Le gouvernement minoritaire conservateur du Canada a
présenté vendredi dernier au Parlement une motion visant à prolonger de 34
mois, soit jusqu’à la fin de 2011, la mission de combat des Forces armées
canadiennes au sud de l’Afghanistan. Actuellement, 2500 soldats canadiens et un
escadron de chars Leopard sont déployés dans la province de Kandahar, le centre
historique des talibans.
Plus tôt la semaine dernière le gouvernement avait annoncé
que le vote pour prolonger la mission afghane des Forces armées canadiennes
au-delà de février 2009, qui est prévu pour la fin mars, allait probablement
être un « vote de confiance ». Ainsi, advenant le rejet à la Chambre
des communes de la motion visant à prolonger la mission de combat des FAC, on
jugerait que le gouvernement conservateur en poste depuis deux ans aurait perdu
la confiance du Parlement, entraînant alors la tenue d’une élection fédérale.
Le gouvernement conservateur de Stephen Harper ne cache pas
l’importance qu’il accorde au déploiement des FAC en Afghanistan à travers
lequel les FAC ont adopté un rôle dirigeant dans la guerre en Afghanistan et où
l’Equipe consultative stratégique, menée par les FAC, acquiert un important
pouvoir décisionnel en déterminant les politiques du gouvernement afghan mis en
place par les Etats-Unis.
L’élite patronale du Canada a solidement appuyé les efforts
du gouvernement Harper pour utiliser une armée canadienne développée et réarmée
afin d’avancer ses intérêts économiques et stratégiques sur la scène mondiale.
Mais les sondages ont démontré à maintes reprises que la majorité des Canadiens
s’opposent à la guerre des FAC en Afghanistan. Ceux qui sont fortement en
faveur d’un retrait des troupes canadiennes du sud de l’Afghanistan au plus
tard en février 2009 sont beaucoup plus nombreux que ceux qui sont fortement en
faveur d’une prolongation de l’actuelle mission de combat.
Les sentiments anti-guerre ont été attisés par
l’augmentation du nombre de morts. 78 soldats des FAC ont été tués en
Afghanistan depuis 2001, presque tous au cours des deux dernières années.
Tous les partis de l’opposition — les libéraux, le Bloc
québécois (BQ) indépendantiste et le Nouveau Parti démocratique — ont appuyé la
participation canadienne à l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001 et le
déploiement des troupes canadiennes à Kandahar au début de l’été 2005.
Mais, en commençant par le NPD qui a retiré son appui à la
mission de combat des FAC en août 2006, les partis de l’opposition ont commencé
à trouver judicieux le fait de faire appel, bien que de façon limitée et
presque entièrement rhétorique, aux sentiments populaires anti-guerre et
anti-Bush.
Le BQ, dont le chef Gilles Duceppe avait qualifié la
mission des FAC en Afghanistan de « noble cause », a néanmoins,
durant la dernière année, soutenu qu’il s’opposait à toute prolongation de la
mission de combat des FAC au-delà de février.
Les libéraux, le parti traditionnel de l’élite dirigeante
canadienne, sont fortement divisés sur la question du soutien au prolongement
de la mission de combat des FAC dans le sud de l’Afghanistan, une mission qui
fut lancée par le gouvernement libéral de Paul Martin.
Conscient de ces divisions, Harper a demandé à John Manley (un
ancien vice-premier ministre et ministre des Finances libéral bien connu pour
son appui à un alignement encore plus étroit avec Washington et à une prolongation
du rôle majeur que joue le Canada dans la guerre en Afghanistan) de mener un
comité des « sages » qui avait pour but de faire des recommandations
au gouvernement sur ce qu’il devrait faire lorsque la mission des FAC
atteindrait la fin de son présent mandat en février 2009.
De façon prévisible, Manley a déposé un rapport qui appuyait
fortement la position du gouvernement selon laquelle les FAC doivent continuer
de faire la guerre en Afghanistan pendant encore des années. Mais, le rapport
fut rédigé de façon à encourager et à faciliter un consensus bipartisan entre
les libéraux et les conservateurs qui serait en faveur d’un prolongement de la
campagne de contre-insurrection des FAC.
La Commission Manley a critiqué le gouvernement pour ne pas en
avoir fait assez pour rallier la population canadienne à la guerre afghane.
Elle a dit aussi que son appui pour le prolongement d’une mission des FAC est
conditionnel à ce que le gouvernement fournisse les FAC en hélicoptères et en
drones de surveillance et qu’il convainque un allié de déployer 1000 soldats à
Kandahar.
Malgré les appréhensions de plusieurs à la tête du parti, le
chef libéral Stéphane Dion a refusé de se plier au rapport Manley. Plutôt, il
est resté sur la position qu’il avait prise l’automne dernier selon laquelle la
« mission de combat » à Kandahar devait se terminer en février 2009.
Au même moment, Dion a mis l’accent sur le fervent appui des libéraux pour
l’occupation de l’OTAN, menée par les États-Unis, de l’Afghanistan tout comme
pour le déploiement continu et massif des FAC en Afghanistan. Mais le rôle des
troupes canadiennes, a dit Dion, doit se limiter à l’entraînement des forces
afghanes et fournir une protection pour différents projets de reconstruction et
de développement.
