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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France: Sarkozy appelle à un renforcement militaire de l’Europe

Par Antoine Lerougetel
4 septembre 2007

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Dans son discours aux ambassadeurs à Paris le 26 août, le président Nicolas Sarkozy a affirmé la nécessité d’une France forte dans une Europe forte capable d’être sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis.

L’Europe « doit s’affirmer progressivement comme un acteur de premier rang de la paix et de la sécurité dans le monde, en coopération avec les Nations unies, l’Alliance atlantique, l’Union africaine ».

Sarkozy a explicitement fait référence à la concurrence entre les principales puissances en vue d’un nouveau partage des ressources mondiales, notamment énergétiques, en mettant ainsi en garde : « Le monde est devenu multipolaire, mais cette multipolarité, qui pourrait annoncer un nouveau concert des grandes puissances, dérive plutôt vers le choc de politiques de puissance. »

Son discours a proposé plusieurs mesures visant à défier l’hégémonie politique, économique et militaire des Etats-Unis.

Sarkozy a appelé à l’expansion du G8, groupe des nations les plus riches du monde, en un G13 qui inclurait la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique et l’Afrique du Sud. Il a aussi proposé que les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies actuellement au nombre de cinq (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne) incluent l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil et « une juste représentation de l’Afrique ».

Cependant, sa réponse principale aux « risques d’un monde multipolaire antagoniste » est un nouveau rapport de force passant par la militarisation de l’Europe. « Sans Europe assumant son rôle de puissance, le monde serait privé d’un pôle d’équilibre nécessaire », a-t-il répété avec insistance.

Ceci requiert une puissante présence militaire de l’Union européenne dans le monde, avec un rôle majeur joué par la France. « Je souhaite que dans les prochains mois, nous avancions de front vers un renforcement de l’Europe de la défense, et la France prendra des initiatives très fortes. »

Il a aussi appelé au renforcement de l’OTAN, alliance militaire conduite par les Etats-Unis et dont la France et la plupart des pays européens sont membres, mais a clairement expliqué qu’il envisageait un partenariat d'égal à égal : « Les deux vont ensemble : une Europe de la défense indépendante et une organisation atlantique où nous prendrions toute notre place. »

Prônant une alliance complète avec les Etats-Unis pour garantir que le monde reste toujours ouvert à l’exploitation impérialiste, il a cependant affirmé avec force le besoin pour la France et l’UE de lutter pour obtenir leur propre part du butin. Il a promis d’augmenter l’implication de la France dans l’occupation de l’Afghanistan par un contingent de 150 formateurs militaires et a dit avec insistance que « l'Union a conduit une quinzaine d'opérations sur notre continent, en Afrique, au Proche-Orient, en Asie. »

Sarkozy a appelé au développement du dispositif de sécurité et d’armement européen. « La France et l'Allemagne ont mis en place les fondations : la brigade franco-allemande, puis le Corps européen, » a-t-il dit. Faisant remarquer que les dépenses militaires britanniques et françaises représentent les deux tiers du total des 25 autres pays de l’Union européenne, il a vivement encouragé « nos autres partenaires […] à participer à cet effort commun ».

Le jour suivant, s’adressant à une commission mise en place pour préparer une étude sur la défense, Sarkozy a dit qu’il avait fixé les efforts de défense de la nation aux environs de 2 pour cent de la richesse du pays : « Cet objectif doit permettre à la France de se doter des capacités nécessaires et de rester dans le peloton de tête des nations européennes, avec le Royaume-Uni. »

Les références favorables faites par Sarkozy concernant le Royaume-Uni représentent un changement marqué de la politique étrangère française, qui a longtemps considéré la Grande-Bretagne comme un mandataire des Etats-Unis et a basé son orientation sur une alliance franco-allemande. Cela témoigne de l’importance que Sarkozy attache à la puissance militaire en vue de soutenir les intérêts économiques français et européens.

La France et la Grande-Bretagne sont les seuls pays de l’Union européenne à être en possession de l’arme nucléaire, élément tacite du discours de Sarkozy. L’impérialisme français compte bien conserver cet avantage sur les autres membres de l’UE et ses concurrents afin de revendiquer une position de leader.

