Lundi soir, 12 mars,
Ségolène Royal, la candidate présidentielle du Parti socialiste (PS) a dialogué
au Gymnase Japy dans le 11e arrondissement de Paris avec des personnalités
culturelles et scientifiques qui soutiennent sa candidature.
D’une voix monotone,
Royal a lu un document rédigé à l’avance. L’on avait
l’impression que chaque mot avait été soigneusement choisi en fonction de
son auditoire. Rien de ce qu’elle a dit n’a donné
l’impression qu’elle croyait ou ressentait vraiment ce
qu’elle racontait.
Il ne faudrait pas abuser
de la phrase « le style, c’est l’homme » ou en
l’occurrence la femme, et à plus forte raison en politique. Il existe des
politiciens sérieux qui sont de mauvais orateurs et vice versa. Mais, dans le
cas de Royal, il y a un lien évident entre sa prestation monotone et le contenu
de sa politique.
Ségolène Royal prenant la parole, le 12 mars à Paris
Elle avait commencé sa
campagne électorale en voulant être la candidate de la « gauche moderne »
à la manière de Tony Blair en se débarrassant des conceptions social-réformistes
du passé et en cherchant à se positionner même à la droite de son rival
principal, Nicolas Sarkozy, le candidat de l’UMP (Union pour un mouvement
populaire), le parti gaulliste au pouvoir. Lorsque cette stratégie rencontra de
l’opposition et que Royal chuta dans les sondages, elle changea de cours
en s’efforçant de cultiver une image socialement plus avenante et qui
démarque plus clairement la gauche et la droite.
Lors de la réunion de
lundi, elle a annoncé qu’elle représentait un modèle social différent de
celui de Sarkozy et poursuivit en parlant de l’incompatibilité entre le
libéralisme économique et la politique sociale. Enfin, elle appela en renfort les
« éléphants » du Parti socialiste, précisément les politiciens influents
de longue date desquels elle avait tenté de se distancer précédemment.
Les méandres tracés par
Royal l’ont exposée comme opportuniste sans scrupules qui dit ce que bon
lui semble et qui fait ce que, en coulisses, les forces puissantes et
influentes lui soufflent de faire.
La montée de Francois Bayrou
Dans des conditions où de
nombreux électeurs sont férocement opposés à Nicolas Sarkozy, François Bayrou,
un homme dont personne ne pensait qu’il pourrait profiter du déclin de
Royal, un provocateur droitier et dirigeant de l’Union pour la démocratie
française (UDF), un parti libéral bourgeois, grimpa rapidement dans les
sondages pour talonner à présent les deux principaux candidats, Sarkozy et
Royal.
Selon les derniers
sondages,Bayrou remporterait 23,5 pour cent au premier tour des élections
présidentielles, Royal 25,5 pour cent et Sarkozy 27 pour cent. Compte tenu de
la marge d’erreur que l’on impute aux sondages d’opinion, il
est tout à fait possible que Bayrou se retrouve au second tour avec de réelles
chances de l’emporter, à la condition toutefois que de nombreux électeurs
du candidat arrivant en troisième position, Royal ou Sarkozy, votent pour lui.
L’UDF, qui fut créée
en 1978 par le président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing,
fait partie par tradition du camp bourgeois conservateur. De 1993 à 1997,
Bayrou a été ministre de l’Education nationale des gouvernements
d’Edouard Balladur et d’Alain Juppé. Lorsque Jacques Chirac rassembla
en 2002 toutes les forces conservatrices dans un seul parti, l’UMP de nos
jours, Bayrou et une section de son parti ne s’y enrôlèrent pas et gardèrent
l’UDF comme une organisation indépendante.
A présent, Bayrou se
présente comme un homme se trouvant au-dessus de la mêlée des autres partis en
étant capable de réconcilier la droite et la gauche. La semaine dernière, lors
d’une conférence de presse il avait déclaré que son succès dans les
sondages montre que « quelque chose est en train de monter » : « C’est
un message du peuple français, qui dit : on va tourner la page. Ça suffit,
vos querelles et vos guerres incessantes ! On veut des gens qui
travaillent ensemble. »
Bayrou a eu
l’oreille des électeurs qui sont fatigués des luttes entre les partis
dont les disputes verbales sont inversement proportionnelles à leur manque de véritables
différences politiques. En terme de contenu, très peu de chose distingue le
programme de Royal de celui de Sarkozy.
Les résultats des sondages
confèrent à Bayrou le même niveau de compétence qu’à Royal et Sarkozy,
mais pour un grand nombre de personnes questionnées Bayrou passe pour être
sensiblement « plus honnête ». 38 pour cent considèrent que Bayrou
est le candidat le plus honnête, ses deux opposants le suivent avec 26 pour
cent respectivement.
Des supporters de Royal
Les partis d’extrême
gauche français ont contribué au succès momentané de Bayrou. Il y a cinq ans,
plus de dix pour cent des électeurs avaient voté pour les candidats de
l’extrême gauche en tant que réponse alternative. Mais, ces organisations
ont échoué à fournir une réponse et n’ont offert aucun moyen de
progresser. Lors du second tour des élections, il y a cinq ans, Olivier Besancenot,
le candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) appela à voter Chirac
alors qu’Arlette Laguiller, la dirigeante de Lutte ouvrière (LO),
déclarait que son parti était bien trop petit et insignifiant pour pouvoir
influencer les développements politiques.
