Les Etats-Unis sont « prêts, désireux et
capables » de déployer des troupes de combat américaines au Pakistan pour
des opérations militaires conjointes dans la région frontalière instable du
pays, a déclaré jeudi le secrétaire à la Défense des Etats-Unis Robert Gates.
La déclaration publique au sujet d’une intervention
américaine au Pakistan semblait avoir pour but de faire pression sur le régime
du président Pervez Moucharraf afin qu’il accepte que les Etats-Unis
jouent un rôle plus direct dans la répression de l’opposition au pays,
opposition qui est liée au développement de la résistance à l’occupation
de l’Afghanistan menée par les Etats-Unis.
Selon les reportages des médias, l’administration
Bush a tenu aux plus hauts niveaux de longues discussions sur la crise au
Pakistan et a établi des plans pour une intervention américaine à la suite de
l’assassinat le mois dernier de la dirigeante du Parti du peuple du
Pakistan et ancienne première ministre Benazir Bhutto. L’administration
verrait la crise politique dans la foulée de l’assassinat politique comme
une occasion pour étendre son influence dans le pays.
Les pressions accrues de Washington sur le Pakistan
surviennent dans le contexte d’une intensification des combats entre les
forces tribales et les troupes gouvernementales dans la région voisine de
l’Afghanistan. Le gouvernement a rapporté que plus de 200 combattants et
30 soldats du gouvernement ont perdu la vie durant les trois semaines de
violence au Sud-Waziristan.
La déclaration de Gates est venue en réponse à la question
d’un journaliste lors d’une conférence de presse du
Pentagone. « Nous restons prêts, désireux et
capables d'aider les Pakistanais et d'établir un partenariat avec eux pour
fournir une formation supplémentaire afin d'effectuer des opérations
conjointes, pourvu qu'ils désirent le faire », a déclaré le secrétaire à
la Défense.
Bien que Gates ait admis que
le régime pakistanais n’avait pas encore exigé une telle aide, il a
insisté que « cela est une question en évolution », ajoutant que
« Ce que nous avons tenté de dire aux Pakistanais et ce que nous affirmons
essentiellement ici est que nous sommes prêts à envisager différents types de
coopération avec eux dans différents domaines, mais en ce moment nous attendons
leurs propositions ou suggestions. »
Selon Gates, les forces
américaines pourraient être lancées « à la poursuite d’al-Qaïda dans
la région frontalière », et il a soutenu qu’une telle opération
n’impliquerait « qu’un très petit nombre de soldats ».
Lorsqu’on lui demanda ce qu’il voulait dire par « un très
petit nombre », Gates refusa de commenter.
Il a aussi refusé de répondre à
une question qui visait à savoir si les troupes américaines étaient déjà en
train de traverser la frontière — où plus de 28 000 soldats
américains sont présentement déployés — afin de poursuivre les
combattants qui résistent à l’occupation américaine. En 2002,
l’ancien chef du Central Command américain, le général Tommy Franks,
a dit que le Pakistan avait accepté de permettre aux troupes américaines de se
mettre « à la poursuite » des forces qui s’échappent par la
frontière. Washington a aussi reconnu la présence de 50
« conseillers » militaires supposément destinés à entraîner des
forces pakistanaises. Selon certains rapports, ces troupes ont aussi participé
à des opérations de combat au côté des unités pakistanaises.
Le secrétaire à la défense a dit que Washington est
« concerné par le rétablissement de refuges d’al-Qaïda dans la zone
frontalière. » Dans ce qui était, en fait, une justification de
l’intervention américaine au nom de la « lutte globale au
terrorisme », il ajouta : « Je crois que ce serait irréaliste de
supposer que tous leurs plans visent strictement le Pakistan. Alors, je pense
que c’est une menace perpétuelle pour l’Europe et pour nous. »
Les commentaires du secrétaire à
la défense ont été précédés d’une visite au Pakistan plus tôt dans la
semaine par le plus haut responsable de l’armée américaine dans la
région, le chef du Central Command, l’amiral William Fallon.
