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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La réunion des ministres de l’UE sur la Géorgie fait apparaître les tensions entre les puissances européennes et les Etats-Unis

Par Stefan Steinberg
18 août 2008

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La déclaration de la réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne sur le conflit entre la Géorgie et la Russie à Bruxelles la semaine dernière s’est gardée de toute critique vis-à-vis de la Russie, malgré les pressions extrêmes exercées par certains Etats d’Europe de l’Est et soutenues par la Grande-Bretagne et la Suède.

Rejetant un conflit déclaré avec la Russie, le meeting de l’UE se décida contre l’envoi de troupes dans la région. Au lieu de cela, la majorité des ministres se rangèrent derrière la proposition allemande d’augmenter le nombre d’observateurs de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) en Géorgie de 100 à 300 et d’intensifier l’aide humanitaire.

La position adoptée envers la Russie et les mesures limitées sur lesquelles la majorité des ministres se sont mis d’accord à Bruxelles contrastent fortement avec la rhétorique guerrière provenant de Washington qui a accusé la Russie d’être l’agresseur pendant les combats violents de cinq jours opposant les forces géorgiennes à l’armée russe. L’administration Bush a envoyé ses propres troupes dans la région, sous couvert d’aide humanitaire.

Le ton des déclarations faites par les ministres des Affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier, du SPD (Parti social démocrate allemand), et son homologue français, Bernard Kouchner du PS, la veille de la réunion de Bruxelles se distingue fortement de la propagande antirusse de l’administration Bush et qui fut reprise par ses plus proches partenaires en Europe.

Avant le meeting de Bruxelles, Steinmeier avait dit nettement qu’il s’opposait à toute condamnation unilatérale de la Russie. « Je ne pense pas que nous devrions nous perdre dans de longues discussions sur qui est responsable de l’escalade de ces derniers jours, » dit-il. Au lieu de montrer certains pays du doigt, dit il, l’UE ferait mieux de « considérer l’avenir et jouer un rôle dans la stabilisation » de la situation.

La position de Steinmeier fut soutenue lors de la réunion par les ministres des Affaires étrangères de la France, de l’Italie et de la Finlande. Le ministre finlandais des Affaires étrangères, Alexander Stubb, dont le pays occupe la présidence de l’OSCE, résuma la position prise par la majorité des ministres en disant : « Le jeu des accusations et des paroles fortes est pour plus tard ».

A la suite du meeting, Steinmeier souligna une fois de plus que la « stabilité du Caucase » ne pouvait être obtenue qu’en coopération avec la Russie.

La prise de position de Steinmeier eut le soutien officiel de la chancelière allemande, Angela Merkel, la dirigeante de la CDU (Union Chrétienne démocrate). Son porte-parole, Thomas Steg, dit jeudi 14 août, quant à la réaction de l’Allemagne au rôle joué par la Russie dans le conflit, qu’il était important de se garder d’une « réaction exagérée ». Il ajouta que la chancelière était « optimiste » pour ce qui était des pourparlers qu’elle aurait avec le président russe Dmitri Medvedev le lendemain, à Sotchi, la station balnéaire de la mer Noire.

Le consensus en faveur d’une politique conciliatrice envers la Russie survint à la réunion de l’UE après que certains des plus proches alliés de Washington aient mené en Europe une campagne véhémente en faveur d’une condamnation du rôle de la Russie dans le conflit. Certains pays d’Europe de l’Est appelèrent même à l’imposition de sanctions contre la Russie. L’offensive de la propagande antirusse avait commencé au début de la semaine dernière, lorsque fut annoncée la signature d’un accord de cessez-le-feu.

L’accord de cessez-le-feu fut obtenu par l’entremise du président français, Nicolas Sarkozy, et de son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner. Le président russe Dmitri Medvedev avait fait part de sa satisfaction sur cet accord lors d’une conférence de presse le mardi 12 août avec Sarkozy. L’accord appelait à un retour au statu quo existant entre la Russie et la Géorgie avant l’intervention armée du 7 août de la Géorgie en Ossétie du Sud.

A la suite de cette rencontre, le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, indiqua que tout en respectant l’accord, le gouvernement russe ne négocierait pas avec l’Etat géorgien tant que le président Mikhaïl Saakachvili resterait en fonction.

