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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La guerre civile espagnole selon Andy Durgan

Le SWP britannique accorde de la crédibilité à la ligne stalinienne sur la guerre civile espagnole – première partie

Par Ann Talbot
17 décembre 2008

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Andy Durgan, The Spanish Civil War (New York, New York, Palgrave Macmillan, 2007)

Voici la première des deux parties de la critique.

La guerre civile espagnole engendre chaque année une énorme quantité de travaux historiques. L'ouvrage dont il est question se détache du lot et mérite notre attention car Andy Durgan est lié au Socialist Workers Party (SWP) britannique. Il a fait une intervention sur l'Espagne lors du « Marxism 08 », l'université d'été organisée chaque année à Londres par le SWP. Il est l'auteur de ce qui est généralement considéré comme l'œuvre de référence au sujet du Parti de l'unité marxiste (le POUM) et de l'Opposition de gauche en Espagne dans la revue Revolutionnary History. [1] Elle est en ligne sur marxists.org, ce qui lui donne une certaine autorité aux yeux de nombreuses personnes. Son rôle de conseiller historique auprès de Ken Loach pour le film Land and Freedom, qui a beaucoup contribué au renouveau de l'intérêt pour la guerre civile espagnole parmi les jeunes générations, a renforcé la réputation de Durgan comme historien de la gauche non-stalinienne en Espagne.

Pour commencer, il faut remettre les événements traités par cet ouvrage dans leur contexte historique. La guerre civile espagnole fut l'un des événements formateurs du vingtième siècle. De son résultat dépendait le sort non seulement de l'Espagne, mais de toute l'Europe, car la victoire y aurait été un signal de résistance envoyé aux travailleurs de tout le continent. Les travailleurs d'Allemagne et d'Italie, où le fascisme s'était déjà installé, auraient été encouragés par le succès de la classe ouvrière espagnole. La France, qui était au bord de la révolution en 1936, aurait certainement été impliquée directement dans les événements espagnols. Toute l'histoire de l'Europe aurait été différente si le fascisme avait été vaincu en Espagne. Il est certain qu’il aurait été quasiment impossible à Hitler de déclencher une guerre à échelle européenne à ce moment-là.

Peut-être plus fondamentalement, la régénération de la révolution en Europe aurait miné la position de la bureaucratie du Kremlin dont la force croissait proportionnellement aux défaites des révolutions sociales à l'étranger. Staline se serait trouvé confronté à une classe ouvrière russe à nouveau combative.

Les hommes d'affaires et les politiciens de premier plan étaient parfaitement conscients de la menace d'une révolution prolétarienne pesant sur eux en cette période, et, comme le montre la presse de l'époque, leurs inquiétudes se focalisaient sur la personne de Léon Trotsky, dont les réactions à chaque étape du développement de la crise politique d'avant-guerre étaient lues avec avidité dans les pages des grands journaux. Trotsky n'était plus au pouvoir, c'était un exilé errant, ayant un petit nombre de partisans. Mais si la révolution russe avait enseigné une chose à l'élite politique européenne, c'était qu'un dirigeant révolutionnaire, dont le programme représentait les besoins des masses populaires, pouvait passer très rapidement de l'obscurité au pouvoir lorsqu'une situation révolutionnaire se développait.

La guerre civile espagnole fut l'apogée d'une révolution qui émergeait lentement et qui avait commencé en 1931 par le renversement de la monarchie et la création d'une république. Dans les années qui suivirent, se succédèrent des périodes où la poussée révolutionnaire était écrasée par la répression, ainsi sous le tristement célèbre biennio negro [années noires 1934-35 sous un gouvernement de centre-droit, ndt], et des périodes d'activité révolutionnaire explosive où les ouvriers et les paysans contre-attaquaient face aux propriétaires miniers et fonciers. Ce ne fut pas une révolution rapide comme la Révolution russe, qui était passée de la déposition du tsar et l'établissement d'une république bourgeoise sous le gouvernement provisoire à un Etat ouvrier en l'espace d'une année. En Espagne, la révolution se développa à un rythme différent, plus lent, parce qu'il n'y avait pas de parti révolutionnaire présent au moment de la première poussée révolutionnaire comme en Russie, où les bolcheviques avaient déjà établi une base sociale importante dans la classe ouvrière en 1917.

