Cette semaine, la coalition pakistanaise au pouvoir, en
pleine crise politique, a enclenché un processus formel de destitution contre
le président Pervez Moucharraf, l’ancien homme fort militaire du pays.
Moucharraf est profondément détesté par de larges couches
de la population pour ses neuf ans de dictature et de soutien à la frauduleuse
« guerre au terrorisme » des Etats-Unis. Il s’est emparé du pouvoir
lors d’un coup d’Etat militaire en 1999, évinçant le premier
ministre Nawaz Sharif qui fut jugé et condamné sous de fausses accusations et
ensuite exilé. Sous d’intenses pressions de Washington, Moucharraf retira
l’appui du Pakistan au régime taliban en Afghanistan en 2001 et appuya
l’occupation de ce pays, menée par les Etats-Unis.
À la suite du simulacre d’élection qui lui donna un
second mandat présidentiel, Moucharraf imposa des mesures spéciales
draconiennes en novembre dernier et évinça d’importants juges qui
menaçaient de déclarer ses actions inconstitutionnelles. Cependant, il ne
réussit pas à réprimer l’opposition et fut finalement forcé de tenir en
février des élections nationales lors desquelles son parti, la Ligue musulmane
du Pakistan-Q (PML-Q), subit une humiliante défaite. Une coalition dirigée par
le Parti du peuple pakistanais (PPP) et comprenant la Ligue musulmane du
Pakistan (PML) de Sharif prit le pouvoir.
Le gouvernement tente de présenter la destitution de Moucharraf
comme un pas de plus dans la « transition vers la démocratie ».
Toutefois, ce geste est un effort désespéré visant à contenir les divisions à
l’intérieur de la fragile coalition dirigeante ainsi que les sentiments
anti-gouvernementaux suscités par la détérioration des conditions de vie, les
crises économiques et l’appui incessant du gouvernement pour
l’occupation américaine de l’Afghanistan.
Le chef du PPP, Asif Ali Zardari, avait annoncé le 7 août
les plans de destitution de Moucharraf, déclarant lors d’une conférence
de presse que cela constituait « de bonnes nouvelles pour la
démocratie » au Pakistan. Il a accusé le régime Moucharraf d’avoir
mené le pays dans une « grave impasse économique » et d’avoir
« affaibli la fédération ». De grandes parties des régions tribales près
de la frontière afghane sont sous le contrôle de milices armées qui soutiennent
ou qui sont directement impliquées dans l’insurrection anti-américaine en
Afghanistan.
Assis aux côtés de Zardari, le leader du PML, Sharif, a
déclaré que « la direction de la coalition allait présenter un acte
d’accusation contre le général Moucharraf ». Le gouvernement a
indiqué que les accusations portées contre Moucharraf incluraient :
violation de la constitution, fraude, corruption et meurtre. La ministre de
l’Information Sherry Rehman a déclaré dimanche dernier que l’acte
d’accusation serait « volumineux ».
La sortie contre Moucharraf n’est survenue
qu’après quelques mois de frictions entre les deux principaux partis de
la coalition. Le PPP avait initialement accepté de destituer Moucharraf et de
réintégrer les juges évincés par ce dernier lorsque le gouvernement de
coalition fut formé. Mais sous les pressions de Washington l’incitant à
collaborer avec Moucharraf, Zardari ne fit rien pour réaliser ces promesses. Dans
le cadre d’une entente négociée par les Etats-Unis avec l’ancienne
dirigeante du PPP, maintenant décédée, Benazir Bhutto, Moucharraf renversa les
accusations de corruption portées contre Zardari.
En mai, Sharif retira du cabinet des membres du PML en
guise de protestation contre le recul de Zardari et laissa entendre qu’il
allait mettre un terme à l’alliance. Sharif, dont le mentor politique
était l’ancien dictateur militaire Zia ul Haq et qui n’a pas hésité
à employer des méthodes autocratiques au pouvoir, n’a rien d’un
démocrate. Il a insisté sur la destitution de Moucharraf et la réintégration
des juges afin d’exploiter le mécontentement croissant face au président
mais aussi au PPP.
Le gouvernement dirigé par le PPP fait face à une multitude
de problèmes et ses tentatives d’en arriver à une entente avec Moucharraf
ont menacé de provoquer une vive réaction populaire. Un récent sondage mené par
l’International Republican Institute a découvert que 85 pour cent des
répondants, une proportion sans précédent, souhaitaient voir Moucharraf
démissionner. L’appui pour le PPP, le parti le plus populaire dans un
sondage en février, diminue.
