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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La fusion GDF-Suez et la bataille mondiale pour l’énergie

Par Alex Lantier
25 septembre 2007

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La récente annonce de la fusion entre le groupe énergétique privé franco-belge Suez et le groupe énergétique public français Gaz de France (GDF) est une opération bien calculée pour les intérêts économiques français. Confrontée à des tensions internationales et à une concurrence croissante, la bourgeoisie française se voit contrainte de concentrer ses opérations énergétiques en grands groupes semi publics.

En tout et pour tout, l’entité GDF-Suez dégagera un chiffre d’affaires annuel de 72 milliards d’euros et sa capitalisation boursière sera de 90 milliards d’Euros ; l’année dernière elle a généré 8,1 milliards de bénéfice net. Le groupe sera le plus gros acheteur et le premier opérateur de réseau de transport et de distribution de gaz en Europe, le cinquième électricien européen et le plus gros importateur et acheteur de gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe. Avant sa fusion, Suez filialisera sa branche environnement, eau et traitement de déchets, en une nouvelle entreprise, Suez environnement dont GDF-Suez gardera 35 pour cent du capital. L’Etat français, en conservant sa part dans le capital de GDF, possédera environ 35 pour cent du capital du nouveau groupe, une part jugée suffisante pour le protéger contre toute tentative d’offre publique d’achat (OPA) hostile.

Suez est la dernière incarnation de l’entreprise fondée en 1858 par le diplomate et aventurier français, Ferdinand de Lesseps qui construisit le canal de Suez en Egypte. Après la nationalisation du canal en 1956, Suez utilisa ses liquidités pour entrer dans les affaires en fusionnant avec la Banque d’Indochine, l’ancienne autorité monétaire de la France dans ses colonies de l’Asie du Sud-Est. Suez commença par la suite à acquérir d’autres entreprises, en se concentrant sur l’eau et l’assainissement (en achetant la Lyonnaise des Eaux) ainsi que sur l’énergie (le groupe belge du gaz et de l’électricité, Electrabel et diverses opérations dans le gaz et la production hydroélectrique en France).

Sur le plan international, ses groupes énergétiques gèrent des centrales électriques (avant tout en Thaïlande, au Brésil et aux Etats-Unis, mais également en Algérie, au Maroc, au Laos, en Chine, aux Emirats arabes unis [formant les EAU], en Turquie, au Togo, au Chili et au Pérou), des gazoducs pour transporter le gaz naturel (Thaïlande, Argentine, les EAU et Pérou), et des installations de stockage, notamment à Boston, Massachusetts, aux Etats-Unis. Le pôle eau et déchets de Suez représente 11,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et couvrent le globe. Il a rencontré une forte opposition aux Philippines et en Amérique latine pour avoir tenté de privatiser l’eau et l’assainissement de l’eau.

Gaz de France (GDF) est un groupe gazier public majeur du marché français créé en 1946 lors de la nationalisation du secteur énergétique après la Seconde guerre mondiale. Selon les chiffres de l’entreprise, le groupe exploite un réseau de 30 000 kilomètres de canalisation de gaz en approvisionnant 75 pour cent de la population française en gaz tout en étant une partie intégrante d’un réseau international plus grand de 170 000 kilomètres de gazoducs. Il opère un réseau de distribution ou de production dans la plupart des pays européens, au Canada, au Mexique, en Inde et en Afrique (en Egypte et dans plusieurs anciennes colonies françaises : l’Algérie, la Mauritanie et la Côte d’Ivoire).

Les projets de fusion remontent au moins à février 2006 lorsque l’opérateur électrique italien Enel avait lancé une OPA hostile sur Suez. Le gouvernement français avait réagi rapidement en précipitant un projet de fusion entre Suez et GDF, et obtenant en novembre l’autorisation des autorités françaises ainsi que de l’Union européenne (UE). Les syndicalistes siégeant au conseil de surveillance de GDF s’étaient opposés au projet qui fut retardé de plusieurs mois en invoquant des conséquences incertaines pour les salariés de GDF.

Le 3 septembre, après semble-t-il une intervention personnelle du président Nicolas Sarkozy, le PDG de Suez, Gérard Mestrallet, et le PDG de GDF, Jean-François Cirellli, ont annoncé que les deux entreprises fusionneraient officiellement début 2008.

La bourgeoisie française a clairement le sentiment qu’elle a réussi un coup. Le quotidien Le Monde dans son éditorial intitulé « Une fusion stratégique »écrit, « On peut certes regretter que les Etats européens ne soient pas capables de dessiner ensemble le paysage énergétique de demain. Mais, dans cette situation où domine le chacun pour soi, la France s’en sort bien. Avec EDF, Total et Areva, elle disposait déjà de trois poids lourds mondiaux. Avec GDF-Suez, elle en possède un quatrième. Aucun autre pays de l’Union européenne ne peut en dire autant. »

Commentant la fusion GDF-Suez, le quotidien économique de droite, Les Echos a chanté les louanges de l’intervention économique de l’Etat : « Nos responsables sont en train de passer d’une conception empirique du patriotisme économique à une vision stratégique du rôle de l’Etat… C’est cet Etat offensif, intelligent et efficace, qui doit être à l’origine d’un nouvel interventionnisme public. Aucune arme politique et juridique ne doit lui être refusée. » Cet appel lancé en faveur d’un Etat corporatiste et autoritaire, capable de recourir à n’importe quel moyen pour sauvegarder son approvisionnement en énergie se situe dans un contexte mondial bien défini.

