La crise du logement en France a encore fait l’actualité
le 1er février dernier lorsque la Fondation Abbé Pierre a publié son rapport
annuel. Il fait état de 3 millions de personnes qui soit vivent dans la rue
(100 000 d’entre eux) soit sont très mal logées. 6 millions de plus
sont décrits comme vivant dans des logements « indignes », trop
petits ou insalubres.
La situation s’aggrave chaque année pour les personnes
les plus pauvres parmi la population. Parmi les 431 000 logements neufs, un
chiffre déjà bien maigre, construits en 2007, seuls 39 000 étaient
destinés à devenir des HLM (logement à loyer modéré.) La plupart des nouvelles
constructions sont destinées aux personnes appartenant aux groupes de revenus
plus élevés et sont vendues au prix du marché.
Le rapport souligne l’indifférence du gouvernement dans
ce secteur, montrant que « en 2007 comme en 2006, moins de 24 pour cent
des logements construits au cours de l’année » correspondent aux
ressources des foyers les moins aisés, soit « 70 pour cent des
ménages ».
Au taux actuel de 1,2 million de personnes faisant des
demandes d’HLM, le rapport estime qu’il faudra 30 ans pour
satisfaire la demande. La fondation accuse l’Etat d’être
directement responsable de cette crise : « les responsables
politiques n’ont toujours pas fait du logement une priorité de
l’action gouvernementale ». Le rapport fait remarquer que les
dépenses publiques « en faveur du logement sont en baisse… [représentant]
1,78 pour cent du PIB en 2007 soit le niveau le plus bas depuis 30 ans. »
De nombreuses promesses vides ont été faites par les
gouvernements de droite durant la période récente, notamment depuis la révolte
urbaine des jeunes en 2005. Sous l’ancien président Jacques Chirac, le
ministre du Logement et de la cohésion sociale, Jean-Louis Borloo avait annoncé
un programme de construction de logements pour les familles à petits revenus,
incapables d’acheter au prix du marché. La proposition de Borloo, un
logement vendu 100 000 euros, à raison de 20 000 à 30 000
logements construits par an, ne s’est pas concrétisée. Seuls quatre de
ces logements ont été achevés.
En décembre 2006, Parisiens et téléspectateurs avaient été
horrifiés de voir des centaines de sans domicile fixe (SDF) camper dans des
tentes installées le long du canal Saint Martin, pour protester et exiger des
logements décents. L’association Les enfants de Don Quichotte
orchestrant cette action, avait mobilisé une grande sympathie de la part du
public et le soutien de personnalités de la télévision et du cinéma, pour le
plus grand embarras du gouvernement.
Une fois de plus, le gouvernement Villepin conduit par le
Président Jacques Chirac avait promis d’agir sous la forme d’une
nouvelle loi garantissant le logement (loi DALO.) Les SDF s’étaient vus
accorder le droit d’engager un recours devant une juridiction
administrative si la municipalité ne fournissait pas de logement au demandeur.
Les Don Quichotte mirent fin à leur action, mais pour la reprendre en
décembre 2007 du fait de la mauvaise foi du gouvernement. Les tentes des SDF eurent
tôt fait d’être démontées et déchirées par les CRS, les manifestants
matraqués et embarqués. La loi DALO est finalement entrée en vigueur en janvier
2008.
L’actuelle ministre du Logement, Christine Boutin, qui
avait pesté contre les tentes pour SDF des Don Quichotte et donné
l’ordre qu’elles soient détruites, a récemment proposé un nouveau
programme pour pallier au manque de logements : des logements à 15 euros
par jour. Elle décrit ce programme comme un « produit révolutionnaire de
mise à disposition d’une maison que l’acheteur pourrait payer en
acquittant un forfait journalier », la somme totale étant de 450 euros par
mois pendant 20 ans. Mais une fois de plus, ce ne sont pas les pauvres qui en
bénéficieront. Les foyers qui en font la demande doivent gagner une fois et demie
le salaire minimum s’élevant à 1 280 euros par mois. Le salaire
minimum (SMIC) concerne à présent 17 pour cent des salariés, soit une progression
constante par rapport à 11,2 pour cent en 1995.
L’incapacité de l’économie de marché à pourvoir
des logements décents pour tous demeure une caractéristique du capitalisme
depuis l’époque de Marx et Engels. Mais les associations comme la
Fondation Abbé Pierre, bien qu’elles proposent certaines réformes, ont
toujours travaillé en étroite collaboration avec les autorités
gouvernementales. L’Abbé Pierre qui est mort l’année dernière avait
lancé un appel lors du très froid hiver 1954 quand 2000 SDF étaient presque
morts de froid à Paris. Il a joué un rôle majeur pour le vote d’une loi
interdisant les expulsions pendant les mois d’hiver. Depuis
l’époque du général de Gaulle, sa fondation est un pilier de l’establishment.
Le précédent président de la fondation, Martin Hirsh, est à présent Haut
commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, nommé par le président
Nicolas Sarkozy.
Les mesures inadéquates prônées par la Fondation Abbé Pierre
pour réduire le problème du mal logement révèlent les raisons pour lesquelles
leur mission a échoué. La Fondation appelle à tripler les amendes infligées aux
municipalités qui ne respectent pas les quotas fixés par la loi obligeant à
réserver 20 pour cent des constructions aux logements sociaux HLM. Les municipalités
riches, telles celle du président Sarkozy, ont toujours fait peu cas de cette
loi. La Fondation prône aussi une autre mesure visant à rapidement mobiliser 100 000
logements du parc privé afin de loger au niveau du loyer HLM les personnes à
bas salaires, et l’Etat et les collectivités locales paieraient la
différence entre le coût du marché pour le propriétaire et le coût du loyer
payé. Ceci revient à faire subventionner par l’Etat les bénéfices des
spéculateurs immobiliers.
(Article original anglais paru le 15 février 2008)