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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’hypocrisie impérialiste sur la guerre en Géorgie

Par Patrick Martin
15 août 2008

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Les combats ont largement diminué entre les troupes russes et géorgiennes après la déclaration d’un arrêt des hostilités par le Président russe Dmitri Medvedev. Il a fait l’annonce à Moscou après les pourparlers sur un cessez-le-feu avec le président français Nicolas Sarkozy, qui représentait l’Union européenne.

Sarkozy a ensuite pris l’avion vers la capitale géorgienne de Tbilisi, où le président géorgien, Mikheil Saakashvili, a accepté les mêmes termes d’un cessez-le-feu, incluant le retrait des troupes russes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et la fin des opérations militaires en Géorgie contre les deux territoires, qui font nominalement partie de la Géorgie mais qui sont autonomes et qui sont sous la protection russe depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

La guerre de cinq jours a révélé l’état extrêmement tendu des relations internationales, montrant le danger d’un conflit direct entre les grandes puissances pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide. Elle a aussi mis en évidence l’hypocrisie complète de l’administration Bush et des médias américains, qui ont condamné la Russie pour ses actions militaires qui sont éclipsées par les présentes guerres d’agression en Irak et en Afghanistan.

Il n’y a rien de progressiste dans l’intervention militaire russe en Géorgie. L’élite dirigeante russe poursuit ses propres objectifs prédateurs dans le Caucase, une région qui fut dirigée pendant deux siècles par Moscou avant l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Cependant, la force principale derrière l’éruption d’une crise dans le Caucase est l’impérialisme américain, qui a mené une politique provocatrice destinée à supplanter la Russie dans ses anciennes sphères d’influence dans le but d’établir l’hégémonie américaine sur les terres eurasiennes. Un instrument central de cette politique fut le régime pro-américain de Saakashvili, qui a pris le pouvoir en 2004 lors de la « Révolution des roses », orchestrée par les Etats-Unis.

La Géorgie a initié le présent conflit avec une attaque soudaine la semaine dernière sur l’Ossétie du Sud, y compris une attaque militaire dévastatrice sur Tskhinvali, la capitale de la région, où jusqu’à 2000 personnes auraient été tuées. L’écrasante réponse russe, incluant des centaines de tanks et d’avions de combat, a rapidement mis en déroute les forces militaires géorgiennes.

Les deux gouvernements se sont échangé des accusations de génocides et de nettoyage ethnique en Ossétie du Sud. Des dizaines de milliers d’Ossétiens—une population distincte des Géorgiens quant à la culture et au langage—ont fui vers le territoire russe de  l’Ossétie du Nord, tout juste de l’autre côté de la frontière internationale, tentant d’échapper à la violence.

Des réfugiés ont dit aux journalistes que des centaines de personnes, si ce n’est des milliers, ont été tuées lors de l’attaque géorgienne initiale sur leur terre natale et que les troupes géorgiennes avaient tué des civils sans discrimination. Un travailleur humanitaire a dit à Associated Press que la route partant de Tskhinvali « était pleine de corps, des familles entières étaient mortes là, des enfants, des personnes âgées ». Un autre décrit le bombardement par des avions géorgiens d’une colonne de réfugiés qui fuyaient. Un journaliste de Reuters a établi qu’au moins 200 personnes étaient soignées pour des blessures par balles à Vladikavkaz, la capitale de l’Ossétie du Nord.

Le gouvernement géorgien a porté des accusations à la Cour internationale de justice à La Haye, affirmant que les combattants ossétiens réalisaient des atrocités contre les villages géorgiens et présentant ces attaques dans le cadre d’un plan de « nettoyage ethnique » appuyé par la Russie. Le ministre de la santé géorgien a placé le nombre de morts dans son pays à 175—suggérant que les reportages médiatiques faisant état d’un « blitz » russe étaient exagérés—alors que les responsables de l’ONU ont estimé que 100 000 personnes, des deux côtés, avaient été forcées de quitter leurs maisons.

Saakashvili a déclaré un cessez-le-feu unilatéral dimanche, aussitôt que l’étendue de la débâcle militaire est devenue évidente. Mais, les forces russes ont ignoré cette déclaration, allant de l’avant pour détruire les établissements militaires géorgiens situées tout juste à l’extérieur des territoires disputés de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, dans les villes de Gori et de Senaki.

