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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Un complot criminel

La Maison Blanche et la CIA ont dissimulé à la Commission du 11 septembre les vidéos relatives à la torture lors d’interrogatoires

Par Joe Kay
4 janvier 2008

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En dépit de demandes répétées d’information sur les interrogatoires adressés aux dirigeants au plus haut niveau de la CIA et de la Maison Blanche, la CIA a, selon le directeur de la commission, caché à la Commission du 11 septembre des enregistrements vidéos montrant les sévices infligées à des présumés membres d’Al Quaïda. La CIA a reconnu avoir détruit en novembre 2005, plus d’un an après que les demandes aient été formulées, les cassettes des interrogatoires concernant deux dirigeants présumés d’Al Quaïda, Abou Zoubaydah et Abd al-Rahim al-Nashiri.

Un mémo adressé par le directeur de la commission, Philip Zelikow, au président et ancien gouverneur du New Jersey, Thomas Kean, et au vice-président et ancien congressiste, Lee Hamilton, retrace l’histoire des contacts que la commission a eu à ce sujet avec la CIA. Le mémo daté du 13 décembre 2007 a été divulgué à la presse vendredi. (Voir : “An analysis of the 9/11 Commission memo on interrogation tapes.“)

Le compte rendu de Zelikow est une mise en accusation accablante de responsables de la Maison Blanche et de la CIA et émanant d’un Républicain éminent entretenant des liens étroits avec l’establishment des services de renseignement. (Zelikow avait été membre du Conseil national de sécurité dans le gouvernement de George Bush senior et avait co-écrit un livre avec l’actuelle secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice). Selon le mémo, la commission avait fait des « demandes répétées d’information détaillée au sujet » des interrogatoires de la CIA en 2003 et en 2004, y compris celles des deux personnes dont les interrogatoires avaient été enregistrées sur les cassettes vidéo détruites.

Les cassettes vidéo des interrogatoires auraient bien évidemment été déterminantes à l’enquête. Toutefois, selon Zelikow, la commission n’a jamais été informée quant à l’existence des cassettes vidéo et n’a eu que le droit d’accéder aux résumés des interrogatoires de la CIA. Zelikow a fait savoir que le fait de ne pas divulguer l’information était probablement illégal mais il a conclu en disant « qu’un complément d’enquête est nécessaire pour déterminer si ces dissimulations constituent une violation des lois fédérales. »

Parmi les personnes nommées par Zelikow comme étant impliquées dans les discussions avec la Commission du 11 septembre figuraient : Alberto Gonzales, qui était alors le conseiller à la Maison Blanche et qui occupa par la suite le poste de ministre de la Justice, le secrétaire à la Défense, Ronald Rumsfeld, le sous-secrétaire à la Défense, Stephen Cambone, le directeur de la CIA, George Tenet, le conseiller général de la CIA, Scott Muller et le directeur adjoint de la CIA, John McLaughlin.

Au cours du week-end, la CIA a réagi au mémo par une série de mensonges et d’obscurcissements. Le porte-parole de la CIA, Mark Mansfield, a dit que les cassettes vidéo auraient été transmises si la Commission les avait demandées. « C’est parce que l’on avait pensé que la commission pourrait réclamer à un moment donné les enregistrements qu’ils ne furent pas détruits tant que duraient les travaux de la Commission, » a-t-il dit. Mansfield n’a pas expliqué comment les vidéos auraient pu être réclamées si leur existence n’a seulement été connue que ce mois-ci.

Dans un article du New York Times de samedi, il est dit que lors d’interviews avec Hamilton et Kean, les dirigeants de la commission « ont dit que la lecture du rapport [Zelikow] les avait convaincus que l’agence avait pris la ferme résolution de contrecarrer l’enquête de la Commission du 11 Septembre. »

Le mémo de Zelikow est une preuve supplémentaire que le refus d’informer la Commission du 11 Septembre de l’existence de ces enregistrements et de la décision ultérieure de les détruire faisait partie intégrale d’un camouflage à haut niveau de la politique gouvernementale consistant à recourir à des méthodes d’interrogatoires sadiques qui sont clairement interdites par les lois internationales et nationales contre la torture. La semaine passée, le New York Times avait rapporté qu’au moins quatre conseillers juridiques travaillant pour le gouvernement auraient été impliqués dans les discussions pour savoir si les vidéos devaient être ou non détruites. Les discussions s’étaient déroulées entre 2003 et 2005, période même durant laquelle la Commission du 11 Septembre avait adressé des requêtes à la CIA pour recevoir les documents sur les interrogatoires.

Les quatre conseillers juridiques, mentionnés par le Times, comprennent Gonzales ; Harriet Miers, qui avait succédé à Gonzales au poste de chef des services juridiques de la Maison Blanche ; David Addington, conseiller et plus tard chef de cabinet du vice-président, Dick Cheney ; et John Bellinger III, l’avocat-conseil en chef à la sécurité nationale. Le Times a cité un ancien responsable des services de renseignement disant qu’il y avait eu de « forts sentiments » parmi certains des avocats en faveur de la destruction des enregistrements.

