Même s’ils sont écrits dans une langue
bureaucratique insipide, les procès-verbaux des réunions d’urgence du conseil
de la Réserve fédérale, la banque centrale des Etats-Unis, qui ont eu lieu le
14 et le 16 mars et qui ont été publiés le vendredi 27 juin, donnent un aperçu
de la crainte qui tenait les autorités financières alors qu’il était devenu
évident que la banque d’investissement Bear Stearns était sur le point de
s’effondrer.
La Réserve fédérale a été impliquée dans
cette affaire le 13 mars, le jour où Bear Stearns lui a annoncé en même temps
qu’à d’autres agences gouvernementales que l’état des ses liquidités était
mauvais et qu’elle devrait déclarer faillite le lendemain à moins que l’on ne
trouve d’autres sources de financement. Les difficultés de Bear Stearns
devenaient de plus en plus aiguës depuis le mois de juin 2007 après que deux
importants fonds spéculatifs (hedge funds) qui lui appartenaient se
soient effondrés, environ 1,6 milliard $ appartenant aux investisseurs
s’évaporant.
Le conseil des gouverneurs de la Réserve
fédérale s’est réuni à 9h15 le matin suivant pour donner son aval à l’opération
de soutien. Comme le procès-verbal l’explique, la crainte était bien réelle que
le système financier dans son ensemble fut sur le point de s’effondrer.
« Les membres du conseil ont décidé
qu’étant donné la condition fragile des marchés financiers au temps présent, la
position importante de Bear Stearns dans ces marchés et la contagion attendue
qui résulterait de la faillite immédiate de Bear Stearns, la meilleure voie qui
s’ouvre à nous est d’offrir un financement temporaire d’urgence à Bear Stearns
au moyen d’un arrangement avec JPMorgan Chase & Co. aussi basé à New York.
Un tel prêts facilitera les efforts pour résoudre la situation dans laquelle se
trouve Bear Strearns qui aidera à préserver la stabilité financière »,
peut-on lire dans les procès-verbaux.
Non seulement le conseil a-t-il autorisé un
prêt à Bear Stearns en passant par JPMorgan Chase, mais il a aussi décidé de
libérer des fonds de façon plus générale.
Le procès-verbal note qu’«étant donné les
circonstances inhabituelles et exigeantes », le conseil autorise la
Réserve fédérale basée à New York, en consultation avec le président de la
Réserve, Ben Bernanke, à offrir un financement « aux autres courtiers
de premier rang, lorsque la Réserve considérera que des prêts suffisamment
accommodants ne sont pas disponibles à l’emprunteur auprès des autres
institutions bancaires ».
En d’autres mots, le conseil craignait que
l’effondrement de Bear Stearns ne provoque une crise générale de confiance dans
tout le marché financier qui mènerait à une crise du crédit.
Cette réunion avait été appelée si
hâtivement que le conseil n’a pu convoquer cinq gouverneurs tel que requis par
le règlement le régissant. Il a dû invoquer des pouvoirs d’urgence pour pouvoir
prendre des décisions malgré la présence de quatre gouverneurs seulement.
Le président de la Réserve fédérale a
discuté de la possibilité d’un effondrement financier aux Etats-Unis et dans le
monde dans le plus récent témoignage qu’il a donné au Congrès américain sur la
crise. Parce que Bear Stearns était très impliquée dans une « large spectre
de marchés essentiels », a-t-il dit, sa faillite soudaine « aurait
fort probablement entraîné une réaction en chaîne dans ces marchés et aurait pu
ébranler la confiance. La faillite de cette compagnie aurait aussi pu semer le
doute sur la solidité financière de certains des milliers de partenaires de
Bear Stearns et peut-être d’autres compagnies dans le même secteur.
« Étant donné les pressions
exceptionnelles sur l’économie mondiale et sur le système financier, le dommage
causée par une faillite de Bear Stearns aurait pu être très sérieux et
extrêmement difficile à contrecarrer. De plus, l’impact adverse d’une telle
faillite ne serait pas limité au système financier, mais aurait été largement
ressenti dans l’économie réelle par ses effets sur la valeur des actifs et la
disponibilité du crédit. »
L’ampleur de l’implication de Bear Stearns
dans les « marchés essentiels » est démontré par le fait qu’elle
était impliquée dans des contrats avec d’autres firmes à travers le monde pour
un total de 2,5 billions $.