En juillet 1936, la classe ouvrière de Barcelone s'opposa à la tentative de coup militaire menée par le général Francisco Franco. Le gouvernement républicain de Front populaire s'effondra devant le coup et le pouvoir tomba entre les mains des travailleurs, ceux-ci mirent en place des comités d'action et des milices. Mais en Espagne, contrairement à la Russie, aucun parti n'était en mesure de prendre le pouvoir. Les sections les plus militantes de la classe ouvrière étaient organisées par la fédération des syndicats anarchistes, la CNT, qui refusait toute forme de pouvoir étatique, y compris un Etat ouvrier. Le Parti socialiste espagnol (PSOE) faisait partie du gouvernement de Front populaire contre lequel Franco s'était soulevé et qui avait refusé d'armer les travailleurs pour assurer sa propre défense. Le Parti communiste espagnol (PCE) était une petite organisation avec peu de soutien dans la classe ouvrière et restait fidèle au Front populaire.

Un petit groupe d'oppositionnels de gauche, emmenés par Andres Nin déclara son accord avec le programme révolutionnaire que Trotsky défendait, mais refusa à chaque moment crucial de mettre un tel programme en pratique. Ils s'adaptèrent au nationalisme de gauche du Parti ouvrier et paysan catalan (BOC) de Joaquin Maurin avec lequel ils fusionnèrent finalement pour former le Parti de l'unité marxiste (POUM).

Le POUM critiquait le Front populaire, mais le rejoignit quand même. En 1936, Nin devint ministre dans le gouvernement catalan, ce qui accorda au gouvernement une crédibilité politique inespérée et lui permit de reprendre le pouvoir politique des mains des comités ouvriers. Dans les semaines qui suivirent la révolution du 19 juillet 1936, l'Etat bourgeois put s’imposer à nouveau grâce au soutien de la CNT et du POUM. Le processus atteignit son apogée lors des Journées de mai de 1937, où le gouvernement catalan et le gouvernement républicain espagnol, soutenus par Moscou, réprimèrent dans le sang la classe ouvrière de Barcelone et étranglèrent la révolution.

Cette action fut justifiée à l'époque, et c'est toujours le cas, par l'affirmation selon laquelle ceux qui dirigeaient la classe ouvrière à Barcelone étaient des agents fascistes qui tentaient de saboter l'effort de guerre républicain. Des historiens continuent à défendre le gouvernement de Front populaire avec les mêmes arguments. L'historien espagnol Angel Vinas a déclaré récemment que les Journées de mai étaient le résultat d'une provocation par des fascistes italiens. L'historien britannique Eric Hobsbawm a défendu les actions du Front populaire dans un article pour le Guardian datant de l'année dernière. L'attitude adoptée par un historien vis-à-vis du Front populaire et des Journées de mai est d’une très grande importance dans l’évaluation de toute analyse concernant cette période.

Malgré l'œuvre classique de Burnet Bolloten [2] et le travail plus récent d'Antony Beevor [3], qui apportent une présentation objective du rôle du Front populaire et de Moscou dans la répression de la révolution espagnole, il reste que la position dominante parmi les historiens est celle du soutien au Front populaire, accompagnée d'une forte tendance à minimiser la culpabilité de Moscou. Paul Preston et Helen Graham sont les deux spécialistes britanniques de l'histoire de la guerre civile espagnole qui sont les plus proches de cette position. Ils défendent tous deux les actions du gouvernement de Front populaire et, tout en considérant le rôle des staliniens comme regrettable, ils le considèrent comme un facteur plutôt secondaire.

