Le chef d’état-major américain, l’amiral
Michael Mullen, a annoncé samedi que le Pentagone allait presque doubler le
nombre de soldats américains impliqués dans la guerre néocoloniale
d’occupation en Afghanistan. Cette annonce est en accord avec la
politique mise de l’avant par le futur président démocrate Barack Obama
visant à redéployer les ressources militaires des Etats-Unis au
« véritable front » dans la « guerre mondiale contre le
terrorisme ».
Mullen a rendu officiel l’escalade militaire qui doit
être menée en Afghanistan sous l’administration Obama au cours
d’une rencontre de fin de soirée avec des journalistes à Kaboul. Il
estime que le nombre de soldats supplémentaires à être déployés dans le pays,
qui est occupé par les Etats-Unis depuis les sept dernières années, se situe
entre 20 000 et 30 000. Ce nombre correspond à une précédente demande
faite par le commandant américain des forces internationales en Afghanistan, le
général David McKiernan. Environ 31 000 soldats américains se trouvent
actuellement au pays avec 35 000 autres soldats étrangers sous le
commandement de l’OTAN.
L’élément le plus significatif de l’annonce de
Mullen fut l’échéancier du déploiement américain. Alors que les
porte-paroles du Pentagone avaient auparavant affirmé que le déploiement serait
réalisé sur une période de 18 mois, Mullen a plutôt indiqué que
l’objectif était d’avoir tous les soldats supplémentaires en
Afghanistan avant le printemps prochain.
« Nous espérons les avoir en place au
printemps », a-t-il affirmé, « et certainement avant le début de
l’été au plus tard. »
L’accélération des plans de Washington pour l’escalade
de la guerre est une indication de la crise de plus en plus sérieuse à laquelle
fait face l’occupation. La dernière année fut la plus sanglante depuis la
première attaque américaine en octobre 2001, au début de l’opération
« Liberté immuable ». Près de 290 soldats américains, britanniques,
canadiens et d’autres nationalités ont été tués en Afghanistan en 2008,
soit une augmentation de 25 pour cent par rapport à l’année précédente.
1000 hommes des forces de sécurité du régime afghan ont aussi été tués. On
évalue officiellement le nombre de pertes civiles à 2000 mais la réalité est
sans aucun doute bien pire.
La majorité des renforts américains seront envoyés au sud
dans la province de Helmand, considérée comme un bastion des talibans, qui
avaient initialement été chassés par l’invasion américaine. Selon
certains rapports cependant, les forces américaines pourraient aussi être
envoyées dans les provinces de Logar et de Wardak, près de Kaboul, par crainte
que l’insurrection n’attaque la capitale afghane.
Un porte-parole de l’OTAN a exhorté ses membres
européens à suivre l’exemple de Washington et déployer davantage de
troupes pour le combat. « Nous voulons assurer un certain équilibre entre
ce que les Américains font et ce que les autres alliés font, alors que les
Etats-Unis augmentent leur participation, pour des raisons militaires et
politiques », a déclaré le porte-parole James Appathurai.
« Le secrétaire général (de l’OTAN) (Jaap de Hoop Scheffer)
aimerait voir une augmentation, non seulement de la part des Américains, mais
aussi des autres alliés, particulièrement les Européens, afin d’assurer
que nous ayons un partage des tâches politiques, ainsi que militaires, de cette
mission, » a-t-il ajouté.
Les gouvernements européens ont été cependant peu disposés à augmenter de
manière significative leurs déploiements.
Dans ses commentaires à Kaboul, l’amiral Mullen a expliqué clairement
que l’escalade de la guerre menée par les Etats-Unis causerait
encore plus de morts et de blessés. Faisant référence aux plans américains pour
appuyer davantage les forces d’occupation dans le sud, le chef militaire
américain a commenté : « C’est là que les combats les plus durs
ont lieu. Lorsque nous aurons plus de troupes ici, je crois que le niveau de
violence va augmenter. Les combats seront plus intenses. »
Un porte-parole des talibans corrobore cette déclaration. « Ils
veulent maintenant envoyer plus de troupes en Afghanistan, » a dit Yousuf
Ahmadi. « Les Russes ont aussi envoyé plus de troupes et ont été
sévèrement défaits », a-t-il ajouté, faisant référence à
l’occupation soviétique de l’Afghanistan qui a débuté en 1978 et
qui a duré une décennie.
« Lorsque les Etats-Unis augmenteront leurs troupes au même nombre que
celui des Russes, ils seront aussi cruellement défaits, » a averti Ahmadi.
« Plus de troupes signifient qu’il y aura plus de cibles pour les
talibans. »
Mullen a expliqué clairement que le retrait partiel de l’Irak proposé
par l’administration entrante d’Obama n’est pas un
détournement du militarisme, mais plutôt une prémisse essentielle pour
intensifier le massacre en Afghanistan.