D’une certaine
manière, les résultats des sondages de Bayrou demeurent extrêmement instables.
Tout comme Sarkozy et Royal, il est un vétéran de la scène politique et
n’a en essence rien de nouveau à offrir. Pour le moment, son avantage réside
dans le fait qu’il est relativement peu connu et encore plus fade que
Royal. C’est pourquoi il est en mesure de se présenter comme le candidat
de la réconciliation politique, ce à quoi aspire un grand nombre d’électeurs
issus de la classe moyenne et des couches académiques. Dans une société marquée
par des antagonismes sociaux, de telles aspirations sont illusoires et, à un
moment ou un autre, entreront en collision avec la réalité.
Le Parti socialiste en proie à la panique
Et pourtant, le succès de
Bayrou dans les sondages a suffi à engendrer la panique au sein du Parti
socialiste. Les électeurs socialistes traditionnels issus des milieux
universitaires et de l’enseignement se rallient au candidat de
l’UDF. A présent, le parti craint de ne pas atteindre le second tour,
comme cela fut le cas en 2002. Le candidat de l’époque du PS, Lionel
Jospin, avait subi une défaite contre le candidat du Front national, Jean-Marie
Le Pen.
La réunion de lundi soir
avait en grande partie pour but de regagner le terrain perdu parmi les
intellectuels. Royal s’était minutieusement préparée. N’étaient
admis qu’un millier d’invités et des représentants de la presse
triés sur le volet. Il coûta à l’auteur de cet article beaucoup de
patience et de persuasion pour convaincre les organisateurs de lui permettre
d’entrer dans la salle.
Les chaises avaient été
disposées en cercle autour du pupitre d’orateur: les blanches, tout à
fait devant, réservées aux personnalités célèbres et influentes ; plus en
arrière, les chaises marron pour les personnes moins connues. Les jeunes du
parti occupaient les balcons et scandaient « Ségolène résidente » pour
mettre l’ambiance.
La réaction fut cependant
faible. Seules quelques célébrités du cinéma et de la télévision français
firent leur apparition et, finalement, Royal prit place entre les actrices
Jeanne Moreau et Emmanuelle Béart. Quelques acteurs moins connus et des
personnalités de la télévision complétèrent le groupe et c’était déjà
tout.
Michel Broué,
mathématicien et fils de Pierre Broué, historien et biographe de Trotsky, prit
la parole au nom de la « Science ». Il fulmina pendant un quart
d’heure contre Sarkozy, puis durant un autre quart d’heure contre
Bayrou. Enfin, pendant quelques secondes il fit l’éloge de Ségolène
Royal, manifestement il ne trouva que très peu de choses positives à dire sur
sa candidate favorite.
Dans une contribution plutôt
embarrassante, le psychologue, Gérard Miller, loua le caractère féminin de la
candidate qui, contrairement aux autres politiciens, n’était pas une « femme
phallique ».
Royal plaça la promotion
de l’éducation, de la culture et de la recherche au centre de son
discours qui dura une heure. Elle ne fut pas avare en promesses, mais resta
singulièrement vague quant aux détails. Elle ne mentionna ni chiffres ni les
attaques dont l’éducation nationale fut la cible durant les années 1990 de
la part d’un gouvernement mené par le PS et dans lequel elle avait été
ministre.
L’ambiance changea
au moment où Royal critiqua les propos nationalistes de son rival Sarkozy et
qui avait récemment prôné la création d’un ministère de
l’immigration et de l’identité nationale que Royal dénonça comme « amalgame
insupportable » entre l’immigration et la menace de l’identité
nationale.
Ensuite, elle commença par
promouvoir sa propre version de nationalisme et d’identité nationale :
« Avec moi, l’identité nationale ne disparaîtra pas dans la
mondialisation ou dans le repli sur soi », promettait-elle en soulignant
le rôle de la France comme un exemple pour le monde. Son seul désaccord avec
Sarkozy était que l’identité nationale des citoyens ne devrait pas être
définie en fonction du pays d’origine, mais « où ils veulent aller
ensemble. »
Elle proclama que « La
Nation ne distingue ni blancs, ni noirs, ni jaunes, ni catholiques, ni athées,
ni juifs, ni musulmans. Tous nous sommes tous les citoyens de la République
française à égalité de droits et de devoirs », dit-elle. Sur sa lancée,
elle défendit une « immigration encadrée par des règles justes et respectées ».
Les immigrés devront respecter les « lois et nous garantirons
l’égalité de vos droits et de vos chances. »
L’ensemble de la
rencontre exhalait un air de détachement et d’irréel. Les acclamations
debout qu’elle reçut au début et à la fin avaient des allures de mise en
scène et paraissaient artificielles. La réalité sociale, un chômage élevé, la
pauvreté et les émeutes dans les banlieues, les suppressions d’emploi
massives chez Airbus et chez d’autres grands groupes, ne firent pas leur
entrée dans le meeting.
C’était une rencontre
entre gens qui se sentent menacés par la réalité sociale et qui
s’efforcent de fermer les yeux sur ce qui est en train de se passer.
Voici les couches qui sont prêtes à soutenir Ségolène Royal. Parmi les vastes
couches de la population, madame Royal est discréditée et bonne à être mise au
rebut.