Les reportages sur l’arrestation, la semaine
dernière dans une petite bourgade du sud-ouest de la Rhénanie-Westphalie, de
trois hommes suspectés de terrorisme soulèvent bien des questions.
Tous les journaux publièrent la nouvelle avec
des manchettes à sensation, les chaînes de télévision et de radio firent des
éditions spéciales. On avait empêché un « attentat épouvantable » qui
aurait pu faire « un nombre immense de morts » (Spiegel-Online),
qui aurait introduit « en Allemagne une dimension du terrorisme encore
inconnue jusque-là » (Frankfurter Allgemeine Zeitung) et qui avait
été empêché « à la dernière minute » (Lausitzer Rundschau)
grâce à l’intervention courageuse des forces de sécurité.
Les lecteurs apprenaient dans le même temps
que les trois suspects étaient, depuis six mois, surveillés vingt-quatre heures
sur vingt-quatre par trois cents policiers.
La mobilisation policière pour cette
surveillance avait été si importante et si voyante dans la commune d’Oberschledorn
(900 âmes) que les habitants s’étonnaient depuis des semaines de voir des
camions de livraison banalisés y stationner, des jeunes gens vivant dans des
caravanes à l’aspect inaccoutumé entrer et sortir d’une entreprise agricole
inusitée. Un correspondant de la Süddeutsche Zeitung rapporte que le
maire du bourg qui se faisait du souci depuis un certain temps, était allé,
lundi dernier, voir la police locale à ce sujet : « Là, on lui dit qu’il
s’agissait de la numérisation de la radio de la police ».
On ne connait jusqu’à présent que
l’information communiquée par le procureur de la république, Monika Harms, et
le Chef du BKA (Bundeskriminalamt, Police criminelle fédérale) Jörg Ziercke lors
d’une conférence de presse. Les reportages publiés par la presse s’appuient
presque exclusivement sur la version des événements mise en avant par les
instances dirigeantes des organes de sécurité.
Des informations fournies à cette conférence
de presse il ressort que : la police a, dans des circonstances
spectaculaires, arrêté mardi dans une forêt du Sauerland (au sud de la région
de la Ruhr), trois hommes suspectés de terrorisme, deux Allemands convertis à
l’islam âgés de 21 et 28 ans et un Turc de 28 ans. Le juge d’instruction auprès
du Tribunal fédéral a ordonné l’incarcération des trois hommes le jour suivant.
Ils sont accusés d’avoir préparé des « attentats massifs à la bombe »
destinés à causer un maximum de victimes.
Un des suspects tenta d’échapper à
l’arrestation en prenant la fuite. Selon les informations données par le BKA il
arracha son arme de service à un policier ; le policier fut blessé par un
coup de feu tandis que le fuyard subit une blessure à la tête et fut désarmé.
Quarante et un locaux furent ensuite perquisitionnés. En tout, dix personnes
furent mises en examen dont trois se trouveraient à l’étranger.
Les hommes arrêtés seraient membres d’une
cellule d’un réseau terroriste international, l’Union du djihad islamique. L’« Union
du djihad » est, selon le procureur Harms, sortie du Mouvement islamiste
d’Ouzbékistan (MIU) qui avait revendiqué les attentats suicide ayant eu lieu en
2004 à Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Il serait surtout actif en Asie
centrale et disposerait d’une forte base au Pakistan.
Pendant l’hiver 2006, une cellule allemande de
ce mouvement aurait été créée dans le but de recruter des membres en Allemagne
et d’y préparer des attentats. Tous les trois hommes arrêtés avaient, selon les
enquêteurs, des relations avec le Pakistan, et au moins l’un d’entre eux aurait
séjourné plusieurs mois dans un camp d’entraînement terroriste.
Ce groupe avait déjà attiré l’attention le
jour de la Saint-Sylvestre 2006 lorsque Fritz Gelowicz, vivant à Ulm, avait
fait à plusieurs reprises le tour d’une caserne américaine à Hanau au volant
d’une voiture et s’était ainsi fait remarquer. Les enquêteurs y avaient vu
« la sélection d’une cible potentielle en vue d’un attentat » et
avait intensifié leur surveillance. Au mois de mars de cette année le procureur
général de la république ouvrit une enquête officielle.
Depuis, les enquêteurs sont informés dans le
détail de toutes les démarches et de tous les rapports entretenus par le
groupe. Ils observèrent comment les suspects se procurèrent douze barils de
peroxyde d'hydrogène grâce auxquels ils voulaient fabriquer un explosif. Selon
les informations du BKA on aurait pu, avec cela, produire une force explosive
très élevée, équivalant à 550 kilos de TNT. La force explosive aurait alors été
supérieure à celle des bombes utilisées dans les attentats de Madrid et
Londres, dit le président du BKA, Jörg Ziercke.
La police aurait réussi grâce à une
« opération risquée » à éliminer ce risque gigantesque pour la
population, souligna Ziercke. La police aurait pu, sans se faire remarquer,
accéder au garage où les barriques étaient entreposées et aurait échangé le
liquide hautement explosif contre un liquide moins concentré et partant, moins
dangereux.
Certains articles de presse estiment que
l’intervention contre l’Union du Djihad est « la plus forte
intervention policière depuis l’enlèvement de Schleyer il y a trente
ans ». En plus des trois cents policiers chargés de surveiller les
suspects 24 heures sur 24 depuis des mois, trois cents policiers avaient aussi
participé à l’arrestation.
Nous ne savons pas jusqu'à présent si, outre
cette surveillance longue et intensive, on s’est aussi au cours de cette
opération servi d’enquêteurs camouflés du BKA. Il est par conséquent trop tôt
pour émettre un jugement sur le complot présumé. Il serait erroné de conclure à
l’absence d’un danger sérieux et que toute l’affaire n’était guère plus qu’une
histoire concoctée par les services de sécurité.