« Les forces disponibles sont directement liées aux forces en
Irak, » a-t-il dit. « Alors que nous étudions la possibilité de
réduire les forces en Irak durant la prochaine année, la disponibilité des
forces qui pourront venir ici en Afghanistan va augmenter. »
Selon une estimation, l’« escalade » en Afghanistan
augmentera le coût mensuel de la guerre américaine là-bas de 2 milliards $
à au moins 3,5 milliards $.
Présent au programme « This Week » de la chaîne de télévision ABC
le dimanche matin, le vice-président élu, Joseph Biden, a mis l’accent
sur l’importance de la guerre en Afghanistan pour l’administration
entrante. « Je crois que ce qui est clair depuis le début, c’est que
nous avons une situation en Afghanistan et au Pakistan qui est urgente »,
a-t-il dit. « Cela implique l’Inde. Cela implique aussi une autre
série de questions très compliquées. »
Biden a ajouté : « Je pense que la trajectoire
Afghanistan-Pakistan nous préoccupe immédiatement. Nous en sommes dans le
processus d’établir clairement quelles sont nos priorités, quelle doit
être notre politique, dès notre assermentation. »
Alors qu’Obama, tout comme Bush avant
lui, a présenté l’escalade de la guerre comme une croisade comme le
« terrorisme », le fait est que l’intervention américaine a pour
but de défendre les intérêts géostratégiques des Etats-Unis, ce qui implique
des menaces de guerre encore plus importantes et plus dangereuses.
Cet article, écrit par l’ancien
diplomate indien M.K. Bhadrakumar, ne laisse aucun doute que la présence
américaine en Afghanistan fait partie d’une « grande stratégie de
l’Asie centrale » qui a pour but de « diminuer
l’influence de la Russie et de la Chine dans la région ».
Bhadrakumar avance que même si la guerre
américaine en Afghanistan s’est très mal déroulée, pris dans un contexte
plus large, cet effort a connu un certain succès, le Pentagone réussissant à
établir « une présence militaire à long terme » dans le pays. De
plus, il signale que Washington utilise la détérioration de la situation en
Afghanistan comme prétexte pour établir de nouvelles bases américaines en Asie
centrale.
Il a aussi rapporté que les tensions entre
les Etats-Unis et la Russie ont augmenté de façon exponentielle sur la question
de plans de Washington pour le développement d’une nouvelle voie de
ravitaillement pour ses forces en Afghanistan qui passerait par les anciennes
républiques soviétiques au sud du Caucase et en Asie centrale. Le cargo serait
déchargé dans le port de la mer Noire de Poti en Géorgie pour ensuite traverser
la Géorgie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Il y a plusieurs raisons d’établir
cette nouvelle voie de ravitaillement, étant donné les récentes embuscades au
cours desquelles les insurgés ont décimé les colonnes de ravitaillement au
Pakistan se dirigeant vers la passe de Khyber. La colère populaire au Pakistan
envers le ravitaillement militaire des forces d’occupation américaines
qui sont impliquées dans des tueries des deux côtés de la frontière a mené à
une manifestation de 10 000 personnes dans la ville du nord-ouest du
Pakistan, Peshawar. Les manifestants ont demandé la fin de la collaboration du
gouvernement pakistanais avec les efforts de guerre américains.
Si Washington réussit à développer une
nouvelle voie de ravitaillement, note Bhadrakumar, il aura réussi « à
consolider sa présence militaire à long terme dans le sud du Caucase » et,
au même moment, il est dans une position de convertir cette voie de
ravitaillement en « un corridor pour le pétrole et le gaz de la région de
la mer Caspienne en contournant la Russie ».
Le chef d’état-major de l’armée
russe, le général Nikolai Makarov, s’est alarmé des plans de Washington
dans un discours qu’il a donné la semaine passée, se plaignant que les
Etats-Unis « planifient établir des bases militaires au Kazakhstan et en
Ouzbékistan ». Makarov a ajouté que « Les Etats-Unis ont encerclé
toutes les régions du monde avec leurs bases militaires. »
Téhéran a aussi pris note des
développements des forces américaines dans la région, qu’il voit comme
une menace à ses intérêts. Le ministre des Affaires étrangères de l’Iran,
Monouchehr Mottaki a profité d’une conférence de presse de lundi dernier
pour donner ses commentaires sur l’annonce de Mullen et a donné
l’avertissement qu’une augmentation des troupes américaines
n’amènerait la paix ou la stabilité pour l’Afghanistan. « Les
pays de la région suivent de façon vigilante les développements en Afghanistan,
particulièrement en ce qui a trait aux nouvelles politiques adoptées par les
forces étrangères », a déclaré Mottaki.
L’escalade en Afghanistan que prône
Obama et défendu par l’establishment américain comme la
« bonne guerre » pour Washington menace de déclencher des
tensions qui mèneront à des conflits armés dangereux avec les autres puissances
régionales, y compris l’Iran et la Russie.
(Article original anglais paru le 22
décembre 2008)