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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Des soldats français tués en Afghanistan : un signe de plus de l’intensification de la guerre

Par Peter Symonds
25 août 2008

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La mort de dix soldats français dans une embuscade lundi en Afghanistan a une fois de plus souligné l’émergence de la résistance armée contre l’occupation dirigée par les Etats-Unis et a relancé en France le débat au sujet de son implication dans la guerre. Il s’agit des pires pertes subies par des troupes étrangères de combat depuis l’invasion de l’Afghanistan en 2001 et, pour l’armée française, son plus lourd bilan depuis l’attaque au camion-suicide de Beyrouth qui avait tué 58 parachutistes en 1983.
Selon le compte rendu officiel, les troupes françaises faisaient partie d’une mission de reconnaissance conjointe avec des soldats afghans et des forces spéciales américaines dans le district de Saroubi à tout juste 50 kilomètres de Kaboul, la capitale afghane. La patrouille a été obligée de s’arrêter en début d’après-midi en raison des sentiers montagneux difficilement praticables. Un groupe de soldats français est parti à pied pour reconnaître les lieux et a été prix sous le feu de trois côtés.
Le général Jean-Louis Georgelin a dit aux médias que neuf soldats français avaient été tués immédiatement et le dixième plus tard quand son véhicule s’est retourné. Un soutien aérien rapproché et des renforts ont été appelés mais les combats se sont poursuivis tard dans la nuit avant que les rescapés aient pu finalement être secourus par voie aérienne. 23 autres soldats français et au moins deux Afghans ont également été blessés.
D’après des évaluations, le nombre des insurgés impliqués dans l’embuscade étaient d’environ cent, un autre signe que les Talibans et les autres groupes anti occupation sont de plus en plus disposés à confronter les forces américaines et de l’OTAN en grands nombres. Le général Georgelin a précisé avoir reconnu lors de récentes opérations que « les Taliban [étaient] capables de mettre en œuvre des tactiques plus aguerries, comme nous l’avons vu dans cet incident, ils ne semblent pas avoir de problèmes pour se procurer des armes. »
Les soldats français appartenaient à des régiments d’élite, le 8e Régiment parachutiste d’infanterie de marine, le 2e Régiment étranger parachutiste et le Régiment de marche du Tchad, une unité d’infanterie mécanisée. En début d’année, le président français Nicolas Sarkozy avait annoncé une augmentation du nombre de soldats français en Afghanistan, passant de 700 à 2.600 en réaction aux appels lancés par le gouvernement Bush pour l’envoi de forces supplémentaires de l’OTAN en Afghanistan. Les affrontements qui ont eu lieu lundi ont presque doublé le nombre de morts côté français en Afghanistan qui s’élève à présent à 24 depuis 2001.
Sarkozy a rapidement affiché sa détermination à maintenir les troupes françaises en Afghanistan en déclarant mardi : « La France est résolue à poursuivre la lutte contre le terrorisme, pour la démocratie et la liberté. La cause est juste. » Pour manifester son soutien par une présence continue, le président aux côtés de responsables français s’est rendu hier en Afghanistan pour assister à une cérémonie d’hommage et avoir des discussions avec le commandement militaire.
Les affrontements de lundi ont toutefois soulevé de sévères critiques en France. Les sondages, les uns après les autres, montrent que la majorité de la population française est opposée à toute implication militaire en Afghanistan. La décision de Sarkozy prise en mars pour l’envoi de troupes supplémentaires avait été largement contestée à l’époque, un sondage BVA avait révélé que 68 pour cent la désapprouvaient et seulement 15 pour cent l’approuvaient.

Suite au dernier incident, le Guardian a rapporté que « des sites de chat politique et des blogs de journaux ont été submergés de commentaires dénonçant la ‘dérive transatlantique’ de Sarkozy, qui a envoyé des jeunes gens pour faire une guerre qui ne les concerne pas. ‘Honte à la politique caniche qui aide les Amerlo (Yanks) et leur « nouvel ordre mondial »’ peut-on lire d’un côté, ‘Nos hommes ne sont pas morts pour les intérêts de la France’ »

Roland Grégoire, l’oncle de l’un des soldats tués a dit à Reuters : « C’est anormal d’envoyer des jeunes se faire tuer dans un pays où nous n’avons rien à faire. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont morts dans une embuscade, comme du gibier. »

