Les syndicats ont réussi à isoler et trahir la grève des
cheminots pour la défense des régimes spéciaux de retraite. Après dix jours,
sans aucune perspective sur laquelle se baser pour battre le gouvernement du
président Nicolas Sarkozy, les assemblées générales qui se sont tenues dans
toute la France ont voté pour la reprise du travail. De larges poches de
résistance, quelque 10 pour cent, soit près de 14 000 cheminots, étaient
encore en grève.
La massive grève d’un jour de plus d’un million de
travailleurs et les manifestations de fonctionnaires mardi dernier, qui ont fait
descendre dans la rue quelque 700 000 personnes aux côtés des cheminots et
employés des transports urbains, avaient été conçues par les syndicats comme un
moyen d’empêcher une offensive politique vraiment unifiée contre
la politique sociale régressive de Sarkozy.
L’étouffement de la grève et l’isolement des
travailleurs les plus déterminés dans les jours qui ont suivi avaient été
préparés par la décision des syndicats, dont la CGT (Confédération générale du
travail, dominée par le Parti communiste) et SUD-RAIL (Solidarité, unité,
démocratie) d’entamer des négociations mercredi avec le gouvernement et
la direction sans le retrait préalable des attaques prévues sur les retraites.
SUD, au sein duquel militent de nombreux groupes d’« extrême-gauche »,
dont la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) rejetait au départ toute
participation aux négociations sans le retrait préalable de la réforme du
gouvernement, dont notamment les trois piliers : l’allongement de
37,5 à 40 annuités pour avoir droit à une retraite à taux plein, la décote pour
les travailleurs prenant une retraite anticipée et l’indexation des
retraites sur les prix et non plus sur les salaires.
SUD-RAIL a accepté de participer à la table ronde avec le
gouvernement et la direction de la SNCF. La bureaucratie syndicale a œuvré
pour que les assemblées générales de grévistes dans toute la France soutiennent
cette négociation, malgré les déclarations catégoriques de Sarkozy disant
qu’il ne reculerait pas sur les questions essentielles.
Cette volte-face de SUD s’est produite au moment où la
grève commençait à inquiéter fortement les soutiens de Sarkozy issus du
patronat. Laurence Parisot, présidente du MEDEF (Mouvement des entreprises de
France) a dit à radio RTL, « C'est une véritable catastrophe pour notre
économie (...). J'assimile ça à un séisme », a-t-elle dit. « Le coût
économique de la grève est tout simplement incalculable... On ne sait dire le
nombre d'investisseurs étrangers qui ont renoncé à faire telle ou telle
opération en France. »
Le gouvernement a dit que la grève coûtait 400 millions
d’euros par jour à l’économie. Le magazine The Economist a
commenté, « La durée et l’intensité de la grève ont même surpris les
observateurs chevronnés. »
Sarkozy craignait que les syndicats ne soient pas en mesure de
contrôler les cheminots. Un article du quotidien conservateur Le Figaro
du 22 novembre titrait, « Le chef de l’État ne veut pas braquer les
syndicats tant que la grève n’est pas achevée. »
L’article cite un conseiller du président, qu’il
ne nomme pas : « On tablait sur la fin de la grève dès hier, et on se
résigne à attendre la fumée blanche. »
L’article poursuit, « Le chef de l’État ne
veut pas non plus durcir le ton contre les syndicats en délicatesse avec leurs
bases. Il sait qu’il a besoin d’eux pour la suite des
réformes : code du travail, fusion Unedic et ANPE, retraites du privé,
formation professionnelle. "Les régimes spéciaux, c’est
l’apéritif, pour les autres réformes, nous aurons besoin de syndicats
responsables", justifie David Martinon, porte-parole de
l’Élysée. »
Sarkozy s’inquiète du déclin de sa popularité révélé par
les sondages et causé par l’augmentation du coût de la vie qui tourne en
dérision son principal slogan de campagne « Travailler plus pour gagner
plus ». L’article du Figaro fait remarquer que l’Élysée
attend déjà des Français qu’ils se serrent la ceinture : « "Nous
avons déjà voté le budget et nous n’avons pas de baguette magique",
reconnaît-on à l’Élysée. » Un ministre a confié au Figaro :
« Tout ce qu’on propose, ce n’est jamais assez, il cherche la
pierre philosophale, et ne la trouve pas. »
Sarkozy a toujours cru que sa réorganisation de la société
française, pour en faire un paradis d’enrichissement personnel des élites
et investisseurs riches, devait se faire avec le soutien des syndicats.
