Andy Durgan, The Spanish Civil War (New
York, New York, Palgrave Macmillan, 2007)
Voici la première des deux parties de la critique.
La guerre civile espagnole engendre chaque
année une énorme quantité de travaux historiques. L'ouvrage dont il est question
se détache du lot et mérite notre attention car Andy Durgan est lié au Socialist
Workers Party (SWP) britannique. Il a fait une intervention sur l'Espagne
lors du « Marxism 08 », l'université d'été organisée chaque
année à Londres par le SWP. Il est l'auteur de ce qui est généralement
considéré comme l'œuvre de référence au sujet du Parti de l'unité marxiste (le
POUM) et de l'Opposition de gauche en Espagne dans la revue Revolutionnary
History. [1] Elle est en ligne sur marxists.org, ce qui lui donne une
certaine autorité aux yeux de nombreuses personnes. Son rôle de conseiller
historique auprès de Ken Loach pour le film Land and Freedom, qui a
beaucoup contribué au renouveau de l'intérêt pour la guerre civile espagnole
parmi les jeunes générations, a renforcé la réputation de Durgan comme
historien de la gauche non-stalinienne en Espagne.
Pour commencer, il faut remettre les
événements traités par cet ouvrage dans leur contexte historique. La guerre civile
espagnole fut l'un des événements formateurs du vingtième siècle. De son
résultat dépendait le sort non seulement de l'Espagne, mais de toute l'Europe,
car la victoire y aurait été un signal de résistance envoyé aux travailleurs de
tout le continent. Les travailleurs d'Allemagne et d'Italie, où le fascisme
s'était déjà installé, auraient été encouragés par le succès de la classe
ouvrière espagnole. La France, qui était au bord de la révolution en 1936,
aurait certainement été impliquée directement dans les événements espagnols.
Toute l'histoire de l'Europe aurait été différente si le fascisme avait été vaincu
en Espagne. Il est certain qu’il aurait été quasiment impossible à Hitler de
déclencher une guerre à échelle européenne à ce moment-là.
Peut-être plus fondamentalement, la
régénération de la révolution en Europe aurait miné la position de la
bureaucratie du Kremlin dont la force croissait proportionnellement aux
défaites des révolutions sociales à l'étranger. Staline se serait trouvé confronté
à une classe ouvrière russe à nouveau combative.
Les hommes d'affaires et les politiciens de
premier plan étaient parfaitement conscients de la menace d'une révolution
prolétarienne pesant sur eux en cette période, et, comme le montre la presse de
l'époque, leurs inquiétudes se focalisaient sur la personne de Léon Trotsky,
dont les réactions à chaque étape du développement de la crise politique
d'avant-guerre étaient lues avec avidité dans les pages des grands journaux.
Trotsky n'était plus au pouvoir, c'était un exilé errant, ayant un petit nombre
de partisans. Mais si la révolution russe avait enseigné une chose à l'élite
politique européenne, c'était qu'un dirigeant révolutionnaire, dont le
programme représentait les besoins des masses populaires, pouvait passer très
rapidement de l'obscurité au pouvoir lorsqu'une situation révolutionnaire se
développait.
La guerre civile espagnole fut l'apogée d'une
révolution qui émergeait lentement et qui avait commencé en 1931 par le
renversement de la monarchie et la création d'une république. Dans les années
qui suivirent, se succédèrent des périodes où la poussée révolutionnaire était
écrasée par la répression, ainsi sous le tristement célèbre biennio negro
[années noires 1934-35 sous un gouvernement de centre-droit, ndt], et des
périodes d'activité révolutionnaire explosive où les ouvriers et les paysans
contre-attaquaient face aux propriétaires miniers et fonciers. Ce ne fut pas
une révolution rapide comme la Révolution russe, qui était passée de la
déposition du tsar et l'établissement d'une république bourgeoise sous le
gouvernement provisoire à un Etat ouvrier en l'espace d'une année. En Espagne,
la révolution se développa à un rythme différent, plus lent, parce qu'il n'y
avait pas de parti révolutionnaire présent au moment de la première poussée révolutionnaire
comme en Russie, où les bolcheviques avaient déjà établi une base sociale
importante dans la classe ouvrière en 1917.
