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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le gouvernement espagnol utilise la tragédie des boat people africains pour renforcer sa politique anti-immigrés

Par Paul Stuart
24 juillet 2008

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Une fois de plus, l’Espagne est en proie à des images abominables de bateaux venus d’Afrique abordant ses rivages, débordant de corps épuisés et traumatisés de travailleurs immigrés étendus immobiles parmi les morts. On estime que durant ces dernières années, jusque 3000 immigrés sont morts en route vers l’Espagne. Mais cette année, Francisco Vicente, président de la Croix rouge au port espagnol d’Alméria a déclaré, « En cinq ans, c’est ce que j’ai vu de pire. »

Au début du mois, un bateau avait été découvert près d’Almeria avec 33 survivants à bord qui avaient quitté le Maroc la semaine précédente. Après une panne de moteur du bateau, 15 personnes étaient mortes de faim et de soif dont neuf jeunes enfants dont les corps en décomposition avaient été jetés par-dessus bord. Une mère éperdue de douleur qui avait perdu deux enfants pendant le voyage ne cessait de répéter aux travailleurs de la Croix-Rouge, « Où sont mes bébés ? »

En l’espace de quelques jours, on faisait état de 14 autres Africains passés par-dessus bord lorsque leur bateau s’était retourné près de Motril en Andalousie. Vingt-trois personnes ont été secourues et tous, à l’exception de deux, seront déportés une fois que leur identité sera connue. L’un des survivants autorisé pour le moment à rester a perdu sa femme, son enfant de trois ans et son frère. L’autre personne autorisée à rester est une femme enceinte.

D’après d’autres rapports, un autre bateau avec 59 travailleurs immigrés à bord, a été retenu près des îles Canaries après avoir quitté la Guinée Bissau et dérivé sur l’Atlantique pendant deux semaines. Quatre des personnes à son bord étaient décédées et deux autres sont mortes plus tard dans un hôpital espagnol. On pense que dix autres sont morts durant la traversée et qu’ils ont été jetés par-dessus bord.

Des scènes similaires se déroulent sur la côte italienne de Lampedusa, l’île italienne la plus méridionale, qui n’est qu’à 120 kilomètres de la côte africaine.

Angel Madero, président de l’association espagnole d’aide aux réfugiés Acoge fait porter la responsabilité de ces morts aux gouvernements espagnols successifs : « Ils investissent des millions dans des systèmes de sécurité et les systèmes d’entrée légale sont plus difficiles. C’est par nécessité que les immigrés ne cessent de venir et la conséquence, c’est qu’ils prennent des routes plus dangereuses. »

Les immigrants avaient l’habitude de faire les quelques kilomètres du détroit de Gibraltar qui séparent le Maroc de l’Espagne, mais du fait de l’intensification de patrouilles disposant de moyens sophistiqués, les trafiquants opèrent à présent à partir de la côte ouest forçant les immigrants à des voyages plus longs et plus dangereux au départ de l’Afrique de l’Ouest et au milieu de l’océan Atlantique.

La vague de révulsion soulevée dans le pays par ces récentes tragédies a été si grande que même le maire de Motril, Carlos Rojas du Parti populaire (PP) bien connu pour sa politique anti immigrés a été contraint de déclarer une journée de deuil pour les 14 Africains morts. Le premier ministre José Luis Zapatero du parti au pouvoir, le PSOE (Le Parti socialiste ouvrier espagnol) a ajouté que le bateau dévasté « devrait rester gravé dans l’esprit de chacun et chacune d’entre nous. »

Ces témoignages de sympathie ont pour but de dissimuler les conséquences mortelles de la politique anti-immigrés poursuivie par les gouvernements successifs.

La majorité des personnes qui ont été amenées sur la terre ferme sont actuellement retenues dans des centres de rétention pour une durée qui peut aller jusque quarante jours avant d’être déportés. Mais Zapatero veut allonger cette période à soixante jours pour s’assurer que la majorité de ces personnes détenues sont déportées.

