Quelque 20 000 personnes se sont rassemblées
vendredi 16 mars à Hambourg pour manifester contre les suppressions
d’emplois chez Airbus. Les manifestants ont investi la place Spielbuden,
dans le centre de Hambourg. Nombre d’entre eux étaient venus d’autres
sites d’Airbus, tels de Brême, Buxtehude, Laupheim, Stade et Varel. De
plus, des délégations de la sous-traitance étaient venues et un grand nombre de
jeunes étaient également présents. Des classes entières avaient été dispensées
de cours et certains jeunes brandissaient des pancartes où l’on pouvait
lire « Mon père doit garder son emploi » et « Qui pense à notre
avenir ? »
La majorité des manifestants avaient participé à
des grèves et des manifestations spontanées il y a deux semaines, en réaction à
l’annonce des projets du groupe Airbus de supprimer 10 000 emplois. Comme
les sites de l’entreprise sont situés en France, en Allemagne, en
Angleterre et en Espagne, la proposition d’organiser à Bruxelles une
manifestation et un rassemblement communs de l’ensemble du personnel
touché avait recueilli le plus vaste soutien.
Toutefois, quelques jours seulement avant que
cette action commune n’ait lieu, elle fut annulée par les syndicats. Au
lieu de cela, des réunions et des rassemblements nationaux ont été organisés
sous le titre de « Journée d’action européenne » où le chauvinisme
a été attisé.
A Hambourg, le syndicat avait invité trois politiciens
en vue de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) comme principaux orateurs à
la manifestation : le ministre-président de Basse-Saxe, Christian Wulff
(CDU), Günther Öttinger, le ministre-président du
Land de Bade-Wurtemberg et le maire de Hambourg, Ole von Beust. Finalement, ce
dernier étant empêché a été remplacé par Ulrich Nussbaum, sénateur responsable
des finances.
Jusque-là, il avait été relativement
exceptionnel que des politiciens influents de la CDU apparaissent à l’occasion
de vastes rassemblements syndicaux et encore moins en tant que principaux orateurs.
Lorsque, dans le passé ils s’étaient risqués à prendre la parole lors de
ces rassemblements, il leur était réservé le plus souvent un accueil plutôt
hostile. Les attaques incessantes perpétrées par la CDU contre les acquis
sociaux et les droits démocratiques sont connues et n’inspirent que
mépris. Cette fois-ci, Rüdiger Lütjen, le président du comité d'entreprise (CE)
d’Airbus-Allemagne a salué les politiciens de la CDU avec
effusion, les remerciant d’être venus et demandant à ce qu’ils
soient « chaleureusement applaudis » par l’auditoire, ce qui ne
s’est pas vraiment produit.
Le discours le plus nuisible et le plus
nationaliste a été celui du ministre-président du Land
de Bade-Wurtemberg, Günther Öttinger. Il a commencé par « Nous luttons
pour Airbus en Allemagne. » L’ensemble des sites allemands doit être
sauvegardé et défendu dans le cadre de l’entreprise, dit-il. Personne ne
l’avait convaincu, jusque-là, que « l’on pouvait résoudre les
problèmes par la vente des usines. » Il était inadmissible « que des
problèmes qui étaient dûs à des erreurs de la direction soient mis sur le dos
des travailleurs ».
« Ce n’est pas la
faute des travailleurs. Je tiens à exprimer explicitement mon respect devant
leurs efforts », a déclaré Öttinger, qui est d’habitude plutôt
l’homme à exiger davantage de coupes claires dans les services sociaux au
nom de la compétitivité internationale. La technique de pointe présuppose des
spécialistes hautement qualifiés, a-t-il insisté en déclarant : « Où
donc, si ce n’est dans le domaine de la technique de pointe, l’Allemagne
devrait-elle être en position de leader et défendre sa position
internationale ? »
L’Europe doit se
secouer pour pouvoir affronter la concurrence américaine. « Les Américains
achètent Boeing, » tout le monde le sait. L’Europe doit faire de
gros efforts « afin d’assurer sa loyauté (envers l’Allemagne)
en tant que site technique et scientifique. » Ceci fait aussi partie de la
« conception des affaires d’EADS et d’Airbus. »
Suite à la vente de
Daimler-Chrysler d’une partie des actions de l’entreprise, ceux
d’entre les Länder abritant Airbus ont décidé d’acheter des actions
« dans le but d’empêcher que les Russes ou qu’un fonds spéculatif
(hedge-fund) ne les rachète. » Ainsi, les gouvernements de ces Länder ont
garanti que la part allemande du capital d’Airbus ne soit pas minimisée,
permettant ainsi au partenaire allemand « de rester sur un pied d’égalité
avec la France. »
Le ministre-président de Basse-Saxe, Christian
Wulff (CDU), avait précédé Öttinger pour chanter lui aussi
« l’histoire du succès d’Airbus. » La « compétence
technique » se trouve pour une grande part en Allemagne et doit y rester.
Il a dit voir le « danger » imminent « de la perte du
savoir-faire » due à l’externalisation et à la vente des usines. Il
était tout à fait possible, grâce à la coopération entre les comités
d’entreprise et la direction de résoudre les problèmes dans le cadre de
l’entreprise. « Je connais des comités d’entreprise très capables
qui ont fait des suggestions très intelligentes, » a souligné Wulff.
Il fallait « une coopération très étroite
entre les comités d’entreprise, la direction et le monde
politique, » a-t-il réclamé. Alors, les problèmes pourraient être réglés
et la part de marché d’Airbus augmenterait considérablement. Les regards
du monde convergent déjà vers l’Europe et c’est pourquoi la
coopération en Europe doit être intensifiée.
