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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Retombées politiques du déploiement de troupes en Afghanistan

Par Alex Lantier
11 avril 2008

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La décision du président Nicolas Sarkozy d’envoyer plus de troupes pour renforcer l’occupation de l’Afghanistan menée par les Etats-Unis est devenu le sujet de vifs débats dans les milieux politiques français. Le principal sujet de dispute n’est pas le soutien de l’occupation qui fait l’unanimité au sein de la classe dirigeante française, mais plutôt le fait que la bourgeoisie française redoute que suivant de près la défaite du gouvernement lors des élections municipales de mars, son mépris évident pour les processus démocratiques en scellant une alliance plus étroite avec le militarisme anglo-américain en crise risque de déstabiliser davantage encore la politique intérieure française.

Sarkozy avait d´abord annoncé le déploiement vers l’est de l’Afghanistan d’un bataillon supplémentaire, comprenant selon divers articles de presse entre 700 et 1000 hommes, lors d’un discours tenu le 26 mars devant le parlement britannique durant sa visite officielle au Royaume-Uni. L’annonce initiale avait été confirmée le 3 avril lors de son allocution au sommet de l’OTAN à Bucarest et dans laquelle il avait ajouté que la France rejoindrait en 2009 le commandement militaire intégré de l’Alliance (qu’elle avait quitté en 1966 à l’initiative du président d’alors, Charles de Gaulle).

Le déploiement vers l’Afghanistan qui positionnerait les nouvelles troupes près des forces françaises déjà en place dans la capitale afghane, libérerait les Marines américains pour aller renforcer les troupes canadiennes dans les provinces du sud, à Kandahar et à Helmand, où les combats sont les plus violents. La France comptabilise actuellement 1600 troupes, 280 militaires chargés de la formation des officiers afghans et six Mirage en Afghanistan. Elle dispose aussi de trois navires qui participent aux opérations maritimes de la flotte menée par les Etats-Unis dans l’Océan indien, au sud de l’Afghanistan.

Sarkozy envoie les troupes en Afghanistan avec un manque total de considération pour ce que désire la population française. Selon un sondage BVA réalisé pour Sud-Ouest, 68 pour cent de la population désapprouvent le déploiement de troupes et seulement 15 pour cent l’approuvent. Toujours selon ce sondage, 65 pour cent sont opposés à l’occupation conduite par les Etats-Unis.

Le gouvernement, affaibli dernièrement par sa défaite aux élections municipales du 16 mars, a décidé d´effectuer le déploiement de troupes sans vote du parlement. La tâche de défendre cette décision inconstitutionnelle et antidémocratique incombait au premier ministre, François Fillon qui, dans un discours prononcé le 1er avril à l’Assemblée nationale, revendiqua un pouvoir exécutif illimité.

Fillon a dit : « Tout au long de la Ve République… le parlement a été régulièrement informé des opérations militaires. Mais il est exact qu’il ne partage pas, sauf exception, la responsabilité de l’engagement de nos forces. Une raison l’explique.  La Constitution de la Ve République ne le prescrit pas. Son article 35 (« la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ») est aujourd’hui tombé en désuétude. Les formes modernes de la guerre nous ont éloignés de cet article. L’engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif et notamment du président de la République, chef des armées. »

Fillon a remarqué que cette violation de la Constitution reposait sur des précédents créés par le Parti socialiste (PS), le principal parti d’opposition à l’Union pour un mouvement populaire (UMP) de droite de Sarkozy. Il a notamment cité la décision de 2001, prise par le premier ministre PS de l’époque, Lionel Jospin, en collaboration avec les partis de droite menés par le président de l’époque, Jacques Chirac, pour participer au déploiement américain initial en Afghanistan sans vote parlementaire.

Le PS a réagi en préparant une motion de censure contre le gouvernement et devant être déposée à l’Assemblée nationale, une démarche propre à faire croire à un simulacre de débats authentiques de la politique gouvernementale et à canaliser la classe ouvrière derrière le PS.

Le contenu de la motion divisa immédiatement le PS son secrétaire général, François Hollande, proposant initialement une critique générale de la politique sociale et étrangère du gouvernement. Finalement, l’ancien premier ministre, Laurent Fabius, l’emporta avec une proposition centrée uniquement sur une critique du rapprochement de Sarkozy avec Washington et ses projets d’envoi de troupes en Afghanistan. Selon le quotidien conservateur Le Figaro, un député socialiste a cité Fabius comme disant : « Cela permettrait d’enfoncer un coin dans la majorité en allant "chatouiller" les gaullistes historiques et les souverainistes hostiles à l’OTAN. »

Le PS prit soin de souligner son soutien permanent de l’occupation de l’Afghanistan. Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, a dit : « Qu’on ne nous fasse pas de faux procès. Il ne s’agit pas pour nous d’abandonner l’Afghanistan. » Divers ténors du PS, y compris l’ancien premier ministre, Lionel Jospin, ont ajouté qu’ils n’étaient opposés qu’à l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan.

Le PS a déposé le 3 avril la motion de censure à l’Assemblée nationale, en faisant référence à la déviation par Sarkozy de la politique étrangère française traditionnelle et de son manque de consultation de l’Assemblée nationale avant l’annonce du déploiement de troupes en Afghanistan. La motion de censure sera débattue et soumise au vote le 8 avril. A la demande de Bernard Accoyer, le président UMP de l’Assemblée nationale, le débat sera retransmis à la télévision en intégralité.

