Alhassan Bangura, talentueux footballeur de 19
ans qui joue pour le club de Watford près de Londres, se bat contre les
tentatives du gouvernement travailliste de l'expulser vers son lieu de
naissance en Sierra Leone, un pays d'Afrique de l'Ouest. Bangura a demandé
l'asile quand il est arrivé au Royaume-Uni à l'âge de 15 ans, mais le ministère
de l'Intérieur affirme que, selon les lois en vigueur, son « droit de
séjour » a expiré lorsqu'il a eu 18 ans.
Né dans la capitale, Freetown, Bangura a fui la
Sierra Leone à la suite du meurtre de son père qui était le chef du Poro, une
ancienne organisation tribale qui intervenait dans les cérémonies religieuses.
Il dit qu'en tant que fils d'un chef, il est devenu son successeur, mais que
lorsqu'il a refusé de participer aux cérémonies il a été menacé. L'affaire est
rendue encore plus complexe par les récits de la manière dont les rebelles
homicides du Front révolutionnaire uni ont exploité le symbolisme du Poro
pendant la sanglante guerre civile (1991-2002), qui a entraîné la mort de plus
de 200 000 personnes, un million de réfugiés et des milliers de victimes
de viols et d'amputations.
Craignant pour sa vie, Bangura avait fui en
Guinée où il avait rencontré un Français qui avait promis de l’aider à
entrer en France. Une fois arrivé en France il avait été vendu à la
prostitution et violé. Ce n’est que lorsqu’il avait été emmené en
Grande-Bretagne qu’il avait réussi à s’échapper et avait demandé le
droit d’asile.
Bangura avait obtenu le « droit de séjour »
en première instance en juin 2007, mais son procès a été cassé après que le
ministère de l'Intérieur ait mesquinement repéré une erreur de droit dans le
résumé du juge. Le 11 décembre, il a perdu en appel contre une ordonnance de
reconduite à la frontière. Cependant, suite à une campagne de soutien acharnée,
le ministre de l'Immigration Liam Byrne a pris la décision exceptionnelle de
créer une commission pour étudier la possibilité de lui accorder un permis de
travail. Bangura est autorisé à rester au Royaume-Uni pendant que sa demande de
permis de travail est étudiée, en même temps son appel contre l'expulsion vers
la Sierra Leone sera aussi étudié.
La députée de Watford, Claire Ward, a soutenu
la campagne en faveur de Bangura, même si les habitants de sa circonscription ont
souligné le contraste entre ce soutien et sa défense aveugle des politiques
gouvernementales, dont celle de l'immigration, pour laquelle elle a été
récompensée en devenant le Chief Whip [responsable de la discipline, ndt] de la
représentation travailliste à la Chambre des Communes. Ward a déclaré « Nous
avons obtenu une concession de la part du ministère de l'intérieur, le club de football
de Watford déposera une demande pour un permis de travail exceptionnel, sans
qu'Al ait à quitter le Royaume-Uni.
« Parce qu'Al ne serait pas
automatiquement retenu pour un permis de travail, son cas sera étudié par une
commission indépendante, dont feront partie des membres du ministère de
l'Intérieur et des représentants du monde du football.
« Ils prendront en considération les
critères de la loi ainsi que son passé et ce qu'il apporte au jeu, puis ils
diront au ministère de l'Intérieur s'il doit être autorisé à recevoir le permis
de travail. Pour l'essentiel, ce que le ministre et le ministère ont fait,
c'est ouvrir une nouvelle voie par laquelle nous espérons qu'Al sera autorisé à
rester au Royaume-Uni. »
Bangura rencontre quand même des difficultés.
Pour être retenu pour un permis de travail, un footballeur doit avoir joué un
certain nombre de matches pour son équipe nationale, qui doit être classée
parmi les 70 meilleures par la FIFA, l'association internationale de football.
En étant arrivé au Royaume-Uni à 15 ans en tant que réfugié, il n'y a aucune
chance pour Bangura de s'être fait un nom au service de la Sierra Leone, qui,
de toute façon, est classée au 156e rang.
