Procédant à un important changement de sa
politique, le gouvernement chinois a augmenté le prix des carburants à la pompe
de 16 à 18 pour cent le 19 juin. Cette décision, dans la lignée de mesures
similaires prises par d'autres pays asiatiques ces derniers mois, va
inévitablement alimenter l'inflation. La plupart des analystes ont été pris de
court par cette décision, ils s'attendaient à ce que Pékin ne prenne la
décision, politiquement sensible d'augmenter les prix des carburants, qu'après
les Jeux Olympiques d'août.
L’augmentation du prix de
l’essence a alimenté une vague de protestations et d'émeutes à travers le
monde. Pékin est également conscient du rôle important qu'avaient joué
l'inflation et la détérioration du niveau de vie dans le fait qu’un grand
nombre de travailleurs s’était joint aux manifestations étudiantes, qui
avaient finalement été écrasées par l'armée sur la place Tienanmen en juin 1989.
La Commission nationale pour le développement
et la réforme (NDRC) a annoncé la décision en déclarant : « En raison
du pic important des prix internationaux du pétrole, certaines raffineries ont
dû être fermées, entraînant des files d'attentes aux stations d'essence et le
retour du rationnement dans certaines régions. Des augmentations adéquates du
prix des carburants aideront à augmenter les réserves et encourageront les
économies d'énergie. »
Pékin a relevé le prix de l'essence à la pompe
de 16,7 pour cent, à 6980 yuans (648 €) la tonne, et le diesel de
18,1 pour cent, à 6520 yuans (606 €) la tonne. Le prix de vente de
l'électricité a été augmenté de 4,7 pour cent en moyenne, à l'exception des
zones frappées par le tremblement de terre du 12 mai et de la très pauvre
province du Xinjiang en Asie centrale.
Comme la plupart des pays asiatiques en voie
de développement, la Chine impose des limites internes aux prix de l'énergie
qui sont nettement plus faibles que les indicateurs internationaux. En
conséquence, les compagnies pétrolières et les raffineries publiques comme
PetroChina et Sinopec ont accusé de lourdes pertes financières, les forçant à
réduire leurs opérations ou même à arrêter la production et les importations.
Certaines raffineries plus petites ont fait faillite. La Chine avait déjà dû
augmenter les prix des carburants de 9 à 10 pour cent en novembre pour la même
raison.
Jun Ma, économiste à la Deutsche Bank, a commenté :
« les pénuries d'énergie sont devenues une menace plus importante [que
l'inflation] pour la stabilité en vue des Jeux olympiques ». Les pénuries
de carburant ont provoqué de longues files d'attente aux stations d'essence à
travers toute la Chine ces dernières semaines, entraînant la crainte que le
secteur des transports ne soit fortement désorganisé, ce qui affecterait toute
l'économie.
Le prix de l'essence établi par l'Etat chinois
est d'environ 0,54 € le litre, encore bien en dessous des 0,85 €
aux États-Unis et 1,48 € au Royaume-Uni. Les prix bas ont constitué
un stimulant important pour l'industrie automobile en expansion rapide. La
Chine est maintenant le deuxième marché mondial pour l'automobile après les
États-Unis.
Pékin s'est trouvé face à une pression
internationale croissante, particulièrement de la part de Washington, pour
augmenter les prix des carburants. Les politiciens américains ont mis
l'augmentation des prix sur le compte de la demande de pétrole chinoise. La
semaine dernière, 16 sénateurs démocrates, dont l'ex-candidate à la nomination
pour la présidentielle Hillary Clinton, ont envoyé à l'administration Bush une
lettre exigeant que des mesures soient prises pour forcer Pékin à mettre fin à
son contrôle sur les prix des carburants. Ils y ont écrit « Ce que les
Américains voient se produire à la pompe est causé, en partie, par ce qui se
passe en Chine. »
Le Wall Street Journal a annoncé qu'« avec
l'inflation qui constitue un sujet d'inquiétude croissante dans le monde, la
colère politique contre le contrôle des prix en Chine risque de supplanter la
lutte de longue date sur sa politique de taux d'échange en tant que question
d'économie internationale la plus litigieuse de cette nation. »
Les droits futurs sur le pétrole brut à New
York ont baissé de 2 pour cent après l'annonce des augmentations du coût des carburants
en Chine. Mais sur le long terme, il est peu probable que la demande chinoise
en pétrole diminue, et ce, en raison de la croissance rapide du nombre de
véhicules privés. La Chine est déjà le second plus gros consommateur et
l'Agence internationale de l'énergie estime qu'elle comptera pour un tiers de
l'augmentation de la demande de pétrole globale entre 2007 et 2030.
