Des membres éminents du Parti social-démocrate
allemand (SPD) se sont rassemblés dernièrement pour marquer clairement leur
opposition à l’expulsion de ce parti de l’ancien « super ministre »
Wolfgang Clement.
Le 3 juillet, une commission d’arbitrage
de Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW), le Land dont Clement est originaire
politiquement, avait décidé d’exclure du SPD l’ancien ministre de
l’Economie et de l’Emploi et ancien ministre-président de NRW suite
à son intervention lors des élections régionales de Hesse en janvier dernier.
Durant la période qui avait précédé les
élections de Hesse, Clement avait publié un article dans le quotidien Die Welt
où il critiquait la politique énergétique d’Andrea Ypsilanti, la tête de
liste du SPD aux élections en Hesse. Clement qui est membre du conseil de
surveillance du groupe énergétique RWE AG depuis 2006, avait tout
particulièrement exprimé son opposition à l’appel d’Ypsilanti de
remplacer l’énergie provenant du charbon et du nucléaire par de
l’énergie renouvelable. Le groupe RWE AG est le numéro deux allemand de
l’énergie et exploite également des centrales nucléaires. Clement a poursuivi
sa critique publique d’Ypsilanti en déclarant carrément à la télévision
qu’il ne voterait pas pour elle.
De la part de l’un des ténors du SPD
ceci correspondait à un appel à ne pas voter pour le parti en Hesse, permettant
ainsi au candidat de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le droitier
Roland Koch, de maintenir sa mainmise sur le Land de Hesse.
La commission d’arbitrage ne cacha pas
qu’elle était arrivée à sa décision d’exclusion suite à un
processus prolongé. Cette commission, composée de juristes expérimentés, n’avait
d’abord eu que l’intention de réprimander Clement et était prête à ignorer
l’affaire tant que celui-ci acceptait de ne pas appeler à voter contre un
candidat du SPD à l’avenir.
Clement refusa, déclarant au quotidien Süddeutsche
Zeitung : « Je ne vais pas permettre que l’on détermine
quand, comment et où je vais pouvoir exprimer mes opinions à
l’avenir. » A l’issue de longues délibérations, la commission
de conciliation décida d’exclure Clement du parti.
Clement a d’ailleurs déjà fait appel
contre la décision en recourant aux services d’un avocat, en
l’occurrence l’ancien ministre de l’Intérieur, Otto Schily. Son
appel sera entendu par la commission d’arbitrage du SPD dont la décision
sera alors contraignante.
Entre-temps, la direction du SPD s’est
précipitée à la défense de Clement, louant les services qu’il a rendus au
parti et initiant une opération « limitation des dégâts » visant à la
fois à garantir son adhésion au parti et à étouffer toute discussion sur la
signification politique de l’affaire.
Le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück,
qui avait étroitement collaboré avec Clement pendant de nombreuses années en
NRW et lui avait succédé au poste de ministre-président du Land, se lança à la
rescousse de son tuteur. Steinbrück exprima son soutien pour la démarche
juridique entreprise par Clement contre la décision d’exclusion en
affirmant que l’attitude de Clement restait dans le cadre de ce qui était
acceptable au sein d’une « large congrégation ». « Le SPD ne
pourra rester un parti qui représente tous les Allemands que s’il tolère
un vaste éventail d’opinions et de personnalités, » a dit Steinbrück.
La référence de Steinbrück à « un vaste
éventail d’opinions et de personnalités » requiert quelques précisions.
Le SPD a une longue et honteuse histoire d’exclusion de ceux qui
l’ont critiqué à gauche, à commencer par Hugo Haase en 1915.
Aujourd’hui, alors qu’il s’agit d’un cas exceptionnel
et qu’un droitier comme Clement est menacé d’expulsion, la
direction du parti serre immédiatement les rangs.
L’autre personnalité influente à être
venu à la rescousse de Clement a été le ministre des Affaires étrangères,
Frank-Walter Steinmeier, candidat probable à la chancellerie aux prochaines
élections fédérales de 2009. Steinmeier est un proche confident de
l’ancien chancelier Gerhard Schröder à l’instigation duquel il fut
nommé ministre des Affaires étrangères. Selon Steinmeier, une exclusion de Clement
ne serait « pas vraiment un signe encourageant » et, dans une
interview accordée à l’hebdomadaire Der Spiegel, il a défendu le
travail de Clement comme une partie intégrale du bilan du gouvernement
Schröder. « Les réformes que nous avons poussées en avant avec Wolfgang Clement
ont créé des cicatrices » dans le parti, « Mais elles ne vont pas
guérir plus rapidement si Clement est obligé de quitter le SPD. »
D’autres ténors du SPD, tels
l’ancien président Franz Müntefering et l’ancien ministre des
Finances, Hand Eichel, ont également publié des communiqués de soutien à Clement.
Schily, l’avocat de Clement, a montré clairement où il se situait par
rapport à l’affaire en qualifiant toute décision d’expulser Clement
du SPD de « suicidaire » pour le parti.