Cette situation difficile lui a valu la
sympathie des joueurs, du personnel et des milliers de fans du FC Watford et
d'autres clubs de foot. Une pétition sur Internet, mise en ligne par les
supporters, a recueilli 10 000 signatures et les fans des deux camps se
sont levés pour l'acclamer lors du dernier match entre Watford et Plymouth
Argyle. Stephane Burchkalter, secrétaire général de la section africaine
de la FIFpro, l'organisation mondiale qui représente les footballeurs, et le
précédent propriétaire du club de Watford, Elton John, lui ont aussi apporté
leur soutien.
Le manager de Watford, Aidy Boothroyd, qui a
témoigné en faveur de Bangura aux audiences en appel, a déclaré, « Après
l'audience sur l'immigration, j'ai dit que j'avais confiance dans la justice britannique,
mais visiblement je me suis totalement trompé parce que c'est une décision
complètement ridicule... Voilà un jeune homme qui paye ses impôts, a une
fiancée et un fils nouveau-né et quelqu'un s'imagine que c'est une bonne idée
de le renvoyer au Sierra Leone. Nous avons reçu un document qui mentionne les
raisons pour lesquelles il est déporté et elles sont ridicules. »
Alhassan a accordé un entretien au Watford
Observer où il explique comment il a découvert la décision du ministère de
l'Intérieur de le déporter. Il s'est réveillé un matin et a trouvé une lettre
sur son paillasson et il n'arrivait pas à comprendre pourquoi ils voulaient le
renvoyer.
« Je fais tout comme il le faut. J'habite
ici, J'y ai ma famille et mon travail – je ne fais de mal à personne. Je
suis heureux d'être ici, je considère cet endroit comme mon foyer, mon pays.
J'aimerais être un citoyen ici, si on me donnait une chance d'être Anglais, je
la saisirais sans hésiter. Je prie tous les soirs pour que le ministre de
l'Intérieur reconsidère cette question et m'autorise à rester, parce qu'au fond
de moi, je sais que c’est ici que je dois être », a-t-il expliqué.
« Ma fiancée est très, très contrariée.
Nous venons d'avoir notre premier enfant et ce devrait être une joie pour nous
deux. Au lieu de ça, elle est très déprimée en ce moment et je dois m'occuper
d'elle et m'assurer qu'elle et le bébé vont bien.
« Pourtant, c'est une mère fantastique,
elle a été formidable avec Samal et c'est formidable d’avoir ce petit ici. »
Le cas de Bangura n'est que la partie émergée
de l'iceberg d'un système brutal. Il a pour une fois mis en lumière le sort des
réfugiés et des demandeurs d'asile, qui est rarement mentionné par les
politiciens et des médias, plus occupés à organiser la chasse aux sorcières
contre les sections les plus vulnérables de la société et à les accuser de tous
les maux.
Dans une autre affaire récente, un juge de la Cour
de cassation a ordonné au ministre de l'Intérieur Jacqui Smith de faire revenir
un réfugié d'origine irakienne de 15 ans qui avait été expulsé vers l'Autriche,
son point d'entrée dans l'Union européenne. Le ministère de l'Intérieur avait
justifié l'enlèvement de l'enfant au domicile de sa famille d’accueil
lors d'une descente de police au petit matin en affirmant que les services
sociaux de Richmond pourraient prévenir le garçon qu’il était menacé d’expulsion.
L'enfant avait passé une nuit dans un commissariat en Autriche avant d'errer
dans les rues pendant les trois nuits suivantes, jusqu'à ce qu'il soit autorisé
à entrer dans un foyer pour adultes.
Le juge a condamné son traitement en disant, « c'est
une approche dégradante du problème. Je ne vois aucune justification possible
pour ça. »
« Expulser quelqu'un – un mineur
vulnérable – sans façon en allant chez lui sans prévenir à quatre heures
du matin est, je pense, véritablement scandaleux », a-t-il déclaré.