En juillet 1936, la classe ouvrière de
Barcelone s'opposa à la tentative de coup militaire menée par le général
Francisco Franco. Le gouvernement républicain de Front populaire s'effondra
devant le coup et le pouvoir tomba entre les mains des travailleurs, ceux-ci
mirent en place des comités d'action et des milices. Mais en Espagne,
contrairement à la Russie, aucun parti n'était en mesure de prendre le pouvoir.
Les sections les plus militantes de la classe ouvrière étaient organisées par
la fédération des syndicats anarchistes, la CNT, qui refusait toute forme de
pouvoir étatique, y compris un Etat ouvrier. Le Parti socialiste espagnol
(PSOE) faisait partie du gouvernement de Front populaire contre lequel Franco
s'était soulevé et qui avait refusé d'armer les travailleurs pour assurer sa
propre défense. Le Parti communiste espagnol (PCE) était une petite
organisation avec peu de soutien dans la classe ouvrière et restait fidèle au
Front populaire.
Un petit groupe d'oppositionnels de gauche,
emmenés par Andres Nin déclara son accord avec le programme révolutionnaire que
Trotsky défendait, mais refusa à chaque moment crucial de mettre un tel
programme en pratique. Ils s'adaptèrent au nationalisme de gauche du Parti
ouvrier et paysan catalan (BOC) de Joaquin Maurin avec lequel ils fusionnèrent
finalement pour former le Parti de l'unité marxiste (POUM).
Le POUM critiquait le Front populaire, mais le
rejoignit quand même. En 1936, Nin devint ministre dans le gouvernement catalan,
ce qui accorda au gouvernement une crédibilité politique inespérée et lui
permit de reprendre le pouvoir politique des mains des comités ouvriers. Dans
les semaines qui suivirent la révolution du 19 juillet 1936, l'Etat bourgeois
put s’imposer à nouveau grâce au soutien de la CNT et du POUM. Le processus
atteignit son apogée lors des Journées de mai de 1937, où le gouvernement
catalan et le gouvernement républicain espagnol, soutenus par Moscou, réprimèrent
dans le sang la classe ouvrière de Barcelone et étranglèrent la révolution.
Cette action fut justifiée à l'époque, et
c'est toujours le cas, par l'affirmation selon laquelle ceux qui dirigeaient la
classe ouvrière à Barcelone étaient des agents fascistes qui tentaient de
saboter l'effort de guerre républicain. Des historiens continuent à défendre le
gouvernement de Front populaire avec les mêmes arguments. L'historien espagnol
Angel Vinas a déclaré récemment que les Journées de mai étaient le résultat
d'une provocation par des fascistes italiens. L'historien britannique Eric
Hobsbawm a défendu les actions du Front populaire dans un article pour le Guardian
datant de l'année dernière. L'attitude adoptée par un historien vis-à-vis
du Front populaire et des Journées de mai est d’une très grande importance dans
l’évaluation de toute analyse concernant cette période.
Malgré l'œuvre classique de Burnet Bolloten
[2] et le travail plus récent d'Antony Beevor [3], qui apportent une
présentation objective du rôle du Front populaire et de Moscou dans la répressionde la révolution espagnole, il reste que la position dominante parmi les
historiens est celle du soutien au Front populaire, accompagnée d'une forte
tendance à minimiser la culpabilité de Moscou. Paul Preston et Helen Graham
sont les deux spécialistes britanniques de l'histoire de la guerre civile
espagnole qui sont les plus proches de cette position. Ils défendent tous deux
les actions du gouvernement de Front populaire et, tout en considérant le rôle
des staliniens comme regrettable, ils le considèrent comme un facteur plutôt
secondaire.