Pendant qu’il était au Pakistan, Fallon a tenu des pourparlers avec le
général qui a succédé à Moucharraf après que celui-ci eut renoncé à son poste
de chef de l’armée, le général Ashfaq Parvez Kayani. Même si les deux ont
fait peu de commentaires publics pendant la visite, ils ont discuté, selon une
déclaration écrite, « de la situation générale de la sécurité dans la
région ».
Selon Associated Press, à la veille de son voyage au
Pakistan, Fallon a donné un ordre secret à des officiers militaires américains
pour mettre sur pied un plan pour des opérations à long terme au Pakistan
destinées à soutenir le régime actuel et à combattre l’insurrection
intérieure qui menace le gouvernement.
Citant un anonyme « officier militaire de haut
rang », l’agence de nouvelles a dit que le plan pourrait être
prolongé jusqu’en 2015.
Pendant une réunion en Floride, tenue une semaine avant son
voyage au Pakistan avec des commandants de l’armée du Moyen-Orient, Fallon
a dit aux médias que l’intensification des conflits dans le pays rendait
le gouvernement plus réceptif à l’idée d’accepter une présence
américaine.
« Ils se rendent compte qu’ils ont de véritables
problèmes à l’intérieur de leur pays », a-t-il déclaré.
« J’ai le sentiment qu’ils auront plus la volonté de faire
face à ces problèmes et nous allons les aider. » Il ajouta que
l’aide américaine serait « plus robuste ».
Entre temps, jeudi, Moucharraf a rencontré le secrétaire
d’État américain, Condoleezza Rice au sommet économique mondial de Davos
en Suisse. Cela représentait la rencontre au plus haut niveau entre Islamabad
et Washington depuis l’assassinat de Bhutto. Avant même le début de la
rencontre, Rice a louangé Moucharraf le présentant de « bon allié dans la
guerre au terrorisme. » Tout en déclarant les préoccupations des
États-Unis pour des « élections libres et équitables » au Pakistan le
mois prochain, elle a souligné que l’administration n’avait pas
l’intention de réduire les milliards de dollars en aide militaire qui ont
soutenu la dictature de Moucharraf.
Pour sa part, Moucharraf s’est publiquement opposé
aux suggestions d’interventions militaires américaines au Pakistan.
« Cela ne peut pas être fait par les forces
américaines, » a dit Moucharraf lors d’une rencontre à Davos.
« S’il vous plaît, ne croyez pas que les forces américaines
possèdent une sorte de baguette magique, avec laquelle elles vont venir ici et
avoir du succès… elles ont les mains pleines en Afghanistan. »
Le dirigeant pakistanais prétendait que son régime
s’opposait à toute présence étrangère au pays. Il a ajouté en relation à
une intervention militaire américaine, « l’homme de la rue ne va le
permettre – il va sortir et s’agiter. »
Il n'est pas clair si les déclarations de Moucharraf
étaient pour consommation publique ou s'il est réellement réticent à la
perspective d’une présence militaire américaine accrue de peur de
provoquer encore plus d’instabilité au Pakistan.
Il y a, cependant, des signes que Washington puisse être en
train de préparer une alternative à Moucharraf. Le Washington Post rapportait
jeudi que le président pakistanais « perd de plus en plus d’appui
chez d’importants supporteurs, incluant sa base militaire traditionnelle,
au milieu de questionnements de plus en plus ouverts tant au Pakistan
qu’aux États-Unis sur sa capacité à gouverner ».
Le journal citait une déclaration émise par la Société des
anciens hommes de service, un groupe qui comprend des commandants militaires à
la retraite et des dirigeants de services de sécurité ayant de nombreux liens
avec des militaires actifs, réclamant la démission immédiate de Moucharraf. Il
notait également que le nouveau commandant militaire, le Général Kiyani, a émis
un ordre interdisant à tout officier militaire de rencontrer le président sans
son approbation et qu’il se préparait à retirer les officiers de leurs
postes civils au sein du gouvernement Moucharraf.
Selon le Post, « les représentants des
renseignements américains ont dit, pour la première fois, aux agences à
Washington, que le dirigeant pakistanais était peut-être politiquement
irrécupérable à long terme. »