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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’arrestation de Radovan Karadzic et la complicité de l’Occident dans la guerre civile bosniaque

Par Paul Mitchell
1er août 2008

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La capture du leader serbe Radovan Karadzic a provoqué un torrent de distorsions historiques rappelant la propagande employée pour justifier l’intervention des Etats-Unis et de l’OTAN en ex-Yougoslavie et masquer le rôle des puissances occidentales dans l’éclatement de la fédération.

Karadzic fut président de la République serbe de Bosnie (Republika Srpska, RS), chef du Parti démocratique serbe et commandant suprême de l’armée serbe de Bosnie. Il fut condamné en 1995 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) sur 13 chefs de génocide et autres crimes de guerre qui auraient été commis durant la guerre de Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995. Il a aussi été condamné pour sa responsabilité pour le bombardement, durant 44 mois, de la capitale Sarajevo et le massacre de 8000 musulmans bosniaques à Srebrenica.  

Karadzic a disparu après la signature des accords de paix de Dayton en novembre 1995 qui mirent fin à la guerre en Bosnie et partitionnèrent la République de l’ex-Yougoslavie en deux entités ethniques distinctes : la République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-Herzégovine (l’accord croato-musulman).

Il a été arrêté lundi le 21 juillet dans la capitale serbe de Belgrade où il se faisait passer pour Dragan Dabic, un spécialiste en médecine alternative. Les circonstances entourant sa capture demeurent floues. Son avocat affirme qu’il fut arrêté le vendredi précédent dans un autobus près de la capitale et tenu au secret durant le week-end.

Les rapports indiquent que les services de renseignement occidentaux auraient joué un rôle et que la capture de l’ancien chef de police serbe en Bosnie, Stojan Zupljanin, en juin avait révélé de nouvelles informations. D’autres suggèrent que ses allées et venues étaient connues depuis un certain temps mais que l’on a procédé à son arrestation seulement après le congédiement du chef de l’Agence de l’Information de la Sécurité, Rade Bulatovic, par la nouvelle coalition pro-occidentale dirigée par le président Boris Tadic du Parti démocrate. Le ministre de l’Intérieur, Ivica Dacic, qui est aussi dirigeant du Parti socialiste de l’ancien président Slobodan Milosevic, a nié que des responsables de son ministère avaient pris part à son arrestation.

L’arrestation de tous ceux condamnés par le TPIY, y compris Karadzic et le commandant serbe de Bosnie Ratko Mladic, est un pré-requis à l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne, ce qui fut la principale plateforme sur laquelle le nouveau gouvernement a fait campagne.

Après que le TPIY n’a pas été en mesure de fournir de véritables preuves quant à la responsabilité directe de l’ancien président serbe Slobodan Milosevic pour les crimes terribles perpétrés durant les guerres civiles en Yougoslavie dans les années 1990, tous les yeux se sont tournés vers Karadzic.

 « C’est un jour très important pour les victimes qui ont attendu cette arrestation depuis plus de dix ans », a affirmé le procureur Serge Brammertz. « C’est aussi un jour important pour la justice internationale, car c’est la démonstration claire que personne n’est au-dessus de la loi et que tôt ou tard tous les fugitifs seront traduits en justice. »

Secrétaire d’Etat et conseiller spécial aux Affaires yougoslaves dans l’administration du président George H.W. Bush entre 1989 et 1992, Lawrence Eagleburger a déclaré : « Je crois qu’il est l’un des derniers d’une bande de scélérats à être encore en liberté. Il n’est pas le seul mais il est probablement, avec l’arrestation et par la suite la mort de Milosevic, l’homme qui mérite le plus d’être capturé et puni. »

L’ancien ambassadeur Richard Holbrooke, qui a supervisé les accords de Dayton, a attaqué Karadzic comme quelqu’un « dont la défense enthousiaste du nettoyage ethnique mérite une place spéciale dans l’histoire ».

Ancienne secrétaire d’Etat sous le président Bill Clinton, Madeleine Albright a commenté au sujet de l’arrestation de Karadzic : « Je crois qu’il s’agit d’un grand événement, un tournant décisif. Cela aurait dû arriver beaucoup plus tôt, mais le fait que cela soit maintenant réalité est très important pour le peuple de la Bosnie et ceux qui ont souffert des politiques de Karadzic. »

Il n’y a aucun doute que Karadzic a joué un rôle majeur dans les développements politiques qui ont fait éclater la guerre civile en Bosnie, mais le fait que les médias et les politiciens occidentaux le présentent comme le tout-puissant « Boucher de le Bosnie », qui a dirigé la destruction du délicat équilibre ethnique, est absurde.