Quelle est donc l'approche de Durgan sur le Front populaire ? Dans sa critique dithyrambique du livre de Durgan pour le magazine International Socialism publié par le SWP, Chris Ealham écrit, « De tous les milliers d'ouvrages publiés sur la guerre civile espagnole, il existe peu d'études sur les origines, le déroulement et les conséquences du conflit qui soient d’une telle qualité et aussi opportune que celle-ci. » [4]

Ealham prend soin de faire remarquer que Durgan se distingue non seulement des historiens de droite qui cherchent à réhabiliter la mémoire de Franco, mais aussi des historiens qui soutiennent le Front populaire.

« Tout en s'en prenant aux révisionnistes pour leur mauvaise présentation des décisions républicaines », écrit Ealham, « Durgan s'est clairement assigné la tâche de remettre en question l'analyse des historiens les plus en vue de la guerre civile — dont Helen Graham et Paul Preston sont les deux principaux exemples au Royaume-Uni — lesquels ont une attitude davantage bienveillante envers le Front populaire. »

Cette affirmation prête, pour le moins, à confusion. Une étude attentive du texte, très chargé en notes de bas de page, montre que, loin de contredire ces deux historiens, l'analyse de Durgan suit obséquieusement celles de Preston et Graham sur tous les points importants.

Durgan se conforme à ce que fait Graham en plaçant sa présentation de la guerre civile espagnole dans le cadre de ce qu'il appelle « Le défi de la modernisation ». Il insiste sur la vétusté de l'économie espagnole qui restait majoritairement agricole et de la société qui était toujours dominée par l'Église. Il définit la guerre civile « comme une "guerre d'agriculteurs" menée et remportée pour les latifundistes [grands propriétaires terriens] ».

Cette définition de la guerre civile est soit si générale qu’elle n’a pas de sens soit elle prête sérieusement à confusion. Bien sûr que l'économie espagnole était vétuste dans les années 1930. Le développement industriel était limité et l'agriculture espagnole était dominée par les grands propriétaires, dont l'Église, et c'étaient là les forces de droite qui soutenaient Franco. Mais si nous ne poussons pas notre analyse plus loin, alors nous ne rendons pas compte de la capacité révolutionnaire extraordinairement développée de la classe ouvrière espagnole et de certaines sections de la paysannerie. Nous ne rendons pas non plus compte de l'importance internationale des événements qui se produisirent en Espagne.

Le capitalisme se développe inégalement suivant les pays, mais il se développe aussi d'une manière combinée, si bien que même un pays agricole arriéré est happé dans l'économie capitaliste mondiale. Cela entraîne généralement le fait que son industrie, son agriculture et les classes qui y sont associées adoptent des caractères qui ne reflètent pas le niveau général d'arriération, mais les formes les plus modernes de production. Une fois débarrassée de ses fioritures, la théorie de Durgan revient à l'affirmation tautologique que l'Espagne s'était retrouvée sous la domination des représentants politiques des grands propriétaires terriens parce qu'elle était dominée par les grands propriétaires terriens.

L'Espagne pourrait être décrite comme devant faire face au défi de la modernisation à n'importe quel moment entre le dix-septième siècle et le présent. Mais une telle description ne nous apprendrait presque rien sur les processus historiques spécifiques à l'œuvre. On n'acquiert aucune compréhension des dynamiques historiques qui s'appliquent à la situation, en lisant la présentation qu'en fait Durgan. La théorie de la modernisation du vingtième siècle est essentiellement une théorie de l'histoire qui nie les classes sociales et que l'on applique au siècle même qui a vu les luttes de classes les plus intenses.