Le président russe Medvedev a dit que les troupes russes avaient infligé « des pertes significatives » et avaient laissé l’armée géorgienne « désorganisée ». Des reportages de la presse confirment qu’on pouvait à peine différencier la retraite des soldats géorgiens et des civils fuyant vers l’avancée de la Russie. Les troupes géorgiennes ont abandonné leurs véhicules militaires, leurs matériels et même leurs casques et leurs armes dans leur panique, suggérant qu’il y aurait eu peu de résistance soutenue à une avancée russe dans la capitale géorgienne de Tbilisi.

Cependant, Medvedev, le premier ministre Vladimir Poutine et de hauts responsables militaires ont régulièrement déclaré depuis dimanche qu’ils n’avaient aucunement l’intention de réaliser une telle action.

Il y a sans doute eu des garanties derrière les caméras à l’Union européenne, à l’OTAN et aux Etats-Unis que l’incursion militaire russe avait des objectifs limités seulement à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie. Cela n’a pas stoppé la rhétorique apocalyptique de l’administration Bush, des médias américains ou de Saakashvili. Le président géorgien est allé à la télévision d’état pour accuser la Russie du « meurtre planifié, de sang froid… d’un petit pays ».

Avec les tirs qui ont pris fin, du moins pour le moment, ça vaut la peine de réfléchir sur le ton hystérique des médias de l’Ouest, particulièrement aux Etats-Unis, qui ont régulièrement comparé l’opération militaire russe à l’assaut d’Hitler sur la Tchécoslovaquie en 1938, l’invasion soviétique du même pays en 1968 et l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.

L’idée générale derrière ces commentaires est que les Etats-Unis doivent revenir à quelque chose qui ressemble à la Guerre froide contre une Russie expansionniste. Le New York Times, dans un éditorial de mardi, a déclaré : « Moscou prétend qu’il est simplement en train de défendre les droits des minorités ethniques en Ossétie du Sud et en Abkhazie, qui ont essayé de se séparer de la Géorgie depuis le début des années 1990. Mais ses ambitions vont beaucoup plus loin. Le Premier ministre Vladimir Poutine… semble être déterminé à réimposer, autant qu’il le peut et par la force et par l’intimidation, la vieille sphère d’influence soviétique. »

Le journal exige ceci : « Les Etats-Unis et les alliés européens doivent dire à Monsieur Poutine, de la manière la plus claire possible, qu’une telle agression ne sera pas tolérée. Et qu’il n’y aura pas de redivision de l’Europe. »

Le Wall Street Journal, dans un éditorial intitulé « Vladimir Bonaparte » a exigé une série d’actions qui mèneraient à une confrontation militaire directe entre les Etats-Unis et la Russie, les deux pays qui ont les deux plus importants arsenaux nucléaires dans le monde. Les actions incluaient d’amener la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN et d’établir un pont aérien d’aide militaire vers Tbilisi.

Une chronique dans le Journal, écrite par Josef Joffe, l’éditeur du quotidien conservateur allemand Die Zeit, souligne les intérêts économiques et géostratégiques qui sous-tendent le conflit. Selon Joffe, l’Abkhazie et l’Ossétie, même obscurs, « sont les points d’ignition du Grand jeu du 21e siècle et la question est : Qui gagnera le contrôle sur le Bassin caspien, le plus important réservoir de ressources stratégiques après le Moyen-Orient. »

Une des voix anti-russes les plus stridentes était celle provenant de l’ancien conseiller en sécurité nationale américaine, Zbigniew Brzezinski, un partisan du candidat présidentiel démocrate Barack Obama. Dans des commentaires au Guardian britannique et au Die Walt allemand, il a comparé Poutine à Hitler et à Staline et il a comparé l’intervention russe en Géorgie à l’invasion soviétique de la Finlande en 1939. « La Géorgie est, jusqu’à un certain point, la Finlande d’aujourd’hui, autant moralement que stratégiquement » a-t-il déclaré.

Comme Joffe, Brzezinski a indiqué le rôle central du pétrole, particulièrement le rôle de l’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan construit lors de la dernière décennie avec l’appui des Etats-Unis afin d’amener le pétrole de cette région vers les marchés mondiaux, en contournant le territoire russe. « Si la Géorgie n’a pas sa souveraineté, cela veut dire… que l’Ouest est coupé du Bassin caspien et de l’Asie centrale, » a-t-il dit.