Il faut cependant, au vu des faits connus
jusque-là, constater que ces « préparatifs d’attentat terroriste le plus
grave à ce jour » (Monika Harms) se sont déroulés pendant des mois
littéralement sous les yeux de la police et des organes de sécurité les plus
importants du pays.
La question se pose de savoir pourquoi les services
de sécurité n’ont pas mis un terme plus tôt à ces activités criminelles. C’est
quand même la tâche de la police d’empêcher que des crimes ne soient commis et
de ne pas les laisser se développer jusqu'à ce qu’ils représentent un danger
aigu pour la population.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce qu’on
a révélé précisément à ce moment et à grand renfort de moyens médiatiques
une chose qui était connue depuis longtemps des services de sécurité ? Se
pourrait-il que derrière cette décision se cachent des motifs
politiques ?
Y a-t-il eu décision de révéler le complot
terroriste à un moment politiquement favorable et de l’utiliser afin de pouvoir
imposer plus facilement des mesures de renforcement de l’Etat, par exemple la
perquisition d’ordinateurs privés, que le ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble
(CDU) réclame depuis longtemps et qui s’est jusqu'à présent heurtée à une forte
résistance ?
Est-ce un hasard si, quelques jours avant que
ne soit révélée au grand public les préparatifs d’un « attentat terroriste
islamiste », le magazine politique mensuel « Internationale Politik »
de l’organisme semi-étatique Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik
(DGAP) est paru avec le titre « L’islam en Europe — un gain ou un danger ? » Dans
l’éditorial de cette édition on peut lire « En effet : depuis que les
intégristes islamiques jettent des bombes en Europe, font sauter des trains,
assassinent des cinéastes et que de jeunes musulmans frustrés mettent le feu à
la banlieue parisienne, les sociétés majoritaires européennes ont pris
connaissance avec effroi du fait que, parmi elles, vivent environ quinze
millions de musulmans… ».
Ce qui est certain, c’est que la révélation
faite avec beaucoup de publicité des préparatifs d’un attentat terroriste
observé depuis des mois par la police est instrumentalisée à des fins très
réactionnaires.
La chancelière Angela Meckel (CDU) qui, le weekend
dernier lors d’un congrès du CDU a une fois de plus exigé « le
renforcement de la culture dirigeante allemande » a adressé aux autorités
de l’enquête « louanges, remerciements et reconnaissance » pour leurs
« récents succès dans la lutte antiterroriste ». Les arrestations
montraient, dit-elle à Berlin « que les dangers terroristes ne sont pas,
chez nous non plus, abstraits, mais biens réels » et elle souligna combien
des « mesures préventives étaient importantes ».
Le ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble
fut plus direct. Il souligna combien le danger issu du « terrorisme
international » était « réel », dit qu’il n’existait pas
seulement pour les soldats et les gens engagés dans la reconstruction en
Afghanistan ou pour les installations américaines en Allemagne. Sans le dire
explicitement, Schäuble se sert de la peur des attentats terroristes en
Allemagne pour justifier l’intervention de l’armée allemande en Afghanistan en
tant qu’« intervention anti terroriste » et afin d’intimider les
opposants à la guerre qui, à la veille d’un nouveau vote parlementaire sur
cette question à la mi-septembre, ont appelé à une grande manifestation contre
la guerre en Afghanistan
Schäuble appela à la tenue « cette
semaine encore », d’une réunion spéciale de la Conférence des ministres de
l’Intérieur de toute l’Allemagne. Le président de cette conférence, le ministre
de l’Intérieur de Berlin, Ehrhart Körting (SPD), réagit en convoquant pour ce
vendredi même les ministres de l’Intérieur des Lands à Berlin. De toute
évidence, la conférence veut battre le fer tant qu’il est chaud et soutenir les
mesures de renforcement de l’Etat et des attaques contre les droits
démocratiques de Schäuble.
Celui-ci déclara qu’il maintenait son exigence
que les perquisitions d’ordinateurs soient ancrées dans la loi et que sa
revendication acquérait une nouvelle importance. Il ne voulait pas « mener
ce débat aujourd’hui », dit-il. Mais il était clair que les terroristes se
servaient pour leur travail « hautement conspiratif » de tous les
moyens de communication modernes et qu’ils communiquent à un haut degré par
internet. « Autant que je sache, ils ne se sont pas servis de pigeons
voyageurs » dit-il.
Selon les dires du ministre de l’Intérieur
bavarois, Günther Beckstein (CSU), une des personnes arrêtées serait de Munich.
Cet homme vivait depuis plusieurs années dans la ville d’Ulm en
Bade-Wurtemberg. Comme il avait encore des contacts en Bavière, les services de
sécurité bavarois ont participé à la surveillance des suspects, a dit Beckstein.
Selon Beckstein, cet homme avait visité il y a
quelques semaines des connaissances en Bavière et il « avait visité des
sites internet islamistes avec eux ». Beckstein souligna que cela montrait
que les perquisitions d’ordinateurs privés à des fins de lutte contre le
terrorisme, telles qu’elles sont exigées par Schäuble sont un « moyen
extraordinairement important et utile ». Cela bien que, dans ce cas, les
mesures déjà existantes auraient aussi été suffisantes.
Le président américain George W. Bush félicita
les autorités allemandes pour le « succès de leur enquête » et fit
dire par son porte-parole Gordon Jondroe que le président était très content de
voir que la collaboration des services de sécurité avait parfaitement réussi.
L’arrestation effectuée en Allemagne rappelait à la mémoire des gens la menace
terroriste mondiale.
(Article original allemand paru le 7 septembre
2007)