La conception que Durgan se fait des relations entre les classes et la société provient en dernière analyse des conceptions anti-marxistes du sociologue Max Weber. Celui-ci avait développé une vision anhistorique de la société comme étant une série de stéréotypes statiques. Cette approche influença certains marxistes autoproclamés comme Louis Althusser, qui développa une approche que l'on appelle structuraliste, et qui représente une influence théorique majeure sur le SWP.

Ce bagage théorique permet à Durgan d'adopter la théorie de la modernisation de Graham sans sourciller. La guerre civile espagnole, selon Graham, était une guerre civile parmi tant d'autres en Europe, qui reflétait des réponses différentes face à la modernité.

« Toutes ces "guerres civiles" européennes (parce que les guerres civiles peuvent prendre de nombreuses formes) », écrit-elle, « avaient leurs origines dans les inquiétudes politiques, sociales et culturelles cumulées provoquées par une modernisation rapide, inégale et qui allait s’accélérant (c'est-à-dire, l'industrialisation et l'urbanisation), de par le continent. Tous ceux qui avaient soutenu la révolte militaire espagnole en 1936 avaient en commun une peur de ce que le changement leur réserverait – que leur peur porte sur des pertes matérielles ou psychologiques (richesse, statut professionnel, hiérarchies sociales et politiques bien établies, certitudes religieuses ou sexuelles) ou qu’elle en soit un mélange. » [5]

La théorie de la modernisation est une théorie historique qui nie ouvertement les classes sociales. La division entre les forces sociales modernisatrices et celles qui ne le sont pas est largement arbitraire et subjective. L'Eglise, les grands propriétaires et les fascistes pourraient être comptés parmi les anti-modernisations, tandis que les politiciens démocrates, républicains et libéraux, ou les hommes d'affaires sont considérés comme des modernisateurs. Mais il n'y a aucune raison pour ne pas classer les fascistes parmi les modernisateurs dans certains cas, puisque leur régime développe la production industrielle sous le capitalisme. Certains auteurs de cette école de pensée ont assurément appliqué cette qualification au régime de Hitler.

Toujours selon cette théorie, les séries de troubles révolutionnaires qui suivirent la Révolution russe de 1917–18 et 1923 en Allemagne, les occupations d'usines de la bienno rosso de 1919-1920 en Italie, la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne, et la grève générale de 1936 en France, auxquels on pourrait ajouter des événements hors d'Europe comme la commune de Shanghai en 1927, faisaient toutes partie d'une crise de la modernisation et n'étaient donc pas l'expression d'une lutte entre le prolétariat et le capital.

Graham ne creuse pas la question, mais l'on devrait se demander dans quelle mesure la Révolution russe elle-même peut encore être décrite comme une révolution prolétarienne. Si l'on accepte la définition de l'entre-deux-guerres donnée par Graham, alors la révolution d'octobre ne serait qu'une variante particulière de la crise de la modernisation.

L'importance que revêt la théorie de la modernisation pour l'histoire de la guerre civile espagnole apparaît très clairement dans un article écrit par Graham au sujet des Journées de mai à Barcelone. [6] Les Journées de mai sont les événements au coeur du film de Ken Loach. Le 3 mai 1937, les troupes républicaines tentèrent de s'emparer du central téléphonique de Barcelone qui était aux mains des travailleurs depuis juillet 1936. Les travailleurs se précipitèrent depuis les environs pour défendre le central téléphonique et élevèrent des barricades quand la nouvelle de ce qui se passait se propagea. À la nuit tombée, Barcelone était sous leur contrôle. La classe ouvrière aurait pu prendre le pouvoir à Barcelone à ce moment, mais les dirigeants de la CNT et du POUM refusèrent d'en donner l'ordre. Seul un petit groupe de trotskystes, actif à l'intérieur du POUM et un groupe anarchiste connu sous le nom des Amis de Durruti, appelèrent les travailleurs à renverser le gouvernement.

