Selon le Globe and Mail, une
importante controverse a éclaté au sein du gouvernement canadien portant sur un
aspect peu connu, mais politiquement essentiel, de l’intervention
canadienne en Afghanistan, l’Équipe consultative stratégique (SAT,
Strategic Advisory Team).
Les membres de la SAT sont des responsables canadiens,
pratiquement tous des officiers de l’armée, qui sont des conseillers de
haut niveau du gouvernement afghan mis en place par les Etats-Unis. Cette équipe
est, dans les termes du ministère canadien de la Défense, « intégrée dans
les ministères et les organismes du gouvernement afghan ». Certains des
conseillers des Forces armées canadiennes (FAC) sont membres du bureau du
président afghan Hamid Karzaï.
L’Équipe
consultative stratégique a été créée en août 2005 à l’initiative du chef
d’état-major des FAC, Rick Hillier, avec le soutien du gouvernement
libéral de l’époque, au moment où l’armée canadienne a
considérablement augmenté sa présence en Afghanistan et où elle a pris un rôle
de premier plan dans la guerre contre-insurrectionnelle au sud de
l’Afghanistan. Cette opération continue à être administrée par
l’armée et le ministère de la Défense, qui en fournissent aussi presque
tous les membres. (Voir Les
« ministres canadiens » du gouvernement afghan d’Hamid Karzaï )
Présentement, le Canada
compte 2500 soldats en Afghanistan, appuyés par des chars Leopard, et le
gouvernement conservateur fait pression pour que la mission de
contre-insurrection des FAC à Kandahar soit prolongée de deux autres années
jusqu’en février 2011.
Peu a été publié sur la
SAT, tant par le gouvernement canadien que par les médias de la grande
entreprise. Mais à l’occasion, les FAC et d’autres officiels du
gouvernement se sont vantés qu’au moyen de la SAT, le Canada se donne un
outil irremplaçable pour influencer le gouvernement afghan. Selon le
lieutenant-commandant Rob Ferguson, un des membres de la SAT, « aucun pays
n’est placé de façon aussi stratégique que le Canada pour influencer le
développement de l’Afghanistan ».
Dans un article publié
lundi dernier et intitulé « Une équipe de première classe à Kaboul risque
de connaître sa fin », la chroniqueuse Christie Blatchford a décrit
l’Équipe consultative stratégique de vingt membres comme « le plus
petit et probablement le plus influent groupe canadien en Afghanistan ».
Le chef des FAC,
Hillier, a dit que son objectif en créant la SAT était de permettre que le
gouvernement canadien ait un véritable pouvoir à Kaboul suite à son
intervention en Afghanistan. Les déploiements des FAC à
l’étranger, a dit Hillier lors d’un entretien avec Jane’s
Defence Weekly en 2006, doit être assez grand et robuste pour que nous
ayons « suffisamment de crédibilité pour nous donner l’occasion
d’avoir des postes de commandement et d’influencer et de modeler
des régions et des populations en accord avec nos intérêts et en accord avec
nos valeurs ».
Le gouvernement fantoche de l’Afghanistan insisterait
pour la prolongation de l’opération. Il n’y a aucun doute
qu’il veut qu’Ottawa et les FAC aillent de l’avant avec
l’intensification des opérations militaires des FAC au sud de
l’Afghanistan, là où sont concentrés les talibans, malgré
l’opposition populaire importante au Canada. Une autre considération
d’importance est qu’une forte présence canadienne au centre du
pouvoir à Kaboul permet au régime de Karzaï d’amoindrir, même si ce
n’est que légèrement, sa dépendance envers Washington.
La mission de la SAT,
toutefois, a déclenché une importante dispute de juridiction au sein du
gouvernement canadien. Selon le Globe, le ministère des Affaires
étrangères insiste pour prendre la relève de l’armée à la tête de cette
initiative et pour que l’ambassadeur canadien à Kaboul soit responsable
de toutes les ententes politiques avec le gouvernement afghan.
Le ministère des Affaires étrangères, qui a le soutien
d’experts en affaires étrangères à la retraite comme l’ancien
ambassadeur canadien à l’ONU, Paul Heinbecker, fait pression sur le
gouvernement pour qu’il mette un terme à la mission de la SAT sous
direction militaire avant la fin de cette année.
