Le 16 août, en pleines vacances d’été, deux immigrés
sans-papiers, Diaby Souareba et Mohamed Lamine Diaby, ont été expulsés de
France sur un vol de la Royal Air Maroc vers leur pays d’origine, la Guinée-Conakry,
ancienne colonie française. Si l’on a parlé de leur expulsion,
contrairement aux nombreuses autres expulsions précédentes et qui
n’avaient pas été rendues publiques, c’est qu’elle a provoqué
un incident diplomatique entre la Guinée et la France.
Les deux Guinéens sans-papiers avaient entamé deux mois plus
tôt à Lille une grève de la faim pour obtenir leur régularisation. Menacés
d’expulsion, ils avaient participé à l’occupation de la Bourse du
Travail à Lille et été interpellés le 1er août à six heures du
matin, jour de l’évacuation de celle-ci, par des policiers en civil de la
BAC (Brigade anti criminalité).
Les deux travailleurs immigrés ont été reconduits dans leur
pays par une équipe de policiers « spécialisés » composée de six
membres de la Police aux frontières (PAF). Les deux expulsés, qui avaient
bénéficié dès leur embarquement à l’aéroport de Roissy du soutien de
plusieurs passagers qui avaient accusé les policiers d’être
« inhumains », étaient attendus à l’arrivée à l’aéroport
de Conakry en Guinée, par leurs familles et leurs amis.
A leur descente d’avion à Conakry, le 16 août à 4 h 30
du matin, en plus de la foule présente à l’aéroport pour les soutenir,
des policiers guinéens sont également intervenus en leur faveur. Un article
paru le 23 août sur le site du Nouvel Observateur cite un
« procès-verbal (PV) de ces incidents dressé par les fonctionnaires de la
police aux frontières (PAF) : les six policiers ont affirmé qu’ils
avaient été reçus à Conakry "par un comité d’accueil" dont
"faisaient partie deux policiers guinéens". L’un d’entre
eux "a frappé l’un des fonctionnaires français", poursuit le
document. Les policiers… ont également été "insultés et pris à partie
(…) sous une nuée d’insultes", essuyant une "multitude de
coups de poing et de pied". Des policiers guinéens les ont ensuite
insultés en présence d’un commissaire… "La colonisation est
finie", a notamment lancé une femme policière guinéenne, selon le même
document. »
L’arrivée des deux travailleurs expulsés à
l’aéroport de Conacry avait été connue en partie grâce à l’action
du « Comité des Sans-Papiers du Nord » (CSP-59), dont Saïd Bouamama
est l’un des porte-parole. Celui-ci, expliquait au micro
d’Europe1 : « Nous avons comme principe ici que les personnes
que nous avons accompagnées dans la lutte ne soient abandonnées au moment où
elles retournent, donc nous avons des contacts avec la famille, nous gardons le
contact parce que nous voulons qu’elles reviennent [en France]. Et
c’est autour des familles des personnes expulsées que se sont organisés
les comités d’accueil [en Guinée] et eux s’organisent pour la
bataille pour le retour, pour que ces gens puissent revenir et nous allons nous
organiser aussi. »
Le gouvernement français a réagi en condamnant les faits ainsi
que l’attitude de la police guinéenne à Conakry en exigeant des
explications de la part du gouvernement guinéen et l’assurance de ce
dernier que cela ne se reproduira plus.
Les syndicats de la Police sont aussitôt intervenus, eux
aussi, à propos de l’incident. Ils ont revendiqué des mesures pour la
protection des policiers chargés des expulsions.