Ce qui est complètement absent de cette version de l’histoire récente de la Yougoslavie est le rôle décisif joué par les principales puissances impérialistes, particulièrement les Etats-Unis et l’Allemagne, qui ont délibérément orchestré le démembrement du pays avec une indifférence complète face aux conséquences tragiques inévitables de leur intervention. Il n’y a pas non plus de mention des politiciens nationalistes et communautaristes qu’ils ont cultivés, comme le président croate Franjo Tudjman ou le leader bosniaque musulman Alija Izetbegovic, qui étaient coupables autant que Karadzic.

La Yougoslavie, telle qu’elle est sortie de la Deuxième guerre mondiale, était le produit d’un mouvement populaire contre l’occupation nazie et les forces royalistes serbes tchetnik, mené par Josip Broz (Tito) et le parti communiste yougoslave. Tito a établi une fédération avec un équilibre délicat entre des groupes et des régions ethniques disparates. Dans les circonstances historiques spécifiques de  la Guerre froide, Tito fut en mesure, pendant un certain nombre d’années, de manœuvrer entre les Etats-Unis et l’Union soviétique tout en maintenant une fédération unifiée basée sur des garanties constitutionnelles aux différents éléments ethniques – serbes, croates, musulmans bosniaques, kosovars albanais, etc.

Karadzic est né au Monténégro en juin 1945, mais il a grandi sans voir son père qui avait été enfermé par le régime Tito pour avoir combattu avec les Tchetnik. En 1960, Karadzic a étudié à l’Université de médecine de Sarajevo et a fréquenté l’Université Columbia de New York de 1974 à 1975 afin de réaliser des travaux avancés de psychiatrie. En 1985, il fut emprisonné avec son proche ami, Momcile Krajisnik (qui sera plus tard orateur à l’Assemblée serbe), pour avoir détourné des fonds de l’État dans le but de construire des maisons pour eux.

Karadzic est tombé de plus en plus sous l’influence de l’écrivain serbe Dobica Cosic, un propagandiste pour le régime de Tito qui est devenu le chef du renouveau du mouvement national serbe et qui fut glorifié comme étant le « Père de la nation serbe ». Karadzic est devenu le protégé politique de Dobric, mais il aurait probablement joué un rôle mineur en politique n’eut été l’éclatement de la fédération yougoslave.

Les origines de son démembrement, à la fin des années 1980 et au début des années 1990 sont directement liées à l’impact des politiques dictées par les puissances occidentales et imposées par les programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le but de l’Ouest était de démanteler l’économie dirigée par l’État et de ramener la domination économique du capital international sur la Yougoslavie.

La pression de l’Ouest a contribué à la montée en flèche de l’inflation et à d’énormes pertes d’emplois, qui ont provoqué des grèves et d’autres protestations de masse par la classe ouvrière yougoslave. Tentant de détourner la lutte des classes, les bureaucrates ex-staliniens ont fait la promotion des sentiments nationalistes tout en rivalisant pour obtenir l’appui des gouvernements occidentaux.

Avant la tenue d’élections multipartites en Bosnie en novembre 1990, trois partis à base ethnique avaient été formés. Aux côtés du Parti démocrate serbe (DS) mis sur pied par Karadzic, Krajisnik et Biljana Plavsic, qui devint le vice-président de la République serbe de Bosnie, se trouvait le Parti musulman de l’Action démocratique (SDA) d’Izetbegovic et la Communauté croate démocrate (HDZ). Le SDA remporta la majorité des sièges à l’Assemblée, suivi par le DS et le HDZ. Les sièges qui restaient étaient divisés entre d’autres partis, incluant l’ancien parti communiste.

Les tensions ethniques qui s’étaient développés allaient exploser avec l’effondrement de l’URSS et la réunification de l’Allemagne en 1991. La position géopolitique de la Yougoslavie en tant que rempart contre une poussée soviétique dans la Méditerranée avait changé. Un impérialisme allemand résurgent a vu ses intérêts dans les Balkans – qui font historiquement partie de la sphère d’influence de l’Allemagne – mieux servis par la promotion de la sécession de la Slovénie, la région yougoslave la plus prospère et ensuite, la Croatie.

