Le nouveau ministère de l’immigration et de
l’identité nationale dirigé par Brice Hortefeux dans le gouvernement UMP
(Union pour un mouvement populaire) de Nicolas Sarkozy pousse en force au
parlement une loi de plus attaquant les immigrés, la quatrième du genre depuis
2003. Cette implacable chasse aux immigrés contenue dans la loi sur «la maîtrise
de l’immigration, l’intégration et l’asile » a été votée
en première lecture à l’Assemblée nationale les 18 et 19 septembre.
Cette fois l’objectif principal est d’empêcher le
regroupement familial, c'est-à-dire que des membres de la famille viennent
rejoindre ceux qui sont légalement installés en France. Un élément de la loi,
qui a soulevé une grande controverse, est l’utilisation de tests ADN sur
les personnes souhaitant rejoindre leur famille installée en France.
L’amendement à la loi concernant l’ADN, votée par 91 voix contre
45, prétend que le test ADN « ne pourrait être mis en oeuvre qu’à
l’initiative d’un demandeur. » Le député UMP Thierry Mariani
est l’auteur de cet amendement qu’il justifie en disant que les immigrés
utilisent de faux papiers. Cela « peut atteindre entre 30 à 80% des
documents d’acte civil présentés dans certains pays d’Afrique, »
a-t-il dit.
Les partisans de ce projet de loi prétendent, de façon
malhonnête, que la mesure aidera les personnes cherchant à obtenir un permis de
séjour à avoir leurs papiers plus rapidement parce que la vérification des
documents prouvant les liens de parenté prend des mois, voire des années. En
fait, il s’agit de l’introduction dangereuse de la génétique dans
l’évaluation des relations humaines, ce qui explique pourquoi
l’amendement a retenu l’attention de la presse allemande. Le
souvenir des conséquences tragiques de la définition des êtres humains suivant des
critères raciaux et génétiques est encore très vivace en Allemagne.
En France des dirigeants en vue des églises catholique et
protestante ont exprimé leur opposition et même Charles Pasqua, ancien ministre
de l’Intérieur de la droite gaulliste et partisan du tout sécuritaire a
fait part de son désaccord dans Le Parisien du 2 octobre : « Le
choix des tests ADN n'est pas acceptable. Cela rappelle de mauvais souvenirs, à
nous gaullistes. On sait l'usage qu'ont fait les nazis de la génétique.»
De nombreux commentateurs ont fait remarquer que la famille
est avant tout une relation sociale et qui ne requiert pas nécessairement des
preuves de filiation biologique: Quand on adopte un enfant, cet enfant devient
comme les autres enfants un membre à part entière de la famille. Ce ne sont ni
les frontières ni l’ethnicité qui définissent les droits humains
d’une personne mais son appartenance-même à l’humanité.
Hortefeux, en ouvrant les débats sur le projet de loi, a eu
recours à des arguments racistes habituellement associés au Front national de
Jean-Marie Le Pen. « Pour beaucoup de nos compatriotes,
l’immigration est une source d’inquiétude. Ils y voient une menace
pour leur sécurité, leur emploi, leur mode de vie. Et les Français qui pensent
ainsi sont aussi respectables que tous les autres. Il faut comprendre les
attentes, les espoirs de cette majorité silencieuse. »
D’après Hortefeux, 185 000 permis de séjour ont été
accordés en 2005, dont 94 500 pour le regroupement familial et 13 000
pour du travail. La mission qu’Hortefeux a reçue du président Sarkozy est
de faire passer le pourcentage d’immigration pour travail à 50 pour cent
(il est aujourd’hui de 7 pour cent) au détriment de l’immigration
pour regroupement familial.
Le but du projet de loi est de rendre le regroupement familial
extrêmement difficile. Les candidats seront soumis à des tests de langue
française et de « valeurs républicaines. » Il y aura aussi des
conditions de ressources adéquates. Si le résident étranger qui fait la demande
de regroupement familial ne gagne pas plus de 1 ou 1,2 fois le SMIC (salaire
minimum), suivant la taille de la famille, alors l’arrivée en France des membres
de sa famille sera refusée.
Il s’agit là d’une discrimination flagrante contre
les immigrés pauvres, sachant que 1,3 millions de la population active
française vit en dessous du seuil de pauvreté qui est fixé à 647 euros par
mois. La France compte 2,5 millions de travailleurs qui sont au SMIC
(1 280 euros brut par mois.) Cela représente 16,8 pour cent de la force de
travail.
Dans la nouvelle loi, les conjoints et les enfants de Français
déjà présents sur le territoire et de personnes résidant légalement en France,
seraient tous soumis à un retour dans leur pays d'origine pour y solliciter un
visa de long séjour, condition indispensable pour bénéficier d'un titre de
séjour en France.
De plus, les parents d'enfants ayant bénéficié du regroupement
familial devraient signer avec l'Etat un «contrat d'accueil et d'intégration
pour la famille» comportant«une formation sur les droits et devoirs des
parents en France». En cas de non-respect, leurs allocations familiales
pourront être mises sous tutelle. Cette manière de traiter les enfants
immigrés, digne des dictatures totalitaires, n’est pas seulement
extrêmement discriminatoire mais est révélatrice de l’attitude du
gouvernement Sarkozy et elle représente un avertissement sur les dangers qui
menacent la jeunesse française.