Comme le montre le plus clairement du monde l’invasion américaine de l’Iraq, les puissances impérialistes ont recours à n’importe quels moyens pour sauvegarder leur approvisionnement énergétique. Le gaz naturel est, de plus, particulièrement important en Europe. Selon le département américain des statistiques sur l’énergie, il est censé générer plus du tiers de l’électricité européenne d’ici 2030 (1 394 milliards de kilowatt-heure) contre 16 pour cent (531 milliards de kilowatt-heure) aujourd’hui.

Pour l’heure, c’est le géant gazier russe Gazprom qui fournit à l’Europe la plus grande partie de ses approvisionnements en gaz naturel. La bourgeoisie européenne est devenue plus méfiante toutefois quant à de possibles perturbations dans l’approvisionnement de gaz vu que les « révolutions colorées » dans les anciennes républiques soviétiques et soutenues par les Etats-Unis, telles celles en Ukraine et en Géorgie, entraînent des tensions politiques et d’éventuelles coupures des livraisons de pétrole et de gaz russes vers l’Europe. Sarkozy a critiqué la Russie pour avoir recouru « brutalement » à ses ressources énergétiques dans ses manœuvres politiques en Europe de l’Est.

L’objectif de la fusion est de créer une entreprise industrielle suffisamment puissante pour implanter l’influence française dans un secteur crucial du marché énergétique et garantir l’accès à des matières premières clé. Dans une interview accordée au quotidien La Croix, Jean-Marie Chevalier, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, a expliqué que l’on soupçonne le nouveau groupe Suez-GDF de vouloir accéder aux sources d’approvisionnement de gaz en partenariat avec des pays producteurs tels le Qatar, le Yémen, l’Algérie et éventuellement la Russie. A court terme, a-t-dit, de par sa taille, GDF-Suez sera dans une meilleure position pour négocier des contrats d’achat de gaz à des pays producteurs.

La fusion GDF-Suez a révélé au grand jour les tensions qui existent entre les diverses cliques nationales de la bourgeoisie européenne, chacune d’entre elles s’efforçant de mettre sur pied son propre « champion national énergétique » dans le but de garantir sa part des énormes profits énergétiques. Dans l’immédiat, la fusion entre Suez et GDF vise en premier lieu ses concurrents allemands tels E.ON et RWE et Enel en Italie. Les cours de bourse des trois sont en baisse depuis l’annonce de la fusion.

Le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung a fait le commentaire suivant : « Il se peut que des interventions massives de la part des autorités publiques aient une certaine tradition en France, mais cela ne peut servir d’excuse… Ce n’est pas la règle en Europe. » La chancelière allemande, Angela Merkel, aurait discuté avec Nicolas Sarkozy de la fusion GDF-Suez lors de sa rencontre le 10 septembre au château de Mesenburg près de Berlin.

L’hebdomadaire économique belge Trends a intitulé son article sur la fusion : « La Belgique grande perdante. » En faisant remarquer que l’Etat français disposerait d’une part importante dans le principal opérateur électrique belge, Electrabel, il a écrit : « Des analystes déplorent le fait que cette fusion aboutisse en même temps à la nationalisation de l’essentiel du secteur énergétique belge par un Etat étranger. » Il cite la ministre belge de l’Energie, Evelyne Huytebroeck, qui se demande si « l’Etat français, en devenant actionnaire principal, ne risque pas de faire passer les intérêts de ses consommateurs avant ceux de la Belgique ? »

Le 9 septembre, le Financial Times a rapporté que les autorités espagnoles se préparaient à contester la fusion devant les autorités communautaires à Bruxelles en affirmant que les prix élevés du gaz français avaient indûment permis à GDF d’amasser de l’argent qui servirait à d’autres acquisitions. Bruxelles aurait déjà ouvert une enquête à la suite des affirmations selon lesquelles Electricité de France (EDF) ferait payer aux entreprises françaises des prix de l’électricité artificiellement bas, leur procurant ainsi des avantages par rapport à leurs concurrents européens.

La menace que représente la fusion pour la masse des travailleurs européens et internationaux a un tout autre caractère. Elle présente plusieurs inquiétudes évidentes et majeures : la menace de perte d’emplois, GDF et Suez ont dit que la fusion devrait entraîner une réduction des coûts d’un milliard d’euros, et la possibilité d’autres augmentations des tarifs du gaz.

La menace la plus grave provient cependant de la situation mondiale instable et belliqueuse étant donné que chaque Etat national cherche à garantir son accès aux ressources énergétiques internationales renforçant de ce fait la compétitivité entre les grands groupes industriels. Ce n’est pas un hasard si Sarkozy a bouclé la fusion entre GDF et Suez immédiatement après son discours de politique étrangère, le 26 août, dans lequel il a appelé à un renforcement militaire de l’Europe. Etant donné l’impossibilité de trouver les ressources suffisantes et les profits suffisants sur son territoire, l’impérialisme français doit être prêt à protéger ses acquisitions à l’extérieur en faisant usage de la force armée.

Alors que ce renforcement militaire pourrait, dans un premier temps, entraîner davantage d’opérations « humanitaires » dans d’anciennes colonies françaises riches en ressources énergétiques telles la Côte d’Ivoire, une politique énergétique française agressive entrerait très rapidement en conflit avec les Etats-Unis et d’autres intérêts impérialistes. Ceci apparaît peut-être le plus clairement au vu des investissements français faits à grande échelle en Iran, en particulier les projets de développement du groupe pétrolier Total qui s’élèvent à 2 milliards de dollars US dans le gisement de gaz de Pars-Sud, en Iran, alors même que le gouvernement américain poursuit ses projets d’attaque de ce pays.

(Article original paru le 13 septembre 2007)


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