L'inflation
s'aggrave
Les analystes avertissent de ce que les prix
plus élevés de l'énergie ne vont faire qu'accentuer l'inflation, celle-ci était
retombée à 7,7 pour cent en mai – soit une légère baisse par rapport aux
8,5 pour cent en avril et aux 8,7 pour cent de février qui constituaient un
record sur les 12 derniers mois.
Immédiatement après les augmentations des prix
du pétrole, le ministre des Finances a annoncé des subventions de 19,8
milliards de yuans, soit 1,84 milliard d'euros, pour les fermiers, les
chauffeurs de taxi et les familles à faibles revenus. Bien que le nombre de
propriétaires de voitures soit encore relativement bas, il est en augmentation.
Liu Honghui, un conducteur qui avait fait la queue à Pékin pour faire le plein
d'essence, a déclaré au Financial Times, le 20 juin : « L'augmentation
est élevée. Ça ne compte pas pour les véhicules officiels et les riches, mais
pour les gens ordinaires le fardeau sera bien plus lourd. »
Kong Fanshan, un chauffeur de taxi de Pékin, a
raconté à l'Agence France-Presse (AFP) qu'il ne pouvait pas arrêter son
activité, même si les augmentations allaient réduire d'un quart son revenu
mensuel de 2000 yuans (186 €). Il perdrait une caution de 20 000
yuans s'il mettait fin à son contrat avec la compagnie de taxis. « De
plus, conduire, c’est tout ce que je sais faire. Les gens de mon âge ne
peuvent pas trouver un autre travail. C'est le cas de la plupart des chauffeurs
de taxi », a-t-il ajouté.
Simon Yang, propriétaire d'une boutique de
cosmétiques, a expliqué que sa petite entreprise serait affectée parce qu'il
fait des livraisons aux clients : « Ce n'est sûrement pas
raisonnable, en particulier quand les autres prix sont aussi élevés. Tout va
augmenter à la suite de l'augmentation du prix du carburant. »
Pour la majeure partie de la population, les
prix plus élevés de l’essence se traduiront par des tarifs plus élevés
dans les transports en commun. Le Crédit suisse First Boston (CSFB) a estimé
qu'une augmentation de 8 pour cent des tarifs des transports en commun
ajouterait 2,3 pour cent au taux d'inflation chinois.
La Banque mondiale a fortement revu ses
prévisions d'inflation pour la Chine en 2008, passant de 4,8 à 7 pour cent dans
un récent rapport trimestriel. Alors que « le pire de l'augmentation des
prix de la nourriture » est passé, affirmait-elle, la Chine doit faire
face à une seconde vague de pressions inflationnistes à cause de l'augmentation
des prix des produits industriels. Le 23 juin, par exemple, les géants de
l'industrie minière australienne BHP-Billiton et Rio Tinto ont forcé les
aciéries chinoises à payer jusqu'à 100 pour cent de plus pour le minerai de fer
– établissant un nouveau record.
Le rapport de la Banque mondiale, assez
optimiste, prédisait un taux de croissance de 9,8 pour cent cette année, en
dépit du ralentissement économique aux États-Unis et en Europe et de la
fermeture de nombreuses usines de produits à bas coût en Chine. Il pressait le
gouvernement d'augmenter les taux d'intérêts et d'accélérer l'appréciation
[augmentation] du yuan pour combattre l'inflation. Bien que les réserves de
monnaies étrangères de la Chine aient atteint 1,76 trillion de dollars (1,12 trillion
d'euros), la Banque a nié les inquiétudes selon lesquelles l'inflation serait
alimentée par un surplus de liquidités.
