L’annulation de la grève des cheminots prévue le mois dernier
a été une trahison significative de la part des syndicats, conduits par la CGT
(Confédération générale du travail.) Cette grève aurait été la première
confrontation nationale de taille, allant au-delà d’une journée de grève, entre
les travailleurs et le gouvernement conservateur du président Nicolas Sarkozy
depuis le développement de la crise bancaire mondiale.
La réaction à cet événement de la Ligue communiste
révolutionnaire d’Olivier Besancenot (LCR), a donc une signification certaine.
Etant donné que la LCR est sur le point de se transformer en Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA), cette réaction donne une idée du rôle politique que
jouera cette nouvelle formation et de sa vraie relation avec les vieilles
bureaucraties staliniennes et sociales-démocrates.
La grève en question devait être une protestation contre les
projets du gouvernement d’initier la déréglementation des conditions de travail
des conducteurs de fret. Ceci n’est que le précurseur de la destruction des
conditions de travail pour l’ensemble de la SNCF (Société nationale des chemins
de fer) en préparation de son démantèlement et de sa privatisation. Le 6
novembre dernier, une journée de grève bien suivie des conducteurs de train
laissait présager le succès de la grève reconductible qui devait débuter le 23
novembre.
A chaque fois que les tensions sociales deviennent trop
importantes, les bureaucraties syndicales font tout pour qu’aucun mouvement des
travailleurs n’échappe à leur contrôle. Ils font tout pour isoler les luttes et
les limiter à des revendications étroites.
Au lieu de mobiliser l’ensemble des 160 000 employés de
la SNCF, seuls les conducteurs ont été appelés à faire grève et uniquement sur
la question des conditions de travail des conducteurs de fret. Ensuite, à
l’approche de la date de la grève, tous les différents syndicats de cheminots
ont renoncé à la grève tandis que les diverses négociations avec la direction
donnaient quelques concessions insignifiantes. Le coup de grâce a été donné par
la CGT, lorsqu’elle a fait une déclaration le 21 novembre suspendant l’appel à
la grève. La CGT est le syndicat majoritaire des cheminots et est proche du
Parti communiste.
SUD (Solidarité-Unité-Démocratie) qui se met en avant comme une
alternative plus combative à la CGT a été l’unique syndicat à maintenir la
grève, mais pour une seule journée. Besancenot est membre du syndicat SUD des
travailleurs de la Poste et jouit d’un accès quasi-illimité aux médias. Et
pourtant il n’a rien fait pour mobiliser une opposition à la décision de la CGT
d’annuler la grève. Au lieu de cela, la LCR a attendu que la grève soit annulée
pour dénoncer le fait que la CGT l’avait sabotée. Et là encore, elle s’est
contentée d’appeler les travailleurs à faire davantage pression sur les
bureaucraties syndicales et à exiger l’unité dans l’action.
L’hebdomadaire de la LCR, Rouge, affirmait le 27
novembre, « Sur le fond, rien ne justifie le retrait de la CGT ; il
s’agit d’un sabotage pur et simple. » Mais dans ce même numéro Rouge
appelle la base à « imposer » aux syndicats d’organiser « une
vraie grève unitaire » et à mettre fin à « l’éparpillement et la
fragmentation des luttes et des mobilisations. » Et juste après cet appel
à la base, ils lancent aussitôt un appel identique aux forces mêmes qui sont
responsables du sabotage, à ce qu’ils appellent « la gauche sociale et
politique » ou pour appeler les choses par leur nom, au Parti socialiste
(PS), au Parti communiste (PC), aux Verts et aux syndicats. Ces tendances sont expressément
invitées à « attiser le mécontentement et faire converger les résistances. »
La pression militante ne peut empêcher les trahisons des syndicats.
Les syndicats ne sont pas des organisations ouvrières mais fonctionnent comme
des instruments du patronat visant à discipliner les syndiqués.
En France le degré d’intégration des syndicats à l’appareil de
direction des grandes entreprises et de l’Etat est extraordinaire. Leur soutien
dans la classe ouvrière est minime. L’adhésion à un syndicat ne concerne que 7
pour cent de la main-d'œuvre et celle de la CGT se situe entre 2 et 3 pour
cent, et c’est une estimation généreuse.
Néanmoins, les syndicats sont toujours des entités riches et
influentes parce que l’organisation d’après la Seconde Guerre mondiale avait
donné à la CGT et à d’autres syndicats la responsabilité, partagée avec les
employeurs, des administrations gérant les fonds de sécurité sociale pour les
retraites, les allocations chômage, l’assurance maladie et autres services. Les
syndicats fournissent une couche considérable de bureaucrates ayant des revenus
lucratifs et des contacts utiles avec les patrons et les représentants de
l’Etat. Même selon les estimations les plus généreuses, la moitié seulement des
ressources des syndicats proviennent des cotisations de leurs membres, et cette
évaluation ne tient bien sûr pas compte des nombreux avantages, faveurs et autres
petits services cachés accordés aux bureaucrates par les grandes entreprises et
qui ne sont un secret pour personne. Le quartier général luxueux de la CGT à
Montreuil, en région parisienne, témoigne du style de vie et des ressources
d’Etat dont jouit la direction du syndicat.
La relation de collaboration entre l’Etat, les patrons et les
syndicats ne s’est pas terminée avec la déroute de la gauche plurielle et la
victoire de Sarkozy. Ce dernier a clairement démontré depuis son arrivée au
pouvoir qu’il considère leur rôle de « partenaires sociaux » comme
essentiel pour mettre en place ses contre-réformes. Il rencontre
continuellement les syndicats pour développer sa politique et la discuter avec
eux.