La tentative du PS de faire appel aux éléments mécontents de l’UMP et de simuler une opposition à la politique de Sarkozy arrive à un moment où la popularité du gouvernement est à nouveau en baisse après sa défaite lors des élections municipales. Selon un sondage CSA réalisé pour le Nouvel Observateur, Sarkozy enregistre une nouvelle baisse à 30 pour cent, 60 pour cent des personnes interrogées ne faisant pas confiance à sa politique. Il est significatif  que 72 pour cent ont pensé que le PS ne ferait pas mieux, sinon pire que Sarkozy, s’ils étaient au pouvoir.

La classe dirigeante française redoute que le fait de continuer à imposer les coupes sociales impopulaires de Sarkozy risque de provoquer une explosion de ressentiment au sein de la classe ouvrière dont les conséquences sont imprévisibles. La capacité restreinte de Sarkozy d’en appeler à l’électorat populaire sur la base de promesses pour redémarrer l’économie au moyen d’une dérégulation suivant le modèle américain s’est évaporée en raison d’une inflation croissante, d’un pouvoir d’achat en baisse et d’un ralentissement de l’économie lié à la crise financière américaine.

Le quotidien Le Monde titrait le 28 mars à la une : « Impasse sociale » en remarquant qu’avec une stagnation de l’emploi et des perspectives de croissance en baisse pour l’économie française, il était difficile de financer certaines mesures limitées, telles des aides au logement, au revenu, etc., que le gouvernement avait espéré proposer dans le but d’inciter la classe ouvrière à accepter son programme anti-social.

Quoique les démarches du PS soient en grande partie destinées à détourner du gouvernement le mécontentement populaire, elles exposent également les divisions significatives qui existent au sein de l’élite dirigeante française quant à la manière de venir à bout de la situation économique et militaire mondiale de plus en plus instable.

La décision de Sarkozy de rejoindre le commandement intégré de l’OTAN après 40 ans fait partie d’une stratégie globale d’aligner davantage la France sur Washington et Londres, ce qui constitue un véritable défi politique auquel la bourgeoisie doit faire face. Par ailleurs, la France est de moins en moins en mesure de faire face à la concurrence de l’Allemagne au sein de l’Union Européenne, devant la suprématie industrielle de l’Allemagne dans les pays à bas salaires d’Europe de l’Est, ses liens plus étroits avec la Russie, le principal fournisseur de l’Europe en pétrole et en gaz naturel, et ses efforts en grande partie réussis pour empêcher que les salaires de la classe ouvrière allemande n’augmentent.

La bourgeoisie française a proposé la création de l’Union méditerranéenne qui l’aiderait à concrétiser son accès à la main-d'œuvre bon marché d’Afrique du Nord. Elle poursuit également de façon agressive le droit d’établir des bases militaires et la conclusion de contrats pétroliers et gaziers au Proche-Orient, notamment aux Emirats arabes unis. Une telle politique est cependant basée sur de bonnes relations avec les Etats-Unis qui est la puissance militaire la plus influente dans la région. Le gouvernement actuel est en outre parfaitement conscient de ce que la crise de l’impérialisme américain au Proche-Orient pourrait entraîner des luttes de grande envergure contre l’impérialisme qui seraient extrêmement préjudiciables à ses propres intérêts.

Comme l’a affirmé le premier ministre Fillon en juillet 2007 lors de son discours d’investiture à l’Assemblée nationale, « Pendant des siècles, la France, avec quelques rares autres nations, a "dominé" politiquement et économiquement le monde. Cette puissance sans égale a permis de bâtir une civilisation riche et prospère. Désormais, le monde se réveille et prend sa revanche sur l’histoire. Des continents entiers sont en quête de progrès… Cette nouvelle donne historique, à la fois angoissante et passionnante, exigeait et exige plus que jamais de la France un sursaut qui n’a que trop tardé. »

Dans le même ordre d’idées, Le Figaro affirmait dans un éditorial de septembre 2007 qui faisait mention du changement d’atmosphère politique dans les pays du Proche-Orient, que le rapport de forces dans l’industrie pétrolière « promet d’[être] de moins en moins favorable » aux « démocraties comme la France ». La solution de Sarkozy face à ces difficultés grandissantes a consisté à soutenir Washington en s’y rendant plusieurs fois en visite officielle et en recourant à l’actuel déploiement de troupes. Toutefois, il n’y a guère d’illusions au sein des milieux dirigeants français que ce millier d’hommes supplémentaires puissent vraiment aider à rétablir la position américaine en Afghanistan. Le général américain Dan McNeill, par exemple, a remarqué à maintes reprises que la doctrine de contre-insurrection américaine standard requérait 400 000 soldats pour pacifier l’Afghanistan, 300 000 hommes de plus que présentement.

La critique de la politique étrangère de Sarkozy reflète une nervosité grandissante et ce en dépit du fait qu’il n’existe pas d’alternative évidente. Sarkozy est en train d’atteler la France à un pays dont la politique étrangère a été un échec désastreux ces derniers temps. Ainsi, Jean-Marc Ayrault (PS), en présentant la motion de censure, a critiqué les risques d’« enlisement dans un conflit sans but et sans fin » que présentait un déploiement de troupes pour satisfaire « l’obsession atlantiste » de Sarkozy.

L’éditorial du journal conservateur Le Figaro consacré au voyage de Bush au sommet de l’OTAN à Bucarest avait été tout aussi caustique : « Si le président américain veut bien dresser un bilan sincère de son action, il constatera qu’il laisse une Alliance atlantique affaiblie, militairement en difficulté en Afghanistan, politiquement divisée face à une Russie plus agressive, et toujours aussi hésitante sur ses missions… C’est un triste résultat pour une présidence placée d’emblée sous le signe de l’usage de la force au service d’une idéologie conquérante. »

(Article original paru le 5 avril 2008)


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