Lors d’une interview télévisée jeudi dernier et
d’un meeting à Caen en Normandie réunissant 10 000 partisans le
vendredi suivant, Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP (Union pour un
mouvement populaire) gaulliste à l’élection présidentielle, a annoncé son
intention, s’il est élu, de mettre en place un nouveau ministère de
l’immigration et de l’identité nationale et de renforcer plus
encore les restrictions sur l’immigration.
Sarkozy veut créer une base sociale et idéologique où toute
action des travailleurs pour défendre leurs droits et leur niveau de vie serait
considérée comme antipatriotique, voire même comme une trahison.
Il fait des immigrés des boucs émissaires et nie leurs droits
humains : « Celui qui entre clandestinement en France, celui qui ne
fait aucun effort pour s’intégrer, celui-là ne doit pas s’attendre
à se voir reconnaître les mêmes droits qu’un Français... Je souhaite que
les étrangers en situation irrégulière soient exclus du droit au logement
opposable. Je souhaite que l’immigré en situation régulière ne
puisse faire venir sa famille que dans la mesure où celle-ci a appris, avant de
pénétrer sur notre territoire, à parler le français et après que nous nous
soyons assurés que les revenus de son travail lui permettent de la faire vivre
et de la loger décemment » (italiques ajoutées). Il justifie ceci par la
déclaration suivante : « Je veux protéger la France et ses valeurs. »
Ce message – que les immigrés représentent un danger
pour la culture et le mode de vie français, et qu’intensifier la chasse
aux immigrés est justifié – a été accueilli avec enthousiasme par le
candidat néo-fasciste à la présidentielle, Jean-Marie Le Pen. Il a dit que
Sarkozy « racole sur le terrain du Front national », mais a pris sa
défense face à ses détracteurs, en disant que refuser d’« associer
immigration et identité nationale », c’est nier que « l’immigration
puisse porter atteinte à l’identité nationale ».
L’organisation antiraciste MRAP (Mouvement contre le
racisme et pour l’amitié entre les peuples) a dit que Sarkozy « n’a
évidemment pas utilisé ces termes par hasard, mais en associant ces termes, il
libère la parole et l’idéologie raciste, menace gravement la cohésion
nationale, il fait ainsi un choix de société, celui du rejet de l’autre,
dans une logique de division incendiaire. »
Après une phase, notamment à l’occasion de son discours
d’intronisation le 14 janvier comme candidat du parti à l’élection
présidentielle, où il cherchait à humaniser son image caustique et provocante
afin de contrebalancer sa rivale du Parti socialiste (PS) Ségolène Royal qui le
talonnait dans les sondages, Sarkozy a maintenant pris un brusque virage à
droite pour différentes raisons.
Bruno Jeudy a écrit dans le quotidien conservateur Le
Figaro : « Convaincu que la présidentielle se jouera à droite, Nicolas
Sarkozy préempte le thème de « l'identité nationale ». Il ajoute, « mais
Sarkozy entend aussi bétonner son flanc droit au moment où Bayrou commence à
mordre dans l'électorat modéré de l'UMP. »
François Bayrou, candidat à la présidentielle pour l’UDF
(Union pour la démocratie française), parti du centre-droit de l’ancien
président Valéry Giscard d’Estaing, dans une situation où il n’existe
pas d’alternative claire au programme de droite des candidats du PS et de
l’UMP, a fait une percée dans les sondages où Bayrou, Sarkozy et Royal se
retrouvent tous trois à présent autour de 25 pour cent. Il y a seulement
quelques semaines, Bayrou dépassait à peine les 6 pour cent. Certains sondages
indiquent que dans une course contre Royal ou Sarkozy, Bayrou sortirait
gagnant. Bayrou promet, s’il est élu, de former une espèce
d’harmonieux gouvernement national de coalition entre la gauche et la
droite.
Sarkozy rejette cette proposition pour un programme clairement
de droite : « La campagne électorale et l’élection doivent
servir à quelque chose. Pourquoi je prends des engagements précis pour les
Français ? Parce que je veux que les Français tranchent. » Il affiche
par là sa détermination à poursuivre ses attaques sur les droits démocratiques
et les réductions draconiennes des services sociaux.
Le camp de Sarkozy, d’après Bruno Jeudy, n’exclut
pas non plus la menace Le Pen – que leur candidat soit battu au premier
tour par Le Pen, comme cela s’était produit en 2002 pour le candidat du
Parti socialiste Lionel Jospin. Le Figaro fait remarquer que le célèbre
sondeur Laurent Solly considère que bien que Le Pen reste depuis quelque temps
autour de 14 pour cent des intentions de vote, « Le Pen est à 31 pour
cent de popularité (en hausse de 6 points) dans le baromètre Paris Match et le
taux de sûreté de ses électeurs frôle les 80 pour cent. » On estime
que son score réel serait de trois à quatre points supérieur à celui mis en
avant dans les sondages, comme ce fut le cas le 21 avril 2002.