Alors que le gouvernement républicain faisait les préparatifs du bombardement des quartiers ouvriers de Barcelone, les dirigeants anarchistes négocièrent un cessez-le-feu qui permit à des milliers de républicains et de troupes d'assaut d'entrer dans la ville et d'en reprendre le contrôle. Les travailleurs furent désarmés et arrêtés. De nombreux dirigeants du POUM disparurent dans des prisons secrètes contrôlées par le GPU, la police secrète stalinienne dont le pouvoir n’avait cessé d’augmenter depuis l'automne. À ce moment-là, tandis que les staliniens manigançaient la nomination du socialiste de droite Juan Negrin au poste de premier ministre, ils avaient carte blanche pour torturer et assassiner à volonté. La machinerie des procès de Moscou fut recréée en Espagne, et Andres Nin en fut victime lorsqu'il refusa de donner la confession que l'on exigeait de lui pour un procès-spectacle qui aurait présenté ce révolutionnaire internationalement reconnu, comme un agent fasciste.

Mais pour Graham, les événements sanglants qui eurent lieu à Barcelone n'étaient que la poursuite de disputes antérieures entre différentes organisations. Elle rejette instamment l'idée que le Comintern et la police secrète stalinienne aient été, de quelque façon que ce soit, liés aux meurtres et aux arrestations des dirigeants ouvriers.

Elle écrit : « Les Journées de mai ne peuvent donc pas se réduire à une parabole de guerre froide d'un stalinisme étranger qui "injectait" le conflit dans la politique républicain espagnole. Le "nettoyage" des communistes dissidents à Barcelone par le Comintern en mai et juin 1937, aussi moralement répugnant soit-il, n'était qu'un aspect d'un tableau plus complexe. »

La « parabole de la guerre froide » en question, explique-t-elle dans une note, vient de Burnett Bolloten. C'est, selon Graham, « la thèse centrale, inchangée, de l'œuvre de Burnett Bolloten – du Grand Camouflage (1961) jusqu'à La guerre civile espagnole, Revolution et contre-révolution, publié de manière posthume en 1991. Ce que Bolloten a fait, c'est construire une narration téléologique. »

Ce qu'a fait Bolloten en réalité, c'est démontrer, en s'appuyant sur une étude minutieuse des preuves disponibles, que les Journées de mai étaient la continuation de la lutte de la bureaucratie stalinienne contre le trotskysme. Ses conclusions ont depuis été confirmées par des éléments des archives soviétiques et d'autres historiens. Avec sa référence à la guerre froide, Graham tente implicitement de ressusciter la vieille accusation stalinienne selon laquelle Bolloten était un agent de la CIA parce qu'il osait critiquer Moscou.

Graham conclut : « Les Journées de mai 1937 à Barcelone étaient en fin de compte une question de "modernisation" brutale. »

La répression des ouvriers et de leurs partis politiques à Barcelone, nous assure-t-elle, était une tâche nécessaire si l'Etat espagnol devait être renforcé, si le contrôle capitaliste de l'économie nationale devait être assuré et la discipline sociale imposée à la classe ouvrière. La classe ouvrière, toujours selon Graham, était opposée à la modernité à Barcelone parce qu'ils voulaient établir des milices, s'emparer des usines, des ateliers et des fermes. En effet, selon cette théorie, la classe ouvrière, le POUM et l'opposition de gauche peuvent tous être rangés parmi les opposants à la modernisation dans la mesure où ils s'opposaient au Front populaire. Les prisons secrètes, les tortionnaires, les bourreaux et la machine à produire des mensonges de la bureaucratie stalinienne, étaient, au contraire, les forces de la modernisation.

Il y a des similarités troublantes entre la présentation des Journées de mai par Graham et les affirmations staliniennes selon lesquelles le POUM et les trotskystes étaient des agents fascistes. Graham est une historienne trop prudente pour soutenir de telles allégations, qui ont été réfutées à plusieurs reprises, mais elle est prête à décrire les travailleurs et les dirigeants révolutionnaires comme étant, objectivement parlant, réactionnaires et, doit-on supposer, rendant inconsciemment service au fascisme par leurs tentatives de défendre les gains de la révolution du 19 juillet.