Quelle est donc l'approche de Durgan sur le
Front populaire ? Dans sa critique dithyrambique du livre de Durgan pour
le magazine International Socialism publié par le SWP, Chris Ealham
écrit, « De tous les milliers d'ouvrages publiés sur la guerre civile
espagnole, il existe peu d'études sur les origines, le déroulement et les conséquences
du conflit qui soient d’une telle qualité et aussi opportune que celle-ci. »
[4]
Ealham prend soin de faire remarquer que
Durgan se distingue non seulement des historiens de droite qui cherchent à
réhabiliter la mémoire de Franco, mais aussi des historiens qui soutiennent le
Front populaire.
« Tout en s'en prenant aux révisionnistes
pour leur mauvaise présentation des décisions républicaines », écrit
Ealham, « Durgan s'est clairement assigné la tâche de remettre en question
l'analyse des historiens les plus en vue de la guerre civile — dont Helen
Graham et Paul Preston sont les deux principaux exemples au Royaume-Uni —
lesquels ont une attitude davantage bienveillante envers le Front populaire. »
Cette affirmation prête, pour le moins, à
confusion. Une étude attentive du texte, très chargé en notes de bas de page,
montre que, loin de contredire ces deux historiens, l'analyse de Durgan suit
obséquieusement celles de Preston et Graham sur tous les points importants.
Durgan se conforme à ce que fait Graham en
plaçant sa présentation de la guerre civile espagnole dans le cadre de ce qu'il
appelle « Le défi de la modernisation ». Il insiste sur la vétusté de
l'économie espagnole qui restait majoritairement agricole et de la société qui
était toujours dominée par l'Église. Il définit la guerre civile « comme
une "guerre d'agriculteurs" menée et remportée pour les latifundistes
[grands propriétaires terriens] ».
Cette définition de la guerre civile est soit si
générale qu’elle n’a pas de sens soit elle prête sérieusement à confusion. Bien
sûr que l'économie espagnole était vétuste dans les années 1930. Le
développement industriel était limité et l'agriculture espagnole était dominée
par les grands propriétaires, dont l'Église, et c'étaient là les forces de
droite qui soutenaient Franco. Mais si nous ne poussons pas notre analyse plus
loin, alors nous ne rendons pas compte de la capacité révolutionnaire
extraordinairement développée de la classe ouvrière espagnole et de certaines
sections de la paysannerie. Nous ne rendons pas non plus compte de l'importance
internationale des événements qui se produisirent en Espagne.
Le capitalisme se développe inégalement
suivant les pays, mais il se développe aussi d'une manière combinée, si bien
que même un pays agricole arriéré est happé dans l'économie capitaliste mondiale.
Cela entraîne généralement le fait que son industrie, son agriculture et les
classes qui y sont associées adoptent des caractères qui ne reflètent pas le
niveau général d'arriération, mais les formes les plus modernes de production.
Une fois débarrassée de ses fioritures, la théorie de Durgan revient à
l'affirmation tautologique que l'Espagne s'était retrouvée sous la domination
des représentants politiques des grands propriétaires terriens parce qu'elle
était dominée par les grands propriétaires terriens.
L'Espagne pourrait être décrite comme devant
faire face au défi de la modernisation à n'importe quel moment entre le
dix-septième siècle et le présent. Mais une telle description ne nous
apprendrait presque rien sur les processus historiques spécifiques à l'œuvre.
On n'acquiert aucune compréhension des dynamiques historiques qui s'appliquent
à la situation, en lisant la présentation qu'en fait Durgan. La théorie de la
modernisation du vingtième siècle est essentiellement une théorie de l'histoire
qui nie les classes sociales et que l'on applique au siècle même qui a vu les
luttes de classes les plus intenses.
La conception que Durgan se fait des relations
entre les classes et la société provient en dernière analyse des conceptions
anti-marxistes du sociologue Max Weber. Celui-ci avait développé une vision
anhistorique de la société comme étant une série de stéréotypes statiques.