L’actuel président du parti, Kurt Beck,
a également cherché à arranger les choses et a souligné à plusieurs reprises la
nécessité de tenir compte des services que Clement a rendus au parti. Selon le
secrétaire général du SPD, Hubertus Heil, une commission d’arbitrage
nationale devrait être mise en place pour évaluer à sa juste valeur le cas de Clement
et pour considérer le « bilan de carrière » des services rendus au
parti par Clement.
Tout bilan fait de ses services rendus doit
indubitablement arriver à la conclusion que durant toute sa carrière politique,
Wolfgang Clement a été un serviteur dévoué des intérêts des grands groupes
allemands et un adversaire ardent des droits sociaux et démocratiques de la
classe ouvrière.
Le « bilan de carrière » de Clement
Clement se plaint aujourd’hui de la
façon dont le traite la commission d’arbitrage du NRW, mais il avait
lui-même soutenu activement, dès 1973, l’exclusion de critiques de gauche
du SPD. Cette année là, il avait écrit dans le Westfälische Rundschau un
article intitulé « Pas de place pour des zélateurs » dans lequel il
plaidait en faveur de l’exclusion de deux critiques de gauche du SPD. L’un
d’entre eux était le sociologue bien connu, Christoph Butterwege.
La carrière politique à temps plein de Clement
a commencé au début des années 1990 lorsqu’il occupa un certain nombre de
postes influents au sein du SPD de Rhénanie du Nord-Westphalie, y compris celui
de ministre de l’Economie avant de devenir en 1998 ministre-président du
Land de NRW. Au poste de ministre-président du Land, Clement avait remplaçé Johannes
Rau, l’éminence grise de longue date du SPD.
Rau avait été le dernier des politiciens en
exercice du SPD à être issu de la génération qui avait grandi en politique durant
la période du social réformisme des années 1960 et 1970. Bien que durant ses
nombreuses années à la tête du Land plusieurs milliers d’emplois aient
été détruits dans les industries du charbon et de l’acier, Rau incarnait
une ère, depuis longtemps révolue, de l’équilibre social et du compromis
dans la politique du SPD.
Dès le début de sa présidence en NRW, Clement fit
clairement comprendre qu’il était décidé à rompre avec une telle
politique. Contrairement à d’autres ténors du SPD et des Verts, tels
Gerhard Schröder et Joschka Fischer, Clement ne traînait pas derrière lui le
« boulet » d’un passé radical. Dans ses propres termes, Clement
se voyait comme un représentant du « nouveau SPD moderne », à
l’exemple de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair.
En NRW, Clement se fit rapidement un nom pour
sa politique budgétaire impitoyable qui prévoyait des coupes drastiques dans
les acquis sociaux et des mesures d’austérité. Pour appliquer sa
politique, il s’était entouré de comptables insipides, tels
l’actuel ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück.
Le style de gouvernance autoritaire de Clement
et sa politique austère en NRW attira l’attention de la direction du SPD
et, en 2002, Clement fut nommé « super ministre » pour
l’Economie et l’Emploi au sein du nouveau gouvernement de coalition
SPD-Verts, mené par Schröder et Fischer. Clement fut chargé d’une mission
spéciale par Schröder, notamment d’élaborer et d’appliquer les
mesures draconiennes de coupes des acquis sociaux représentées par
l’Agenda 2010 et les lois Hartz IV.
Les mesures introduites par Clement
représentaient l’attaque la plus considérable lancée contre l’Etat
social en Allemagne depuis la Seconde guerre mondiale. Les mesures ont été
accueillies avec enthousiasme par les fédérations patronales allemandes parce qu’en
l’espace de quelques années elles allaient transformer le pays en un
paradis pour employeurs en quête de main-d’œuvre bon marché. Le
mépris que Clement affichait pour les chômeurs fut résumé dans une brochure
publiée par son ministère en plein milieu de la campagne électorale de
2005 : « La priorité aux citoyens honnêtes, contre les abus,
‘l’arnaque’ et le fait de considérer l’Etat social
comme un self-service. »
Mise à part peut-être Schröder lui-même, il
n’y a personne que l’opinion publique associe plus avec les coupes
effectuée dans de l’Etat social et les acquis sociaux que Wolfgang Clement.
Depuis qu’il a quitté le gouvernement, Clement
a fait jouer les nombreuses relations qu’il a forgées durant son mandat
de ministre et de ministre président de NRW pour siéger aux conseils de
surveillance d’un nombre d’entreprises allemandes en vue.
C’est ainsi qu’il devint membre du conseil de surveillance de RWE
AG et président de l’Institut Adecco, une agence d’intérim à bon
marché. Clement est également un membre dirigeant de la cellule de réflexion de
la droite allemande qu’est « Konvent für Deutschland » et qui met
en contact des cadres supérieurs, des banquiers et des membres de groupes de
pression avec des politiciens issus de l’ensemble de l’échiquier
politique.
