Une fois de plus, l’Espagne est en proie à des images
abominables de bateaux venus d’Afrique abordant ses rivages, débordant de
corps épuisés et traumatisés de travailleurs immigrés étendus immobiles parmi
les morts. On estime que durant ces dernières années, jusque 3000 immigrés sont
morts en route vers l’Espagne. Mais cette année, Francisco Vicente,
président de la Croix rouge au port espagnol d’Alméria a déclaré,
« En cinq ans, c’est ce que j’ai vu de pire. »
Au début du mois, un bateau avait été découvert près
d’Almeria avec 33 survivants à bord qui avaient quitté le Maroc la
semaine précédente. Après une panne de moteur du bateau, 15 personnes étaient
mortes de faim et de soif dont neuf jeunes enfants dont les corps en
décomposition avaient été jetés par-dessus bord. Une mère éperdue de douleur
qui avait perdu deux enfants pendant le voyage ne cessait de répéter aux
travailleurs de la Croix-Rouge, « Où sont mes bébés ? »
En l’espace de quelques jours, on faisait état de 14
autres Africains passés par-dessus bord lorsque leur bateau s’était
retourné près de Motril en Andalousie. Vingt-trois personnes ont été secourues
et tous, à l’exception de deux, seront déportés une fois que leur identité
sera connue. L’un des survivants autorisé pour le moment à rester a perdu
sa femme, son enfant de trois ans et son frère. L’autre personne
autorisée à rester est une femme enceinte.
D’après d’autres rapports, un autre bateau avec 59
travailleurs immigrés à bord, a été retenu près des îles Canaries après avoir
quitté la Guinée Bissau et dérivé sur l’Atlantique pendant deux semaines.
Quatre des personnes à son bord étaient décédées et deux autres sont mortes
plus tard dans un hôpital espagnol. On pense que dix autres sont morts durant
la traversée et qu’ils ont été jetés par-dessus bord.
Des scènes similaires se déroulent sur la côte italienne de
Lampedusa, l’île italienne la plus méridionale, qui n’est
qu’à 120 kilomètres de la côte africaine.
Angel Madero, président de l’association espagnole
d’aide aux réfugiés Acoge fait porter la responsabilité de ces morts aux
gouvernements espagnols successifs : « Ils investissent des millions
dans des systèmes de sécurité et les systèmes d’entrée légale sont plus
difficiles. C’est par nécessité que les immigrés ne cessent de venir et
la conséquence, c’est qu’ils prennent des routes plus
dangereuses. »
Les immigrants avaient l’habitude de faire les quelques
kilomètres du détroit de Gibraltar qui séparent le Maroc de l’Espagne,
mais du fait de l’intensification de patrouilles disposant de moyens
sophistiqués, les trafiquants opèrent à présent à partir de la côte ouest
forçant les immigrants à des voyages plus longs et plus dangereux au départ de
l’Afrique de l’Ouest et au milieu de l’océan Atlantique.
La vague de révulsion soulevée dans le pays par ces récentes
tragédies a été si grande que même le maire de Motril, Carlos Rojas du Parti
populaire (PP) bien connu pour sa politique anti immigrés a été contraint de déclarer
une journée de deuil pour les 14 Africains morts. Le premier ministre José Luis
Zapatero du parti au pouvoir, le PSOE (Le Partisocialiste ouvrier espagnol)
a ajouté que le bateau dévasté « devrait rester gravé dans l’esprit
de chacun et chacune d’entre nous. »
Ces témoignages de sympathie ont pour but de dissimuler les
conséquences mortelles de la politique anti-immigrés poursuivie par les
gouvernements successifs.
La majorité des personnes qui ont été amenées sur la terre
ferme sont actuellement retenues dans des centres de rétention pour une durée
qui peut aller jusque quarante jours avant d’être déportés. Mais Zapatero
veut allonger cette période à soixante jours pour s’assurer que la
majorité de ces personnes détenues sont déportées.
