Le mois dernier, la France a connu deux manifestations de masse :
la première, le 22 janvier pour défendre les régimes spéciaux de retraite et la
seconde, deux jours plus tard, était une grève d’une journée pour
protester contre les suppressions de postes et la baisse du pouvoir
d’achat du salaire des fonctionnaires.
Mardi 22 janvier, des milliers de cheminots (50 000
d’après la CGT) ainsi que des agents de la RATP (transports parisiens),
des électriciens et gaziers d’EDF et GDF ont participé à la manifestation
parisienne pour la défense des régimes spéciaux de retraite, des salaires et
des emplois et pour s’opposer à la restructuration du service de fret à
la SNCF (Société nationale des chemins de fer.) La manifestation avait été
appelée par les syndicats de cheminots : CGT, CFDT, CFTC, CGC et UNSA. Les
syndicats FO et SUD rail n’étaient pas présents à la manifestation et
avaient appelé à faire grève et à manifester avec les travailleurs de la
fonction publique le 24 janvier.
Le jeudi 24 janvier, près d’un quart de toute la
fonction publique française, soit plus d’un million de personnes, ont
participé à la grève d’une journée et à bon nombre de manifestations qui
se sont déroulées dans tout le pays pour défendre le pouvoir d’achat,
exiger des hausses de salaire et contester les 22 900 suppressions de
postes prévues pour cette année. Des enseignants, des agents hospitaliers et
des collectivités territoriales, des étudiants et quelques cheminots ont
participé à ces manifestations dans toute la France. Selon la CGT, ils étaient
400 000, soit un chiffre moins important que lors de la journée
d’action du 20 novembre dernier où l’on avait compté 1,5 million.
Bien que plus petites que les manifestations qui avaient
accompagné les grèves des cheminots d’octobre et novembre dernier contre
les attaques sur les retraites, ces actions montrent clairement qu’une
couche substantielle de travailleurs n’entend pas accepter les réformes
du président Sarkozy sans lutter. Néanmoins, la contradiction entre les
objectifs des travailleurs et la perspective des bureaucrates syndicaux qui ont
appelé à la grève ne pourrait être plus claire.
La bureaucratie de la CGT s’affiche comme cherchant à
faire pour le mieux dans une situation difficile. Didier Le Reste, dirigeant de
la CGT cheminots a expliqué : « Mon but, c’est que quand les
cheminots prendront leur retraite avec le nouveau système, ils perdent le moins
possible. »
Mais cette posture est totalement cynique. La direction de la
CGT a, avec les autres fédérations syndicales officielles, combattu sans
relâche pour limiter les grèves d’octobre à une action d’une
journée et pour empêcher que les grèves de novembre ne convergent avec les
luttes des fonctionnaires et des étudiants s’opposant à la réforme des
universités. En ce sens, la riposte puissante des travailleurs à ces appels à
la grève de janvier souligne le fait qu’objectivement, ces travailleurs
appellent à une direction politique bien plus à gauche que la CGT dont les
constantes négociations avec Sarkozy représentent une trahison calculée des
aspirations des travailleurs.
L’impossibilité de défendre les droits des travailleurs
au moyen d’une perspective syndicale a récemment été soulignée par la
mise en application de plusieurs mesures dirigées contre les cheminots et plus
largement contre la classe ouvrière dans son ensemble.
La réforme des régimes spéciaux de retraite
Le 16 janvier, bien que les négociations fussent encore en
cours à la SNCF et à EDF (monopole public de l’électricité), le décret
réformant les régimes spéciaux de retraite était publié au Journal officiel
(registre des lois et décrets d’Etat) et devenait ainsi loi. La réforme
prendra effet au 1er juillet.
Les régimes spéciaux de retraite concernent 1,6 million de
travailleurs (500 000 en activité et 1,1 million de retraités), dont les
travailleurs de la SNCF, RATP, EDF, GDF et les mineurs. Selon un article récent
publié dans Les Echos, la nouvelle réforme permettra au gouvernement de
faire une économie de 500 millions d’euros par an à moyen terme.
Le contenu du décret est similaire aux « documents
d’orientation » du début du mois d’octobre 2007 décrivant les dispositions
de la réforme. Le décret reproduit donc les mêmes mesures initialement
proposées par le gouvernement. A cet égard, cela montre que les négociations
des syndicats avec le gouvernement et la direction de l’entreprise étaient
totalement vides de sens. Cela indique la défaite de la lutte des travailleurs
pour maintenir les droits sociaux historiques incarnés par les régimes spéciaux
de retraite.