Les réfugiés demandeurs d’asile n’auront plus que
deux semaines, et non plus un mois, pour régler les problèmes administratifs visant
à prouver la légitimité de leur demande. La France a déjà été condamnée par la
Cour européenne des droits de l’homme pour avoir expulsé un Erythréen qui
avait vu sa demande d’asile rejetée, sans aucune possibilité d’appel.
Un autre article du projet de loi exclut les immigrés sans papiers
du droit au logement d’urgence. Les associations caritatives Emmaüs et la
Cimade ont protesté avec vigueur : « On ne peut pas imaginer que,
dans le pays des droits de l’Homme, les personnes qui sont à la rue et en
situation irrégulière ne puissent trouver un abri. Leur refuser ce droit élémentaire
tout au long de l’année serait un pas franchi dans la stigmatisation et
la marginalisation de ces personnes, et porterait une atteinte inacceptable à
la dignité et à l’égalité de traitement des personnes. »
L’amendement sur l’ADN a même causé des remous
dans les rangs de l’UMP au Sénat, où la commission des lois l’a
rejeté. Brice Hortefeux a cependant dit clairement que « C’est
l’Assemblée nationale qui a le dernier mot.. » La Ligue des droits
de l’Homme a dit que l’amendement « apporte une nouvelle
pierre à l’édifice de la rupture avec le droit commun et avec les
principes de le République, » se référant au code civil français qui
n’autorise les tests ADN que pour des raisons scientifiques ou médicales.
Le Parti socialiste (PS) a concentré ses attaques sur
l’amendement ADN, mais il a gardé le silence sur les principales
dispositions du projet de loi, que, pour l’essentiel, il approuve. Votant
contre le projet de loi à l’Assemblée nationale, le secrétaire général du
PS, François Hollande a exprimé son inquiétude disant que « le contrôle de
l’immigration familiale doit être effectif…ce n’est pas ainsi
que l’on va réguler le regroupement familial. »
L’alignement du PS avec la politique de Sarkozy est plus
visible que jamais. Sarkozy a déjà clairement fait comprendre que dans les
prochaines semaines il y aura de nouveaux décrets portant sur des quotas
d’immigration : « Je souhaite également qu’à l’intérieur
de ce chiffre plafond on réfléchisse à un quota par profession et par catégorie
(...) et puis naturellement un quota par région du monde. » Hollande a
adhéré à cette idée disant qu’on pourrait la « regarder. »
Ceci va dans le même sens que le programme électoral du PS à
la présidentielle et que les idées exprimées par la candidate PS, Ségolène
Royal, lors de sa campagne électorale. Manuel Valls, député PS soutenant Royal,
était encore plus ouvertement d’accord avec Sarkozy. «Cela ne me gêne pas
d’ouvrir le débat sur les quotas économiques. Chercher un accord avec les
forces sociales de ce pays ne me paraît pas être tabou. » Pour sa part, il
souhaiterait voir le Parti socialiste être plus sur l’offensive sur les
questions d’immigration.
La position du PS sur l’immigration a été clairement
exprimée dans une étude en 2005 publiée par Malek Boutih, ancien dirigeant de
l’association anti-raciste, dominée par le PS, SOS Racisme et qui
est à présent dans les instances dirigeantes du PS. Il avait écrit dans la
section « Une nouvelle politique de gestion des flux (migratoires) »:« Nous
proposons de mettre sur pied une politique de quotas des flux migratoires
permettant de prévoir les besoins et la capacité d’accueil de notre
société. Ces quotas seront constitués sur une base du nombre d’immigrants
que la France accueillera chaque année et concernera les pays qui ont des
relations historiques, économiques et politiques avec la France, comme le
Maghreb, les pays de la zone CFA ou certains pays de l’Est de
l’Europe membre ou non de l’Union.»
Le projet de loi sur l’immigration est repassé devant le
Sénat le 2 octobre pour un débat sur l’amendement ADN puis sera ensuite
votée par la majorité UMP à l’Assemblée nationale. En introduisant une
nouvelle loi sur l’immigration, le gouvernement français cherche à
concentrer l’attention du public sur les questions d’immigration
tandis qu’une série de nouvelles lois attaquant les droits à la retraite,
la protection du travail et le droit de grève sont introduites.
Brice Hortefeux n’a aucun scrupule concernant la
procédure des tests ADN puisque, comme il le dit, elle est déjà acceptée dans
11 pays de l’Union européenne et fait partie intégrante de la
« Forteresse Europe » sur l’immigration. Le traité de Prüm va
encore plus loin. Négocié indépendamment de l’UE, promu par
l’Allemagne et l’Autriche, ce traité a aussi été signé en mai 2005
par la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg et la Hollande. Il
prévoit « l’échange de données génétiques, d’empreintes
digitales et de données à caractère personnel, » qui contribueront à
« renforcer la coopération transfrontalière, en vue de lutter contre le
terrorisme, la criminalité et l’immigration illégale. » (Rapport du
parlement britannique, (Justice and Home Affairs issues at the EU
level—House of Commons Home Affairs Committee Report). Le but est
d’incorporer ceci à la loi européenne.
Le projet de loi Sarkozy-Hortefeux est une renforcement des
pouvoirs de surveillance et de répression de l’Etat, pas seulement en
France, mais dans toute l’Europe et représente une escalade à
l’échelle européenne des attaques sur les droits de l’Homme fondamentaux,
non seulement des immigrés mais aussi des citoyens de l’Union européenne.