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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Après le conflit Géorgie-Russie

L’accord antimissile avec la Pologne accroît le danger d’un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie

Par Patrick Martin
20 août 2008

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L’accord conclu entre les Etats-Unis et le gouvernement droitier de la Pologne sur l’implantation d’un système antimissile américain dans ce pays est la première réaction majeure de l’impérialisme américain à l’intervention russe en Géorgie.
Le gouvernement Bush a pressé la Pologne et la République tchèque d’accepter le stationnement de systèmes antimissile et de radar américains au motif qu’ils sont installés pour empêcher une attaque de l’Europe par l’Iran. Ce pays n’est en possession ni des têtes d’ogives ni des armes nucléaires requises. En dépit de vigoureuses protestations de la part de Moscou, les responsables américains ont nié que les systèmes anti missile représentaient une menace pour la Russie.

Mais les circonstances dans lesquelles l’accord avec la Pologne fut signé montrent clairement qu’il était dirigé contre Moscou. Longtemps bloqué par des querelles entre Varsovie et Washington au sujet d’exigences polonaises pour des systèmes de technologie de pointe antiaérienne comme prix de l’installation des missiles, le pacte fut conclu en l’espace de quelques jours après que le président polonais Lech Kaczynski se soit présenté aux côtés de Mikheil Saakachvili lors d’un rassemblement anti russe à Tbilisi.

Le premier ministre polonais, Donald Tusk, a déclaré de façon inquiétante, « Nous avons franchi le Rubicon, » après que des représentants de son gouvernement aient signé l’accord à Varsovie. Il est évident que ses propos étaient motivés non par la crainte d’une menace iranienne inexistante, mais par celle crainte d’une armée russe qui a combattu deux guerres mondiales sur le sol polonais au 20ème siècle.

Deux choses exceptionnelles sont à signaler en ce qui concerne cet accord et qui ont été ajoutées en guise d’incitation pour la Pologne. D’abord, le fait que les Etats-Unis vont immédiatement transférer une batterie de missiles anti-aériens Patriot d’Allemagne à Slupsk sur la Mer Baltique, à quelque 200 kilomètres de la frontière polonaise avec l’enclave russe de Kaliningrad. Le New York Times a remarqué : « Les troupes américaines rejoindraient l’armée polonaise, du moins temporairement sur les lignes de front, en se positionnant à l’Est en direction de la Russie. » Les 110 soldats américains qui y sont déployés serviront en quelque sorte de fil-piège, un outil humain de détection des intrusions, pour s’assurer que tout conflit russo-polonais implique tout de suite les Etats-Unis.

Ensuite, les Etats-Unis ont accepté l’obligation, en cas d’attaque, de défendre la Pologne plus rapidement que ne le prévoit l’actuel processus de l’OTAN que la Pologne avait rejoint en mars 1999. « La Pologne et les Polonais ne veulent pas faire partie d’alliances dont l’aide tarde à arriver, ce n’est pas bien si l’aide arrive pour des morts, » a dit le premier ministre Tusk à la télévision polonaise. « La Pologne veut faire partie d’alliances où l’aide arrive dans les toutes premières heures d’un quelconque conflit, touchons du bois. »

Les responsables russes ont réagi à l’accord américano-polonais par un langage apocalyptique. Le général Anatoly Nogovitsyn, vice-chef d’état major russe, a dit que la Pologne « s’expos[ait] à 100 pour cent à une attaque. » Il a précisé que la doctrine militaire russe sanctionnait le recours aux armes nucléaires, non seulement contre une nation qui lancerait une attaque avec des armes nucléaires contre la Russie mais « contre les alliés des pays possédant des armes nucléaires s’ils leur apporte une aide quelconque. »

« Les Etats-Unis sont préoccupé par leur propre système de défense anti-missile, » a-t-il dit. « Ils n’ont pas l’intention de défendre la Pologne pour le moment. La Pologne s’expose elle-même à une frappe en donnant aux Etats-Unis la permission de déployer le système. Le pays risque de devenir un objet de réaction pour la Russie. De telles cibles sont détruites en première instance. »

Le président russe Dmitri Medvedev a dénoncé l’accord lors d’une conférence de presse commune avec la chancelière allemande, Angela Merkel. « Le déploiement de nouvelles armes anti-missile vise la Fédération de Russie, » a-t-il dit. « Et donc, tous les contes de fée sur la dissuasion vis-à-vis d’autres Etats, des contes de fée sur la défense contre de prétendus Etats voyous à l’aide de ce système, ne prennent plus. »

La logique de la politique américaine, comme le témoigne l’accord polonais, mène inexorablement à une confrontation armée entre les Etats-Unis et la Russie, deux puissances nucléaires massivement armées. Ceci fait une fois de plus, comme dans les années qui ont précédé 1914 et 1939, apparaitre le spectre de la guerre mondiale, mais cette fois avec la probable conséquence d’une annihilation nucléaire.

