Le lundi 31 mars fut
annoncée en Allemagne la signature d’un nouvel accord tarifaire concernant
plus de deux millions de travailleurs du secteur public et des collectivités
locales. Son principal objectif est d’empêcher que la grève pour des
salaires plus élevés dans les secteurs public et privé ne se développe en un
mouvement plus ample dirigé contre le gouvernement et qui pourrait défier sa
politique de redistribution des richesses du bas vers le haut de la société.
Comparé à la perte réelle de salaire que les travailleurs du secteur public
ont eu à subir ces dernières années, le nouveau contrat n’est qu’une
goutte d’eau dans la mer. Le syndicat Verdi le fête comme un grand succès,
mais ce n’est là que de la poudre aux yeux.
L’accord comprend une hausse des salaires de base d’environ 50
euros en plus d’une augmentation de 3,1 pour cent cette année. Selon
Verdi, ceci correspond à une augmentation moyenne de salaire de 5,1 pour cent.
Verdi a abandonné la revendication initiale d’une augmentation de 200
euros des salaires de base qui aurait considérablement amélioré les petits
revenus. L’année prochaine, il y aura un paiement unique de 225 euros en
plus d’une hausse de 2,8 pour cent. Toutefois, ceci sera en grande partie
compensé par une augmentation du temps de travail dans les communes ouest-allemandes,
passant de 38,5 à 39 heures par semaine.
Sur les deux ans à venir, les salaires moyens augmenteront donc d’un
peu plus de 5 pour cent. Au mieux, ceci suffira juste à compenser les effets de
la hausse rapide de l’inflation, mais ne compensera pas le gel des salaires
de ces trois dernières années et demie, sans même parler des conséquences de la
politique de coupes sombres appliquée durant la dernière décennie et ayant entrainé
la perte d’un tiers des emplois dans le secteur public.
Un coup monté
Les employeurs du secteur public savaient depuis longtemps qu’il ne leur
serait pas possible d’éviter de faire des concessions salariales cette
année. Compte tenu de taux de croissance en hausse, de rentrées fiscales abondantes,
d’excellents résultats des entreprises et de traitements exorbitants des
personnels de direction des grands groupes, la colère accumulée des
travailleurs du secteur public, qui avaient dû accepter un gel ou une réduction
de salaire durant de nombreuses années, était tout simplement trop grande.
Verdi, le syndicat qui avait négocié ce gel des salaires, avait perdu des
adhérents en masse.
Même certains économistes conservateurs ont mis en garde que le fossé
grandissant entre la croissance économique et le pouvoir d’achat mènerait
à des problèmes de demande intérieure dans une économie allemande fortement
tributaire de l’exportation. Et les salaires extrêmement bas du secteur
public signifient que des communes où la vie est chère, par exemple Munich, ont
maintenant du mal à trouver des instituteurs, des policiers et des postiers.
Pour les employeurs du secteur public, la première tâche n’était pas
d’imposer un renouvellement de contrat sans augmentation de salaire, mais
de faire en sorte que la combativité des travailleurs s’essouffle et que l’accord
conclu reste relativement modeste ; ce qu’ils ont en grande partie réussi
à faire. Le nouvel accord coûtera 9,5 milliards d’euros aux communes,
c'est-à-dire moins que les 10 milliards d´euros que le gouvernement fédéral a jetés
en pâture aux entreprises l’an dernier en abaissant la taxe
professionnelle de 25 à 15 pour cent.
Le Süddeutsche Zeitung a commenté ce que les employeurs ont qualifié
de « compromis douloureux » en remarquant que ce sont « des
douleurs pour lesquelles ils pourraient être reconnaissants un jour ».
L’Etat devrait « littéralement être reconnaissant aux syndicats de
les avoir en fin de compte forcés à mieux payer ses salariés » et pour
Verdi « la solution représente une victoire dont il avait un besoin urgent.
Il peut à présent affirmer avoir obtenu une augmentation de plus de huit pour
cent. »
Ce que le Süddeutsche Zeitung ne mentionne pas c’est ce qui, pour
le gouvernement fédéral, constitue certainement le résultat le plus important
de cet accord : il a épargné à la grande coalition (CDU-SPD) affaiblie par
des querelles internes un conflit social de grande envergure et qui aurait
coûté bien plus cher que l’accord salarial et auquel elle n’aurait
probablement pas survécu. Le gouvernement peut à présent poursuivre tranquillement
la voie de la consolidation budgétaire et de la privatisation des entreprises
publiques.
Le gouvernement le doit en premier lieu à Verdi qui a fait tout ce qui était
en son pouvoir pour éviter une confrontation ouverte avec lui. Les attentes de
ses membres ont obligé Verdi à appeler à la grève dans plusieurs régions. Mais
le syndicat a tout fait pour que les grèves individuelles restent isolées les
unes des autres de façon à ce qu’un mouvement commun des millions
d’employés du secteur public ne se réalise pas. Un tel mouvement aurait
facilement pu échapper au contrôle de la direction syndicale et, comme
c’était le cas lors de la grève du secteur public de 1974, causer de
sérieux problèmes au gouvernement. C’est ce que Verdi a voulu éviter à
tout prix.