Le fait qu’au moins Gonzales, un proche confident de Bush, ait participé aux deux discussions laisse fortement supposer que Bush et Cheney étaient eux aussi conscients de la dissimulation et de la destruction ultérieure des vidéos et qu’ils les avaient acceptées. Au moment même où avait lieu l’enquête de la Commission du 11 Septembre, plusieurs tribunaux fédéraux avaient émis des ordonnances sur la conservation des preuves relatives aux interrogatoires et à la torture potentielle des prisonniers détenus par les Etats-Unis.

Un complot au plus haut niveau

Il est presque sûr que Bush était au courant de l’existence des cassettes vidéo dès le début et il est tout à fait possible qu’il ait visionné personnellement certaines d’entre elles. Lorsque Zoubaydah fut arrêté en 2002, il fut considéré par le gouvernement comme un cas d’essai pour « les techniques d’interrogatoire musclé », à savoir de torture, que Bush brûlait de mettre en place.

Un article du Times de Londres de dimanche (« CIA Chief to Drag White House into Torture Cover-Up Storm») rapporte que Vincent Cannistraro, l’ancien chef du service de contre-terrorisme de la CIA, a dit qu’il était impossible que Jose Rodriguez, ancien directeur des services clandestins de la CIA, ait agi à son propre compte. Rodriguez a été cité dans les médias pour avoir donné l’ordre de détruire les enregistrements.

« Si tout le monde avait été contre la décision, pourquoi donc Jose Rodriguez, l’un des hommes les plus prudents que j’aie jamais rencontré, aurait-il décidé de les détruire ? » s’est demandé Cannistraro.

Il y a des indices que Rodriguez pourrait impliquer la Maison Blanche lorsqu’il témoignera le mois prochain devant le Comité de surveillance des activités de renseignement. Rodriguez a réclamé et obtenu une assignation à comparaître afin de rendre sa déposition obligatoire ce qui s’accompagnera très probablement d’une immunité pour ce qu’il dira.

Le journal a également cité Larry Johnson, autre ancien responsable de la CIA, impliquant fortement la Maison Blanche. « La CIA et Jose Rodriguez sont dans une mauvaise posture mais c’est probablement la personne la moins coupable dans ce procès, » a dit Johnson. « Il ne s’est pas réveillé un matin en se disant, ‘je vais détruire les enregistrements.’ Il a consulté un grand nombre de gens et finalement il aura son mot à dire. »

« Il semble de plus en plus probable que la décision ait été prise par la Maison Blanche, » a dit Johnson. Le Times de Londres a rapporté que Johnson « croit qu’il ‘est très probable’ que Bush ait visionné l’une des vidéos vu qu’il était intéressé dans le cas de Zoubaydah et qu’il avait été régulièrement tenu au courant par George Tenet de son interrogatoire. »

Le correspondant dans le domaine de la sécurité nationale du New York Times, James Risen, cite dans son livre paru en 2006, State of War (Etat de guerre), une source bien informée qui lui aurait dit, « George Bush prenait un intérêt très personnel dans le cas de Zoubaydah » en 2002. Selon le rapport de Risen, lorsque le directeur de la CIA Tenet a dit à Bush qu’aucune information n’avait été arrachée à Zoubaydah parce qu’il était trop sonné par les analgésiques, Bush est supposé avoir répondu, ‘Qui a permis qu’on lui donne des analgésiques?’ »

La torture de Zoubaydah avait été initiée peu de temps après cette conversation, et le traitement de Zoubaydah était devenu un précédent pour la torture des autres prisonniers, dans les prisons secrètes de la CIA, à Guantánamo Bay et plus tard à la prison d’Abou Ghraïb en Irak.

Tenet dans son livre publié en 2007, At the Center of the Storm (Au cœur de la tempête), note que lorsque Zoubaydah fut capturé, « nous avons entamé des discussions au sein du Conseil national de sécurité (NSC) pour définir comment le traiter. » Le NSC comprend le président, le vice-président, la secrétaire d’Etat, le secrétaire au Trésor, le secrétaire à la Défense et d’autres responsables de haut rang. La remarque qu’une implication de la part des échelons les plus élevés de la hiérarchie ait eu lieu dans l’interrogatoire de Zoubaydah rend absurde la notion que les dirigeants gouvernementaux n’étaient pas au courant de l’enregistrement de cet interrogatoire.

Il faudrait rappeler que le tristement célèbre « mémo de la torture » rédigé par le service juridique du ministère de la Justice afin de justifier les méthodes illégales d’interrogatoire avait été publié le 1er août au moment même où Zoubaydah subissait l’interrogatoire de la CIA. Le mémo avait en partie été écrit en réponse aux inquiétudes de la CIA que les méthodes imposées par le gouvernement pourraient exposer les agents du renseignement à des poursuites judiciaires.

