour leur part, Turigliatto et ses partisans se sont donné
beaucoup de mal pour défendre et soutenir Refondation communiste, comme
l’indique clairement la lettre ouverte de Turigliatto. Il écrit :
« j’ai aidé à construire Refondation communiste à ses débuts. Je
l’ai défendue lorsqu’elle a été attaquée. J’ai passé des
centaines d’heures à parler avec des travailleurs devant des usines à
Turin et durant mes voyages de par l’Italie. »
En fait, Turigliatto a induit en erreur et trompé les
travailleurs. Si maintenant il est expulsé de Refondation communiste et se sent
appelé à entreprendre toutes sortes de virages et contorsions politiques pour
justifier son soutien au gouvernement de Prodi, c’est l’expression
du gouffre profond qui s’est ouvert entre le gouvernement de coalition et
la population en général.
Les ouvriers ne peuvent pas être si facilement déroutés. Ils
commencent à comprendre que Prodi et son prédécesseur de droite, Berlusconi
représentent les mêmes intérêts sociaux — ceux d’une petite élite
dirigeante qui s’est enrichie aux dépens de la société en général, tout
en menant continuellement des attaques contre la population ouvrière. Les
travailleurs commencent à chercher une alternative politique qui leur permettra
de transformer fondamentalement la société.
La tâche de Turigliatto et de ses collègues de Refondation
communiste et de Gauche critique est précisément de bloquer un tel
développement.