World Socialist Web Site www.wsws.org

WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Cinq ans après l’invasion de l’Irak : un fiasco pour l’impérialisme américain

Par le comité de rédaction
8 avril 2008

Retour | Ecrivez à l'auteur

Cinq ans après que Washington eut déclenché son opération « choc et stupeur », frappant Bagdad avec ses missiles de croisière et ses bombes de haute précision, il est maintenant parfaitement clair que la guerre d’agression contre l’Irak a créé le plus grand désastre géopolitique de l’histoire américaine.

Les coûts de la guerre, tant en dollars qu’en terme de la position mondiale de l’impérialisme américain, ont éclipsé les immenses dégâts causés par la longue intervention au Viêt-Nam voilà maintenant près de quatre décennies. Elle a déjà duré plus longtemps que la Guerre civile américaine, la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée. Même au Viêt-nam, après cinq ans d’importants déploiements de soldats, le retrait des forces américaines avait déjà commencé.

Une « guerre de choix » qui fut déclenchée pour démontrer la force écrasante et irrésistible du militarisme américain est devenue un fiasco opérationnel qui a mis à rude épreuve, jusqu’à l’extrême limite, les forces armées américaines et qui a érodé la position stratégique des Etats-Unis en tout point du globe.

Pour le peuple irakien, la guerre est une catastrophe. Pour le peuple américain aussi, cela n’a apporté que souffrances et tragédies. Cette guerre constitue sans aucun doute le plus grand crime de guerre du 21e siècle. Tant dans ses buts que dans son exécution, elle possède les principales caractéristiques des crimes semblables commis au siècle dernier.

Le Tribunal international de Nuremberg qui condamna les dirigeants du Troisième Reich résuma ainsi son verdict : « La guerre est essentiellement mauvaise. Ses conséquences ne se limitent pas qu’aux Etats belligérants, mais affectent le monde entier. Ainsi, déclencher une guerre d’agression n’est pas qu’un crime international, c’est le pire crime international, ne différant des autres crimes de guerre que parce qu’il contient en lui-même tout le mal de ces derniers. »

 « Tout le mal » provoqué par la décision de déclencher une guerre d’agression en Irak continue de grandir. Selon les évaluations les plus crédibles, cette guerre a causé la mort de plus d’un million d’Irakiens et, en raison de la violence et de la destruction, en a déplacé plus de 4 millions, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

Un sondage mené au compte de la British Broadcasting Corporation, ABC News aux Etats-Unis et des réseaux de télé allemands et japonais a découvert que près de la moitié des résidents de Bagdad affirment qu’au moins un membre de leur famille avait été tué depuis le début de l’occupation.

Le même sondage a révélé que plus de 70 pour cent des Irakiens voulaient voir les Américains quitter leur pays, un sentiment qui a été bien présent tout au long de l’occupation, mais qui a été constamment ignoré par l’establishment politique des Etats-Unis et les médias de masse.

La stratégie de diviser pour régner des occupants américains et la tentative de Washington d’établir un régime fantoche sur la base de politiques ethniques a créé les conditions pour l’éclatement d’une violente guerre sectaire qui a entraîné la mort d’innombrables personnes et a « ethniquement nettoyé » de grandes sections de Bagdad et d’autres régions où les chiites, les sunnites et les Kurdes vivaient précédemment ensemble.

La destruction des infrastructures sociales par les bombardements américains cinq ans plus tôt — ainsi que les sanctions punitives imposées durant les années précédentes — n’a été qu’exacerbée sous l’occupation militaire américaine. Les infrastructures de base sont toujours dévastées, la population manquant d’électricité, de carburant, d’eau potable, de services de nettoyage et de ramassage des déchets, créant ainsi des conditions horribles et une crise de santé publique. Le meurtre de plus de 600 médecins et de professionnels médicaux et le départ de milliers d’autres, en plus de besoins criants en médicaments et équipements, font que le système de santé irakien est dans un état catastrophique.

Les pertes parmi les troupes américaines atteignent maintenant plus de 4000 soldats. Au moins 60 000 autres ont été blessés et des milliers d’autres soldats et marines américains envoyés dans cette sale guerre coloniale reviennent au pays avec de sérieux problèmes psychologiques.