Mais sur le front économique aussi, Sarkozy veut que l’Europe mette en place les mesures nécessaires pour faire avancer ses intérêts dans l’arène mondiale. Un corollaire essentiel de la poussée de l’impérialisme français et européen à être un « acteur de premier rang » est l’intensification de l’exploitation de la classe ouvrière et la capacité à maintenir l’ordre à l’intérieur du pays. C’est pour cette raison qu’il met en place le vaste programme législatif en cours visant à augmenter le pouvoir répressif de la police et du système judiciaire et diminuer les droits du travail tout en procédant à des coupes majeures sur les services sociaux.

Dans son discours il a dit avec insistance que le message de la France « ne restera entendu que s'il est porté par un peuple ambitieux et confiant, une société réconciliée avec elle-même et une économie performante. »

Sarkozy s’est félicité d’avoir fait adopter par le Conseil de l’Europe le Traité modifié, version remaniée de la malheureuse Constitution européenne prônant le libéralisme. Le rejet de cette Constitution européenne lors des référendums en France et aux Pays-Bas en 2005 avait représenté un revers cuisant pour la mise en place de l’Union européenne comme zone de marché unique, accueillante pour les entreprises et où les droits sociaux sont démantelés. Il considère le Traité modifié comme un moyen de consolider l’Union à 27.

Le fait que Sarkozy se tourne vers le militarisme, notamment qu’il appelle l’Europe à jouer un rôle plus important en Irak, a été présenté comme une réconciliation avec les Etats-Unis. Il ne fait pas de doute qu’il reconnaît qu’une défaite des Etats-Unis en Irak serait dangereuse pour toutes les puissances impérialistes. Néanmoins, la France a ses propres intérêts au Moyen-Orient, notamment en Iran, que Sarkozy a bien l’intention de défendre, et qui sont encore source de conflit avec Washington.

Il a réitéré que l’invasion de l’Irak conduite par les Etats-Unis avait mené à une « tragédie », et déclaré que la France était et demeurait « hostile à cette guerre ». Critiquant la décision américaine d’envahir l’Irak sans l’accord des Nations Unies, il a affirmé, « Les Etats-Unis n'ont pas su résister à la tentation du recours unilatéral à la force et ne démontrent malheureusement pas, dans la protection de l'environnement, cette capacité de "leadership" qu'ils revendiquent ailleurs. »

Il a appelé à une solution politique et « un horizon clair concernant le retrait des troupes étrangères… C'est alors, et alors seulement, que la communauté internationale, à commencer par les pays de la région, pourra agir le plus utilement. La France, pour sa part, y sera disposée. C'est le message que Bernard Kouchner vient d'apporter à Bagdad, message de solidarité et de disponibilité. » 

Sarkozy a aussi renoué des relations avec la Syrie, interrompues par l’ancien président Jacques Chirac, ce qui le met en porte à faux avec la Maison-Blanche, mais lui donne l’occasion de jouer un rôle de médiateur dans la région.

Sa position, à la fois d’allié et de rival des Etats-Unis, suivant les circonstances, apparaît le plus clairement sur la question de l’Iran qu’il décrit comme « la crise la plus grave qui pèse aujourd'hui sur l'ordre international ». Ce pays est une source majeure d’approvisionnement en gaz et en pétrole et un terrain d’investissement et de commerce pour la France, l’Europe et d’autres rivaux des Etats-Unis.

Il est en accord total avec l’administration Bush sur la nécessité de faire pression sur le régime iranien pour qu’il abandonne complètement son programme d’armement nucléaire, allant jusqu’à mettre en garde qu’en cas d’échec cela pourrait conduire au bombardement de l’Iran. Si l’Iran ne mettait pas fin à son programme nucléaire, l’« alternative serait catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran », a-t-il dit. 

Mais Sarkozy a aussi dit clairement qu’il souhaitait une solution diplomatique et a promis que « La France n'épargnera aucun effort pour convaincre l'Iran qu'il aurait beaucoup à gagner en s'engageant dans une négociation sérieuse avec les Européens, les Chinois et les Russes, et bien sûr les Américains. » Le fait de citer les Etats-Unis en dernier exprime le désir de Sarkozy de voir l’Europe et les autres puissances agir comme contrepoids à la domination des Etats-Unis.