Le parti d’opposition PS (Parti socialiste) a appelé un débat extraordinaire à l’Assemblée nationale sur la guerre en Afghanistan mais n’a pas appelé au retrait des troupes françaises. Un éditorial dans le journal de gauche Libération a posé la question « comment gagner une guerre ingagnable. »

Cherchant à exploiter la situation, Jean-Marie Le Pen, dirigeant du parti d’extrême-droite Front National, a dénoncé la participation française dans des termes chauvins en déclarant : « Nos soldats faisaient leur devoir, mais ils ne sont pas morts pour la France. Ils sont morts dans la guerre interminable que mène les Etats-Unis d’Amérique dans ce pays pour leurs propres intérêts. Nos soldats n’ont pas à se faire tuer pour l’oncle Sam. »

Le débat sera attisé davantage encore au fur et à mesure que de nouvelles informations se font jour défiant la version officielle des événements. Un article paru dans Le Monde d’hier et basé sur des témoignages de soldats souligne que les pertes françaises ne sont pas survenues immédiatement. « Le nombre de victimes s’expliquerait notamment, selon ces soldats, par la lenteur de la réaction du commandement et de sérieux problèmes de coordination, » a précisé le journal.

Les troupes étaient restées sous le feu ennemi « pendant près de quatre heures sans renfort ». Un soldat a dit au Monde : «  Nous n’avions plus de munitions pour nous défendre avec d’autres armes que nos Famas [fusil d’assaut]. » L’article dit aussi que certaines des victimes avaient péri sous des frappes aériennes de la coalition internationale et de tirs venant de soldats afghans positionnés plus bas. Le Pentagone a nié hier les affirmations selon lesquelles des frappes aériennes de l’OTAN avaient touchés des soldats français.

Une guerre qui s’intensifie

L’embuscade dans laquelle les troupes françaises ont été prises est une indication supplémentaire de l’intensification de la guerre en Afghanistan. Loin d’être une « cause juste » pour « la démocratie et la liberté », les Etats-Unis et leurs alliés font une guerre néo coloniale dans le but de disposer du pays comme base pour des opérations régionales, notamment de la région d’Asie centrale riche en ressources énergétiques.

Alors que les Etats-Unis et l’Afghanistan ont accusé le Pakistan voisin de n’avoir pas détruit les refuges d’insurgés dans les régions frontalières, la principale raison pour le soutien continu aux Taliban et autres milices est l’indignation profondément enracinée, particulièrement dans les tribus pachtounes dans le Sud et l’Est de l’Afghanistan, après près de sept ans de bombardement, de détentions arbitraires et de promesses non tenues.

La position des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan devient de plus en plus précaire en dehors des grandes cités et villes. Même les bases militaires américaines sont attaquées. Le mois dernier, une considérable armée de guérilla a écrasé la défense d’une petite base armée américano-afghane située près du village de Wanat proche de la frontière pakistanaise, en tuant neuf soldats américains et en blessant 15 autres.

Lundi, les insurgés ont attaqué le Camp Salerno, une grande base américaine disposant d’une piste de décollage et d’atterrissage pour hélicoptères à proximité de la ville de Khost, qui sert de pivot aux troupes d’occupation dans le Sud-Est de l’Afghanistan. Alors que le Pentagone a minimisé l’attaque, il est évident qu’une importante bataille avait eu lieu qui avait duré jusque mardi matin et impliqué pas moins de 10 kamikazes, soutenus par d’autres combattants.

Le New York Times a écrit: « Les insurgés ont commencé l’attaque par des tirs de roquettes et de mortiers à 11 heures du soir le lundi et un groupe de combattants a commencé à se déplacer vers le côté aéroport de la base a dit l’armée afghane. Une unité de commandos afghans les a encerclé, tuant 13 combattants, y compris 10 portant des gilets-suicides, a dit Azimi [général afghan Zaher].