Quant au coût pour la société américaine, c’est maintenant évalué que l’occupation brûle quelque 12 milliards de dollars par mois et pourrait coûter jusqu’à un total de 3000 milliards de dollars. Un rapport du Comité économique bipartite du Congrès a établi que la guerre a coûté, jusqu’à maintenant, 16 900 $ à une famille américaine moyenne de quatre, un montant qui pourrait grimper jusqu’à 37 000 $ en 2017, selon les projections. Ces montants faramineux ont été détournés des besoins sociaux pressants aux Etats-Unis même, pendant que les dépenses massives ont contribué de manière significative à la crise financière qui se propage et qui menace de plonger l’économie dans une crise.

C’est une bonne illustration de l’esprit pervers du président américain — et de son indifférence criminelle face à la perte de vies humaines — que dans une vidéo-conférence tenue la semaine dernière avec du personnel militaire américain en Afghanistan, Bush s’est déclaré envieux de ceux qui combattent dans les guerres coloniales des Etats-Unis, les décrivant comme étant des « expériences fantastiques » et « d’une certaine manière romantiques ».

Les commentaires prononcés par le vice-président Dick Cheney lors d’une visite surprise à Bagdad étaient tout aussi trompeurs. Cheney a décrit les cinq ans de guerre comme « une tentative réussie » qui « en a valu la peine ».

La réalité est que cinq ans après l’invasion américaine qui devait, selon ses orchestrateurs, rapidement remplacer le gouvernement de Saddam Hussein par un régime fantoche des Etats-Unis qui serait stable, 160 000 soldats américains demeurent déployées dans le pays et — comme les mesures de sécurité extraordinaires entourant Cheney, même dans la Zone verte fortifiée, le montrent — aucune zone ne peut être décrite comme étant entièrement sûre.

L’envoi de renforts par le Pentagone un an plus tôt a créé les conditions dans lesquelles les commandants américains croient qu’ils peuvent réduire les forces de l’occupation au même niveau qu’au début de l’invasion. Cette escalade, dont Cheney a dit qu’elle était responsable d’une « volte-face remarquable », n’a pas arrêté le bain de sang quotidien. Même selon les chiffres du gouvernement américain, 26 civils irakiens en moyenne ont été tués chaque jour pendant le mois de février.

Dans une large mesure, la réduction de ce qui demeure un nombre horrible de morts n’est pas attribuable aux efforts de pacification américaine, mais au fait que la violence sectaire déclenchée par l’occupation a largement séparé les populations sunnites et chiites, laissant moins de gens à tuer. Pendant ce temps, le Pentagone finance et arme d’anciens insurgés sunnites, qui n’ont aucune loyauté envers Washington ni envers le gouvernement appuyé par les Etats-Unis, mais qui, pour le moment, voit les forces de sécurité et les milices dominées par les chiites comme étant la plus grande menace.

Quant aux perceptions des Irakiens des conditions dans leur propre pays, un sondage récent a indiqué que plus de la moitié croit que le fait d’avoir augmenté la présence des troupes à Bagdad et dans la province d’Anbar a empiré les choses.

Une guerre basée sur des mensonges

Comme c’est universellement reconnu, la guerre fut préparée en 2002 et au début de 2003 avec une campagne de mensonges et de fabrications délibérés sur les armes de destruction massive de l’Irak et les liens entre Bagdad et al-Qaïda, les deux s’avérant inexistants.

L’administration Bush, avec la complicité du Congrès démocrate, a tenté d’exploiter les peurs et la confusion politique après les attaques terroristes du 11 septembre pour mettre de l’avant des plans préparés longtemps à l’avance dans le but de prendre le contrôle d’un pays qui détient les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole au monde et le transformer en une plate-forme pour augmenter la puissance militaire américaine à travers la région.

Sans passer sous silence la désorientation populaire engendrée par une campagne de propagande impitoyable lancée par les deux partis politiques et soutenue par des médias serviles, il y avait une large opposition à la guerre, qui se reflétait dans les manifestations de masse tant aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde.

Les cinq ans depuis l’invasion n’ont pas seulement mis à nu les mensonges originaux, mais ont également complètement discrédité le gouvernement américain et la politique des Etats-Unis aux yeux de la population mondiale. La vieille tactique de draper la politique rapace des États-Unis dans le manteau de la démocratie – utilisée avec un certain succès durant les deux premières guerres mondiales et durant la guerre froide qui suivit – est maintenant rejetée avec mépris par les populations partout dans le monde, dégoûtées par les massacres et la répression en Irak et par les atrocités telles que les tortures sadiques pratiquées à Abou Ghraib.