L’Assemblée nationale s’est réunie lundi pour
entamer le processus de destitution mais un acte d’accusation n’a
toujours pas été présenté. Trois des quatre provinces du pays, soit le Pendjab,
la province du Nord-Ouest et le Sind, ont voté à très forte majorité des
motions non contraignantes exigeant la démission de Moucharraf. On croit que le
Baloutchistan, la dernière province, ferait de même sous peu. Zardari soutient
que le gouvernement a l’appui de 350 membres sur les 442 de
l’Assemblée nationale et du Sénat, ce qui fournirait les deux tiers
nécessaires à une motion de destitution.
Cependant, en retardant l’acte d’accusation
officiel, le gouvernement semble vouloir trouver une formule par laquelle Moucharraf
démissionnerait mais sans destitution. Une telle manoeuvre aurait pour but
d’éviter la confrontation avec l’armée et les Etats-Unis.
L’ancien général pakistanais Talat Masood a déclaré lundi au journal
Independent : « Les négociations sont menées pour qu’une
porte de sortie lui [Moucharraf] soit accordée... Je crois que les Américains
et l’armée exigent que sa protection soit assurée. Une destitution serait
une importante diversion de la guerre contre le terrorisme. »
Sous les pressions des Etats-Unis, l’armée
pakistanaise procède actuellement à des attaques militaires contre les
militants islamiques dans les Régions tribales d’administration fédérale
(FATA) le long de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.
Washington a proféré des menaces à peine voilées quant à la possibilité de
lancer des opérations unilatérales à l’intérieur du territoire
pakistanais si l’armée n’empêchait pas les guérillas de pénétrer en
Afghanistan.
Jusqu’ici, Moucharraf a maintenu qu’il
n’allait pas démissionner. Il a le pouvoir, grâce la constitution
antidémocratique rédigée sous son règne, de dissoudre tout simplement le
parlement. Toutefois, sa position devient de plus en plus intenable alors que
des alliés clé semblent le déserter. Lundi, environ 30 députés du PMLQ ont voté
à l’assemblé du Pendjab pour la résolution contre Moucharraf. Mardi, le
dirigeant d’un groupe anciennement du PPP et ancien proche allié de Moucharraf,
Aftab Sherpao, a appuyé la motion contre le président.
Un porte-parole du département d’Etat américain
Gonzalo Gallegos a déclaré la semaine dernière : « Nous avons
continuellement affirmé que les politiques internes du Pakistan sont des
questions qui doivent être réglées par le peuple pakistanais. » Mais il y
a d’évidentes inquiétudes à Washington quant au retrait d’un proche
allié des Etats-Unis. Le journal Dawn a commenté lundi que les
Américains craignent « qu’une lutte de pouvoir entre les forces pro
et anti-Moucharraf puisse propulser la puissance nucléaire qu’est le
Pakistan dans une longue crise; empêcher son fragile gouvernement civil de
s’en prendre aux militants réfugiés dans les FATA; et même mettre en
péril les lignes d’approvisionnement vitales des Etats-Unis qui traversent
le Pakistan et se rendent en Afghanistan ».
En coulisses, des représentants américains sont impliqués
de près dans les affaires politiques internes du Pakistan. Lundi soir,
l’ambassadrice américaine à Islamabad, Ann W. Patterson, a rencontré Moucharraf.
Le journal Nation a rapporté que l’ancien Haut commissaire
britannique et actuel représentant du ministère des Affaires étrangères, Mark
Grant, a rencontré les chefs du PPP et du PMLN, tandis qu’une délégation
saoudienne était en route vers Islamabad pour des pourparlers. Nation
soutient que l’envoyé britannique tentait de persuader Moucharraf de
démissionner dans le cadre d’une entente visant à calmer la crise
politique.
L’économie pakistanaise est en piètre état et les
troubles sociaux s’accumulent. Le déficit commercial a augmenté de 52,9
pour cent dans l’année précédent juin pour atteindre 18 milliards US$,
comparativement à 11 milliards $ l’année précédente. La hausse
mondiale des prix du pétrole fut un important facteur. Le taux
d’inflation annuel grimpa à un record de 32,2 pour cent dans la semaine
se terminant le 25 juillet. La valeur de la devise pakistanaise n’est
plus que de 72 roupies pour 1 dollar américain. La bourse de Karachi a perdu 35
pour cent de sa valeur depuis avril, causant des manifestations dans les rues.
La dette du Pakistan à l’étranger s’élève à plus de 46
milliards $.
Pour les travailleurs ordinaires, la vie est de plus en
plus difficile. Les prix de l’essence, du transport et de la nourriture
ont grimpé abruptement. Les pannes de courant sont fréquentes. Le chômage
augmente. Bien que la destitution de Moucharraf puisse fournir une diversion
temporaire, ni le PPP ou le PML n’ont de solutions à apporter aux
problèmes économiques et sociaux insolubles du pays. Au même moment, le
gouvernement fait face à une large opposition à cause de son soutien à
l’occupation américaine de l’Afghanistan et des opérations
militaires pakistanaises dans les FATA. Tout cela crée les conditions pour une
nouvelle éruption politique.