Les conditions de vie à l’intérieur de ces centres de rétention sont atroces. Le journal El Pais, proche du PSOE écrit, « Des détenus et d’anciens détenus du CIE de Carabanchel, Madrid, et leur famille racontent des histoires similaires et elles ne sont pas agréables. Dans les queues qui se forment devant le centre, on peut entendre des récriminations en diverses langues et accents sur le manque de nourriture et de soins médicaux, sur la saleté et le froid, ce que le ministère de l’Intérieur nie en bloc. »

En juin dernier, Human Rights Watch a fait un rapport sur le traitement des enfants immigrants non accompagnés ayant atteint les îles Canaries : « Bien qu’il y ait eu quelques améliorations, les carences systémiques de ces centres restent inchangées et devraient être rectifiées immédiatement. Depuis septembre 2007, il y a eu plusieurs reportages des médias sur des incidents sérieux ayant eu lieu dans ces centres. Parmi ces incidents on compte un début d’incendie au centre d’urgence de Tegueste qui a eu pour conséquence l’hospitalisation de deux enfants, une bagarre de grande envergure au centre La Esperanza impliquant 200 enfants, une rébellion violente à la Esperanza au sujet de la qualité de la nourriture, et une coupure d’eau pendant quatre jours au centre de La Esperanza.

Le gouvernement PSOE a refusé de réagir avec sérieux face à de tels rapports et le député européen du PP, Agustin Diaz de Mera s’est chargé de défendre ces centres en déclarant qu’ils sont « relativement bien. Il se peut qu’ils soient plus ou moins surpeuplés, mais franchement… ils sont acceptables. »

Ces immigrants que l’on autorise à rester subissent non seulement de longues périodes d’incarcération, mais souffrent aussi du syndrome d’Ulysse, une maladie mentale identifiée par les experts médicaux qui soignent les immigrants souffrant de traumatismes liés aux terribles épreuves qu’ils ont subies. La plupart des médecins de ville font cependant un mauvais diagnostic et prescrivent des anti-dépresseurs qui provoquent des maladies mentales graves. Des améliorations significatives dans l’état des immigrants se produisent tout simplement lorsqu’on leur fournit une aide humanitaire de base tels qu’une représentation juridique, un logement et la perspective d’emplois décents, le tout accompagné d’un traitement psychologique soutenu.

De nombreux professionnels travaillent d’arrache-pied pour comprendre cette maladie et y apporter un traitement efficace, mais la réponse du gouvernement, comme le rapporte le Deutsche Welle du 11 juillet ne consiste pas à fournir un havre de sécurité, mais plutôt à renforcer la politique anti-immigrés tout en lançant des appels de pure forme à « aider l’Afrique ».

« Nous devons une fois encore resserrer nos contrôles… Nous nous trouvons dans une situation alarmante. Soit nous aidons l’Afrique, nous l’aidons à lutter contre la pauvreté et le désespoir, ou alors notre avenir en tant que région de bien-être et de progrès est remise en question », a dit un porte-parole du gouvernement.

Participant des Objectifs du millénaire pour le développement, Zapatero a enjoint les Etats membres de l’UE de faire don de 0,7 pour cent de leurs revenus pour venir en aide à l’Afrique comme le fait l’Espagne. Il a expliqué, « Tant que les gens sont désespérés et ne peuvent nourrir leurs enfants, ils vont chercher à atteindre l’Europe… Il est inacceptable, avec l’augmentation de la pauvreté extrême, de voir l’aide au développement régresser… L’occident a les ressources et la capacité de contribuer à faire disparaître la pauvreté extrême. »

Derrière ces appels à l’aide humanitaire se cache généralement un gros effort, de la part du gouvernement concerné, pour élargir sa sphère d’influence et s’assurer des ressources essentielles. C’est précisément ce qui motive Zapatero tandis qu’il cherche à protéger et élargir les intérêts commerciaux de l’Espagne en Afrique du Nord.