Cette approche influença certains marxistes autoproclamés comme Louis
Althusser, qui développa une approche que l'on appelle structuraliste, et qui
représente une influence théorique majeure sur le SWP.
Ce bagage théorique permet à Durgan d'adopter
la théorie de la modernisation de Graham sans sourciller. La guerre civile
espagnole, selon Graham, était une guerre civile parmi tant d'autres en Europe,
qui reflétait des réponses différentes face à la modernité.
« Toutes ces "guerres civiles"
européennes (parce que les guerres civiles peuvent prendre de nombreuses
formes) », écrit-elle, « avaient leurs origines dans les inquiétudes
politiques, sociales et culturelles cumulées provoquées par une modernisation
rapide, inégale et qui allait s’accélérant (c'est-à-dire, l'industrialisation
et l'urbanisation), de par le continent. Tous ceux qui avaient soutenu la
révolte militaire espagnole en 1936 avaient en commun une peur de ce que le
changement leur réserverait – que leur peur porte sur des pertes matérielles ou
psychologiques (richesse, statut professionnel, hiérarchies sociales et
politiques bien établies, certitudes religieuses ou sexuelles) ou qu’elle en soit
un mélange. » [5]
La théorie de la modernisation est une théorie
historique qui nie ouvertement les classes sociales. La division entre les
forces sociales modernisatrices et celles qui ne le sont pas est largement
arbitraire et subjective. L'Eglise, les grands propriétaires et les fascistes pourraient
être comptés parmi les anti-modernisations, tandis que les politiciens démocrates,
républicains et libéraux, ou les hommes d'affaires sont considérés comme des
modernisateurs. Mais il n'y a aucune raison pour ne pas classer les fascistes
parmi les modernisateurs dans certains cas, puisque leur régime développe la
production industrielle sous le capitalisme. Certains auteurs de cette
école de pensée ont assurément appliqué cette qualification au régime de
Hitler.
Toujours selon cette théorie, les séries de
troubles révolutionnaires qui suivirent la Révolution russe de 1917–18 et 1923
en Allemagne, les occupations d'usines de la bienno rosso de 1919-1920
en Italie, la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne, et la grève générale
de 1936 en France, auxquels on pourrait ajouter des événements hors d'Europe
comme la commune de Shanghai en 1927, faisaient toutes partie d'une crise de la
modernisation et n'étaient donc pas l'expression d'une lutte entre le
prolétariat et le capital.
Graham ne creuse pas la question, mais l'on devrait
se demander dans quelle mesure la Révolution russe elle-même peut encore être
décrite comme une révolution prolétarienne. Si l'on accepte la définition de
l'entre-deux-guerres donnée par Graham, alors la révolution d'octobre ne serait
qu'une variante particulière de la crise de la modernisation.
L'importance que revêt la théorie de la
modernisation pour l'histoire de la guerre civile espagnole apparaît très
clairement dans un article écrit par Graham au sujet des Journées de mai à
Barcelone. [6] Les Journées de mai sont les événements au coeur du film de Ken
Loach. Le 3 mai 1937, les troupes républicaines tentèrent de s'emparer du
central téléphonique de Barcelone qui était aux mains des travailleurs depuis
juillet 1936. Les travailleurs se précipitèrent depuis les environs pour
défendre le central téléphonique et élevèrent des barricades quand la nouvelle
de ce qui se passait se propagea. À la nuit tombée, Barcelone était sous leur
contrôle. La classe ouvrière aurait pu prendre le pouvoir à Barcelone à ce
moment, mais les dirigeants de la CNT et du POUM refusèrent d'en donner
l'ordre. Seul un petit groupe de trotskystes, actif à l'intérieur du POUM et un
groupe anarchiste connu sous le nom des Amis de Durruti, appelèrent les
travailleurs à renverser le gouvernement.