Tout aussi important est le discrédit du système politique aux Etats-Unis mêmes. Rejetant la version officielle vendue sans relâche par les médias de masse et par les deux principaux partis, la population américaine, par une large majorité, en est venue à s’opposer à la guerre. Malgré cela, elle se poursuit sans répit et le président qui l’a lancée – détesté par des millions de personnes et ne recevant l’appui que de moins du tiers de la population – a toujours entre les mains des pouvoirs illimités qui lui permettent de poursuivre une politique militaire débridée. Rien ne peut démasquer plus complètement le caractère antidémocratique et pourri qui règne dans tout le système gouvernemental américain.

L’éruption globale du militarisme américain et la crise des Etats-Unis et du capitalisme mondial sont inextricablement liées. En dernière analyse, les guerres en Irak et en Afghanistan, et la menace d’une nouvelle guerre contre l’Iran, sont les produits des tentatives de l’élite dirigeante aux Etats-Unis de maintenir la position hégémonique du capitalisme américain par la force militaire alors qu’elle n’est plus en mesure de la faire en vertu de la puissance de son poids économique.  L’objectif de guerre le plus important pour Washington est d’établir un contrôle sur les ressources pétrolières du Moyen-Orient et d’Asie centrale, dans le but d’obtenir un avantage stratégique sur ses rivaux économiques en Europe et en Asie.

La guerre en Irak n’est pas une aberration. La guerre est le produit inévitable d’une situation mondiale dominée par les tensions croissantes entre une économie globalement intégrée et le système des Etats-nations capitalistes dans lequel le déclin de l’impérialisme américain a des conséquences des plus explosives. Malgré l’échec de l’aventure américaine en Irak, des pressions objectives poussent Washington vers de nouvelles confrontations avec des ennemis allant de la Chine à la Russie et au Venezuela.

La crise économique qui provoque ces politiques n’est pas conjoncturelle, mais bien structurelle. Il est maintenant largement admis dans les milieux financiers que la crise du crédit qui a résulté de l’éclatement de la bulle immobilière a amené les Etats-Unis au bord de la plus sévère crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930.

L’expression la plus significative de cette crise économique est la montée incessante des inégalités sociales. La politique de l’élite financière consistant à employer la force militaire pour s’emparer des marchés mondiaux est menée directement aux dépens des masses de travailleurs, qui payent  de leurs emplois, de leurs conditions de vie et de leurs droits démocratiques fondamentaux.

Les démocrates et la guerre

L’évolution de la campagne électorale de 2008 a déjà clairement démontré que le peuple américain se verra encore une fois refuser le droit de décider aux urnes de la poursuite par Washington de sa guerre criminelle contre le peuple irakien. Le Parti démocrate, répétant une pratique bien établie, se prépare de nouveau à confisquer le droit de représentation de la considérable majorité anti-guerre de l’électorat américain.

Dans les élections de mi-mandat de 2002, la direction du parti démocrate au Congrès a pris délibérément la décision de donner les votes nécessaires pour autoriser l’invasion de l’Irak, calculant que cette décision évacuerait la question de la guerre du débat officiel et que ça leur permettrait de lancer une campagne victorieuse basée sur des questions économiques. Le résultat fut une cuisante défaite qui donna les deux chambres du Congrès aux républicains.

En 2004, la direction du parti dirigea la nomination vers deux candidats (John Kerry et John Edwards) qui avaient voté pour la guerre en 2002 et qui avaient montré clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de retirer les troupes américaines. En fait, Kerry avait suggéré que, s’il était élu, il lancerait sa propre « escalade ».

En 2006, les démocrates ont repris le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat dans un vote qui signifiait clairement le rejet populaire de la guerre. Ayant pris le contrôle du Congrès, les démocrates ont agi en ne faisant rien d’autre que de fournir des fonds pour la poursuite de la guerre.

Aujourd’hui, les deux candidats encore en lice pour la candidature présidentielle du Parti démocrate mènent une campagne sur le thème de la sécurité nationale avec l’objectif de démontrer qu’ils feront un meilleur commandant en chef. Tant Hillary Clinton que Barack Obama proposent une plateforme qui perpétue l’occupation de l’Irak par l’armée américaine aux fins d’opérations de contre-terrorisme, de défense des installations et des intérêts américains et d’entraînement des forces irakiennes à la solde de l’impérialisme, ce qui signifie que des dizaines de milliers de soldats seront en Irak pour une période indéfinie. L’ancienne conseillère en politique étrangère d’Obama a expliqué dans une entrevue qu’elle donnait récemment à la BBC qu’il ne fallait pas prendre les promesses d’Obama sur le retrait des troupes hors d’Irak trop au sérieux, puisqu’elles seraient mises au rancart l’instant même où il entrera à la Maison-Blanche et qu’il prendra l’avis de l’état-major américain.