Il ne s’agit pas seulement de juger les intentions de Bush et de Cheney, qui doivent quitter leurs fonctions dans cinq mois ou de leurs successeurs, Obama ou McCain. Les événements et les décisions de ces dernières semaines ont leur propre logique. L’incursion imminente de l’armée américaine dans ce qui était autrefois appelé les « Etats tampons », la région qui sépare la Russie proprement dite de l’Europe centrale, a une signification historique et politique considérable.

Cette région fut le champ de bataille de deux guerres mondiales qui ont coûté la vie à des dizaines de millions de personnes, 30 millions pour la seule Union soviétique en conséquence précisément de l’invasion nazie du territoire sur lequel le système antimissile américain sera implanté. (Il est à noter aussi qu’alors que les circonstances historiques et politiques sont différentes, l’objectif géostratégique de Hitler était le même que celui de Bush : prendre le contrôle des ressources pétrolières du Bassin caspien.)

Il y a des douzaines de conflits potentiels dans ce vaste territoire, des conflits frontaliers non résolus entre la Russie et les nombreux Etats issus de l’ancienne URSS, ainsi que des conflits impliquant des enclaves habitées par des Russes, telles Kaliningrad, près de la Pologne et la Trans-Dniestrie à la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, et de vastes minorités de langue maternelle russe dans les Etats baltes et en Ukraine. N’importe lequel de ces conflits pourrait servir d’étincelle au déclenchement d’un conflit armé dans lequel les Etats-Unis sont à présent un combattant potentiel.

Le gouvernement Bush a affirmé à travers une série de fuites des médias américains qu’il avait tenté d’empêcher Saakachvili d’attaquer les enclaves pro russes de l’Ossétie du Sud et d’Abkhazie et que le président géorgien avait ignoré son conseil. Cette version des faits est absolument incroyable étant donné la présence de conseillers militaires américains dans le commandement de l’armée géorgienne. Mais, même si c’était vrai, cela signifierait que Washington exerce si peu de contrôle sur les événements qu’un téméraire démagogue nationaliste peut recourir à son soutien pour déclencher un crise internationale majeure. Des pyromanes de ce genre jouent un rôle important dans chaque pays d’Europe de l’Est.

Comme le décrivait dans son article du 13 août George Friedman, de Stratfor.com, un site d’analyse stratégique: « Il est inconcevable que les Américains aient ignoré que les Russes avaient déployé des forces substantielles à la frontière sud-ossète. Le renseignement technique américain, de la prise de vue et des signaux de communication aux engins aériens inhabités, ne pouvait pas ne pas savoir que des milliers de soldats russes se déplaçaient en direction de positions avancées. »

Tandis que Friedman suggère que la surprise apparente du gouvernement Bush était l’expression de son incompétence stratégique, il existe une autre explication, bien plus sinistre celle-là : le gouvernement américain souhaitait que le conflit armé éclate en dépit de l’inévitable revers géorgien infligé par l’armée russe, parce que la crise lui sert à la fois sur le plan international, à savoir en Pologne, et sur le plan domestique où le Parti républicain compte sur une ambiance de guerre pour revigorer sa campagne présidentielle au bord de l’essoufflement.

A la suite du cessez-le-feu en Géorgie, signé avec réticence vendredi par Saakachvili sous la pression de la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, il est ressorti clairement que la campagne médiatique et diplomatique américaine organisée des semaines durant au sujet d’une prétendue agression russe est un modèle de la technique du « grand mensonge. »

Il s’avère à présent que l’ampleur de l’intervention militaire russe était relativement réduite, comptant au total 15.000 hommes, tout juste la moitié de ce que la Géorgie maintient sous les drapeaux, ce qui laisse supposer que Moscou n’a jamais eu l’intention d’envahir le pays. La chaîne CNN a rapporté vendredi que le nombre total de troupes russes se trouvant à Gori, la ville dont l’occupation représentait prétendument une tentative de couper la Géorgie en deux, n’était que de 200.

Le gros des commentaires américains concernant les événements en Géorgie se composait d’accusations non confirmées d’atrocités russes commises contre des civils géorgiens avec peu ou pas de reportage de l’attaque géorgienne contre l’Ossétie du Sud qui a déclenché le conflit au départ.

L’ambassadeur russe auprès des Nations unies, a dénoncé les affirmations américaines selon lesquelles la Russie menait une « guerre de terreur » en Géorgie. Un tel langage était « tout à fait inacceptable » a-t-il dit, « venant spécialement d’un représentant permanent d’un pays dont nous connaissons les agissements, y compris en ce qui concerne les populations civiles en Irak, en Afghanistan et en Serbie. »

Les médias américains n’ont pratiquement jamais admis l’existence de cette logique évidente du « deux poids, deux mesures » du gouvernement Bush par laquelle ses propres violations de la loi internationale et ses propres attaques de civils innocents sont ignorées alors que des actions bien moins provocatrices commises par d’autres puissances sont vilipendées et leurs dirigeants diabolisés.