Blatchford — qui a écrit de nombreux articles dans
lesquels elle laissait libre cours à son admiration pour les hommes en
uniforme, qu’ils soient policiers ou soldats — cite un officier de
l’armée à la retraite et deux anciens hauts fonctionnaires civils du
gouvernement qui ont été impliqués avec la SAT pour expliquer que la dispute
sur le programme tire sa source de la jalousie bureaucratique. S’il
fallait que la direction d’un tel groupe passe aux Affaires étrangères,
suggère-t-elle, alors le gouvernement Karzaï s’en trouverait affaibli et
contrecarrerait ainsi les objectifs du gouvernement canadien en Afghanistan.
Dans son éditorial du mardi 15 janvier, le Globe and Mail
a pris une position différente. La SAT, pouvait-on y lire, a joué « un
rôle productif », mais le temps est venu pour que des responsables civils,
avec une expertise en développement et en gouvernement, remplacent les
officiers des FAC en tant que conseillers du gouvernement afghan.
Le Globe continue : « Le fait que des
officiers de l’armée continuent à occuper des postes de conseillers de
haut niveau pendant plusieurs années pourrait nuire à la légitimité du
gouvernement Karzaï en créant l'impression que celui-ci est à la solde
d’une armée d’occupation. »
Le Globe a de plus mis en garde que la direction
fournie par les officiers intégrés des FAC pourrait discréditer davantage
l’intervention canadienne en Afghanistan, soulignant la longue
controverse entourant la politique de détention afghane des FAC.
Le Globe est un défenseur enthousiaste de
l’intervention des FAC en Afghanistan, y compris de leur rôle dirigeant
dans la guerre de contre-insurrection, soit la plus grande opération militaire
du Canada depuis la guerre de Corée. Mais il s’est opposé à
l’indifférence manifeste des FAC et du gouvernement conservateur envers
le sort réservé aux présumés insurgés qui sont livrés par les FAC aux autorités
afghanes, avertissant qu’en contredisant si ostensiblement la rhétorique
démocratique employée pour justifier publiquement l’appui du Canada au
régime Karzaï, ils minaient le soutien de la population à la guerre des FAC en
Afghanistan.
La
relance du militarisme canadien
Les derniers gouvernements canadiens, et particulièrement
l’actuel gouvernement conservateur de Stephen Harper, ont développé et
réarmé les FAC et ont tenté de mettre au rebut le concept du rôle spécial du
Canada en tant que « gardien de la paix » sur la scène mondiale.
Le gouvernement Harper a placé l’intervention des FAC
en Afghanistan au centre du programme de politique étrangère du gouvernement et
de son image populaire, insistant que l’action militaire des FAC sera cruciale
afin de défendre les intérêts du Canada dans le monde dans les années et les
décennies à venir.
L’état-major des FAC, en commençant par Hillier
lui-même, accueille avec grand plaisir l’augmentation considérable de son
budget et son nouveau rôle politique. Mais bien que le gouvernement Harper ait
été un solide défenseur de l’armée et de Hillier, le chef des FAC ne
s’est pas empêché de faire des déclarations qui contredisaient celles du
gouvernement. En octobre, il prononça un important discours lors duquel il
s’attaqua ouvertement à la notion démocratique fondamentale de la
subordination de l’armée au gouvernement civil élu. Prenant la parole
lors d’une réunion de l’Association canadienne des radiodiffuseurs,
Hillier a déclaré qu’il est le « défenseur » des gens qui
servent dans les FAC « et d’une certaine façon je les sers autant
que je sers le gouvernement du Canada et vous autres Canadiens et le Canada
lui-même ».
Hillier ne fut pas critiqué par le gouvernement, et encore
moins appelé par le gouvernement à répondre de cette déclaration
extraordinaire. (Les partis de l’opposition, doit-on noter, ne se sont
pas non plus objectés à Hillier et à la définition de son rôle.)
Une dispute au sujet des champs d’activités et des
tactiques
Avec son tournant vers le militarisme et une politique
étrangère encore plus alignée sur celle de Washington, le gouvernement Harper
fait moins cas du ministère des Affaires étrangères que le précédent
gouvernement libéral. En effet, c’est un secret de polichinelle à Ottawa
que les conservateurs perçoivent ce ministère comme étant envahi par des
libéraux refoulés.