Il y a assurément de vives tensions au sein de l’élite dirigeante sur la façon de mener la guerre et sur la politique que les Etats-Unis devront adopter face à l’Irak. Toutefois, malgré leurs différends, toutes ces factions partent du point de vue commun de la défense des intérêts de l’impérialisme à l’échelle mondiale. Dans cette optique, il s’agit d’établir si les immenses ressources militaires américaines monopolisées par l’Irak n’empêchent pas l’utilisation de ces forces ailleurs. Plusieurs démocrates qui défendent le retrait des troupes américaines de l’Irak réclament leur envoi en Afghanistan.

Le caractère grotesque de l’opposition soi-disant libérale à la guerre en Irak a été démontré dans la section « Opinion » du New York Times de dimanche passé, où l’on a demandé à neuf « experts des affaires étrangères et de l’armée de réfléchir à leur attitude [envers la guerre] au printemps 2003 ». Ces neuf experts, sans exception, étaient des défenseurs de la guerre, la plupart étant des membres, soit de l’administration américaine, soit de comités d’experts de droite. Certains, comme Richard Perle et Paul Bremer, sont directement responsables des atrocités commises contre le peuple irakien.

En mars 2003, tous s’entendaient sur le fait que la guerre contre l’Irak était nécessaire. Les divergences ne seraient apparues que plus tard, après que les « erreurs du renseignement » furent connues ou après que cet acte nécessaire eut été mal mis en œuvre par l’administration Bush.

C’est un mensonge. Des millions de personnes savaient que la guerre était un acte criminel entrepris sur la base de mensonges.

Quant au World Socialist Web Site, il n’avait aucune illusion sur le véritable motif cette guerre ni sur le résultat auquel il mènerait.

Comme nous avons écrit dans La crise du capitalisme américain et la guerre contre l'Irak le 21 mars 2003, « Toutes les raisons données par l'administration Bush et ses complices à Londres sont basées sur des semi-vérités, des falsifications et des mensonges flagrants. Il devrait être à peine nécessaire à ce point-ci de répliquer encore une fois aux assertions voulant que le but de cette guerre soit de détruire les prétendues "armes de destruction massive" de l'Irak. Après des semaines d'inspections les plus intrusives auxquelles un pays n'ait jamais été soumis, rien de solide n'a été découvert. »

Et nous avons correctement prédit que « Quel que soit le résultat du stade initial du conflit qui a commencé, l'impérialisme américain a pris un rendez-vous avec le désastre. Il ne peut conquérir le monde. Il ne peut réimposer des chaînes coloniales aux masses du Moyen-Orient. Il ne trouvera pas dans la guerre une solution viable à ses maladies internes. Au contraire, les difficultés imprévues et la résistance montante engendrées par la guerre vont intensifier toutes les contradictions internes de la société américaine. »

Aujourd’hui, une véritable lutte contre la guerre ne peut être entreprise sur la base de manifestations ni d’appels au système actuel des deux partis, ni en tentant encore une fois de donner plus de pouvoir aux démocrates en élisant Clinton ou Obama à la Maison-Blanche et en donnant aux démocrates une plus grande majorité au Sénat. Ce qu’il faut, c’est rejeter l’impérialisme lui-même.

Mettre un terme aux guerres en Irak et en Afghanistan, stopper les plans déjà mûrs pour d’autres guerres encore plus sanglantes avec l’Iran et d’autres pays ne sera possible que par la lutte pour mobiliser la classe ouvrière contre le système capitaliste qui est à l’origine de la guerre.

Cela signifie de rompre de façon irréconciliable avec le Parti démocrate et de construire un nouveau mouvement politique de masse des travailleurs basé sur un programme socialiste et internationaliste.

Le Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site luttent pour que cette alternative soit au centre des luttes à venir dans la période menant aux élections de novembre, autour de la demande pour le retrait immédiat et sans conditions de toutes les troupes américaines hors de l’Irak et de l’Afghanistan et la traduction en justice de ceux qui ont conspiré pour lancer ces guerres d’agression afin qu’ils répondent de leurs crimes, tant au point de vue politique que légal.

Nous appelons nos lecteurs et nos supporters à tirer les leçons de cinq années de guerre en Irak et à se joindre à nous dans la lutte pour la mobilisation politique indépendante des travailleurs aux Etats-Unis et internationalement contre l’impérialisme.

(Déclaration originale anglaise parue le 19 mars 2008)

Untitled Document


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés