Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) met
en garde contre le fait que le placement en détention le mois dernier de trois
personnes de gauche par le gouvernement du Sri Lanka et les arrestations
ultérieures de plus d’une centaine de travailleurs et de jeunes constituent
les préparatifs d’une répression d’Etat déclarée à l’encontre
de la classe ouvrière. Tout en intensifiant sa guerre profondément impopulaire
contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), le gouvernement
du président Mahinda Rajapakse cherche à intimider et à réprimer toute
opposition au sein de la population qui est obligée de porter le fardeau
économique du conflit.
L’armée a saisi les trois hommes le 5
février. Nihal Serasinghe, un compositeur d’imprimerie, fut enlevé dans
le centre de Colombo ; Lalith Seneviratne fut emmené de force de chez lui
par des hommes armés cette même nuit alors que Sisra Priyankara, un cheminot,
fut arrêté plus tard dans la nuit à l’entrée du complexe ferroviaire de
Dematagoda à Colombo. Les trois hommes avaient participé à la fabrication du bimensuel
Akuna, le journaldu syndicat des cheminots Railway Workers
Combine (RWC), un syndicat créé il y a dix ans.
Des centaines de cheminots et de journalistes
ont manifesté le 6 février à Colombo pour protester contre les enlèvements et
plusieurs syndicats ont menacé de se mettre en grève. Les autorités militaires ont
commencé par nier connaitre l’existence des trois hommes. Le soir du 6
février, toutefois, le ministre de la Défense a publié un communiqué sur son
site web reconnaissant que les trois personnes « soupçonnées d’être
des membres du LTTE » se trouvaient sous garde militaire.
Le communiqué a précisé que les suspects avaient
avoué avoir reçu une formation militaire au quartier général du LTTE à
Kilinochchi. L’armée a également affirmé avoir « découvert des
caches d’armes à plusieurs endroits à Colombo », y compris des armes
hautement explosives, des fusils automatiques, des mines Claymore et des
détonateurs électroniques.
Lors de la conférence de presse qui eut lieu le
lendemain, les porte-parole du gouvernement et de l’armée présentèrent
des « témoignages » vidéo dans lesquels les trois hommes reconnaissaient
s’être rendus, fin 2004 et début 2005, par deux fois dans la région contrôlée
par le LTTE. Ils donnèrent les noms d’autres personnes impliquées et
avouèrent avoir organisé des attentats à la bombe à Colombo et ailleurs ainsi
que de projeter d’autres attentats à l’avenir. Les trois hommes déclarèrent
participer à l’organisation de la « Revolutionary Liberation
Organisation (RLO) » dans le but de faire, avec l’aide du LTTE, une
révolution dans le sud du Sri Lanka.
De nombreuses questions restent sans réponse
quant à ces « témoignages ». Serasinghem, Seneviratne et Priyankara
sont détenus, au titre de la loi draconienne relative à la prévention du
terrorisme, Prevention of Terrorism Act (PTA), sans inculpation et sans être
autorisés à recevoir ni la visite d’un avocat, ni celle de leur famille
ou de la presse. Les trois hommes comparurent finalement le 7 mars devant un
tribunal mais il leur fut interdit de parler à quiconque. La famille est
autorisée à rendre visite aux détenus une fois par semaine et ce, seulement en
présence de la police.
L’aspect le plus frappant des confessions
est qu’elles furent extraites en moins de 48 heures pour fournir au
gouvernement et à l’armée un matériel sensationnel qui fut utilisé lors
de la conférence de presse — la première à jamais avoir été tenue en
dépit du grand nombre de détentions. Il n’y a que trois explications
possibles à ceci : soit les aveux furent obtenus sous la torture soit il
s’agit de confessions faites par des agents provocateurs ou d’une
combinaison des deux. Toutes ces techniques ont pu être perfectionnées au cours
de la guerre civile prolongée par les services de renseignement de l’armée
et les différents services policiers du Sri Lanka
Le gouvernement insiste non seulement pour dire
que tous les prisonniers sont des « Tigres terroristes », mais aussi que
ceux qui le critiquent « aident l’ennemi ». Le caractère
communaliste de sa position fut révélé dans un communiqué du ministère de la Défense
qui attaquait tous ceux qui avaient participé à la manifestation du 6 février pour
être « en faveur des casseurs terroristes de la presse et d’autres
mouvements anti-sri lankais qui dépendent de l’argent sanglant du
LTTE ».
Partageant un point de vue identique, les
extrémistes cingalais du Janatha Vimukthi Peramuna (Front populaire de
libération nationaliste cingalais, JVP) et le Jathika Hela Urumya (le parti des
moines bouddhistes, JHU) ont accusé les trois détenus d’être des « Sinhala
Koti » ou « Tigres cingalais » - c’est-à-dire
l’ethnie cingalaise liée au LTTE — un terme insultant souvent hurlé
à l’encontre de tout opposant à la guerre du gouvernement. Le JVP a
publié des extraits des « confessions » dans son journal Lanka.