Posant comme une tendance contestataire, SUD et les groupes d’« extrême-gauche »
en son sein, ont collaboré aux efforts des autres syndicats pour imposer la
trahison. Le Financial Times du 22 novembre écrit : « Même les
assemblées générales du noyau dur du syndicat SUD ont voté jeudi pour mettre
fin à la grève. Depuis les pourparlers de mercredi, les membres appellent à
mettre fin à la grève. "On doit regarder les choses en face", a dit
Philippe Touzet, représentant syndical de SUD à la RATP dans une interview. "Depuis les négociations d’hier, les choses ont changé. La
grève n’est plus la solution. La stratégie de la
grève n’est plus une stratégie gagnante." »
Une déclaration publiée jeudi par la branche RATP de SUD
disait qu’ils reconduisaient la grève « sans grande conviction, et
uniquement par respect pour les membres qui poursuivent l’action ».
Un communiqué de presse de SUD-RAIL du 22 novembre affirmait
la poursuite de son alliance avec ceux qui avaient trahi la grève des
transports. Ce communiqué disait, « Nous attendrons l’émergence
d’une mobilisation plus unitaire – seule à même de contrer notre
régime spécial – pour appeler à nouveau à la mobilisation des salariés. »
Didier Le Reste de la CGT n’a donné aucune consigne de
reconduction de la grève et a laissé aux bureaucrates moins gradés et aux militants
politiques du Parti communiste, du Parti socialiste et des divers groupes d’« extrême-gauche »
dans les assemblées générales le soin de pousser à une décision visant à mettre
fin à la grève. Les prochaines négociations se tiendront le 29 novembre à la
SNCF et s’achèveront le 18 décembre et à la RATP, elles se dérouleront
du 26 novembre au 13 décembre. Bernard Thibaut, dirigeant de la CGT, a dit que
son syndicat n’avait aucune intention de perturber les vacances de Noël
après les négociations.
Renversant complètement la réalité, le quotidien du Parti communiste
l’Humanité, déclarait, « les négociations s'ouvrent dans les
transports. Elles ont été arrachées par les longues journées de grève et
constituent un premier point marqué par les agents de la SNCF et de la
RATP. »
Olivier Besancenot de la LCR a, à la fois, soutenu et couvert
la trahison de la grève orchestrée par les syndicats. Dans un discours jeudi il
a dit de la reprise du travail, « Ce n'est pas la défaite, ni moralement
ni sur le fond du dossier, même si la revendication initiale des cheminots n'a
pas été obtenue. » Il s’est dit « solidaire des décisions des
assemblées générales des cheminots ».
Libération du 23 novembre, au
contraire, donne une idée du sentiment de trahison des cheminots. Un gréviste
de Marseille et membre de SUD a dit que c’était « Sidérant …
Huit jours de grève pour ça. Du saupoudrage, des cacahuètes. »
A la Gare de Lyon, bastion de la CGT, deux des trois
assemblées générales ont voté pour la poursuite de la grève, « au grand
dam des délégués CGT », rapporte Libération.
Les travailleurs venus faire pression sur la réunion entre les
syndicats de la RATP, la direction et le gouvernement, mercredi dernier, étaient
furieux. Libération rapporte, « Des sifflets. Puis des huées. Dans
le hall du siège de la RATP, hier en fin de matinée, le responsable de la CGT
redescendu de la négociation tripartite, a du mal à terminer son compte-rendu.
"Trahison!", "Vendu!", lance une
grande partie de l’assemblée, pourtant composée en majorité de
cégétistes. L’ambiance est électrique. De petits groupes se forment,
s’engueulent. Assis à l’écart, Jean-Pierre a "envie de
vomir". »