A vrai dire, la différence entre les positions des libéraux et
des conservateurs n’est pas tellement grande. Ou plutôt, la différence prend
seulement une grande importance en raison de la présente situation de
l’occupation des forces de l’OTAN en Afghanistan, c’est-à-dire l’isolation
croissante du gouvernement de Kaboul et les frictions et les divisions dans
l’OTAN à savoir qui portera le fardeau de la guerre de contre-insurrection.
La presse était divisée sur la décision du gouvernement de
proclamer vote de confiance le vote sur le prolongement de la mission de combat
des FAC. Les éditorialistes du National Post, la voix des néoconservateurs
canadiens, l’ont qualifiée de « coup de maître stratégique » :
« Les libéraux pourraient défaire la motion et forcer une élection qu’ils
ne veulent pas (et ne peuvent se permettre), s’abstenir et avoir l’air aussi
pathétique que lorsqu’ils se sont abstenus devant le discours du Trône
l’automne dernier ou bien voter en faveur de la mission et ne pouvoir faire de
cette question un point central lorsqu’il y aura finalement des
élections. »
Mais d’autres journaux de la grande entreprise ont critiqué
les conservateurs pour ne pas en avoir fait davantage pour obtenir un consensus
bipartisan sur une question « nationale » d’une si grande importance.
Ils appréhendaient également que la motion des conservateurs ne précipite une
élection sur la question centrale mais très impopulaire de la guerre. « La
défaite du gouvernement sur cette question, déclarait le Globe and Mail,
(…) amènerait les conservateurs à faire campagne sur une mission pour laquelle
l’appui demeure faible. C’est une stratégie dangereuse et peu
recommandable. »
Des sections importantes des médias officiels préféreraient
une entente bipartisane prolongeant la mission en Afghanistan, qui serait ainsi
largement écartée du débat public même si, pour obtenir une telle entente les
conservateurs devaient faire certaines concessions à Dion, par exemple, en
acceptant l’aspect « formation » de la mission des FAC.
Ceci étant dit, il ne fait aucun doute qu’il y aura des
pressions importantes de l’élite dirigeante pour pousser les libéraux à voter
en faveur de la motion du gouvernement afin de « sauver » la mission
afghane. Le Globe and Mail a sermonné tant Harper que Dion pour ne pas
avoir réussi à mener « un effort bipartisan sérieux pour aller de l’avant ».
Mais le journal concluait dans son éditorial principal de jeudi en avertissant
les libéraux que s’ils votaient contre la motion conservatrice, ils allaient
« tirer le tapis sous les pieds des troupes » et seraient
« responsables de l’échec de la mission », des « lâcheurs »
et des « hypocrites ».
L’annonce du gouvernement conservateur de faire de la
motion pour le prolongement de la mission un vote de confiance fait partie
d’une attitude plus agressive des conservateurs suggérant qu’Harper cherche à
précipiter la chute de son propre gouvernement.
Les conservateurs ont également annoncé cette semaine leur
intention d’introduire une nouvelle motion à la Chambre des communes qui sera
soumis à un vote de confiance si le Sénat contrôlé par les libéraux n’adopte
pas son projet de loi sur la loi et l’ordre qui a déjà franchi les premières
étapes en vue de son adoption à la Chambre des communes le mois dernier.
Les sondages d’opinion continuent de montrer que les
conservateurs sont loin d’avoir l’appui populaire nécessaire pour s’assurer une
majorité parlementaire. Mais les signes évidents d’une crise économique en
Amérique du Nord les ont apparemment mené à la conclusion qu’ils auraient de
bien meilleures chances de gagner une majorité maintenant que plus tard.
Compte tenu de l’impopularité de la guerre en Afghanistan,
il peut sembler étrange que les conservateurs menacent l’opposition avec une
élection sur cette question. Ils calculent, cependant, que les parties de
l’opposition se partageront le vote « anti-guerre » — même si dans les
faits, ils sont tous complices dans la guerre — et qu’avec l’appui de la plus
part des médias officiels ils seront capable de mener une campagne nationaliste
agressive et belliqueuse. Durant les dernières années, les conservateurs ont
régulièrement dénoncé les partis de l’opposition de « laisser tomber les
troupes » d’être « laxistes » face au terrorisme et même d’être pro-taliban.
A cet égard, il est important de noter que le chef les
Forces armées canadiennes, Rick Hillier, qui a joué un rôle majeur dans la
promotion de la mission afghane, dénonçait la position des libéraux la semaine
dernière sur la mission des FAC. Questionné sur ce qu’il pensait de l’appel des
libéraux pour que les FAC passe d’une mission de combat à une mission
d’entraînement et de protection après février 2009, Hillier déclarait, « En
étant à Kandahar, les opérations de combats sont nécessaires, l’armée afghane
n’est pas encore capable d’assurer la sécurité d’elle-même. »