Le World Socialist Web Site se solidarise
entièrement avec les dizaines de milliers d’étudiants, de jeunes et de
travailleurs qui ont occupé les rues de villes grecques par des manifestations,
des grèves et des batailles rangées avec la police armée anti-émeute. Cette
lutte sociale de masse, déclenchée par le meurtre du jeune de 15 ans Alexis
Grigoropoulos par la police, est le présage de soulèvements révolutionnaires à
venir, pas seulement en Grèce, mais de par l’Europe et le monde.
Le caractère soutenu et militant de ces manifestations est
en fait l’expression de la réaction de millions de travailleurs et de jeunes
qui voient leurs conditions de vie détruites et leurs avenirs volés par le
développement de la pire crise capitaliste mondiale depuis la Grande Dépression
des années 1930.
Les événements en Grèce ont semé la consternation dans les
capitales à travers l’Europe. Les gouvernements de Londres, Paris, Madrid, Rome
et Berlin sont bien conscients que les conditions de détérioration dans les
écoles et les universités ne se limitent pas qu’à la Grèce. Pas plus que les
emplois à bas salaire, le chômage de masse, la brutalité policière et le manque
général d’avenir pour les jeunes ne sont particuliers qu’à la péninsule
hellénique.
À travers l’Europe et de par le monde, la jeune génération
fait face à une société dans laquelle les élites dirigeantes ont pu s’enrichir
grassement aux dépens des larges masses de la population. Les budgets
gouvernementaux ont été pillés et les systèmes d’éducation et sociaux ont été
ravagés à la demande d’une minuscule couche immensément riche qui, avec l’aide
des partis et des Etats corrompus et de la police armée, défend farouchement
ses privilèges. Des millions de jeunes étudiants se voient refuser une
éducation de bon niveau ou un emploi qui leur garantiraient un avenir. Ils font
plutôt face à la pauvreté, la guerre et la militarisation de la société.
Le fait que de tels problèmes ne se limitent pas qu’à la Grèce,
mais qu’ils soient au contraire dominants tout autour du globe pose la
nécessité de considérer les jours de colère à Athènes et dans d’autres villes
grecques d’un point de vue politique plus large.
Les événements en Grèce démontrent clairement que des
masses de travailleurs et de jeunes ne sont plus prêtes à accepter les
conditions intolérables créées par le capitalisme. Le mépris des jeunes et des
étudiants envers les clichés et les promesses creuses d’une caste politique
corrompue est entièrement justifié. Les jeunes manifestants ont fait preuve
d’un grand courage face à la brutalité de la police anti-émeute. Rien ne va
changer sans l’intervention active, massive et résolue de ceux qui sont
affectés par la crise.
Cependant, le développement d’une perspective politique
claire pour guider ces luttes et la construction d’un leadership
révolutionnaire prêt à mener jusqu’au bout la lutte pour la transformation
socialiste de la société sont cruciaux.
La première tâche est de faire une analyse politique
sérieuse de la situation. Comme à travers une loupe, tous les problèmes
fondamentaux de la société européenne ont été exposés dans ce pays relativement
petit qui fut le berceau de la civilisation sur le continent.
Les effets de la crise financière internationale ont
dramatiquement intensifié la longue crise économique en Grèce. À la fin de
novembre, dans un article intitulé « Les propriétaires de bateaux grecs
pris dans la tempête », le journal allemand Handelsblatt a écrit
que l’industrie clé du pays est en train de glisser dans « une récession
profonde ». Les revenus ont chuté « drastiquement ». Le journal
cite un analyste qui déclare : « Cette crise dépasse tout ce que nous
avons vécu jusqu’à maintenant. »
La production industrielle, qui constitue seulement 13,5 pour
cent du produit intérieur brut du pays, a aussi chuté considérablement l’année
dernière : le textile et les vêtements (-10 pour cent), la production
métallurgique (-9,1 pour cent), les produits électroniques (-22,3 pour cent) et
la construction de navires (-18,1 pour cent) ont tous subit des pertes
importantes. Les investissements étrangers directs ont chuté de 31,3 milliards
d’euros en 2006 à seulement 4,6 milliards l’année dernière. L’indice boursier
d’Athènes, ASE General, qui a débuté l’année à 5000, a maintenant chuté sous
les 1900 points.
Malgré une vague de privatisations et de coupures dans les
dépenses sociales, l’endettement du pays (94 pour cent du produit intérieur
brut) est dépassé, dans la zone euro, seulement par l’Italie. Dans un
développement parallèle, l’endettement des ménages privés dans les sept
dernières années, depuis l’introduction de l’euro et l’inflation qui l’a
suivie, a quintuplé, passant de 16,8 à 93,3 milliards d’euros.
Les salaires sont extrêmement bas, la moyenne de revenu
mensuel étant 789 euros. C’est légèrement plus qu’en Pologne (785 euros) et
substantiellement moins qu’au Portugal (1080 euros). Le chômage chez les jeunes
est officiellement à 21,4 pour cent et, dans l’Union européenne, il n’est
dépassé que par celui de l’Espagne (25 pour cent).
Au milieu d’octobre, le gouvernement de Kostas Karamanlis a
décidé d’implanter un « plan de sauvetage des banques » de 28
milliards d’euros dans le but de protéger les super-riches de grosses pertes
causées par la spéculation financière. Ce nouveau niveau de dette
gouvernementale va inévitablement mener à une autre ronde de coupes
budgétaires.