En septembre dernier, en tant que président du Conseil de
l’Europe, Sarkozy avait rencontré une délégation de la Confédération européenne
des syndicats (CES) dirigée par son président Wanja Lundby-Wedin, et son
secrétaire général John Monks et comprenant les dirigeants syndicaux français
Bernard Thibault de la CGT, François Chérèque de la CFDT (Confédération
française démocratique du travail, proche du Parti socialiste), Jean-Claude
Mailly de Force ouvrière, Jacque Voisin de la CFTC catholique et Alain Olive de
l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes, proche elle aussi du Parti socialiste.)
Une déclaration de la CES faisait remarquer : « Le
président a aussi rappelé combien le travail des partenaires sociaux européens
est important et comment leur capacité à conclure des accords entre eux
pourrait accélérer le processus et augmenter l’acceptabilité des réformes. Il a
de ce fait demandé aux délégués de ne pas ménager leurs efforts pour utiliser
le dialogue social au niveau européen afin de mettre en avant des propositions
et encourager les réformes. » [retraduit de l’anglais.]
La LCR est au courant de la vraie relation entre les syndicats
et la bourgeoisie française. Dans sa propre analyse de la trahison de la grève
des cheminots, Rouge déclare, « Plusieurs explications peuvent être
données à ce retournement : Par exemple, à une semaine des élections
prud’homales la CGT n’a pas particulièrement envie de reportages télé montrant
des quais bondés et dénonçant des "voyageurs pris en otages par la CGT et
SUD Rail". »
Le bulletin de grève de SUD-Rail suggère aussi que la CGT
avait préféré « ne pas "irriter" l’usager électeur aux
prud’homales ».
Les élections prud’homales déterminent la représentation aux
Prud’hommes qui jugent les conflits entre travailleurs individuels et leurs
employeurs. Les résultats de ces élections sont une question clé pour la
bureaucratie car ils sont utilisés pour calculer le degré de soutien dont
jouissent les syndicats rivaux et leur représentation dans des instances de
direction et d’Etat souvent hautement lucratives.
Ces élections qui se sont tenues le 3 décembre ont démontré
l’aliénation de la vaste majorité des travailleurs par rapport aux syndicats. La
participation n’a été que de 25 pour cent, alors que dans les années 1970 elle
tournait autour de 65 pour cent. Ce n’est que grâce à cette faible
participation que la CGT a pu se réjouir de conserver 33,56 pour cent du vote,
tout juste 8 pour cent de la population active, et par là même la part du lion
en matière d’avantages de la collaboration de classes.
Le refus de la LCR de tirer des conclusions politiques concernant
la transformation des syndicats en un instrument de la direction n’est pas
juste un produit de son aveuglement théorique. C’est plutôt que, durant des
décennies d’activité politique et sociale, les cadres dirigeants de la LCR se
sont intégrés dans l’appareil des syndicats jusqu’à ses plus hauts échelons.
Ses membres occupent de nombreux postes au sein des instances locales,
régionales et nationales où eux aussi visent des postes dans des commissions paritaires
avec les employeurs. Ils font peut-être des propositions plus radicales que
certains de leurs collègues, mais ils ne cherchent jamais à mobiliser les
travailleurs pour évincer les staliniens et les sociaux-démocrates.
Une réunion de membres de la CGT, sous l’égide du NPA, s’est
tenue le samedi 29 novembre, deux jours après l’article de Rouge critiquant
leur syndicat pour la « grève sabotée. » Elle a servi à souligner que
la LCR a une présence significative dans ce syndicat, avec près de 300
participants. Et pourtant le reportage dans Rouge de cette réunion
accorde une place prédominante au discours de Jean-Pierre Delannoy, bureaucrate
CGT de l’industrie automobile du Nord Pas de Calais, à la rhétorique de gauche
et dont l’unique réponse consiste à « rassembler » tous ceux qui
rejettent « la politique confédérale et veulent être utiles à la
construction de l’indispensable tous ensemble. »
Dans une interview accordée à Européens solidaires sans
frontières, le 20 novembre, Delannoy appelle à un retour au « passé de
luttes de la CGT », un passé qui inclut l’étouffement de la grève générale
de 1936 contre des concessions éphémères, le sauvetage de De Gaulle face au
défi révolutionnaire de la grève générale de mai-juin 1968. Il ne propose
aucune perspective politique aux travailleurs sinon celle de faire pression sur
le gouvernement : « Lutter pour nos revendications dans le cadre
d’une mobilisation générale, puissante et durable, capable d’inverser le
rapport de force et de répondre à la souffrance du monde du travail. »
La LCR insiste régulièrement pour dire que le NPA n’entrera
dans aucune alliance politique avec « les sociaux libéraux » du Parti
socialiste. Néanmoins, dans son travail syndical et dans les instances du
gouvernement local, il est en contact permanent avec le PS et le PC, à tous les
niveaux et fait systématiquement références à ces derniers comme étant « la
gauche » avec laquelle il doit être uni à tout prix.
Aucun parti qui ne défie la domination des bureaucraties
syndicales et leur étouffement des luttes des travailleurs ne pourra jamais être
autre chose qu’une couverture de gauche pour les trahisons à venir. Il ne
s’agit pas de proférer quelques slogans au phrasé revendicatif, mais il s’agit
de développer un esprit insurrectionnel animé par une compréhension profonde de
la nature de la bureaucratie et de son rôle objectif.
L’unité réelle de la classe ouvrière ne peut se forger que par
une lutte politique contre les sociaux-démocrates et les staliniens, et non pas
par un amalgame sans principe de tendances soi-disant de gauche sur quelques
revendications minimales, et qui vont se démanteler dès que se produira une
lutte sérieuse. Ceci requiert la construction d’authentiques organisations de
la base et qui s’étendront aux larges couches de travailleurs qui sont à
présent ignorées par les syndicats, notamment les jeunes.