L'analyse du gouvernement chinois est
différente. Sous la pression de l'administration Bush et du Congrès américain
pour réduire l'important déficit commercial chinois (256 milliards de dollars,
soit 163 milliards d'euros, en 2007), Pékin a mis fin à l'alignement du yuan
sur le dollar en 2005 et a lié sa valeur à celle d'un panier de monnaies à la
place. Le yuan s'est graduellement apprécié de moins de 10 pour cent par
rapport au billet vert. Les capitaux spéculatifs ont inondé la Chine dans
l'espoir que le yuan sera encore réévalué et que les taux d'intérêt augmenteront.
En avril, Zhu Baoling, chef adjoint du
département de prévisions économiques du Centre d'information d'Etat, estimait
que le montant des capitaux spéculatifs atteignait 80 milliards de dollars au
premier trimestre – contre 120 milliards pour l'ensemble de l'année 2007.
Une nouvelle estimation par Zhang Ming, chercheur à l'académie de sciences
sociales, estimait la valeur cumulée des « capitaux flottants » (hot
money) à l'ahurissante somme de 1,75 trillion de dollars pour la période de
2003 à mars de cette année – bien plus haut que l'estimation antérieure
de 500 à 600 milliards de dollars.
Zhang mettait en garde contre les dangers d'un
retrait soudain des spéculateurs. « La possibilité d'une fuite de grande
ampleur comme celle de la crise financière asiatique [en 1997-98] n'est pas
très grande. Mais s'ils pensent que les fondamentaux économiques vont changer de
façon significative, le reflux peut être important », a-t-il affirmé.
Le South China Morning Post remarquait
le 16 juin que ce n'étaient pas seulement les investisseurs étrangers qui spéculaient,
mais les compagnies chinoises publiques et privées, qui « falsifient les
comptes d'exportation pour faire entrer des monnaies fortes dans le pays et
tirer avantage du yuan qui augmente ». En même temps, l'augmentation
du yuan a porté un coup aux industries manufacturières des deltas de la rivière
des Perles et du Yang-tze qui travaillent pour l'exportation et qui jouent un
rôle prépondérant dans la création des 10 à 20 millions de nouveaux emplois
requis chaque année.
Les tensions entre les États-Unis et la Chine
augmentent. Durant les « Dialogues économico-stratégiques »
américano-chinois du mois dernier, le ministre du Trésor américain Henry
Paulson a pressé Pékin d'abandonner son contrôle du prix des carburants et de
réévaluer encore le yuan. Les officiels chinois ont répliqué que Washington
n'était aucunement en position d'exiger une intervention de la Chine en raison
du chaos des crédits hypothécaires à risque (subprimes mortgages) aux
États-Unis.
Le dirigeant de la banque centrale chinoise,
Zhou Xiaochang, a déclaré fort à propos aux journalistes : « La Chine
a évidemment intérêt à apprendre de l'expérience des États-Unis en matière de
régulation macro-économique et d'utilisation d'une économie de marché, et
maintenant nous voulons aussi voir quelles leçons nous pouvons tirer de l'expérience
des États-Unis après les turbulences [de la crise des subprimes]. » Le New
York Times a remarqué : « Les officiels chinois semblent agacés
par l’hypocrisie manifeste des Américains qui leur disent ce qu'il faut
faire alors que l'économie américaine est, au mieux, stagnante. »
Tout en blâmant la baisse du dollar et la
crise des subprimes pour l'augmentation du prix des marchandises et d'autres
problèmes économiques mondiaux, les officiels chinois sont très inquiets de ce
que les troubles économiques aux États-Unis et en Europe – leurs
principaux marchés d'exportation – puissent rapidement avoir des effets
sur l'économie chinoise et entraîner des troubles sociaux et politiques.