Frank Bsirske, le président de Verdi, a tout fait pour qu’une grève
s’achève ou soit interrompue avant que l’autre ne commence. Il a
couru d’une commission de négociation à l’autre et resta mobilisé
des nuits entières pour étouffer le déclenchement d’une conflagration
plus large.
Verdi a débuté le conflit du secteur public par des grèves
d’avertissement exceptionnellement vastes sur le plan national. Plusieurs
aéroports furent fermés, ce qui a tout de suite sérieusement entravé le trafic
aérien. Mais cette entrée en scène tapageuse ne servait à rien d’autre qu’à
relâcher la pression. Il était clair de prime abord qu’avec l’ouverture
du processus de conciliation, les syndicats mettraient un terme à toutes les grèves.
Verdi a alors profité du temps qu’il avait gagné pour, tout en commençant
de nouvelles manœuvres, empêcher un vote de ses membres en vue d´une grève
prolongée.
Le processus de conciliation avec les employés gouvernementaux et municipaux
avait à peine commencé que Verdi lançait une grève dans les transports publics
urbains de Berlin (BVG). Bien que celle-ci ait paralysé le système de transport
urbain de la capitale durant douze jours, elle resta totalement isolée. Verdi a
organisé une grève complètement passive, demandant aux grévistes de rester à la
maison et sans appeler à la moindre manifestation ou action de solidarité digne
de ce nom. Finalement, le syndicat arrêta la grève, abandonnant les
revendications initiales, juste avant que le conflit ne reprenne dans le
secteur public au moment où étaient annoncés les résultats de la conciliation.
Ce qui a aussi fortement contribué à l’isolement des travailleurs des
transports urbains de Berlin a été la signature, par le syndicat des conducteurs
de train GDL (Gewerkschaft Deutscher Lokomotivführer) de la convention
collective, et ce à l’initiative du ministre fédéral des Transports, la
veille même de la grève des travailleurs du BVG. Ce qui entraina que les
transports ferroviaires urbains de la capitale continuèrent de rouler, limitant
ainsi considérablement l’efficacité de la grève du BVG. L’année
dernière, Verdi avait à plusieurs reprises attaqué la grève des conducteurs de
train, soutenant le syndicat jaune Transnet.
Sitôt le nouvel accord des travailleurs gouvernementaux et municipaux signé
à Potsdam, Verdi lançait un appel à la grève dans les postes. Et le lendemain était
annoncé un vote en vue d´une grève dans la distribution où, durant près de neuf
mois, Verdi avait été engagé dans des négociations salariales « presque
oubliées ». Et le 10 avril, Verdi envisage d’appeler à un vote des
travailleurs du secteur public de Berlin, qui a quitté l’association des
employeurs municipaux, et tout cela après que soit terminée la lutte avec les
employeurs fédéraux et locaux et avec la direction du BVG !
Le
démantèlement du secteur public
La manière de faire de Verdi a de la méthode. Le syndicat est étroitement
lié, à tous les niveaux, fédéral, régional et local, avec le gouvernement et
les partis gouvernementaux, et partage leur politique. Tout comme eux, il est
convaincu que les dépenses publiques doivent être assainies aux dépens des
travailleurs et se considère comme partie intégrante du « cartel tarifaire »
qui veille à ce que les revendications des travailleurs ne dépassent pas
certaines limites.
Les fonctionnaires de Verdi changent souvent d’affectation, passant du
syndicat au gouvernement et inversement. Le leader de Verdi, Frank Bsirkse, a
été directeur du personnel à la ville de Hanovre où il a assuré la destruction
de 1000 emplois sur quelque 16 000 emplois existant, avant de devenir le
président du syndicat. On peut trouver dans les administrations publiques et
les associations d’employeurs un grand nombre de fonctionnaires qui ont
fait carrière dans les syndicats et dont ils sont restés membres.
La proximité de Verdi au gouvernement devint tout particulièrement apparente
à l’époque de la coalition gouvernementale entre le Parti
social-démocrate (SPD) et les Verts (1998-2005). Sans le soutien actif de Verdi
et des autres syndicats, le gouvernement de Gerhard Schröder n’aurait pas
été en mesure de faire passer son « Agenda 2010 » de réformes
antisociales. A présent, la grande coalition qui poursuit la politique de la
terre brûlée de Schröder, jouit du plein soutien de Verdi. Grâce à l’aide
de Verdi, les deux gouvernements ont transformé le service public en un secteur
à bas salaire et aux conditions de travail déplorables.
Deux tiers des travailleurs employés par des communes gagnent
aujourd’hui moins de 2500 euros brut par mois. Le démantèlement de
quelque 2,2 millions d’emplois a eu pour conséquence l’intensification
du travail et l’exigence permanente d´accroitre la productivité. De
nombreuses entreprises communales ont été privatisées. Les bas salaires payés
par ces opérateurs privés ou semi-privés servent à présent à imposer des
conditions de travail encore plus médiocres dans le secteur public.