Les stratèges de l’impérialisme américain ont, cependant, de plus larges intérêts que le pétrole. Brzezinski, lui-même, a depuis longtemps cherché l’effondrement, non seulement de la vieille Union soviétique, mais de la République russe qui comprend la majorité des terres de l’ancienne URSS. Comme le Guardian l’a observé lundi : « L’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan est seulement un élément mineur d’une équation beaucoup plus large : Une tentative, mise de l’avant par les Etats-Unis et hâtivement poursuivie par plusieurs alliés ex-soviétiques, de réduire tous les aspects de l’influence russe à travers la région, que ce soit du point de vue économique, politique, diplomatique ou militaire. »

L’attaque rhétorique concernant la crise russo-géorgienne est particulièrement cynique compte tenu du passé de l’administration Bush. « La Russie a envahi un pays souverain voisin », a déclaré Bush lundi. « Une telle action est inacceptable au 21e siècle. »

En fait, l’histoire du 21e siècle ne consiste pas en grand chose d’autre, particulièrement pour le gouvernement des Etats-Unis. Depuis qu’il a pris le pouvoir en janvier 2001, l’administration Bush a envahi et occupé deux états souverains, l’Afghanistan et l’Irak, tout en supportant des attaques similaires par ses états satellites : l’invasion du Liban par Israël en 2006, l’invasion de la Somalie par l’Éthiopie en 2007 et l’invasion de l’Équateur par la Colombie plus tôt cette année.

Le contraste entre les cris des Etats-Unis sur « l’agression russe » en Géorgie et son soutien pour l’agression israélienne au Liban est particulièrement instructif.

La secrétaire d’État Condoleeza Rice avait notablement retardé un cessez-le-feu dans le conflit libanais, visitant Beyrouth alors que des tanks israéliens et des avions de combats étaient en train de ravager le sud du Liban et rejetant les appels du gouvernement libanais, appuyé par les Etats-Unis, en faveur d’une intervention. Israël avait le droit de défendre ses intérêts avant d’être forcé de battre en retraite, soutenait-elle. Mais, en Géorgie, Rice a déclaré qu’un cessez-le-feu était nécessaire de manière urgente et qu’il devait précéder toute autre action.

Ces arguments malhonnêtes visent des objectifs autant intérieurs qu’internationaux. L’administration Bush cherche à alimenter une atmosphère qui évoque la Guerre froide. Cela est largement vu dans les cercles dirigeants de droite comme étant la seule façon d’amener une victoire du candidat présidentiel républicain John McCain, dans des conditions où l’administration Bush et le parti républicain sont largement haïs. (Un sondage publié mardi montre que 41 pourcent des américains voient Bush comme étant le pire président de l’histoire des Etats-Unis, alors que 68 pourcent veulent le retrait complet des troupes de l’Irak d’ici un an).

L’administration Bush veut que l’élection de novembre soit tenu e dans un environnement de crise internationale, afin d’intimider et de dévier l’opposition populaire à la guerre en Irak, aux politiques sociales réactionnaires de Bush et à la crise économique grandissante. L’idée est d’avoir une autre élection sur la « sécurité nationale » qui favoriserait McCain, dont la campagne est largement basée sur son passé militaire et sa supposée expérience en matière de politique étrangère.

Les démocrates, incluant leur candidat présidentiel Barack Obama, tentent tant bien que mal d’égaler la rhétorique provocatrice et belliqueuse de l’administration Bush et de McCain, dénonçant la Russie dans des termes similaires et faisant écho à la demande de l’administration Bush concernant l’admission de la Géorgie dans l’OTAN—quelque chose que la Russie considère comme une menace intolérable à sa sécurité.

Les reportages biaisés tant à la télé que dans les journaux libéraux (New York Times) et conservateurs (le Wall Street Journal) qui tentent d’alimenter les sentiments anti-russes sont conçus pour conditionner l’opinion publique à une escalade majeure de la poussée de Washington pour établir l’hégémonie américaine sur le Caucase et les régions avoisinantes riches en pétrole.

(Article original anglais paru le 13 août)


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