Durgan doit beaucoup à Preston et Graham. Il écrit qu'il est maintenant possible de parler d'une « série de guerres espagnoles » — une référence à The Spanish civil war (2006) de Paul Preston, que Durgan considère comme un excellent ouvrage — et d'une « guerre des cultures, » une référence à The Spanish civil war d'Helen Graham, qu'il qualifie aussi d'« excellent ». Il considère le point de vue de Graham et Preston, selon lequel il y avait de multiples guerres, comme « incontestablement, un progrès par rapport à la conception bipolaire des "deux Espagne", généralement présentée dans les ouvrages historiques plus anciens dans laquelle une Espagne "libérale, progressiste et séculière" était prisonnière d'un combat contre une Espagne "traditionaliste, conservatrice" et catholique ». Toujours selon lui, les historiens récents préfèrent parler de trois Espagne — « La troisième étant celle qui ne s'allia à aucun des adversaires et tenta d'imposer un juste milieu. » Encore une fois, c'est Paul Preston qui défend cette idée dans Comrades (1999).

L'attitude de Durgan envers la révolution espagnole est bien résumée dans sa description de la poussée révolutionnaire explosive des travailleurs au début des années 1930. Il est très critique de la CNT pour son organisation d'insurrections armées. Ces insurrections étaient « ordonnées par un nombre assez faible d'activistes et sans consulter les membres d'une manière sérieuse. Le résultat de ces révoltes avortées fut des centaines de victimes et d'arrestations, la fermeture de nombreux locaux syndicaux, un déclin rapide du nombre de membres cotisants et l'exacerbation des divisions existantes dans le mouvement ouvrier. »

Nous avons là la voix authentique d'un bureaucrate syndical. Qu'est-ce qui pourrait être pire qu'un déclin du nombre des « membres cotisants » d'un syndicat ? Une seule chose, peut-être : La révolte entraîna l'ébranlement de « la crédibilité du premier ministre républicain, le principal architecte du processus de réforme, Manuel Azana ». Il cite le Comrades de Preston sur ce point.

Durgan continue à suivre Preston et Graham dans son analyse du Front populaire. Il se fait un devoir de nier que la formation du Front populaire ait été influencée par Moscou. C'était, selon lui, le produit de la politique intérieure espagnole, « malgré ses similitudes évidentes avec les grandes alliances anti-fascistes du même nom qui étaient alors proposées par l'Internationale communiste (Comintern) à Moscou. »

C'est une affirmation remarquable, et qui est complètement contredite par les preuves historiques. Il cite Graham dans The Spanish Republic at war, et compare son point de vue à celui de Burnett Bolloten, qui s'était consacré à la révélation du rôle criminel du stalinisme dans la guerre civile espagnole. Une lecture attentive des notes de bas de page de Durgan n'indique aucune référence positive au travail magistral de Bolloten.

À suivre

 

Notes :

1. Andy Durgan, The Spanish Trotskyists and the Foundation of the POUM, Revolutionary History, Vol. 4, Nos.1-2.

2. Burnett Bollotten, The Spanish Civil War: Revolution and Counterrevolution (Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 1991).

3. Antony Beevor, The Battle for Spain: The Spanish Civil War, 1936-9 (Londres: Weidenfeld and Nicolson, 2006).

4. Chris Ealham, Revolution and reaction in Spain, International Socialism, No. 117.

5. Helen Graham, The Spanish Republic at War 1936-1939 (Cambridge: Cambridge University Press, 2002).

6. Helen Graham, "Against the State": A Genealogy of the Barcelona May Days (1937), European History Quarterly, Vol. 29(4), (1999), pp. 484-542.

 

(Article original anglais paru le 16 septembre 2008)


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