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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La crise de l’Union européenne

L’ancien ministre des Affaires étrangères exige plus de détermination et moins de scrupules

Par Ulrich Rippert
12 juillet 2008

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L’ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a sous-titré la rubrique régulière qu’il tient dans le journal Die Zeit en français : « Vive l’avant-garde ! » Ce que Fischer entend par avant-garde se traduirait en allemand par élite ou Führung. Dans le cas de l’Allemagne, ce terme est impopulaire et ce six décennies après la chute du Troisième Reich.

Ce que Fischer propose n’est rien moins que la création d’une élite européenne qui, dans l’intérêt de développer l’Europe en une grande puissance influente, est prête à passer outre le référendum populaire et la volonté des nations plus petites. C’est ce qui constitue la réponse de Fischer au récent rejet du traité de Lisbonne de l’Union européenne par les électeurs irlandais.

Il s’agit du deuxième article de Fischer à ce sujet. Immédiatement après le vote irlandais, il avait publié un commentaire sous le titre « La misère de l’Europe » en écrivant : « Suite au "non" irlandais à la réforme de l’UE et au rejet de la constitution en France et aux Pays-Bas, il n’y a plus pour longtemps aucune chance pour une Europe unie et forte. » Son analyse a culminé dans un soupir de désespoir : « Pauvre Europe ! »

A présent, deux semaines plus tard, la frustration de Fischer au sujet de l’opposition affichée par les électeurs irlandais se mêle à sa détermination que le « pouvoir et la compétence de décision » de l’Europe ne devraient pas être sacrifiés au profit de la volonté démocratique du peuple.

L’Europe a décidé d’aller à « une allure d’escargot » tandis que le monde est en train de changer à la vitesse d’une « formule 1 », écrit Fischer en mettant en garde que la conséquence pour l’Europe serait une « perte de pouvoir et de compétence de décision quant à son propre destin. » Ce processus « d’auto affaiblissement de l’Europe, » dit-il, non seulement aura des conséquences dévastatrices pour le continent, mais signifierait également « un affaiblissement crucial pour l’Occident dans un monde où le centre de gravité politico-économique se déplace de plus en plus de l’ouest vers l’Asie. »

Il y a cent ans, des sentiments similaires avaient été exprimés dans la propagande impérialiste. A cette époque, la montée de l’Asie, le « péril jaune », était aussi considéré être une menace à la suprématie économique et politique de l’Ouest. Et, comme c’est le cas de nos jours, les bruits de sabre allaient invariablement main dans la main avec la suppression des droits démocratiques dans le pays.

Fischer accuse les gouvernements européens de lâcheté parce qu’ils acquiescent les résultats du référendum. Il déclare que la principale raison du « présent rejet du projet européen » est un vaste « opportunisme », un manque de détermination, et même de la lâcheté de la part de nombreux gouvernements nationaux d’Etats membres de L’UE. »

Il critique tout particulièrement le chancelier autrichien, Alfred Gusenbauer, du Parti social-démocrate (SPÖ). Gusenbauer a annoncé dernièrement qu’il soumettrait à l’avenir toutes les décisions européennes importantes à un référendum populaire. Fischer fustige de telles positions pour être « de l’opportunisme européen aventurier » en accusant Gusenbauer « de s’être jeté aux pieds d’un journal à sensation eurosceptique » dans le seul but d’assurer la vie intérieure de son parti.

Fischer conclut en disant : « Désormais, s’il en va du SPÖ, tous les changements importants du traité de l’Union européenne seront soumis à un vote populaire en Autriche et ce qui signifierait presque à coup sûr leur rejet ! Pauvre Autriche, pauvre Europe, être dirigée par de tels opportunistes. »

Il n’est pas possible d’exprimer plus clairement le mépris qu’il éprouve pour les sentiments et les droits démocratiques de la grande masse des peuples en Europe. Fischer sait que le vote « non » émis en Irlande se répéterait dans les autres pays et en appelle à l’élite européenne d’appliquer leurs projets pan-européens en dépit de l’opposition de la population. Il appelle à « faire preuve de véritable leadership de la part des décideurs. »