Malgré leur ampleur, les décisions de la
Réserve fédérales du 14 mars n’ont pas été suffisantes pour mettre un terme à
la crise et le conseil des gouverneurs a dû se réunir de nouveau l’après-midi
du dimanche 16 mars dans le but d’arranger la vente de Bear Stearns à JPMorgan
Chase. Le point crucial de cette entente a été la décision de la Réserve
fédérale de faire un prêt à Bear Stearns qui prendrait en garantie pour 30
milliards de ses actifs. Jamais auparavant la Réserve fédérale avait-elle
acceptée des actifs hypothécaires en contrepartie d’un prêt.
Mais l’action sans précédente était
centrale pour l’entente par laquelle JPMorgan Chase se portait acquéreur de
Bear Stearns. Comme le PDG Jamie Dimon a plus tard témoigné, « Nous
n’aurions pas pu ni voulu prendre le grand risque d’acquérir Bear Stearns sans
les 30 milliards de la Réserve. »
Et si l’entente n’avait pas été conclue, il
y avait une possibilité de voir l’effondrement du système financier mondial le
lundi matin, à l’ouverture des marchés asiatiques qui n’étaient qu’à quelques
heures.
Selon le
procès-verbal : « Les données qu’avaient le conseil indiquaient
que Bear Stearns aurait de la difficulté à rencontrer ses obligations
financières le prochain jour d’affaires. Un soutien important, tel que l’acquisition
de Bear Stearns ou une garantie immédiate pour ses obligations de paiement
était nécessaire pour éviter le bouleversement des marchés. »
Le prêt de 30 milliards $ n’est pas la
seule mesure extraordinaire de l’entente. La Réserve a aussi octroyé à JPMorgan
Chase une exemption de 18 mois des exigences de la Réserve fédérale en ce qui
concerne le capital en ce qui touche l’acquisition de Bear Stearns.
De plus, le procès-verbal expliquait la
décision prise deux jours auparavant de permettre à la Banque de la Réserve de
New-York d’offrir un prêt à tous les courtiers de premier rang. Ces courtiers
auraient accès à ce nouveau crédit par leurs banques de compensation (banques
offrant des prêts industriels à court terme). La décision d’offrir un crédit aux
courtiers de premier rang était « basée sur des développements récents et
qui évoluaient rapidement » qui avaient montré qu’il y « avait un
aggravement dans une large gamme de marchés financiers dans lesquels les
courtiers de premier rang se finançaient eux-mêmes » et que « les
courtiers pourraient avoir de la difficulté à obtenir le financement nécessaire
pour leurs opérations d’autres sources ».
Trois mois et demi plus tard, la crise
immédiate entourant Bear Stearns est passée. Mais cela ne signifie pas que la
crise du système financier mondial et américain, largement décrite comme la
plus importante depuis les années 1930, est presque terminée. En fait, ce ne
pourrait être que le commencement alors que la chute du marché de l’immobilier
se traduit par un ralentissement économique aux Etats-Unis.
L’ancien secrétaire américain au Trésor,
Lawrence Summers, a noté dans un texte qui fut publié le 30 juin dans le Financial
Times : « La possibilité est bien réelle que nous traversions
maintenant le plus dangereux instant depuis que la crise financière américaine
a débutée en août dernier. Une augmentation impressionnante des cours du
pétrole et d’autres marchandises a ébranlé la confiance du consommateur
américain et a soulevé de grandes inquiétudes envers l’inflation, ce qui limite
ce qui peut être réalisé au moyen d’une politique monétaire en réponse au
secteur financier qui, à en juger par la valeur des actions, est à son point le
plus bas depuis le début de la crise. Alors que la valeur des maisons continue
à diminuer et qu’il est de plus en plus probable que les problèmes font tache
d’huile dans les secteurs de la construction et du crédit aux consommateurs, il
y a une réelle possibilité que l’économie chancelante nuise au système
financier, ce qui affaiblirait l’économie encore plus. »
Summers a dit qu’après une période
d’intense activité plus tôt cette année, « la politique est de nouveau
dépassée ».
Mettant en garde contre la possibilité
réelle que « des institutions financières de haut calibre n’auront pas que
des problèmes de liquidité, mais bien de solvabilité » dans les mois qui
viennent, il a appelé pour une nouvelle agence législative qui aura pour
fonction d’assurer que les régulateurs auront les pouvoirs nécessaires pour
faire face à la crise. « Nous avons été chanceux d’avoir pu trouver un
partenaire naturel pour une fusion avec Bear Stearns lorsque cette dernière a
fait faillite. Nous pourrions ne pas être aussi chanceux la prochaine
fois. »