Selon la Convention de Genève sur les Droits
de l'Homme, les gouvernements sont obligés d'accepter les enfants non
accompagnés qui demandent l'asile. Mais le gouvernement travailliste de
Grande-Bretagne passe outre l'application de la loi internationale. Il est
devenu routinier que des jeunes gens soient détenus et expulsés une fois qu'ils
ont 18 ans. Beaucoup d'entre eux doivent faire face à un retour dans un pays
dont ils ne savent presque rien, dont ils ne parlent parfois même pas la langue
et où ils n'ont aucun membre de leur famille ou ami encore en vie pour les
aider. Le gouvernement refuse de prendre en considération le fait que beaucoup
d'expulsés risquent la torture, les escadrons de la mort, l'arrestation et la
prison.
D'après les associations caritatives, la
politique du Parti travailliste a créé un « désastre humanitaire »
dans lequel beaucoup de réfugiés n'ont pas accès à un avocat, l'aide juridique
a été réduite ou n'est pas disponible et certains avocats n'ont aucune
expérience des lois sur l'immigration. Dans certains cas, les avocats n'ont que
24 heures pour prendre connaissance des dossiers, dont beaucoup sont complexes
et requièrent des recherches approfondies.
En dépit des gros titres à sensation dans les
médias à propos de la Grande-Bretagne « submergée [par les immigrés], »
de récentes statistiques indiquent que le nombre des demandes d'asile est tombé
à 23 610, le plus bas niveau depuis 14 ans, et que les expulsions ont
augmenté de 17 pour cent depuis 2006 pour atteindre le nombre de 45 000
– soit « une toutes les huit minutes » comme les ministres ne
manquent pas de le crier sur tous les toits.
Et le gouvernement travailliste va encore
accentuer fortement la pression sur les immigrés « illégaux » à
partir de février prochain. Byrne affirme qu'à la fin de l'année prochaine le
système d'immigration « sera méconnaissable. » La totalité des dix
lois sur l'immigration adoptées depuis le début des années 1970 sera remplacée
par un nouveau texte. Celui-ci implique que les trois quarts de la population
mondiale auront besoin d'un visa avec empreintes digitales et d'une carte
d'identité s'ils veulent venir au Royaume-Uni. Un système à points cantonnera
les nouveaux arrivants à ceux qui ont des compétences que le capitalisme britannique
recherche ou qui sont assez riches pour subvenir eux-mêmes à leurs besoins. La
nouvelle administration unique des frontières aura des pouvoirs accrus pour
empêcher les entrées sur le territoire, conduire des expulsions et faire des
descentes sur les lieux de travail. Les employeurs qui emploient des
travailleurs illégaux à leur insu encourront une amende maximale de 10 000
livres par employé trouvé dans leurs locaux et ceux qui en emploient
délibérément encourront des amendes et des peines d'emprisonnement sans limites
prédéfinies. Des mesures additionnelles feront passer l'âge auquel un étranger
peut venir se marier au Royaume-Uni de 18 à 21 ans, et bloqueront l'accès à la
citoyenneté pour toute personne ayant un casier judiciaire.
Les médias de droite demandent que davantage
de gens se voient interdire l’entrée dans le pays et que ceux qui sont
sur place soient expulsés. Cette hystérie invoque essentiellement la « guerre
contre le terrorisme » et les prétendues menaces contre la sécurité de la
Grande‑Bretagne pour exiger que les prisonniers étrangers soient
systématiquement expulsés vers leur pays d'origine, même après avoir accompli
leur peine. Des immigrés qui ont obtenu le feu vert des services de Sécurité industrielle
du ministère de l'Intérieur sont renvoyés de leur emploi de gardien chargé de
la sécurité, où la plupart d'entre eux doivent passer de longues heures à faire
des rondes solitaires dans des entrepôts, des usines et des bureaux pour le
salaire minimum. Le porte-parole de l’opposition sur les questions
d’affaires intérieures, David Davis, accuse maintenant le gouvernement de
pratiquer une « amnistie déguisée » qui va autoriser 160 000 immigrés
« illégaux » à rester et prétend qu'« après 18 mois d'efforts,
et d'après leurs propres chiffres... il faudra des dizaines d'années pour
rattraper le retard accumulé. »
Évidemment, les médias de gauche ne peuvent