Un article sur le même thème réclamait des arrestations supplémentaires en
déclarant : « Les sources sécuritaires ont dit que plus de personnes
devaient être arrêtées. Parmi eux figurent des dirigeants de NGO (Organisations
non gouvernementales), de soi-disant journalistes disant qu’il faut
libérer les gens de la presse et des gens de gauche dans les NGO. »
Le dirigeant du JHU, Champika Ranawaka, qui est
à présent un membre du gouvernement Rajapakse, a publié un communiqué brutal
réclamant des mesures anti-démocratiques supplémentaires et l’élimination
de toute personne qui s’oppose à la guerre. « Nous demandez-vous de
laisser en vie ces gens (qui sont opposés à la guerre) ? Ces salauds sont
des traîtres. On ne peut rien faire dans ce pays où chacun fait ce qu’il
veut… Si l’on ne peut se débarrasser de ces salauds par la loi, il
nous faudra le faire par n’importe quel autre moyen », a-t-il
déclaré au journal Ravaya.
L’intensification
de la répression
Les forces de sécurité ont déjà recouru aux
confessions de Serasinghe, de Seneviratne et de Priyankara pour prendre pour
cible les travailleurs des plantations et les jeunes en particulier. Serasinghe
a été emmené au district de Nuwara Eliya en plein milieu de la région des
plantations de thé de l’île dans le but de nommer ses
« contacts ». Trois enseignants et deux étudiants – tous des
Tamouls — ont été arrêtés. Ils furent inculpés d’être des membres
du NDF maoïste (Nouveau Front démocratique) et de bénéficier d’un
entraînement militaire du LTTE.
Sarath Kumyara Fernando, le président du
syndicat des cheminots Railway Workers Combine et Railway Trade Union Federation
(RTUF) s’est livré à la police et est actuellement incarcéré au centre de
détention à Boossa. Priyantha Nihal Gunaratne qui est également inculpé de
conspiration fut arrêté le 13 février par la police de Ratnapura. Il fut
torturé en étant suspendu par les bras, et souffre depuis d’une blessure
au poignet.
Depuis le 17 février, la police a arrêté et
interrogé quelque 400 travailleurs et jeunes tamouls en organisant des rafles
dans plusieurs cités. Cent neuf d’entre eux furent envoyés dans des camps
de détention à Boossa dans le district sud de Galle et 30 jeunes gens sont
incarcérés dans divers postes de police. Des policiers et des soldats
supplémentaires furent appelés en renfort pour mener à bien ces opérations. Un
certain nombre des personnes arrêtées avaient participé à des manifestations
contre le projet du barrage hydroélectrique du haut Kotmale et la police se
concentre à présent sur cette campagne de protestation.
Le fait de cibler les travailleurs des
plantations parlant tamoul n’est pas un hasard. Un demi-million de
travailleurs des plantations de thé et de caoutchouc ont débrayé durant deux
semaines en décembre pour revendiquer une augmentation de salaire, et ce, en
défiant leur syndicat. La grève a provoqué une crise de gouvernement qui fut
prêt à tout pour empêcher que d’autres catégories de travailleurs
n’expriment les mêmes revendications. Rajapakse déclara d’une
manière provocatrice que la grève constituait la menace d’une
« infiltration de terroristes LTTE dans les plantations. »
Dans une évolution sinistre, le 1er
mars, le ministre de la Défense a publié un communiqué où il déclarait que les
« autorités compétentes en matière de sécurité » avaient le droit
d’arrêter et d’interroger tout individu « directement ou
indirectement impliqué dans des activités portant atteinte à la sécurité
nationale ». Le communiqué visait tout particulièrement ceux protestant
contre les arrestations arbitraires, les disparitions et les violations des
droits démocratiques. Le communiqué mettait l’accent sur le fait que
« Les protestations et les intimidations qui sont organisées à la suite de
l’arrestation d’individus entravent non seulement le déroulement
des enquêtes, mais sont aussi une menace pour la stabilité du
gouvernement. »
En déclarant illégitimes les manifestations qui
« menacent la stabilité du gouvernement », le communiqué ouvre la
voie à des attaques en masse à l’encontre de toute opposition. Le
gouvernement Rajapakse se trouve d’ores et déjà dans une grave crise
politique. Il repose sur une coalition très instable constituée de divers
partis parlementaires et il est confronté à une vaste opposition de la part de
la population laborieuse à la détérioration du niveau de vie. Incapable de
résoudre la crise sociale, Rajapakse attise délibérément le chauvinisme
cingalais et intensifie la guerre contre le LTTE dans le but de diviser la
population travailleuse selon des clivages communalistes. De plus en plus isolé
et fractionné, le gouvernement s’apprête à présent à recourir à « la
sécurité nationale » s’en servant comme prétexte pour imposer ce qui
n’est rien moins qu’un Etat policier.
Une
longue histoire de terreur d’Etat
Ce n’est pas la première fois que le
gouvernement du Sri Lanka a recours à de telles méthodes. Dans les années
1989-1990, le gouvernement UNP (Parti uni national), au nom de la suppression
du JVP, déclencha une vague de répression contre la jeunesse rurale cingalaise dans
le sud de l’île. L’on évalue à 60.000 le nombre de jeunes qui soit
« disparurent » soit furent assassinés par les forces de sécurité et
leurs escadrons de la mort.