Pendant des décennies, la politique en Grèce, le berceau de
la démocratie, a été dominée par deux familles : le clan Karamanlis et le
clan Papandreou. Les deux ont établi des réseaux de corruption et de népotisme
qui ont dominé l’Etat dans tous les secteurs importants de la vie sociale.
Le premier ministre actuel, Kostas Karamanlis, est le neveu
de Konstantin Karamanlis, qui a mis sur pied le parti conservateur Nea
Dimokratia (Nouvelle Démocratie, ND) en 1974 et a occupé, à différents moments,
les postes de premier ministre et de président. Le président actuel, Karolos
Papoulias, est un membre fondateur du Mouvement socialiste panhellénique
(PASOK) et un proche ami d’Andreas Papandreou, dont le fils est aujourd’hui
président du PASOK.
Aucun autre parti politique n’a autant dominé la scène
politique grecque que le PASOK depuis la fin de la junte militaire en 1974. Il
a formé le gouvernement de 1981 à 1989 et de 1993 à 2004 et est très influent
auprès des syndicats du pays.
Dans les années 1980, le PASOK a défendu la politique du
nationalisme politique et économique, qui consistait principalement en une
rhétorique anti-américaine et anti-européenne combinée à l’implémentation de
réformes sociales limitées. Dans les années 1990 toutefois, comme les autres
partis sociaux-démocrates en Europe, il a de plus en plus adopté le modèle
économique du néolibéralisme et imposé des coupes draconiennes dans les
programmes sociaux, suivant les prescriptions de l’Union européenne.
L’appui électoral au PASOK s’est affaibli suite à ce
tournant vers cette politique néolibérale et vers une politique étrangère de
plus en plus agressive, par exemple son appui à la guerre de l’OTAN contre la
Yougoslavie en 1999. En 2000, il a réussi à obtenir une courte victoire contre
ND dans les élections nationales et, en 2004, le gouvernement droitier de ND
dirigé par Kostas Karamanlis a pu prendre le pouvoir.
C’est dans un tel contexte que le Parti communiste de Grèce
(KKE) s’est rué pour venir en aide au PASOK. Le KKE est servilement demeuré
loyal à la bureaucratie moscovite jusqu’à la fin des années 1980, lorsque
l’effondrement de l’Union soviétique a entraîné son éclatement. Après une série
de scissions, il est resté un noyau dur d’anciens staliniens qui ont usé de
leur influence dans les syndicats pour pacifier les luttes de la classe
ouvrière et les ramener derrière le PASOK.
Il est caractéristique que le président du KKE Aleka
Papariga ait immédiatement attaqué les récentes manifestations et les luttes
dans la rue comme le fait de « milices juvéniles » et qu’il ait
dénoncé les jeunes qui y étaient impliqués comme des « auteurs insensés de
violence ». Le but central du KKE est d’empêcher que la radicalisation de
la jeunesse s’étende à la classe ouvrière.
Avec le tournant affirmé vers la droite du PASOK et du KKE,
d’autres formations de gauche ont cherché à détourner le mouvement de masse des
jeunes. Au premier chef, il y a la « coalition de gauche », ou la
SYRIZA, un amalgame de groupes les plus divers, allant des verts à des soi-disant
socialistes en passant par les pacifistes, les féministes et les radicaux de
gauche.
La composition hétérogène de ce parti trouve son reflet
dans son manque de clarté programmatique. Lors de la campagne électorale de
l’an dernier, la coalition a insisté sur la question de l’écologie, le plus
petit commun dénominateur de ses adhérents, après des luttes intestines
acerbes.
La direction du parti a explicitement refusé de mettre de
l’avant des demandes socialistes. Plutôt, il a misé sur une courte victoire du
PASOK dans l’espoir que cela forcerait ce dernier à former une alliance avec le
SYRIZA. Ce n’est pas un hasard si le président du Parti de la Gauche allemand,
Lothar Bisky, a été invité d’honneur dans des rassemblements électoraux du
SYRIZA. Il ne suffit que de prendre connaissance de la politique mis de l’avant
par le Parti de la Gauche à Berlin pour comprendre que rien de progressiste ne
sortira de cette « coalition de la gauche ».
Les éléments anarchistes jouent également un rôle
rétrograde dans les luttes en Grèce en rendant les travailleurs responsables de
la politique droitière du PASOK, du KKE et des syndicats, ce qui sert à isoler
la jeunesse de la classe ouvrière dans son ensemble.
La seule véritable orientation progressiste pour le
mouvement actuel en Grèce est de se tourner délibérément vers la classe
ouvrière en Grèce et dans toute l’Europe. Cela exige un programme socialiste
international, basé sur les leçons politiques tirées des principales luttes de
la classe ouvrière internationale et sur les leçons des défaites et des
tragédies vécues dans les dernières décennies.
Le World Socialist Web Site et les sections
européennes du Comité international de la Quatrième Internationale, le Parti
pour l’égalité socialiste en Allemagne et Grande-Bretagne, appelle pour
l’extension à tout l’Europe des protestations de masse et des luttes qui ont
fait éruption en Grèce.
Ce mouvement doit être construit sur la perspective d’unir
les travailleurs européens dans une lutte commune pour mettre fin au système de
profit capitaliste et pour socialiser les forces productives afin de satisfaire
les besoins de l’humanité. Contre l’Union européenne capitaliste, les
travailleurs doivent lutter pour la création des Etats-Unis socialistes
d’Europe.
Au sein de la Grèce elle-même, la tâche la plus importante
est celle de la construction d’un parti socialiste révolutionnaire de la classe
ouvrière en tant que section du Comité international de la Quatrième
Internationale.
(Article original anglais paru le 19 décembre 2008)