pas se montrer aussi grossièrement xénophobes, leurs arguments en faveur de
contrôles accrus sont donc envisagés du point de vue d'une « préoccupation »
pour les travailleurs. L'Observeret le Guardian ont tous deux encouragé et fait
la promotion du tournant politique du Parti travailliste sur l'immigration, en
utilisant une variante de la technique préférée de la droite — l'affirmation
selon laquelle il est impossible de maintenir un État-providence parce que les
gens ne sont prêts à partager qu'avec ceux qui ont les mêmes valeurs et la même
culture. Ces opinions s'accordent parfaitement avec une tendance du Parti travailliste
qui réclame des mesures plus sévères pour réduire l'immigration, et affirme que
c'est le meilleur moyen de combattre la montée en puissance du British National
Party [parti d’extrême-droite.] Son représentant le plus énergique, le
député de Dagenham John Cruddas, affirme que le soutien dont bénéficient les
fascistes peut être attribué aux griefs légitimes des travailleurs blancs
enragés par l'immigration illégale et les demandes d'asile injustifiées,
ajoutées aux politiques d'aide sociale qui participent aussi à la
discrimination contre la « classe ouvrière blanche. »
De cette manière, la menace fasciste devient
un prétexte pour que le Parti travailliste adopte une politique sociale encore
plus à droite. Les immigrés et les demandeurs d'asile sont les boucs émissaires
pour tous les maux de la société causés par une inégalité sociale qui s'aggrave
en permanence, la fin des garanties sociales comme la sécurité sociale et le
manque de logements sociaux, ce dont les travaillistes sont responsables.
Et que dire de l’avenir d’Al Bangura
s'il devait perdre son droit de séjour au Royaume-Uni ?
La Sierra Leone est présentée comme un modèle
de réussite de l'Occident, particulièrement de la part de la Grande‑Bretagne
et du précédent premier ministre Tony Blair. Les troupes britanniques sont
intervenues dans le pays en 2000 et ont été suivies par l'arrivée de plus de 17
000 soldats des Nations Unies. Dès lors, la Grande‑Bretagne a dans les
faits pris en charge l'administration civile et militaire du pays et fourni la
plus grande partie de l'aide — quelque 40 millions de livres (53,5
millions d'euros) en 2006. En juillet 2007, le ministère de l'Intérieur a
ajouté la Sierra Leone à sa « liste blanche » des pays sûrs d'où les
demandes d'asile sont présumées être infondées et où les demandeurs doivent
retourner dans leur pays d'origine pour faire appel.
Pourtant, l'organisation humanitaire Human
Rights Watch à fait savoir l'année dernière, que « Depuis la fin du brutal
conflit armé au Sierra Leone en 2002, peu d'améliorations ont été apportées aux
facteurs qui ont contribué à l'émergence du conflit en 1991 — une
corruption endémique, un mauvais usage flagrant des finances publiques, une
distribution inadaptée des ressources naturelles du pays, et une faible
autorité de la loi. L'incapacité du gouvernement à s'occuper de la pauvreté
extrême en dépit d'une aide internationale massive, et le taux de chômage
alarmant chez les jeunes, rendent la Sierra Leone vulnérable à des instabilités
futures. »
Le rapport indique que le gouvernement a fait
bien peu d'efforts pour mettre en pratique la plupart des recommandations de la
Commission pour la vérité et la réconciliation mise en place après la guerre
civile et en a rejeté certaines autres, dont l'abolition de la peine de mort.
La police et l'armée de la Sierra Leone « sont depuis longtemps la source
d'une instabilité considérable, de corruption, de violations des Droits de
l'Homme et ont bénéficié d'une immunité quasi-complète contre les poursuites
pénales. » Il y a des « défaillances surprenantes » dans le
système judicaire, qui « minent gravement » les droits des victimes
et des accusés, notamment l'extorsion et la corruption, des délais pour obtenir
un avocat qui, dans certains cas, peuvent atteindre cinq ans, l'obtention de
déclarations sous la contrainte, la détention sans inculpation, ainsi que de
nombreux décès en captivité.
La Sierra Leone est le pays le plus pauvre du
monde, l'espérance de vie y est de 34 ans et un quart des enfants du pays
meurent avant d'avoir cinq ans.