Durant la période qui a précédé la signature de
l’accord de cessez-le-feu de 2002, des dizaines de milliers de Tamouls
furent victimes de rafles en application de la PTA, emprisonnés pendant des
mois sinon des années et, dans certains cas, affreusement torturés. Après que
le président Mahinda Rajapakse ait remporté les élections en novembre 2005, les
forces de sécurité eurent de nouveau les mains libres. Durant des mois,
l’armée et ses alliés, les groupes paramilitaires, furent engagés dans
une sale guerre de provocation contre le LTTE, contre des figures emblématiques
de l’Alliance nationale tamoule (TNA) et la minorité tamoule tout
entière. Les enlèvements, les disparitions et les meurtres non élucidés étaient
à nouveau à l’ordre du jour. En juillet dernier, Rajapakse donna
l’ordre à l’armée d’entamer une offensive en violation
flagrante de l’accord de cessez-le-feu de 2002 et l’armée
s’empara de territoires contrôlés par le LTTE à Mavilaru, Sampur et Vaharai.
Le recours de Rajapakse à la guerre contre le
LTTE fut accompagné de mesures de plus en plus anti-démocratiques à
l’encontre de la minorité tamoule, des médias et de ses adversaires
politiques. Les enlèvements et les assassinats permanents ont provoqué une
vague de protestations à l’intérieur du pays et sur le plan
international. Début août 2006, au milieu des combats sur la côte orientale du
Sri Lanka, 17 travailleurs humanitaires locaux rattachés à l’organisation
française Action contre la Faim (ACF) furent trouvés morts, tués par balles,
sommairement exécutés, dans l’enceinte des bâtiments de cette
organisation à Muttur. Après avoir mené sa propre enquête, la Mission de
surveillance au Sri Lanka (SLMM) qui supervise le cessez-le-feu, a formellement
constaté, le 30 août, la responsabilité de l’armée dans ces meurtres.
Le SEP mène sa propre campagne au Sri Lanka et
sur le World Socialist Web Site, pour exiger de la police qu’elle
arrête et qu’elle poursuive les tueurs de Sivapragasam Mariyadas, un
sympathisant du SEP qui fut tué par balle à son domicile à Mullipothana. Les
preuves rassemblées à ce jour montrent qu’il a été assassiné par des membres
de l’armée sri lankaise, de la police ou de groupes alliés
paramilitaires. La police n’a toujours pas mené d’enquête sérieuse
sur ce meurtre politique de sang-froid.
La détention de Serasinghe, Seneviratne et Priyanka
et leurs « confessions » se sont produites à un moment
particulièrement propice pour le gouvernement Rajapakse et l’armée. Tous
deux ont désespérément besoin de détourner l’attention des requêtes,
nationales et internationales, réclamant des enquêtes dans les centaines de
meurtres et d’enlèvements. Durant plus d’une année, la police
n’a ni arrêté ni inculpé la moindre personne.
Le SEP en appelle à toutes les sections de la
classe ouvrière sri lankaise, Cingalais, Tamouls et musulmans, de
s’opposer à l’intensification de la répression d’Etat. Nous
exigeons la libération de tous les prisonniers politiques et l’abolition
de toutes les mesures anti-démocratiques et discriminatoires, y compris la PTA
et l’état d’urgence.
Le point de départ de toute lutte authentique
contre la guerre, les inégalités sociales et les attaques contre les droits
démocratiques est le rejet de toute forme de chauvinisme et de communalisme,
qu’il s’agisse du chauvinisme cingalais de l’Etat sri lankais
ou du séparatisme tamoul du LTTE. La classe ouvrière ne peut pas faire un pas
en avant sans qu’elle reconnaisse que tous les travailleurs partagent des
intérêts de classe communs et des préoccupations qui sont diamétralement
opposés à ceux des différentes élites dirigeantes qui ont exploité le racisme
pendant plus d’un demi-siècle afin de sauvegarder leur régime.
Le SEP appelle à la construction d’un
mouvement politique de la classe ouvrière et des masses opprimées qui soit
indépendant de tous les partis de l’establishment et qui se fonde
sur des principes socialistes et internationalistes. Un tel mouvement devra
exiger le retrait immédiat de l’ensemble des forces de sécurité du nord
et de l’est du pays qui se sont pratiquement trouvés sous occupation
militaire depuis trois décennies. Ce mouvement devra lutter pour l’établissement
d’un gouvernement ouvrier et paysan et pour la formation d’une
République du Sri Lanka-Eelam comme partie de l’Union des Républiques
socialistes d’Asie du sud et du monde.
Avant tout, le SEP en appelle aux travailleurs
et aux jeunes d’étudier les analyses et le programme de notre parti
international, le Comité international de la Quatrième Internationale, qui sont
affichés quotidiennement sur le World Socialist Web Site et de prendre
la décision de rejoindre ses rangs.