La révélation de l’existence des cassettes de torture et de leur destruction est devenue le point de convergence des divisions intenses qui existent au sein de l’establishment politique et du renseignement.

Dans un volet différent, la CIA a demandé au ministère de la Justice d’enquêter pour savoir si John Kiriakou, ancien agent de la CIA, avait commis une violation d’information classifiée en révélant aux médias ce mois-ci que le waterboarding [simulacre de noyage] avait été employé contre Abou Zoubaydah. Kiriakou a dit qu’il considérait le waterboarding comme une torture mais il a également cherché à légitimer de telles méthodes en disant que le traitement de Zoubaydah avait été nécessaire pour « sauver des vies. »

Kiriakou s’exprime au nom d’éléments au sein de l’agence qui insistent pour dire que les dirigeants au plus niveau gouvernemental avaient autorisé tous les aspects de l’interrogatoire. L’avocat de Kiriakou, Mark Zaid, a envoyé un avertissement au ministère de la Justice. Il a dit au Washington Post, « S’ils continuent [l’enquête de son client], ils ouvriront une boîte de Pandore qui braquera les projecteurs sur la question de savoir si ces interrogatoires étaient légaux et jusqu’à quel point ils ont été complètement divulgués par les responsables fédéraux. »

Dans ces conditions, le gouvernement tente d’éviter un scandale qui risque d’échapper à son contrôle et au contrôle de personnalités en vue du Congrès, appartenant aux deux partis, et qui sont aussi impliquées dans ce camouflage.

La semaine passée, Bush a poursuivi ses obscurcissements quant à sa connaissance de la destruction des cassettes. Lors d’une conférence de presse jeudi à la Maison Blanche, un journaliste de l’Associated Press a posé la question suivante : « Il y a une certaine ambiguïté dans le communiqué selon lequel vous ne vous souvenez pas de l’existence et de la destruction des vidéos d’interrogatoires de la CIA. Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement dire oui ou non au sujet des enregistrements et de leur destruction ? »

Bush a répondu en répétant simplement que son « premier souvenir » des enregistrements remonte au moment où le directeur de la CIA, Michael Hayden, lui en avait parlé au début du mois. La Maison Blanche a évité de faire tout commentaire direct pour dire que c’était la première fois que Bush avait entendu parler des enregistrements. Elle a laissé les questions des journalistes en suspens en publiant un communiqué précisant que la Maison Blanche n’aborderait pas le sujet vu qu’une enquête interne de la CIA et du ministère de la Justice était en cours.

Lors d’une audience vendredi devant le tribunal d’instance du district de Colombia, le gouvernement a pressé le juge Henry Kennedy de refuser un mémoire en faveur d’une audience sur la destruction des cassettes. Kennedy avait émis une décision judiciaire en 2005 instruisant le gouvernement de conserver toutes les preuves relatives aux interrogatoires des prisonniers détenus à Guantánamo Bay. Les avocats des prisonniers de Guantánamo qui ont pétitionné son tribunal en faveur d’une révision de leur détention affirment à présent que la destruction des enregistrements pourrait constituer une violation de la décision du juge.

Le gouvernement a réitéré son argument qu’il « serait peu judicieux et imprudent » pour le juge d’enquêter davantage en attendant la propre enquête du gouvernement. Joseph Hunt, un avocat du gouvernement, a publié une promesse que le tribunal serait informé des résultats de cette enquête gouvernementale sur le gouvernement lui-même et que le tribunal serait informé de toute violation des règles.

Hunt a également affirmé que les enregistrements n’avaient rien à voir dans cette affaire étant donné que les personnes impliquées dans les interrogatoires enregistrés, Abou Zoubaydah et Abd al-Rahim al-Nashiri, n’étaient pas à Guantánamo Bay au moment de la décision judiciaire.

Qu’ils aient été ou non à Guantánamo Bay, ces derniers auraient bien pu nommer des personnes voire fournir des informations sur les accusés dont les affaires sont jugées au tribunal. Même si les gens figurant sur les cassettes de la CIA n’ont rien dit qui concerne directement les accusés, la preuve documentaire que les Etats-Unis ont torturé des personnes sous interrogatoire et utilisé les informations ainsi obtenues pour assurer leurs poursuites militaires serait hautement dommageable aux commissions de gradés militaires opérant à Guantánamo.

Toutes ses divulgations, et il ne fait pas de doute que la vérité va bien au-delà de ce qui a été révélé, montre un degré de criminalité qui excède l’affaire du Watergate, celle d’Iran-Contra et d’autres scandales passés.

Le gouvernement compte beaucoup sur le Parti démocrate pour empêcher que le scandale n’échappe à tout contrôle. Les appels à enquêtes sont restés jusque-là extrêmement réduits et ils seront en grande partie tenus sous le contrôle des législateurs démocrates qui sont depuis des années au courant des enregistrements et des programmes de torture de la CIA.

(Article original paru le 24 décembre 2007)


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