Sur le Kosovo, il a à nouveau mis l’accent sur son désir de défendre les intérêts européens, faisant appel à la fois aux « Aux Russes et aux Américains, pour qu'ils comprennent que ce dossier très difficile est d'abord un dossier européen … et que c'est dans l'Union que se situe l'avenir à long terme de l'espace balkanique. »

Le discours de Sarkozy a été accueilli favorablement aux Etats-Unis comme le signe du dégel des relations avec la France. Voice of America a mis en avant le fait que Sarkozy s’oppose à ce que l’Iran soit en possession de l’arme nucléaire, et a ajouté que « le président a aussi réaffirmé l’importance d’entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis. »

Le Wall Street Journal a fait remarquer, « Il a aussi indiqué que la France a l’intention d’être sur la scène internationale plus qu’un empêcheur de tourner en rond pétri d’anti-américanisme. On ne peut que s’en réjouir… »

Les médias américains calculent que, finalement, il est possible de contenir les ambitions de la France. Les gestes apaisants de Sarkozy envers l’Amérique sont plus significatifs que ses propos nationalistes à des fins de politique intérieure. Néanmoins, les Etats-Unis ne peuvent accepter aucune tentative réelle d’affirmer les intérêts de la France et de l’Europe. Il est inévitable qu’il y ait des conflits à l’avenir, notamment en Afrique et au Moyen-Orient où la présence historique et les intérêts de la France sont menacés non seulement par les Etats-Unis, mais aussi par la Chine.

La priorité de l’impérialisme américain est de déjouer toute menace envers sa suprématie économique, par tous les moyens, y compris militaires. Washington aussi veut voir l’Europe jouer un plus grand rôle militaire, mais uniquement dans une position subalterne. Pour le moment les Etats-Unis pensent qu’ils peuvent se permettre de se monter plutôt indulgents face aux revendications grandiloquentes de Sarkozy pour la France et l’Europe, du fait de leur supériorité militaire et de leur capacité à semer la division en Europe au travers de leurs propres alliés tels le Royaume-Uni et la Pologne.

Libération a remarqué les limites objectives des rêves de Sarkozy pour la France, en écrivant dans un éditorial « Lorsqu’on dirige un pays de taille moyenne lié par de nombreux traités à des ensembles qui le dépassent, les discours diplomatiques ne sont pas l’essentiel… Vouloir une vraie rupture en toute chose est sans doute placer la barre un peu trop haut. »

La réaction de l’Allemagne reflète de puissantes tensions au sein de l’Union européenne ainsi que l’idée que la France s’engage à menacer sa propre hégémonie sur l’Europe. Un résumé venimeux de la presse allemande publié dans « Der Spiegel » et intitulé « Rambo à l’Elysée » cite le journal économique Handelsblatt : « Plus il parle mal de certaines choses et plus il se prend au sérieux. Le discours prononcé hier par le chef d’Etat était purement et simplement une déclaration multiple de leadership français, à la fois en Europe et de par le monde. »

Le quotidien conservateur Die Welt a écrit, « Paris veut s’affirmer comme acteur sur la scène mondiale. On peut interpréter sa tentative d’étendre l’Union européenne vers l’Afrique comme une réponse à l’influence grandissante de l’Allemagne suite à sa réunification et à l’expansion de l’UE. »

Le journal rejette le soutien de Sarkozy pour un siège à l’Allemagne comme membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et dit que cela est « de l’ordre de la rhétorique. Cela va stimuler les Allemands, mais en fin de compte cela ne mènera nulle part. »

L’establishment politique allemand est agacé par ce qu’il perçoit comme un nationalisme français excessif et diverses initiatives unilatérales prises par le gouvernement de Sarkozy sans en référer à l’Union européenne ou à Berlin : l’intervention en Libye pour libérer les infirmières bulgares combinée à la vente d’une centrale nucléaire à ce pays riche en pétrole, et l’appel lancé à la Banque centrale européenne pour qu’elle fasse en sorte de réduire la valeur de l’euro afin de promouvoir les exportations françaises. Il est possible aussi que ses reproches à la Russie l’accusant de « jou[er] avec une certaine brutalité de ses atouts, notamment pétroliers et gaziers » soient perçus comme une menace envers les relations étroites entre Berlin et Moscou. L’Allemagne compte sur la Russie pour un tiers de ses importations de gaz et de pétrole tandis que la France se tourne vers l’Afrique et le Moyen-Orient.

Financial Times Deutschland commente, « Quant à son idée de faire de l’UE un acteur fort en politique de sécurité mondiale, il devra s’empresser d’apprendre cette leçon : plusieurs de ses partenaires de l’UE auront tôt fait de rabrouer ce Nouveau Type de Paris et son projet. » 


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