Au-delà de tactiques électorales immédiates, il y a des
raisons plus fondamentales au virage à droite de Sarkozy. Dans une situation de
frictions croissantes entre les Etats de l’Union européenne (UE) et des
différends sérieux entre l’Europe et les Etats-Unis sur l’accès aux
ressources énergétiques et sur les interventions militaires au Moyen-Orient,
Sarkozy veut rassembler les forces politiques et sociales pour mettre en oeuvre
la politique étrangère de l’impérialisme français de façon plus
agressive.
Lors de sa conférence de presse du 28 février, il avait tracé
les grandes lignes d’une politique étrangère agressive, impliquant le
renforcement de la présence militaire de la France dans le monde. Ceci requiert
un lavage de cerveau chauvin pour servir « l’intérêt national.»
D’où cet appel, à grand renfort de nationalisme fervent, aux éléments les
plus arriérés de la société française, dont bon nombre a des attaches avec les
forces armées et les anciennes colonies.
Il déclare sur un ton aux sinistres relents totalitaires :
« Lorsqu’il s’agit de la France, il n’y a pas de camps. »
Sur la question du plan de restructuration Power 8
d’Airbus, il affirme dans l’interview télévisée, « Je sais
comment les Allemands défendent leurs intérêts. » Airbus doit être « géré
comme une entreprise et une industrie. » Il accuse de boulimie
irresponsable la compagnie allemande Daimler-Benz qui est un actionnaire
privé majeur d’Airbus: elle « demande des dividendes pour rémunérer
son capital dans une entreprise qui fait 10 000 licenciements ; ça,
je ne peux pas l’accepter. »
La restructuration d’Airbus fait partie d’une
restructuration générale de l’économie française touchant des entreprises
comme Michelin, Renault et PSA Citroën-Peugeot.
Les syndicats d’Airbus, notamment FO (Force ouvrière)
suivent la ligne nationaliste de Sarkozy. Ils refusent de mobiliser les
travailleurs d’Airbus à échelle européenne contre le plan de la direction
et présentent le conflit comme un conflit entre la France et l’Allemagne.
Ils ont ainsi annulé une manifestation contre Power 8 de travailleurs de
tous les sites européens prévue pour le 16 mars.
Le discours de Sarkozy à Caen vendredi dernier a pris la forme
d’une incantation ponctuée de salves d’applaudissements où les mots
« France » et « français » ont été répétés 200 fois ou plus
dans un texte de neuf pages.
A l’aide de figures de rhétorique creuses et d’une
histoire de France factice, il a cherché à faire l’amalgame entre la
lutte des classes historique et le mythe d’une « France une et
indivisible ». Il a cherché à obscurcir les divisions de classes aiguës de
la société française en utilisant des expressions assommantes invoquant une
« identité nationale » abstraite : « La France est un
miracle… C’est le miracle de la France de conjuguer une identité si
forte avec une aspiration si grande à l’universalisme… une trame
mystérieuse… un lien mystérieux… La République a accompli le vieux
rêve des rois. Elle nous a fait une nation une et indivisible. »
Sarkozy a dit avec insistance que la France souffre non pas
d’une crise sociale, mais plutôt d’une « crise morale »
et que « le dénigrement de la nation est au cœur de cette crise ».
Défendant son projet de créer un ministère de l’immigration et de
l’identité nationale, il a dit dans Le Figaro du 11 mars, « C’est
parce que la politique d’immigration, c’est l’identité de la
France dans 30 ans. »
Il a réservé pour les immigrés des qualificatifs de lyncheurs ;
« Celui qui ne veut pas reconnaître que la femme est l’égale de
l’homme, celui qui veut cloîtrer sa femme, obliger sa fille à porter le
voile, à se faire exciser ou se marier de force, celui-là n’a rien à
faire en France. » En même temps, il a prétendu être l’héritier de
ceux qui en France ont lutté pour le progrès, des Lumières jusqu’à la Résistance
contre les nazis.
Cette invocation du nationalisme par Sarkozy va de pair avec
ses efforts pour créer une massuecontre les jeunes et les travailleurs
qui résistent contre son programme libéral anti-Etat providence.
Avec le renforcement considérable des pouvoirs de la police
par une série de lois mises en place par Sarkozy et le gouvernement UMP depuis
2002, avec l’affaiblissement de la protection du Code du travail et des
droits civils, qui ont provoqué peu, voire aucune opposition des syndicats et
des partis de gauche, malgré des protestations massives sporadiques, les
intentions déclarées de Sarkozy représentent une menace très sérieuse pour la
population dans son ensemble. Elles ouvrent la voie à la suppression des acquis
sociaux et des droits démocratiques obtenus sur plus de deux siècles de lutte.