Alors que le gouvernement républicain faisait
les préparatifs du bombardement des quartiers ouvriers de Barcelone, les
dirigeants anarchistes négocièrent un cessez-le-feu qui permit à des milliers
de républicains et de troupes d'assaut d'entrer dans la ville et d'en reprendre
le contrôle. Les travailleurs furent désarmés et arrêtés. De nombreux
dirigeants du POUM disparurent dans des prisons secrètes contrôlées par le GPU,
la police secrète stalinienne dont le pouvoir n’avait cessé d’augmenter depuis
l'automne. À ce moment-là, tandis que les staliniens manigançaient la
nomination du socialiste de droite Juan Negrin au poste de premier ministre,
ils avaient carte blanche pour torturer et assassiner à volonté. La machinerie
des procès de Moscou fut recréée en Espagne, et Andres Nin en fut victime
lorsqu'il refusa de donner la confession que l'on exigeait de lui pour un
procès-spectacle qui aurait présenté ce révolutionnaire internationalement
reconnu, comme un agent fasciste.
Mais pour Graham, les événements sanglants qui
eurent lieu à Barcelone n'étaient que la poursuite de disputes antérieures entre
différentes organisations. Elle rejette instamment l'idée que le Comintern et
la police secrète stalinienne aient été, de quelque façon que ce soit, liés aux
meurtres et aux arrestations des dirigeants ouvriers.
Elle écrit : « Les Journées de mai ne
peuvent donc pas se réduire à une parabole de guerre froide d'un stalinisme
étranger qui "injectait" le conflit dans la politique républicain
espagnole. Le "nettoyage" des communistes dissidents à Barcelone par
le Comintern en mai et juin 1937, aussi moralement répugnant soit-il, n'était
qu'un aspect d'un tableau plus complexe. »
La « parabole de la guerre froide »
en question, explique-t-elle dans une note, vient de Burnett Bolloten. C'est,
selon Graham, « la thèse centrale, inchangée, de l'œuvre de Burnett
Bolloten – du Grand Camouflage (1961) jusqu'à La guerre civile
espagnole, Revolution et contre-révolution, publié de manière posthume en
1991. Ce que Bolloten a fait, c'est construire une narration téléologique.
»
Ce qu'a fait Bolloten en réalité, c'est
démontrer, en s'appuyant sur une étude minutieuse des preuves disponibles, que
les Journées de mai étaient la continuation de la lutte de la bureaucratie
stalinienne contre le trotskysme. Ses conclusions ont depuis été confirmées par
des éléments des archives soviétiques et d'autres historiens. Avec sa référence
à la guerre froide, Graham tente implicitement de ressusciter la vieille
accusation stalinienne selon laquelle Bolloten était un agent de la CIA parce
qu'il osait critiquer Moscou.
Graham conclut : « Les Journées de
mai 1937 à Barcelone étaient en fin de compte une question de "modernisation"
brutale. »
La répression des ouvriers et de leurs partis
politiques à Barcelone, nous assure-t-elle, était une tâche nécessaire si l'Etat
espagnol devait être renforcé, si le contrôle capitaliste de l'économie
nationale devait être assuré et la discipline sociale imposée à la classe
ouvrière. La classe ouvrière, toujours selon Graham, était opposée à la
modernité à Barcelone parce qu'ils voulaient établir des milices, s'emparer des
usines, des ateliers et des fermes. En effet, selon cette théorie, la classe
ouvrière, le POUM et l'opposition de gauche peuvent tous être rangés parmi les
opposants à la modernisation dans la mesure où ils s'opposaient au Front populaire.
Les prisons secrètes, les tortionnaires, les bourreaux et la machine à produire
des mensonges de la bureaucratie stalinienne, étaient, au contraire, les forces
de la modernisation.
Il y a des similarités troublantes entre la
présentation des Journées de mai par Graham et les affirmations staliniennes
selon lesquelles le POUM et les trotskystes étaient des agents fascistes.
Graham est une historienne trop prudente pour soutenir de telles allégations,
qui ont été réfutées à plusieurs reprises, mais elle est prête à décrire les
travailleurs et les dirigeants révolutionnaires comme étant, objectivement
parlant, réactionnaires et, doit-on supposer, rendant inconsciemment service au
fascisme par leurs tentatives de défendre les gains de la révolution du 19
juillet.