C’était inévitable, en tenant compte de l’histoire et de la politique de la Yougoslavie, qu’un démembrement petit à petit de la fédération mènerait à une guerre civile. La sécession des provinces priva soudainement les minorités ethniques des protections constitutionnelles dont elles avaient pu bénéfiicer sous la fédération. La création de nouveaux Etats-nations basés sur le nationalisme ethnique mena au « nettoyage ethnique. »

Le gouvernement américain, après s'être d'abord opposé à la dissolution de la Yougoslavie, a changé sa stratégie afin de promouvoir son hégémonie sur les anciens pays du bloc de l'Est maintenant ouverts à l'exploitation capitaliste. Il est devenu le principal commanditaire de l'indépendance, d'abord de la Bosnie puis du Kosovo, et a ciblé la Serbie, qui défendait un état unitaire dont elle était la partie la plus puissante. Les  Etats-Unis se sont opposés au nettoyage ethnique seulement lorsqu'il était pratiqué par les Serbes, tout en soutenant la Croatie, la Bosnie et les Albanais du Kosovo quand ils poursuivaient des objectifs identiques par les mêmes méthodes sanglantes.

En avril de cette année, l'ancien chef de l'Armée de libération du Kosovo et ex-premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj, a été acquitté des accusations de crimes de guerre commis contre des Serbes au Kosovo en 1998. Les procureurs du TPIY, qui veulent un nouveau procès, ont affirmé que deux témoins cruciaux ne sont pas venus à la Haye pour témoigner contre l'accusé parce qu'ils craignaient pour leur sécurité, et la cour a elle-même dit que le procès s'était déroulé « dans une atmosphère où les témoins ne se sentaient pas en sécurité ».

Le mois dernier, l'envoyé spécial américain en Croatie de 1993 à 1995, Peter Galbraith, a nié que l'offensive de 1995 connue sous le nom d’opération Tempête, qui a chassé 200 000 Serbes de la région croate de Krajina, était du « nettoyage ethnique ». Galbraith comparaissait devant le TPIY dans le procès de généraux croates, y compris Ante Gotovina, accusés de crimes de guerre contre des Serbes commis par des troupes sous leur commandement pendant l'opération militaire. Galbraith a indiqué que le gouvernement américain avait pris une « attitude compréhensive » envers l'opération Tempête, mais a insisté qu’il n'aurait pas demandé à Washington « de donner le feu vert » s'il pensait que Tudjman avait l'intention de chasser les Serbes. Plus tôt dans son témoignage, Galbraith a admis que Tudjman et ses associés ont voulu « un pays ethniquement propre ».

En raison de la guerre de juin 1991 qui a éclaté en Slovénie et en Croatie après que les deux républiques aient déclaré leur indépendance, le chaos a englouti la Bosnie. Le SDA a mené une agitation fébrile pour l'indépendance de la Bosnie tandis que le Parti démocrate voulait que la Bosnie reste au sein de la Yougoslavie.  En l’espace de quelques mois, Izetbegovic tenait un référendum sur l'indépendance, qui a été approuvé par deux-tiers de la population mais boycotté par les Serbes. De leur côté, les Serbes avaient formé leur propre Assemblée serbe bosniaque, qui proclama « la république serbe de la Bosnie » et créa une armée commandée par Ratko Mladic. La guerre civile était devenue quasiment inévitable.

Srebrenica fut la scène du massacre d'environ 8000 hommes et garçons bosniaques en juillet 1995 par des unités de l'Armée de la république serbe sous le commandement de Mladic – officiellement le plus grand assassinat de masse en Europe depuis la deuxième guerre mondiale.

Srebrenica avait été désignée « secteur sûr » par les Nations Unies et était alors protégée par 200 soldats hollandais. Elle est devenue une base pour l'Armée musulmane bosniaque (ABiH) d’où elle lançait des attaques contre les forces serbes. Quand les forces de Mladic sont entrées dans la ville le 11 juillet, elles ont massacré une colonne comportant principalement des hommes essayant de fuir Tuzla sans faire de distinction entre les soldats de l'ABiH et les civils.

Les procureurs du TPIY devront maintenant prouver la responsabilité de Karadzic en tant que commandant pour les crimes commis pendant la guerre civile. L'année dernière, la Cour internationale de Justice a jugé que des forces de la république serbe avaient commis un génocide, mais seulement dans le cas de Srebrenica, et non ailleurs dans la guerre bosniaque. Jusqu'ici, le tribunal a seulement prouvé le génocide contre deux Serbes bosniaques pour participation directe au massacre de Srebrenica. Il a été incapable de prouver l'accusation de génocide contre Krajisnik, coaccusé avec Karadzic.


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