En Géorgie, par exemple, la Russie a déployé juste au-delà de ses frontières, moins de 10 pour cent du nombre de soldats américains envoyés à des milliers de kilomètres des USA pour envahir l’Irak et l’Afghanistan, pour renverser leur gouvernement et pour établir des régimes fantoches soutenus par les Etats-Unis.

Et pourtant Bush a pu déclarer vendredi dans un communiqué de presse, « Les jours des Etats satellites et des sphères d’influence sont révolus. » L’homme qui en 2002 a qualifié trois Etats souverains d’« axe du mal », qui en a finalement envahi un et qui est engagé dans une guerre économique contre les deux autres, a poursuivi en disant : « La tyrannie et l’intimidation ne sont pas des moyens acceptables pour mener une politique étrangère au 21ème siècle. »

Le sénateur John McCain, le défenseur de loin le plus bruyant de la politique de confrontation appliquée contre la Russie, a dit une chose tout aussi hallucinante aux journalistes lors d’une apparition faite durant la campagne présidentielle au Michigan : « Au 21ème siècle, les nations n’envahissent pas les autres nations. » Le candidat républicain à la présidentielle reste le plus fervent défenseur de l’escalade militaire américaine en Irak, tandis que son adversaire, le démocrate Barack Obama, joue le même rôle par rapport à l’Afghanistan.

L’unité bipartisane entre Bush, McCain et Obama au sujet du conflit russo-géorgien montre à nouveau que la grande majorité du peuple américain, qui est opposé à la guerre en Irak et qui n’a aucun intérêt à provoquer une guerre contre la Russie, est privé politiquement de droits lors de l’élection présidentielle. Il n’y a pratiquement pas eu de débat public sur les implications de l’accord américano-polonais qui pourraient entraîner le peuple américain dans un conflit armé aux conséquences incommensurables.

La crise en Géorgie a produit une onde de choc dans les relations internationales. Ses ramifications s’étendent non seulement à Europe de l’Est comme le prouve l’action polonaise, mais à la région plus lointaine du Caucase, du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Au Caucase, l’impact initial fut la fermeture de segments d’oléoducs qui acheminent le pétrole de la mer Caspienne, d’Azerbaijan vers le port turc de Ceyhan, en passant par la Géorgie. L’oléoduc BTC (Bakou, Tbilissi, Ceyhan) fut construit avec le soutien américain afin de fournir à l’approvisionnement pétrolier un débouché sur le marché mondial indépendamment de la Russie et de l’Iran que Washington regarde comme ses deux principaux rivaux dans la région.

La Turquie, tout comme Israël, a été entraîné dans la crise. Le président Bush a déclaré que la marine américaine prendrait position au large de la côte géorgienne pour apporter de « l’aide humanitaire » et pour tester la disposition de la Russie à permettre la libre circulation en mer. Mais la Turquie doit donner son consentement au passage des navires de guerre dans les détroits qui relient la Mer Méditerranée à la Mer Noire. Des responsables du département d’Etat ont indiqué que le déploiement naval devrait éventuellement être abandonné en raison de l’opposition de la Turquie.

Israël également est profondément impliqué dans le conflit. Comme l’a remarqué le site israélien Ynet, « Le combat qui a eu lieu au cours du week-end entre la Russie et la Géorgie a projeté sur le devant de la scène l’engagement profond d’Israël dans la région. Cette engagement comprend la vente d’armement sophistiqué à la Géorgie et l’entraînement des forces de l’infanterie géorgienne. »

Quant au régime russe, Poutine et Medvedev poursuivent une politique nationaliste réactionnaire qui fait appel aux sentiments les plus rétrogrades dans la société russe. Son arrogance et sa politique d’intimidation repoussent la classe ouvrière en Géorgie, en Ukraine, en Pologne et dans Etats baltes tout comme la classe ouvrière internationale en général.

Le régime de Poutine est l’instrument de la nouvelle bourgeoisie semi criminelle qui a émergé après le démantèlement de l’Union soviétique et qui est issue en grande partie des rangs de l’ancienne bureaucratie stalinienne dont elle possède tous les vices. Le premier de ces vices étant le chauvinisme national qui était devenu la marque de fabrique du stalinisme.

En dernière analyse, le conflit entre les Etats-Unis et la Russie est le résultat inévitable de la crise mondiale du système capitaliste, qui prend non seulement la forme du marasme économique et des convulsions financières mais encore celle des conflits entre les grandes puissances qui débouchent inexorablement dans une guerre impérialiste.

La seule force sociale qui puisse empêcher que l’impérialisme n’entraîne l’humanité dans un holocauste militaire est la classe ouvrière internationale. Elle doit être unifiée et mobilisée sur la base du programme de la révolution socialiste mondiale pour mettre fin au capitalisme et au système réactionnaire des Etats-nations qui est à l’origine du militarisme et de la guerre.

(Article original anglais paru le 16 août 2008)


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