Le ministère des Affaires étrangères a immédiatement annoncé
avoir saisi les autorités guinéennes et que celles-ci avaient pris
l’engagement de « mettre sur pied, en liaison avec nos
représentants, un dispositif d’accueil adéquat pour éviter le
renouvellement de tels incidents ». La ministre de l’Intérieur,
Michèle Alliot-Marie, UMP (Union pour un mouvement populaire), d’ajouter
que le gouvernement guinéen avait « présenté ses excuses à la
France, » ce qu’il aurait réfuté, selon Le Figaro du 23 août
pour n’avoir exprimé que ses « regrets », « car la France
est le seul pays au monde qui rapatrie les ressortissant d’autres pays
sans en avertir les autorités. (…) Si la France nous avait averti, la
Guinée aurait pu prendre des dispositions qui auraient pu permettre
d’éviter l’incident. »
De plus, le gouvernement français, dans un geste provocateur à
l’égard des victimes des expulsions et dans le but de légitimer les actes
de la police a aussi immédiatement pris fait et cause publiquement pour les six
policiers de la PAF qui avaient effectué la reconduite. Ils se verront décerner
« la médaille pour actes de courage et de dévouement ».
La réaction du gouvernement du premier ministre Lansana
Kouyaté et du président Lansana Conté a été de minimiser les faits. La police
guinéenne a toutefois « confirmé l’incident » mais contesté la
version de la police française en démentant « que des policiers guinéens
aient porté la main sur des policiers français ».
Guinée-Conakry (capitale Conakry) est une ancienne colonie
française d’un peu plus de 9 millions d’habitants. Selon le Rapport
mondial sur le développement humain publié en 1992 par le PNUD (Programme
des Nations unies pour le développement), la Guinée était classée au dernier
rang des 170 pays du monde, derrière Haïti et la Somalie. Le directeur de la
rédaction du journal guinéen Solidarité a résumé en quelques mots la
situation dans ce pays à l’antenne de Radio Europe1: « Nous sommes
un pays en voie de développement dont les habitants n’ont pas plus
d’un dollar par jour. Les familles comptent sur tous ceux qui vont en
exil, donc les voir revenir, c’est frustrant, c’est grave. »
Une épidémie de choléra sévit présentement sur
l’ensemble du territoire de Guinée et qui, selon le directeur national de
la Santé publique, le Dr Mohamed Mahy Barry, a infecté depuis fin janvier 1764
personnes, causant 67 décès. La ville la plus touchée est la capitale dont tous
les quartiers sont concernés avec 32 décès sur 827 cas déclarés. Le choléra,
aussi appelé « maladie du pauvre », est une maladie due
essentiellement à l’absence de bonnes conditions d’hygiène et
d’une infrastructure sanitaire et d’un approvisionnement en eau
adéquats.
Samedi 25 août, un débrayage d’une journée des
boulangers a privé de pain la plupart des habitants de la capitale Conakry. Ils
dénoncent la hausse des prix de la farine. Le prix d’une miche de pain de
300 grammes a presque doublé : il coûtait samedi près de 2000 francs
guinéens au lieu de 1200 francs guinéens avant.
Les demandes d’asile de la part de Guinéens ont
fortement progressé, non seulement pour des raisons économiques, mais également
politiques. Toute personne arrêtée et perçue comme opposante au gouvernement
est systématiquement torturée bien que la constitution interdise l’usage
de la torture. La résistance à l’expulsion des deux immigrés sans-papiers
reflète la volonté de la population de combattre ces conditions de vie.
L’actuel gouvernement de la Guinée-Conakry, qui était
venu au pouvoir plus tôt cette année à la suite d’une grève générale qui avait
duré plus d’un mois et du soulèvement de l’ensemble de la
population. Une marche pacifique le 22 janvier dernier avait été réprimée de
façon sanglante par les forces de l’ordre. Le nouveau gouvernement avait
reçu au mois de mars le soutien officiel de Paris. Selon le site de radio-Kankan,
la ministre française déléguée à la Coopération, au Développement et à la
Francophonie, Mme Brigitte Girardin, s’était rendue en Guinée au
lendemain de la prise de fonction à Conakry de Lansana Kouyaté, le nouveau chef
du gouvernement, en annonçant le versement d’une aide de 1,1 million
d’euros.