Il y a trois ans, Verdi a signé une convention collective pour le secteur
public prévoyant des réductions drastiques de salaires et des acquis sociaux
tout en introduisant des bas salaires unitaires. Nombreux étaient les
travailleurs qui ont dû renoncer à 12 pour cent de leur salaire. Dans le même
temps, les primes de Noël étaient réduites et les primes de vacances étaient supprimées.
Les salariés nouvellement embauchés reçoivent maintenant moins des deux tiers
du salaire de ceux qui sont déjà en poste.
Les milliards d’euros économisés sont immédiatement allés au patronat
et aux riches par le biais de réduction d’impôts.
En 2000, le gouvernement SPD/Verts a adopté la réforme fiscale la plus vaste
que l’Allemagne ait connue depuis 1949 suite à quoi de nombreuses
entreprises et millionnaires furent exemptés d’impôts. Les richesses
accumulées par les PDG prirent des formes grotesques. Le PDG de Porsche,
Wiedeking a engrangé 54 millions d’euros l’année dernière, celui de
la Deutsche Bank Ackermann, 14 millions d’euros, le président de la
Deutsche Bahn, Mehdorn, 3,2 millions d’euros. Les revenus des PDG des sociétés
classées à l’indice DAX de la bourse de Francfort ont augmenté de 62 pour
cent depuis 2002. Compte tenu de l’inflation, les revenus des couches inférieures
de la société ont eux baissé de 13 pour cent depuis 1992.
Ceci n’a pas empêché la grande coalition de faire passer en 2007 une
nouvelle réforme de la taxe professionnelle. Elle réduisait la taxe
professionnelle des sociétés de capitaux de 25 à 15 pour cent et les impôts sur
les bénéfices et les dividendes de 44 à 26 pour cent.
Tâches
politiques
La dévastation sociale se poursuivra également à l’avenir. Les effets
de la crise financière internationale accéléreront encore les attaques contre
la classe ouvrière. Cette crise a montré clairement quel degré de décomposition
le système capitaliste a déjà atteint dans son ensemble. Les milliards perdus
dans les spéculations financières sont récupérés sur le dos de la population. Une
oligarchie financière corrompue pille la société, refusant de payer des impôts
et vivant dans un luxe sans bornes tout en prêchant le renoncement à
l’adresse des autres. Et tous les partis traditionnels et les syndicats sont
prostrés à leurs pieds.
Ce n’est pas seulement le cas des chrétiens-démocrates (CDU) et du SPD
qui forment le gouvernement fédéral et des Verts qui deviennent de plus en plus
ouvertement un parti néolibéral, mais aussi du Parti de la Gauche d’Oskar
Lafontaine. Nulle part ailleurs l’intégration de Verdi au gouvernement
est aussi étroite que dans la ville-Etat de Berlin où le SPD et le Parti de la
Gauche constituent le gouvernement. Nulle part ailleurs la politique de la
terre brûlée n’a été appliquée dans le secteur public de façon aussi
rigoureuse qu’à Berlin où les salaires ont été considérablement baissés
en consultation avec Verdi.
Il est aujourd’hui impossible de défendre les salaires, les emplois et
les droits démocratiques sans rompre avec ces organisations.
Pour ce qui est des grèves actuelles et de la conduite des négociations
collectives, il faut en arracher la direction des mains de Verdi.
L’accord conclu à Potsdam doit être rejeté. Il ne doit pas y avoir de
négociations secrètes derrière le dos des grévistes. A cette fin, des comités
d’action devraient être mis en place organisant la coopération avec les
travailleurs du secteur privé, les étudiants et d´autres parties de la
population. De tels comités d’action devraient renouer avec la tradition
des conseils ouvriers qui ont existé au début du siècle dernier et qui ont joué
un rôle très important à l’époque. Les comités d’action doivent
organiser et développer la solidarité existant au sein de vastes couches de la
population.
Pour cela une nouvelle perspective politique est nécessaire. La pratique de
la coalition « rouge-rouge » (Parti de la gauche et SPD) à Berlin
démasque le mensonge du Parti de la gauche selon lequel il est possible de
contrôler le capitalisme sans mettre en cause le pouvoir que les grands groupes
et les banques exercent sur les moyens de production. Le déclin du secteur
public ne peut être entravé que si les intérêts des travailleurs sont placés
au-dessus des intérêts de profits de la grande entreprise et des banques. Ceci
requiert une transformation socialiste de la société. Les grands groupes et les
banques doivent être transformés en établissements publics et placés sous le contrôle
démocratique de la population dans son ensemble.
Une perspective socialiste doit partir du caractère international de la
production moderne et des intérêts communs des travailleurs dans le monde. Le
Parti de l’égalité sociale construit ce nouveau parti qui lutte pour une
perspective socialiste internationale. En tant que section allemande de la
Quatrième Internationale, le PSG travaille en étroite collaboration avec ses
partis frères dans d’autres pays où les travailleurs et leurs familles
sont confrontés aux mêmes problèmes et mènent des luttes identiques.
Nous vous invitons à contacter le World
Socialist Web Site et à discuter de ces questions avec vos collègues.