Durgan doit beaucoup à Preston et Graham. Il
écrit qu'il est maintenant possible de parler d'une « série de guerres espagnoles »
— une référence à The Spanish civil war (2006) de Paul Preston, que
Durgan considère comme un excellent ouvrage — et d'une « guerre des cultures, »
une référence à The Spanish civil war d'Helen Graham, qu'il qualifie
aussi d'« excellent ». Il considère le point de vue de Graham et Preston,
selon lequel il y avait de multiples guerres, comme « incontestablement,
un progrès par rapport à la conception bipolaire des "deux Espagne",
généralement présentée dans les ouvrages historiques plus anciens dans laquelle
une Espagne "libérale, progressiste et séculière" était prisonnière
d'un combat contre une Espagne "traditionaliste, conservatrice" et
catholique ». Toujours selon lui, les historiens récents préfèrent parler
de trois Espagne — « La troisième étant celle qui ne s'allia à aucun des
adversaires et tenta d'imposer un juste milieu. » Encore une fois, c'est
Paul Preston qui défend cette idée dans Comrades (1999).
L'attitude de Durgan envers la révolution
espagnole est bien résumée dans sa description de la poussée révolutionnaire
explosive des travailleurs au début des années 1930. Il est très critique de la
CNT pour son organisation d'insurrections armées. Ces insurrections étaient « ordonnées
par un nombre assez faible d'activistes et sans consulter les membres d'une
manière sérieuse. Le résultat de ces révoltes avortées fut des centaines de
victimes et d'arrestations, la fermeture de nombreux locaux syndicaux, un
déclin rapide du nombre de membres cotisants et l'exacerbation des divisions
existantes dans le mouvement ouvrier. »
Nous avons là la voix authentique d'un
bureaucrate syndical. Qu'est-ce qui pourrait être pire qu'un déclin du nombre
des « membres cotisants » d'un syndicat ? Une seule chose, peut-être :
La révolte entraîna l'ébranlement de « la crédibilité du premier ministre
républicain, le principal architecte du processus de réforme, Manuel Azana ».
Il cite le Comrades de Preston sur ce point.
Durgan continue à suivre Preston et Graham
dans son analyse du Front populaire. Il se fait un devoir de nier que la formation
du Front populaire ait été influencée par Moscou. C'était, selon lui, le
produit de la politique intérieure espagnole, « malgré ses similitudes
évidentes avec les grandes alliances anti-fascistes du même nom qui étaient
alors proposées par l'Internationale communiste (Comintern) à Moscou. »
C'est une affirmation remarquable, et qui est
complètement contredite par les preuves historiques. Il cite Graham dans The
Spanish Republic at war, et compare son point de vue à celui de Burnett
Bolloten, qui s'était consacré à la révélation du rôle criminel du stalinisme
dans la guerre civile espagnole. Une lecture attentive des notes de bas de page
de Durgan n'indique aucune référence positive au travail magistral de Bolloten.
À suivre
Notes :
1. Andy Durgan, The Spanish Trotskyists
and the Foundation of the POUM, Revolutionary History, Vol. 4, Nos.1-2.
2. Burnett Bollotten, The Spanish Civil
War: Revolution and Counterrevolution (Chapel Hill: The University of North
Carolina Press, 1991).
3. Antony Beevor, The Battle for Spain:
The Spanish Civil War, 1936-9 (Londres: Weidenfeld and Nicolson, 2006).
4. Chris Ealham, Revolution and reaction
in Spain, International Socialism, No. 117.
5. Helen Graham, The Spanish Republic at
War 1936-1939 (Cambridge: Cambridge University Press, 2002).
6. Helen Graham, "Against the
State": A Genealogy of the Barcelona May Days (1937), European History
Quarterly, Vol. 29(4), (1999), pp. 484-542.
(Article original anglais paru le 16
septembre 2008)