« Une bataille féroce a fait rage tout au long de la nuit, jusqu’à 7 heures du matin le mardi, a dit Arsala Jamal, le gouverneur de Khost. Des tirs à partir d’hélicoptères contre les combattants qui traversaient un champ de blé entourant la base ont également touché une maison dans un village, tuant deux enfants et blessant deux femmes et deux hommes, a dit le chef de la police provinciale, Abdul Qayum Baqizoy. »

Les insurrections en Afghanistan provoquent une inquiétude grandissante aux Etats-Unis et en Europe. Seth Jones, chercheur en science politique à la RAND, a déclaré que les récentes attaques « ciblant les Etats-Unis et les autres forces de l’OTAN, ainsi que les forces afghanes sont devenues plus importantes et plus audacieuses, et elles comprennent des assauts directs, presque de style conventionnel… Fin 2006, début 2007, il y avait une bien plus grande réticence chez les Taliban et les autres groupes à organiser ce genre d’assauts de style conventionnel. » Les nouvelles opérations montrent qu’« ils croient qu’ils sont maintenant en train de gagner et cela les incite à être un plus audacieux. »

Le Conseil de Senlis, centre de réflexion international basé en Europe, a publié mardi un communiqué mettant en garde que les récents combats « envoient un message clair selon lequel la stratégie occidentale en Afghanistan est en train d’échouer. Jusqu’ici les dirigeants occidentaux ont toujours nié la véritable ampleur de la présence talibane en Afghanistan, et leur capacité à se déplacer rapidement vers la capitale afghane. »

Le centre de réflexion appelle l’OTAN à accroître ses effectifs en les portant des quelque 53.000 à 80.000. « Un nouveau déploiement de troupes est nécessaire pour sécuriser la capitale. Avec les Taliban aux portes de la capitale afghane, la situation ne peut que s’envenimer pour les forces de l’OTAN (Isaf) et le peuple afghan, » a dit le communiqué. Un rapport précédemment publié par le centre Senlis avait estimé que les Taliban étaient présents en permanence sur plus de la moitié, soit 54 pour cent, du territoire afghan.

La précarité de la situation à Kaboul a été soulignée lundi quand le gouvernement afghan a mobilisé plus de 7.000 policiers, y compris des agents des services secrets et l’unité d’élite de la police « d’ordre civil » pour assurer la sécurité lors des cérémonies de la Journée d’indépendance du pays. La capitale est de plus en plus souvent la cible d’attaques à la roquette vu que des groupes d’insurgés se retranchent dans les régions proches.

En début d’année, un haut gradé des Taliban avait dit au journal Times de Londres qu’ils visaient à couper les lignes de ravitaillement vers Kaboul Les principales routes au Sud, à l’Est et à l’Ouest de la ville sont à présent considérées comme dangereuses pour le passage des troupes, des travailleurs humanitaires et des civils. La semaine passée, trois travailleuses humanitaires ont été prises dans une embuscade et tuées à tout juste une heure de route au Sud de Kaboul. L’armée française a pris récemment le commandement de la force de l’OTAN dans la région de Kaboul dont fait partie Saroubi et où s’est produite l’attaque de lundi.

Haroun Mir, du Centre de recherche et d’études politiques pour l’Afghanistan, a expliqué que les Taliban semblaient employer les mêmes tactiques que celles qu’avaient adoptées les moudjahidines soutenus par la CIA contre l’armée soviétique dans les années 1980. Ce n’est peut-être pas un hasard si le district de Saroubi passe pour être le bastion de Gulbuddin Hekmatyar, un dirigeant moudjahidine qui, il y a tout juste deux décennies, avait été armé et financé par la CIA et salué dans les médias américains comme un « combattant pour la liberté » contre l’occupation soviétique.

L’embuscade des soldats français est un rappel de ce que Washington est confronté à une opiniâtre guerre de guérilla en Afghanistan et qui ressemble fortement à l’insurrection à laquelle fut confrontée l’Union soviétique il y a trente ans. Les troupes américaines et l’OTAN sont en grande partie confinées dans les principales bases en dehors de Kaboul et les projets « de cœur et de raison » n’ont rien fait pour contenir la haine à l’égard de l’occupation dominée par les Etats-Unis et le soutien pour la résistance armée.

Les attaques insurrectionnelles ont augmenté d’environ 50 pour cent cette année. Avant l’attaque de lundi, le nombre de morts des troupes étrangères s’élevait déjà à 173 en 2008, dont 99 Américain et il dépassera certainement le record de 232 tués de l’année dernière. Environ 800 membres des forces de sécurité afghanes ont été tués cette année ainsi que plus d’un millier de civils.

Comme le montre la réaction de l’opinion publique cette semaine en France, le caractère brutal de cette guerre générera inévitablement une résistance et une opposition croissantes contre l’occupation néo coloniale continue de l’Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés.

(Article original paru le 21 août 2008)


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