Fischer est un membre influent des Verts, une organisation qui aime faire imprimer ses slogans électoraux sur leurs t-shirts. Conformément aux propositions de Fischer, ils devraient, en préparation de la campagne électorale européenne ayant lieu au Printemps 2009, faire imprimer le slogan suivant sur leurs t-shirts : « Nous rejetons catégoriquement les référendums populaires qui ne sont rien d’autre que des adaptations opportunistes à l’opinion majoritaire ! »

Il y a 25 ans, lors de leur fondation, les Verts allemands se qualifiaient de « correcteur démocratique ». Ils accédèrent au parlement sur fond de promesses de démocratie de base. En ralliant en 1998 la coalition fédérale avec le parti social-démocrate, le parti des Verts se débarrassa de ces derniers prétendus principes. Toutefois, le fait que sa figure emblématique plaide à présent aussi passionnément contre les référendums populaires sur l’UE marque une nouvelle étape dans le tournant droitier de cette organisation.

Les dictats de l’avant-garde

Fischer non seulement accuse les gouvernements européens de lâcheté à l’égard de l’électorat, il en appelle aussi aux grandes puissances européennes de dicter leurs termes aux Etats plus petits.

Il y a plus d’un an, l’ancien ministre des Affaires étrangères avait déjà appelé à « davantage de leadership et de puissance créatrice de la part de l’Europe. » Dans un discours prononcé lors d’une conférence des Verts européens à l’université Humboldt à Berlin, il avait dit qu’il était « choquant » que « la perte grandissante de l’importance de l’Europe dans le monde » passe inaperçue des capitales européennes.

Fischer poursuivit en posant la question : « Sommes-nous, nous Européens, prêts à régler les problèmes provenant de la faiblesse que les Etats-Unis se sont créés eux-mêmes de par leur politique unilatéraliste et qui a conduit au désastre de la guerre en Irak ? » Sa réponse fut un « non » catégorique.

A présent, il appelle à l’établissement d’une « avant-garde européenne » pour donner une réponse positive à sa question. « Il n’y a pas moyen d’éviter le retour d’une avant-garde européenne, » écrit-il dans Die Zeit. Le compromis entre les proeuropéens et les eurosceptiques doit être révoqué afin de permettre aux proeuropéens de recouvrer leur « force visionnaire et à la fois pragmatique ». Ceci s’applique « indépendamment du fait que le traité de Lisbonne soit ou non sauvé par un nouveau vote en Irlande. »

Fischer exige la « formation d’un groupe d’Etats au sein de l’Union européenne qui progresse et qui puisse progresser. Qui veut et peut participer devrait pouvoir le faire et qui ne le veut pas ne devrait pas pouvoir bloquer les autres. »

La remarque de Fischer montre clairement que ce groupe d’Etats d’« avant-garde » dictera la politique au sein de l’Europe en obligeant les plus rétifs à accepter ses termes. « Les proeuropéens sont appelés à se lever et à aller une fois de plus de l’avant, » écrit-il. Suite à la montée d’une résistance considérable en Europe à la politique arrogante et égoïste appliquée par les institutions bureaucratiques de Bruxelles qui ont accéléré la destruction des niveaux de vie, légitimé la main d’œuvre bon marché et intensifié les attaques contre les travailleurs immigrés, Fischer propose de les remplacer par l’arrogance et l’égoïsme des gouvernements européens les plus grands, à commencer par l’Allemagne.

Même si les récentes propositions de Fischer ont été faites suite au rejet du traité de Lisbonne par les électeurs irlandais, les raisons plus profondes qui sous-tendent sa position sont liées à une intensification de la crise économique internationale et à l’accroissement des tensions politiques mondiales. Fischer parle au nom des sections de la classe capitaliste allemande et européenne qui cherchent à surmonter le dilemme européen et à faire valoir leurs intérêts sur la scène mondiale d’une main de fer et par des structures plus autoritaires.