Ceci étant dit, il est important de noter que dans la
mesure où le conflit entourant la SAT est plus qu’une simple dispute au
sujet des champs d’activités, ce n’est qu’un désaccord, tel
qu’indiqué par le Globe, sur les tactiques à adopter afin de
défendre les intérêts prédateurs de l’élite patronale canadienne en
Afghanistan et à travers le monde.
Toutes les sections de l’État canadien et de la
grande entreprise canadienne appuient fermement le soutien du gouvernement
canadien au gouvernement fantoche de Karzaï installé par les États-Unis, le
maintien de la présence militaire canadienne en Asie centrale et au
Moyen-Orient et l’utilisation de FAC en tant qu’outil pour faire
valoir les intérêts et l’influence du capital canadien.
Selon le Globe, les affaires étrangères ont pressé
le gouvernement Harper pour qu’il s’engage à mettre fin au
programme SAT avant que le comité fédéral d’orientation sur
l’Afghanistan de dépose son rapport en raison des craintes que le rapport
n'embrasse l'initiative des FAC.
En octobre dernier, dans le but d’accroître
l’appui pour une prolongation de la mission contre- insurrectionnelle des
FAC en Afghanistan, malgré une opposition populaire massive, Harper a formé un
« comité de sages » ayant pour mandat de formuler des recommandations
à propos du rôle canadien en Afghanistan. Ce comité est dirigé par
l’ex-premier ministre adjoint et ministre des Finances, John Manley, un
fervent supporteur de la mission des FAC en Afghanistan.
Le chef libéral
propose l’invasion du Pakistan par l’OTAN
Tentant de se gagner les faveurs de l’électorat,
l’opposition officielle libérale a annoncé qu’elle s’opposait
à la prolongation du présent déploiement des troupes canadiennes dans le sud de
l’Afghanistan au-delà de février 2009, mais qu’elle était favorable
à la poursuite de l’intervention canadienne pour l’entraînement des
troupes et de la police afghanes et, le cas échéant, à l’élargissement de
la guerre dans la région sous l’égide de l’OTAN.
Mercredi dernier, le chef libéral, Stéphane Dion a suggéré
que les forces de l’OTAN, y compris probablement des troupes canadiennes,
devraient sérieusement envisager de pénétrer et de mener des opérations
militaires offensives au Pakistan.
S’adressant aux journalistes peu après son retour
d’un voyage de deux jours en Afghanistan, Dion a dit que l’OTAN
allait bientôt devoir entrer au Pakistan pour y déraciner l’appui aux
talibans dans la ceinture tribale pachtoune du pays. « Nous allons devoir
en discuter très activement s’ils [les
Pakistanais] ne sont pas capables de régler le problème…Tant que nous ne
réglons pas le problème au Pakistan je ne vois pas comment nous pouvons le
régler en Afghanistan. »
Dion a ignoré la question de l’attitude du Pakistan
face à une violation aussi flagrante de sa souveraineté. Alors
qu’Islamabad a fermé les yeux sur plusieurs bombardements américains sur
son territoire, elle a répété de manière constante sa ferme opposition à toute
action militaire des États-Unis ou de l’OTAN au Pakistan, allant
jusqu’à déclarer qu’une telle action serait considérée comme une
invasion et qu’elle y résisterait.
Le ministre de la Défense, Peter MacKay a ridiculisé la
position de Dion, notant que Dion, tout en prétendant s’opposer à la
présente mission des FAC en Afghanistan — une mission lancée par le
précédent gouvernement libéral dans lequel Dion était ministre — il
appelle simultanément à une extension de la guerre.
Au même moment, un autre sondage d’opinion, mené cette
fois-ci par le réseau télévisé CTV et le Globe and Mail, montre encore
une fois que le public canadien est massivement opposé à la guerre
contre-insurrectionnelle des FAC en Afghanistan. Le sondage, dont les résultats
furent divulgués au milieu de la semaine dernière, indique que 47 pour cent des
Canadiens veulent que la mission des FAC cesse immédiatement, seulement 17 pour
cent appuient l’actuelle mission de combat des FAC en Afghanistan.