Les conditions de vie à l’intérieur de ces centres de
rétention sont atroces. Le journal El Pais, proche du PSOE écrit,
« Des détenus et d’anciens détenus du CIE de Carabanchel, Madrid, et
leur famille racontent des histoires similaires et elles ne sont pas agréables.
Dans les queues qui se forment devant le centre, on peut entendre des
récriminations en diverses langues et accents sur le manque de nourriture et de
soins médicaux, sur la saleté et le froid, ce que le ministère de
l’Intérieur nie en bloc. »
En juin dernier, Human Rights Watch a fait un rapport sur le
traitement des enfants immigrants non accompagnés ayant atteint les îles
Canaries : « Bien qu’il y ait eu quelques améliorations, les
carences systémiques de ces centres restent inchangées et devraient être rectifiées
immédiatement. Depuis septembre 2007, il y a eu plusieurs reportages des médias
sur des incidents sérieux ayant eu lieu dans ces centres. Parmi ces incidents
on compte un début d’incendie au centre d’urgence de Tegueste qui a
eu pour conséquence l’hospitalisation de deux enfants, une bagarre de
grande envergure au centre La Esperanza impliquant 200 enfants, une rébellion
violente à la Esperanza au sujet de la qualité de la nourriture, et une coupure
d’eau pendant quatre jours au centre de La Esperanza.
Le gouvernement PSOE a refusé de réagir avec sérieux face à de
tels rapports et le député européen du PP, Agustin Diaz de Mera s’est
chargé de défendre ces centres en déclarant qu’ils sont « relativement
bien. Il se peut qu’ils soient plus ou moins surpeuplés, mais franchement…
ils sont acceptables. »
Ces immigrants que l’on autorise à rester subissent non
seulement de longues périodes d’incarcération, mais souffrent aussi du
syndrome d’Ulysse, une maladie mentale identifiée par les experts
médicaux qui soignent les immigrants souffrant de traumatismes liés aux
terribles épreuves qu’ils ont subies. La plupart des médecins de ville
font cependant un mauvais diagnostic et prescrivent des anti-dépresseurs qui provoquent
des maladies mentales graves. Des améliorations significatives dans
l’état des immigrants se produisent tout simplement lorsqu’on leur
fournit une aide humanitaire de base tels qu’une représentation
juridique, un logement et la perspective d’emplois décents, le tout
accompagné d’un traitement psychologique soutenu.
De nombreux professionnels travaillent d’arrache-pied
pour comprendre cette maladie et y apporter un traitement efficace, mais la
réponse du gouvernement, comme le rapporte le Deutsche Welle du 11
juillet ne consiste pas à fournir un havre de sécurité, mais plutôt à renforcer
la politique anti-immigrés tout en lançant des appels de pure forme à « aider
l’Afrique ».
« Nous devons une fois encore resserrer nos contrôles…
Nous nous trouvons dans une situation alarmante. Soit nous aidons
l’Afrique, nous l’aidons à lutter contre la pauvreté et le
désespoir, ou alors notre avenir en tant que région de bien-être et de progrès
est remise en question », a dit un porte-parole du gouvernement.
Participant des Objectifs du millénaire pour le développement,
Zapatero a enjoint les Etats membres de l’UE de faire don de 0,7 pour
cent de leurs revenus pour venir en aide à l’Afrique comme le fait
l’Espagne. Il a expliqué, « Tant que les gens sont désespérés et ne
peuvent nourrir leurs enfants, ils vont chercher à atteindre
l’Europe… Il est inacceptable, avec l’augmentation de la
pauvreté extrême, de voir l’aide au développement régresser…
L’occident a les ressources et la capacité de contribuer à faire disparaître
la pauvreté extrême. »
Derrière ces appels à l’aide humanitaire se cache
généralement un gros effort, de la part du gouvernement concerné, pour élargir
sa sphère d’influence et s’assurer des ressources essentielles.
C’est précisément ce qui motive Zapatero tandis qu’il cherche à
protéger et élargir les intérêts commerciaux de l’Espagne en Afrique du Nord.