Tel est le « bilan de carrière » de
l’homme que la direction du SPD tient à défendre à présent.
Quelles sont les véritables questions?
Dans un certain nombre de commentaires il est
dit que la décision de la commission d’arbitrage de NRW est
« suicidaire » pour le SPD dans des conditions où le soutien pour le
parti dégringole (selon des sondages récents le SPD tourne tout juste autour de
20 pour cent) et où la colère croît à la base. D’autres articles font
état de l’arrogance et du « narcissisme » de Clement. Mais il
est indispensable d’étudier les questions politiques qui sous-tendent l’affaire.
Clement lui-même a montré que la question
n’était pas simplement dans ce cas celle de la « liberté de
pensée » ou de l’amour propre blessé. Dans une interview publiée
dans Die Welt, il a indiqué de quoi il retournait :
« C’est aussi une question de cap politique. La tentative de vouloir
revenir sur l’Agenda 2010 est une erreur fondamentale, » a-t-il
précisé au journal en poursuivant : « Pour le moment, c’est l’aile
[du parti] qui préconise l’idéologie qui est majoritaire… la
position que je représente moi, depuis longtemps n’est pas dans une
position de force aujourd’hui. »
L’évaluation que fait Clement du conflit
fut confirmée par un éditorial paru dans le journal conservateur Frankfurter
Allgemeine Zeitung : « Le délit commis par Clement est d’avoir
été le principal initiateur et l’exécuteur des réformes de l’Agenda
2010 tout en étant à présent l’une des voix les plus fortes à s’élever
contre leur retrait. Depuis longtemps Schröder ne dérange plus et Müntefering
aussi est devenu silencieux. »
Clement est déterminé à mettre à profit son
conflit avec une section du parti pour s’assurer de ce que les réformes
de l’Agenda 2010 ne soient ni diminuées ni édulcorées. Fin avril, il
avait participé à une conférence de presse donnée par le Konvent für Deutschland
pour chanter les louanges de la dernière publication en date de celui-ci et exprimer
son vif regret que le processus allemand de réformes se soit
« engourdi ». Ce qu’il fallait selon Clement, c’était un « appel
au réveil » de l’Allemagne pour libérer le pays des entraves
juridiques excessives et de la bureaucratie paralysante qui gênent les
entreprises.
Derrière l’entêtement obstiné de Clement
de vouloir dire ce qu’il veut et soutenir qui il veut se cache sa
détermination de faire en sorte que son programme d’attaque des acquis
sociaux ne soit non seulement poursuivi mais intensifié.
Le SPD perd ses adhérents et son soutien
électoral est en baisse et, selon des statistiques récentes, il a cédé sa place
de plus important parti politique au CDU. Une couche de politiciens gravitant
autour du président Kurt Beck en a conclu qu’il était nécessaire d’apporter
quelques corrections superficielles à l’Agenda 2010 et de parler
davantage de justice sociale afin de retrouver un peu de crédibilité électorale
avant les prochaines élections législatives, prévues pour septembre 2009.
Dans le même temps, le SPD subit une pression
renforcée de la part de La Gauche qui, sous la direction de l’ancien
président social-démocrate, Oskar Lafontaine, s’efforce de faire revivre
des illusions dans un programme social réformiste.
D’aucuns au sein du SPD sont
d’avis qu’il est préférable de laisser la porte entrouverte pour
une éventuelle coalition avec La Gauche qui doit précisément son succès à son
opposition démagogique et hypocrite à l’Agenda 2010 et aux lois Hartz IV.
Ces couches du SPD sont parfaitement conscientes de l’opportunisme de La
Gauche qui, depuis des années, forme un gouvernement de coalition avec le SPD à
Berlin, et ils considèrent une future coalition sur le plan fédéral comme pouvant
se révéler utile pour contrecarrer un développement à gauche de la classe
ouvrière.
La recherche d’un terrain
d’entente entre le SPD et La Gauche se poursuit à grands pas. Récemment,
le dirigeant de La Gauche, Gregor Gysi, a rencontré Gesine Schwan, la candidate
du SPD à la présidence de la république, pour une discussion cordiale et, en
Hesse, Andrea Ypsilanti se prépare à avoir des discussions directes avec La
Gauche au sujet d’une éventuelle future collaboration sur le plan
régional.
Clement s’inquiète d’une telle
évolution mais il n’est nullement préoccupé par la chute du nombre des
adhérents du SPD ou par la baisse de son soutien électoral. Au lieu de cela, il
plaide, au nom d’une groupe de politiciens en vue au sein du SPD comme Müntefering,
Steinmeier, Schily et Steinbrück, qui sont tous farouchement opposés à une
quelconque collaboration avec La Gauche et à toute concession liée aux
questions sociales. Clement est en faveur d’un cours menant droit à une
confrontation avec la classe ouvrière, indépendamment des conséquences que cela
peut avoir pour le SPD.