L’intérêt que représente pour la France son ex-colonie
est aussi illustré par l’empressement du nouveau Président de la
République, Nicolas Sarkozy, UMP, de recevoir chaleureusement dès la mi-juin,
avant même la mise en place de son gouvernement, le premier ministre de la
République de Guinée, Lansana Kouyaté. Une aide budgétaire d’un montant
de 24 millions d’euros a été promise au premier ministre guinéen selon le
site universitaire.press-guinee.
Les images des expulsions d’immigrés en France, qui sont
l’aboutissement du harcèlement au quotidien auquel se livrent les
autorités vis-à-vis des travailleurs sans-papiers en particulier, sont
diffusées par les télévisions satellite, retransmettant ainsi la violence
grandissante des interventions de la police française à leur encontre. Ce qui
n’a pas manqué d’exacerber la colère de la population en Guinée et
en France.
L’arrivée au pouvoir le 16 mai dernier du candidat de la
droite, Nicolas Sarkozy, comme nouveau président de la République, lui a permis
de poursuivre sa politique anti-sociale et anti-immigration brutale qu’il
avait déjà appliquée en tant que ministre de l’Intérieur de
l’ancien gouvernement gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire)
de Dominique de Villepin. Il s’est empressé début juillet, avant même son
départ en vacances aux Etats-Unis, d’exhorter ses ministres, par voie de
« lettre de mission » signée également par son premier ministre,
François Fillon, et adressées à plusieurs de ses ministres d’appliquer de
façon la plus rigoureuse le programme de son gouvernement.
C’est ainsi qu’il a rappelé au ministre de
l’Immigration, Brice Hortefeux, les objectifs du gouvernement en matière
de reconduites à la frontière. 25 000 reconduites étant prévues pour 2007. Dans
cette lettre, le premier ministre réaffirme sa volonté de tout mettre en
œuvre pour respecter les quotas d’expulsion, il y est dit que
« Vous [le ministre de l’Immigration] fixerez chaque année des
plafonds d’immigration selon les différents motifs d’installation
en France et vous viserez l’objectif que l’immigration économique
représente 50 pour cent du flux total des entrées à fin d’installation
durable en France… Vous vous inspirerez à cet effet de la politique
entreprise par certains de nos partenaires, par exemple, le Canada ou la
Grande-Bretagne, qui examinent les candidatures à l’immigration au regard
d’un certain nombre de critères, y compris d’origine géographique,
et déterminent en conséquence des priorités. »
Depuis l’adoption définitive, le 28 octobre 2003, du
texte final du projet de « Loi relative à la maîtrise de l’immigration,
au séjour des étrangers en France et à la nationalité », dont la
circulaire du 13 juin 2006 exposant les critères de régularisation des parents
sans-papiers d’enfants scolarisés en France n’était qu’une
étape préparatoire, le gouvernement a renforcé les interventions de plus en
plus musclées à toute heure de la journée et en tout endroit.
En conséquence de nombreux candidats à l’immigration,
après avoir signalé leurs données personnelles aux autorités, subissent un
harcèlement policier au quotidien.
La population guinéenne est également foncièrement hostile à
ces pratiques d’autant plus que la situation économique, sociale et
politique qui règne dans cette ancienne colonie française est catastrophique.
Compte tenu de ces conditions et qui règnent aussi dans de
nombreux autres pays de par le monde, le cas de ces deux travailleurs guinéens
sans-papiers est tout à fait représentatif et met en exergue le désespoir de
tous ceux qui fuient la misère dans le seul but de mener une vie décente et de
faire vivre leur famille en travaillant.
L’objectif véritable de la chasse aux sans-papiers est à
la fois de diviser la classe ouvrière d’après des critères de religion,
couleur de la peau, etc. et aussi d’assujettir la population laborieuse
et de la réprimer. Les atteintes aux droits des immigrés sont le banc
d’essai d’une attaque générale contre les droits et conditions de
vie de toute la classe ouvrière.