Comme l’a affirmé l’association caritative Oxfam dans un récent rapport sur le « Projet Afrique » de 2007 du gouvernement espagnol : « On se demande s’il s’agit d’un projet de l’Espagne pour l’Afrique ou un projet pour l’Espagne en Afrique. »

Le rapport poursuit, « L’utilisation de l’aide au développement comme monnaie d’échange pour convaincre des gouvernements africains à ériger des barrières, à durcir leurs contrôles d’immigration ou à accepter le rapatriement d’émigrants est une perversion de la coopération pour le développement et est inacceptable. »

Zapatero a pris la défense de la « Directive retour » critiquée par certains et que l’UE a votée en juin et qui impose des règles communes pour l’expulsion de travailleurs sans-papiers. Entre autres initiatives réactionnaires, la directive allonge à 18 mois la durée de rétention d’immigrants sans-papiers avant leur déportation.

El Pais fait remarquer, « permettre que des immigrés sans-papiers soient détenus jusqu’à 18 mois constitue un plafond pour certains pays qui n’avaient auparavant aucune limite, mais cela revient aussi à ouvrir la porte à d’autres, dont l’Espagne, pour durcir leurs lois à l’avenir. C’est là une facette de l’Espagne que peu de personnes prévoient quand elles rêvent de s’échapper de leur propre situation de misère. »

Un éditorial du Comité intermouvement auprès des évacués (Cimade) décrit comment la directive sera synonyme de rétention glissant « petit à petit » dans « la logique de l’internement, transformant ces centres en camps. »

Zapatero a dit de cette attaque fondamentale à l’encontre des droits démocratiques des immigrants, « On peut être d’accord ou non, mais ce qu’on ne peut pas dire c’est que cela va à l’encontre des droits de l’Homme », ajoutant que la directive est une « avancée progressiste ».

Zapatero agit en défenseur et meneur de l’agence européenne de contrôle des frontières (FRONTEX) qui est équipée de systèmes de surveillance comprenant des satellites et des drones aériens pour surveiller les mouvements des émigrants et d’Equipes d’intervention rapide aux frontières pour les arrêter.

Zapatero s’est retourné brutalement contre les immigrés alors que pas plus tard qu’en 2005 le gouvernement avait régularisé 800 000 immigrés sans-papiers, mesure qui avait été dénoncée avec acharnement par des dirigeants européens. De nombreux travailleurs immigrés et leurs associations de défense avaient aidé le PSOE à prendre le pouvoir en 2004 et de nouveau en 2008 en protestation du traitement brutal qu’ils avaient subi sous le gouvernement PP de José Maria Aznar.

Son idée que « cela paie de se montrer dur » avait été remarquée par The Economist du 7 juillet qui explique comment « Les immigrés d’Espagne, dont la plupart sont arrivés au cours des sept dernières années ont joué un grand rôle dans la croissance économique. Ils commencent à présent à perdre leur emploi. Les immigrés représentent 11 pour cent de la main d’œuvre, mais la moitié de ceux qui se retrouvent depuis peu au chômage. Le gouvernement propose de leur payer une somme globale d’allocation chômage s’ils retournent chez eux. »

Et de poursuivre, « Un projet visant à mettre fin au regroupement familial pourra décourager les nouveaux immigrants. Ces deux mesures conviennent aux électeurs qui s’inquiètent que l’immigration s’est faite de façon trop rapide. M. Zapatero a vu le problème auquel de nombreux Espagnols sont à présent confrontés pour la première fois, en rivalisant avec des immigrés pour des emplois qui se font rares. Au cours de son deuxième mandat, les relations interraciales, jusqu’à présent calmes, risquent d’être mises à l’épreuve. Résoudre les problèmes économiques serait la meilleure solution. Mais se montrer dur envers les immigrants sera peut-être une manière plus simple de rester populaire, plutôt que de promouvoir des réformes économiques impopulaires. »

(Article original anglais paru le 22 juillet 2008)

Des immigrants africains désespérés prennent le risque de traverser la mer jusqu'aux îles Canaries [13 avril 2006]


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