La référence de Wulff à l’étroite
coopération entre les comités d’entreprise et la direction vise le groupe
Volkswagen dans lequel le Land de Basse-Saxe possède sa propre part
d’actions. Tout dernièrement, les salaires ont été considérablement
réduits précisément sur la base d’une telle coopération et les conditions
de travail ont empiré. L’opérateur Deutsche Telekom (Allemagne) projette également
d’externaliser 55 000 emplois, et de faire travailler ceux qui
restent dans des conditions bien pires. Et maintenant, Wulff envisage quelque
chose de similaire pour Airbus.
Le dernier orateur à prendre la parole lors de
la manifestation a été le sénateur Nussbaum. Il a
résumé ses remarques par la formule, « Airbus a besoin de
l’Allemagne et l’Allemagne a besoin d’Airbus »,
commentaire qui a été accueilli par des applaudissements venant de la tribune.
Afin de dissimuler
l’orientation nationaliste des discours, le président du syndicat IG
Metall, Jürgen Peters, a loué les vertus de la solidarité européenne.
« Nous ne nous laisserons pas diviser ! Ce n’est
qu’ensemble que nous sommes forts ! Une attaque contre le personnel
d’un site est une attaque contre tous et entraînera une résistance
commune. » Il a répété ces formules toutes faites ainsi que des clichés identiques
sous diverses formes, des phrases creuses que les travailleurs ont déjà entendu
en boucle.
Mais ce qui fut bien plus significatif
que toutes les paroles et les promesses de Peters était le fait que le syndicat
avait mis la tribune à la disposition des politiciens de droite de la CDU. Ceci
renforce encore le tournant à droite brutal effectué par les syndicats qui
opèrent de plus en plus ouvertement comme des agents des grands groupes et du
gouvernement allemand de grande coalition.
Peters a déclaré que cette
« manifestation extraordinaire » transmettrait un signal
d’unité et de détermination, alors qu’en réalité c’est un
message tout à fait différent qui se dégage de ce rassemblement. Il montre
qu’une lutte transnationale pour la défense de tous les emplois dans tous
les sites ne peut se faire en alliance avec les syndicats mais seulement sur la
base d’une lutte contre eux. Les syndicats se sont alignés sur la
perspective nationale des gouvernements et de la direction du groupe
d’une manière qui est visible pour tout le monde.
La réponse des travailleurs
Contrairement aux tirades
nationalistes des politiciens du CDU et du SPD qui se sont succédés à la
tribune, les travailleurs auxquels nos reporters se sont adressés lors de la
manifestation ont tous clairement exprimé la nécessité d’organiser une
lutte commune pour la défense des emplois en Allemagne, en France, en Espagne
et en Angleterre.
« Ils peuvent ce
qu’ils veulent de nous si nous nous laissons diviser, » a fait remarquer
Björn F. qui travaille depuis 1989 sur la chaîne de production d’Airbus.
Ses collègues, Dieter K. et Volker
K, partagent cet avis. Tous deux travaillent depuis plus de vingt chez Airbus.
Le plan de restructuration d’Airbus, Power 8 est destiné à
maximiser les dividendes des actionnaires au moyen d’économies faites sur
tous les sites d’Airbus. « Les actionnaires veulent voir du
profit », dit la direction. D’ores et déjà, de nouvelles études sur
le temps de travail sont mises en application pour intensifier la pression de
travail. « Des économies sont faites partout, nous sommes forcés de travailler
de plus en plus vite et si possible en sacrifiant nos pauses », ont rapporté
les trois hommes.
Un employé du service des
finances qui travaille depuis 27 ans chez Airbus, a déclaré que les projets de
vente et d’externalisation de certains sites sont destinés à faire baisser
les salaires et les coûts afin d’apaiser les actionnaires.
Le fait que les politiciens
CDU qui, dans leurs Länder respectifs, sont connus pour leur hostilité à
l’égard des travailleurs, aient pu s’adresser aux manifestants représentait
une source d’inquiétude pour certains travailleurs. Un travailleur plus
âge a déclaré que les politiciens redoutaient vraisemblablement une action
commune des travailleurs et avaient pour cette raison promis d’aider les
travailleurs. D’autres travailleurs, ont par contre réagi positivement à
la venue des politiciens. Ils espèrent qu’une intervention au niveau de
l’Etat contribuera à les protéger contre les pires excès de la direction.
Une discussion qui a eu lieu
avec plusieurs jeunes travailleurs d’Airbus à la fin de la manifestation a
révélé à quel point le personnel a été surpris par le plan de restructuration Power
8. C’est vraiment une mesure qui va à l’encontre du bon sens que
de mettre en danger de son plein gré le bon déroulement du processus de production
d’une entreprise dont les carnets de commandes sont remplis.
Les jeunes travailleurs ont
souligné que le fait de vendre et externaliser des usines démantèlerait des
équipes de travailleurs hautement qualifiés et bien rodées et que les
conséquences seraient néfastes pour la qualité et la sécurité des avions.
Autrefois, l’on demandait aux travailleurs des sacrifices sous prétexte
d’améliorer et d’augmenter la rentabilité. A présent, pourtant, mis
à part quelques difficultés de production initiales de l’A 380, tout tourne.
De nombreux travailleurs n’étaient
seulement inquiets pour leur avenir propre, mais ils étaient en colère à
l’idée de démolir une entreprise ultra-moderne.