La crise économique américaine a renforcé la crise à Londres, à Paris et à Berlin. La force de l’euro est incapable de compenser la faiblesse du dollar. La guerre en Irak et les préparatifs pour une frappe militaire contre l’Iran sont une menace à l’approvisionnement en énergie et à la stabilité en Europe. Sur la base des prix élevés du pétrole et du gaz, la Russie poursuit ses propres intérêts en Europe de l’Est tout en établissant une coopération plus étroite avec la Chine. Alors que dans ces conditions une politique étrangère commune devient de plus en plus urgente, les conflits et les tensions ne cessent de s’accroître entre les principales puissances européennes.

Mais c’est avant tout la résistance de la population laborieuse qui s’accroît en Europe. Bien que dans le passé l’unification de l’Europe avait été de façon prédominante définie par les intérêts patronaux et économiques, elle était aussi caractérisée par une politique visant à éradiquer les conflits et à apaiser les tensions. Durant un certain temps, les fonds agricoles communautaires et les aides régionales communautaires ont pu servir à aplanir les inégalités sociales les plus prononcées.

Compte tenu des tensions transatlantiques croissantes et de la lutte mondiale pour l’approvisionnement en pétrole, en matières premières, en parts de marché et en main-d’œuvre bon marché, le rôle des institutions européennes a changé considérablement. De plus en plus, la Commission communautaire de Bruxelles est devenue synonyme de dérégulation, de libéralisation et de destruction des droits des travailleurs.

Au lieu de compenser les différences sociales et régionales, l’UE les renforce. Le mammouth bureaucratique sis à Bruxelles et qui emploie quelque 40 000 salariés tout en étant dépourvu de tout contrôle démocratique est soumis par contre à des milliers de groupes de pression qui veillent à ce que l’UE fonctionne comme un simple instrument étant à la disposition des grandes puissances européennes et des sections les plus influentes du patronat et de la finance.

C’est aussi la raison de l’hostilité de la population à l’encontre de l’UE. Fischer réagit au rejet massif de la bureaucratie de Bruxelles en réclamant une avant-garde qui puisse imposer l’unité de l’Europe de haut en bas.

Des parallèles historiques

L’assaut de Fischer contre la prise de décision démocratique rappelle des analogies. A la fin du 19e siècle, la petite bourgeoisie allemande avait acclamé l’unification de l’Allemagne imposée par le haut par un Etat fort, à l’époque sous les bottes du militarisme prussien et la politique militaire de Bismarck.

Vers le milieu de ce même siècle, les démocrates allemands de la classe moyenne s’étaient réunis en une assemblée nationale à Francfort pour former le premier parlement allemand. Leur lâcheté politique et leur incompétence furent à l’époque ridiculisées par Friedrich Engels en ces mots inoubliables : « Cette assemblée de vieilles femmes a, dès le premier jour de son existence, plus redouté le moindre mouvement populaire que tous les complots réactionnaires de tous les gouvernements allemands réunis. » La même caractérisation s’applique aujourd’hui exactement à Fischer et aux Verts.

Vingt ans après la répression sanglante de la révolution, quand Bismarck et l’empereur allemand créèrent l’empire allemand au moyen de la guerre et du pillage, les démocrates petits bourgeois allemands ne tarirent pas d’éloges. Dès son vivant, un culte de la personnalité s’était formé autour de Bismarck et qui survécut à l’ère wilhelmienne. Encore de nos jours, l’on trouve dans les villes et les cités de par l’Allemagne de nombreux monuments dédiés au « chancelier de fer ». Le seul parti à avoir véritablement lutté pour les droits démocratiques fut celui de la social-démocratie marxiste. Mais c’était bien avant la trahison historique du SPD en 1914.

L’évidence avec laquelle Fischer se prononce contre les référendums et les droits démocratiques souligne le manque de traditions démocratiques au sein de la classe moyenne allemande. C’est pourquoi il est d’autant plus nécessaire de s’opposer aujourd’hui à ce philistin Vert et à son verbiage réactionnaire.

(Article original paru le 4 juillet 2008)

Voir aussi :

Joschka Fischer réclame une politique européenne de grande puissance sous la direction de l’Allemagne [27 mars 2007]


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