Pour avoir droit à une retraite à taux plein, la période de
cotisation va être allongée de 37,5 annuités actuelles à 40 en 2012, comme pour
le reste de la fonction publique et du secteur privé. L’allongement se
fera à raison d’un trimestre tous les six mois jusqu’au 1er
juillet 2012 où on atteindra le nombre d’annuités maximum défini par la
réforme des retraites de 2003, soit 40 annuités (160 trimestres.) Une pénalité
draconienne, la décote, soit une réduction de 5 pour cent de la pension pour
toute annuité manquante, rendra la retraite prise avant l’âge légal,
financièrement invivable pour les cheminots et les agents des transports
parisiens, les électriciens et les gaziers, comme c’est déjà le cas avec
la réforme imposée aux cinq millions de fonctionnaires en 2003.
A partir du 1er janvier 2009, les régimes spéciaux ne seront
plus indexés sur les salaires, mais sur les chiffres de l’inflation qui
sont généralement moins favorables, ce qui garantit une stagnation permanente
du niveau de vie des retraités.
Cette réforme n’est, de plus, que le prélude à une
attaque générale sur les droits de retraite qui se fera lors de la
renégociation de la réforme de 2003 que le premier ministre de l’époque,
Jean-Pierre Raffarin, avait fait voter. Le gouvernement va revoir tous les
régimes de retraite, y compris ceux des secteurs public et privé, qui prendront
effet au second trimestre de 2008. Avec cette nouvelle réforme, la période de
cotisation pour avoir droit à une retraite à taux plein passera de 40 annuités
à 41 en 2012 pour les secteurs privé et public. Le passage à 41 annuités se
fera aussi pour les régimes spéciaux en 2016.
La loi sur le service minimum
Au moment où le décret sur les retraites était publié, un
décret imposant un service minimum limitant sérieusement le droit de grève des
travailleurs des transports publics était aussi publié. Jusqu’à présent,
un préavis officiel de grève, lancé par une organisation syndicale reconnue,
cinq jours avant le début de la grève, protégeait les grévistes contre l’accusation
de rupture de contrat. Une circulaire publiée par la SNCF explique la nouvelle
réglementation : « Ce différend ou ces motifs doivent être explicités
par écrit auprès de la direction par un représentant syndical ou un délégué
syndical d’établissement désigné à cet effet. Un préavis de grève
ne peut être déposé par une organisation syndicale qu’après qu’elle
ait eu recours à cette démarche et qu’à l’issue de huit jours
francs à compter de la réception de sa demande de concertation. » [Italiques
et soulignement dans l’original.] Ceci, en plus des 5 jours de préavis, prolonge
de 13 jours au moins le moment où une grève peut être légale.
En plus de ces contraintes, il y a des règles qui ont pour but
de réduire au minimum l’efficacité d’une grève des transports. Les
grévistes qui travaillent dans la conduite, la maintenance des trains et la
signalisation devront remettre une note écrite à la direction 48 heures avant
de se mettre en grève. Ceci en accord avec la loi du 21 août sur le service
minimum dans les transports qui « ouvre aux voyageurs des droits nouveaux
en cas de perturbation prévisible du trafic, leur garantissant un niveau de
service et une information gratuite, précise et fiable, délivrée 24 heures
avant la perturbation. »
De plus, la direction est en droit d’exiger des
non-grévistes qu’ils fassent le travail de leurs collègues grévistes. Même
les travailleurs qui ne sont pas concernés par la grève, car ils sont en congé,
seront obligés de se déclarer grévistes comme « les agents peuvent faire
l’objet d’une nouvelle commande, y compris s’ils sont
initialement prévus en repos. »
Durant la grève des fonctionnaires, composée pour une large
section de personnel des établissements scolaires publics, la mise en
application d’un « service minimum » a été testée. Seules 10
pour cent des communes (soit 1 900), principalement celles de droite, ont
expérimenté ces mesures fournissant des activités alternatives aux enfants dans
les écoles où les enseignants étaient en grève. Il s’agissait là d’un
effort de propagande pour promouvoir les plans de Xavier Darcos, ministre de
l’Education, d’introduire une législation obligeant les enseignants
à se soumettre à des restrictions sur leur droit de grève similaires à celles
imposées aux travailleurs des transports.