Comme l’a affirmé l’association caritative Oxfam
dans un récent rapport sur le « Projet Afrique » de 2007 du
gouvernement espagnol : « On se demande s’il s’agit
d’un projet de l’Espagne pour l’Afrique ou un projet pour
l’Espagne en Afrique. »
Le rapport poursuit, « L’utilisation de
l’aide au développement comme monnaie d’échange pour convaincre des
gouvernements africains à ériger des barrières, à durcir leurs contrôles
d’immigration ou à accepter le rapatriement d’émigrants est une
perversion de la coopération pour le développement et est inacceptable. »
Zapatero a pris la défense de la « Directive retour »
critiquée par certains et que l’UE a votée en juin et qui impose des
règles communes pour l’expulsion de travailleurs sans-papiers. Entre
autres initiatives réactionnaires, la directive allonge à 18 mois la durée de
rétention d’immigrants sans-papiers avant leur déportation.
El Pais fait remarquer, « permettre
que des immigrés sans-papiers soient détenus jusqu’à 18 mois constitue un
plafond pour certains pays qui n’avaient auparavant aucune limite, mais
cela revient aussi à ouvrir la porte à d’autres, dont l’Espagne,
pour durcir leurs lois à l’avenir. C’est là une facette de
l’Espagne que peu de personnes prévoient quand elles rêvent de
s’échapper de leur propre situation de misère. »
Un éditorial du Comité intermouvement auprès des évacués (Cimade)
décrit comment la directive sera synonyme de rétention glissant « petit à
petit » dans « la logique de l’internement, transformant ces
centres en camps. »
Zapatero a dit de cette attaque fondamentale à
l’encontre des droits démocratiques des immigrants, « On peut être
d’accord ou non, mais ce qu’on ne peut pas dire c’est que
cela va à l’encontre des droits de l’Homme », ajoutant que la
directive est une « avancée progressiste ».
Zapatero agit en défenseur et meneur de l’agence européenne
de contrôle des frontières (FRONTEX) qui est équipée de systèmes de
surveillance comprenant des satellites et des drones aériens pour surveiller
les mouvements des émigrants et d’Equipes d’intervention rapide aux
frontières pour les arrêter.
Zapatero s’est retourné brutalement contre les immigrés
alors que pas plus tard qu’en 2005 le gouvernement avait régularisé
800 000 immigrés sans-papiers, mesure qui avait été dénoncée avec
acharnement par des dirigeants européens. De nombreux travailleurs immigrés et
leurs associations de défense avaient aidé le PSOE à prendre le pouvoir en 2004
et de nouveau en 2008 en protestation du traitement brutal qu’ils avaient
subi sous le gouvernement PP de José Maria Aznar.
Son idée que « cela paie de se montrer dur » avait
été remarquée par TheEconomist du 7 juillet qui explique comment
« Les immigrés d’Espagne, dont la plupart sont arrivés au cours des
sept dernières années ont joué un grand rôle dans la croissance économique. Ils
commencent à présent à perdre leur emploi. Les immigrés représentent 11 pour
cent de la main d’œuvre, mais la moitié de ceux qui se retrouvent
depuis peu au chômage. Le gouvernement propose de leur payer une somme globale
d’allocation chômage s’ils retournent chez eux. »
Et de poursuivre, « Un projet visant à mettre fin au
regroupement familial pourra décourager les nouveaux immigrants. Ces deux
mesures conviennent aux électeurs qui s’inquiètent que
l’immigration s’est faite de façon trop rapide. M. Zapatero a vu le
problème auquel de nombreux Espagnols sont à présent confrontés pour la
première fois, en rivalisant avec des immigrés pour des emplois qui se font
rares. Au cours de son deuxième mandat, les relations interraciales,
jusqu’à présent calmes, risquent d’être mises à l’épreuve.
Résoudre les problèmes économiques serait la meilleure solution. Mais se
montrer dur envers les immigrants sera peut-être une manière plus simple de
rester populaire, plutôt que de promouvoir des réformes économiques
impopulaires. »
(Article original anglais paru le 22 juillet 2008)