L’accord conclu à Moscou fut immédiatement critiqué par le président géorgien qui fit objection au point 6, qui déclare que le statut futur des provinces d’Ossétie du sud et d’Abkhazie ferait l’objet de délibérations internationales. Saakachvili dit clairement qu’il continuerait de considérer les provinces en questions comme faisant partie du territoire géorgien et rejeta toute interférence internationale.

Afin de souligner leur solidarité avec le président géorgien, les présidents de la Pologne, de la Lettonie, de la Lituanie et de l’Estonie, tous des Etats membres de l’UE, firent le voyage de Tbilisi le 13 août, pour rejoindre le président ukrainien Viktor Youshchenko qui se trouvait déjà dans le pays. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, tous ces pays ont forgé d’étroites relations avec Washington. Cette action concertée de soutien à Saakachvili était un geste évident de solidarité avec le gouvernement Bush.

Lors d’un rassemblement organisé le 13 août à Tbilisi, le président polonais Lech Kaczynski soutint l’appel du président géorgien en faveur d’une opposition concertée contre la Russie, en déclarant : « Nous sommes ici pour entreprendre la lutte. » « Pour la première fois depuis longtemps nos voisins de l’Est ont une fois de plus montré le visage que nous leur connaissons depuis des centaines d’années. Ces voisins considèrent que les nations avoisinantes doivent leur être soumises. Nous disons Non ! »

Un jour plus tard, ces mêmes pays réclamaient que l’OTAN accueille la Géorgie dans ses rangs. Une déclaration lue par le président lituanien, Valdas Adamkus, disait que « la seule option pour empêcher de tels actes d’agression et l’occupation de la Géorgie est d’admettre [la Géorgie] dans le ‘plan d’action pour l’adhésion’ (Membership Action Plan) de l’OTAN.

Cette opinion de présenter la Russie comme l’agresseur fut partagée par le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, qui déclara au meeting de Bruxelles que l’UE devait réexaminer sa position concernant la Russie suite à l’action « agressive » de cette dernière envers la Géorgie.

Reprenant à la rhétorique de la Guerre froide employée par les Etats-Unis, Miliband poursuivit : « La force agressive de la Russie au-delà des frontières de l’Ossétie du Sud fut une chose qui a vraiment choqué beaucoup de monde… Le spectacle de tanks russes à Gori, de tanks russes à Senaki, du blocus russe du port géorgien de Poti, est un rappel terrible d’une époque dont je pense nous espérions, qu’elle était révolue et qui a de quoi glacer le sang dans les veines. »

Juste avant la réunion de Bruxelles, le secrétaire général de l’OTAN, le néerlandais Jaap de Hoop Scheffer, est intervenu pour appuyer implicitement le lobby pro géorgien des Etats européens. Il pressa, mardi 13 août, la Russie à respecter la souveraineté de la Géorgie et souligna qu’« un jour » l’OTAN accepterait la Géorgie dans ses rangs.

La majorité des Etats d’Europe occidentale néanmoins, à l’exception de la Grande-Bretagne, rejeta la voie de la confrontation adoptée par le gouvernement américain et déterminèrent l’issue de la réunion des ministres des Affaires étrangères. Le conflit entre la Géorgie et la Russie avait une fois de plus fait remonter à la surface les tensions profondes qui existent entre l’Europe et les Etats-Unis et qui étaient devenues visibles pour la première fois à l’occasion de la guerre contre l’Irak.

La détermination d’un certain nombre de pays européens à maintenir de bonnes relations de travail avec la Russie, au risque si nécessaire de mettre en danger leur relation avec les Etats-Unis, se fonde sur des intérêts économiques et géopolitiques fondamentaux.

Sur le plan économique, l’Europe est fortement dépendante des livraisons de gaz naturel et de pétrole en provenance de la Russie. La Russie est aussi un marché de plus en plus important pour le commerce européen, notamment celui de l’Allemagne. Les exportations allemandes en Russie ont augmenté de plus de 50 pour cent dans la première moitié de 2008 en atteignant 29 milliards d’euros. Selon Christian Dreger, un économiste de l’Institut allemand de la recherche économique à Berlin, « La Russie est un pays très fort sur le plan du développement économique. Elle contribue à compenser la faible croissance d’autres régions ».

Dans des conditions où le ralentissement économique en Europe affecte les ventes de la zone européenne même, la Russie est devenue un marché de plus en plus important pour les constructeurs automobiles comme Daimler, Renault et Fiat. Plus généralement, les activités de plus en plus agressives des Etats-Unis dans le Caucase et dans les Balkans sont vues comme une menace des intérêts européens dans cette région.

Durant la période qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique, les principaux pays européens ont pendant longtemps laissé faire les Etats-Unis quant ils cherchaient à compenser le déclin de leur influence économique par une augmentation massive de leur présence militaire dans les pays satellites de l’ex Union soviétique. Suite aux guerres désastreuses menées par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, les milieux politiques d’Europe de l’Ouest ont de plus en plus considéré les Etats-Unis comme la principale source d’instabilité et de division sur le continent.

Les efforts entrepris par les Etats-Unis pour installer un système de défense anti missiles en Pologne et dans la République tchèque ont provoqué la colère de la Russie et menacent de faire de Europe un champ de bataille nucléaire potentiel opposant Washington et Moscou. En 2006 déjà, la fondation Konrad Adenauer proche du Parti chrétien-démocrate allemand a averti de ce que les Etats-Unis avaient l’intention d’étendre leur sphère d’influence dans les régions de la Baltique et du Caucase « en admettant d’autres pays, à orientation pro-américaine, dans l’Alliance (l’OTAN). »

L’insistance de Washington à faire entrer rapidement la Géorgie dans les structures de l’OTAN conduisit à un conflit politique au début de cette année. En avril, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, le président américain Bush se heurta à un concert d’opposition européen mené par l’Allemagne contre ses plans d’inclusion de la Géorgie et de l’Ukraine. Seul un compromis de dernière minute, remettant à plus tard une décision concernant une adhésion de ces deux pays, permit au président américain de ne pas perdre la face.

Suite à une récente décision des Etats-Unis et des pays européens de reconnaître l’indépendance du Kosovo, le ministre allemand des Affaires étrangères avertit de ce qu’on mettait à rude épreuve la patience de la Russie. Steinmeier dit à la presse allemande que, suite à la « décision difficile de reconnaître le Kosovo, il [était] clair qu’avec notre politique étrangère on a atteint le seuil de tolérance de la Russie ».

En Europe on a encore en mémoire les commentaires faits en 2003 par l’ancien secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld. Celui-ci avait condamné l’Allemagne et la France pour ne pas avoir soutenu la guerre contre l’Irak. La France et l’Allemagne, dit-il représentaient « la vieille Europe » ajoutant que la récente extension de l’OTAN signifiait que « le centre de gravité se dépla[çait] vers l’Est ».

Tout en étant réticent à tenir tête publiquement aux Etats-Unis, les dirigeants politiques européens montrent de plus en plus clairement qu’ils sont opposés à tout retour à une polarisation du type de celle de la Guerre froide et qui avait été caractérisée par la domination économique et politique des Etats-Unis sur l’Europe de l’Ouest.

Le déclin économique et politique visible des Etats-Unis fut identifié par le quotidien français Les Echos comme une opportunité que l’Europe doit saisir pour accroître son influence.

Dans un éditorial publié le 14 août, ce journal notait que « La navette diplomatique du président Sarkozy entre Moscou et Tbilissi est un exercice à haut risque ». Il poursuivait cependant en énonçant les possibilités qu’avaient les nations européennes d’exploiter les faiblesses américaines : « La faiblesse du président Bush en triste fin de mandat place l’Union européenne en première ligne pour permettre à la diplomatie de l’emporter sur les armes en Géorgie… Les 27 [membres de l’UE] disposent de tous les atouts pour se faire entendre des maîtres du Kremlin. Sur le front économique tout au moins… Reste à savoir si les Européens sauront utiliser ces atouts, ce qui implique de parler d’une seule voix. Et là, rien n’est moins sûr. »

Alors que la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE a démontré que les pays de l’UE sont incapables de « parler d’une seule voix » elle a révélé qu’il existe un consensus croissant parmi les pays de l’Europe de l’Ouest sur la nécessité de développer leurs propres instruments de politique étrangère et la capacité militaire requise pour concurrencer directement les Etats-Unis ou même pour les défier.

 

(Article original anglais paru le 15 août 2008)


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