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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

La crise des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan augmente la pression sur le Pakistan

Par James Cogan
30 juin 2008

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Les forces de l’OTAN et le régime du président Hamid Karzaï, gouvernement fantoche des Etats-Unis, furent contraints de déclencher une importante opération la semaine dernière pour déloger des centaines de combattants anti-occupation qui avaient pris contrôle de villages dans la vallée d’Arghandab, à 16 kilomètres seulement au nord-ouest de la ville de Kandahar. Une partie des 1000 prisonniers et plus qui avaient été libérés lors d’une attaque contre la prison de Sarposa à Kandahar le 13 juin pourraient bien être impliqués. Ils auraient rejoint des insurgés qui ont récemment traversé en Afghanistan, provenant de zones de refuge à l’intérieur du Pakistan.

Un bataillon de 700 hommes de l’armée afghane fut dépêché de Kaboul à Arghandab pour renforcer les unités locales et lancer l’offensive pour reprendre dix villages. Un avion de l’OTAN a largué des prospectus avisant la population de demeurer dans leurs maisons. Cependant, après des années de bombardements aériens et d’artillerie ayant causé la mort ou blessé des civils, des milliers de personnes ont choisi de fuir. Un agent de police surveillant un poste de contrôle du côté est, occupé, de la rivière Arghandab a affirmé à Reuters qu’environ 4000 villageois avaient quitté la région pour Kandahar.

Mercredi dernier, les forces du gouvernement afghan ont traversé la rivière et avancé jusque dans la vallée, soutenues par des troupes canadiennes et américaines, des avions de guerre, des drones Predator et des hélicoptères d’assaut.

Les rapports divergent quant au nombre de victimes. Le gouverneur de Kandahar Asadullah Khalid dirigea des journalistes vers un village, Manara, où gisaient les corps mutilés de 19 personnes autour d’un cratère formé par une bombe de 225 kilos larguée par un avion américain. Khalid a soutenu qu’au moins 105 guérilleros avaient été tués au cours de l’opération.

Les officiers américains et canadiens n’ont pas appuyé les affirmations de Khalid, déclarant plutôt que les insurgés n’avaient pas tenté d’attaquer les forces d’occupation, plus nombreuses et mieux armées, et avaient fui la région. Deux soldats afghans furent tués dans les premières heures de l’opération, mais aucune autre perte ne fut rapportée par la suite.

Le week-end arrivé, les officiers de l’OTAN ont affirmé que la vallée d’Arghandab était sous leur contrôle. Néanmoins, la capacité des insurgés d’attaquer effrontément une importante prison et par la suite de s’emparer d’une zone rurale si près d’un des plus grandes villes de l’Afghanistan souligne la fragilité de l’occupation dirigée par les Etats-Unis.

Le général américain Dan McNeill, le commandant sortant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) dirigée par l’OTAN, affirma en début juin à des journalistes qu’au moins 400 000 soldats seraient nécessaires pour contrôler un pays aussi grand et populeux que l’Afghanistan.

Cependant, l’ISAF n’est constituée que de 53 000 soldats, desquels 20 000 sont déployés dans les provinces pachtounes du sud où prend place le gros de l’insurrection. Une force américaine de quelque 14 000 soldats opère indépendamment de l’ISAF dans les provinces de l’est, supposément à la recherche d’Oussama ben Laden et de survivants d’Al-Qaïda en Afghanistan. Les troupes étrangères sont appuyées par l’armée afghane, mais elle n’est formée que de 70 000 hommes, à des niveaux d’entraînement et de fiabilité variables. 

A l’extérieur des grandes villes, les insurgés peuvent presque se déplacer en toute impunité. Les liens tribaux existant entre les Pachtounes des deux côtés de la frontière pakistano-afghane compliquent la tâche des forces d’occupation. Les combattants pachtounes se déplacent librement entre les deux pays, profitant des provinces tribales autonomes du Pakistan pour se reposer, se réarmer, s’entraîner et faire du recrutement. Pressé par Washington, le gouvernement pakistanais a déployé des dizaines de milliers de soldats dans les provinces frontalières depuis 2002. Toutefois, après plusieurs années d’affrontements avec les Pachtounes, les forces pakistanaises ont été incapables ou, dans de nombreuses situations, ne veulent plus empêcher les déplacements à la frontière.

Le major-général américain Jeffrey Schloesser, le commandant des forces américaines dans l’est de l’Afghanistan, a dit mardi à des journalistes que les attaques contre ses troupes avaient augmenté de 40 pour cent cette année. Il a déclaré que 12 pour cent de toutes les attaques des insurgés se produisaient le long de la frontière pakistanaise. « L’ennemi trouve refuge et profite d’une certaine liberté de mouvement dans la région frontalière », a-t-il maintenu.

Schloesser a aussi décrit la sophistication tactique de plus en plus grande des guérilleros afghans dans l’utilisation des engins explosifs. Le général a rapporté qu’au cours des récents mois, les insurgés avaient commencé à permettre aux convois de dépasser une première bombe, avant de les frapper par une seconde plus loin sur la route. Après l’explosion, les convois doivent essuyer d’intenses tirs de mitraillettes et d’armes à feu de chaque côté de la route. Les Forces de réaction rapide venant appuyer le convoi pris d’assaut sont ensuite frappées par la première bombe. La masse des explosifs a aussi augmenté, les insurgés tentant de détruire les véhicules les plus blindés de l’armée américaine.

Le blindage des véhicules et des soldats est la principale raison du nombre relativement restreint de décès et de blessures parmi les troupes d’occupations en Afghanistan.  Cependant, le nombre de victimes est monté en flèche ce mois-ci. Au moins 35 soldats américains et de l’OTAN ont été tués en juin jusqu’à présent, comparativement à 23 en mai, 14 en avril et 19 en mars.

Lors du dernier incident, des guérilleros en motocyclette ont attaqué mardi un convoi de camions de ravitaillement des troupes de l’OTAN à Kaboul alors qu’il approchait la ville de Sayadabad, à quelque 60 kilomètres au sud de la capitale. Les insurgés ont tué une personne du convoi et incendié au moins quarante camions. Dans la province d’Helmand, un soldat britannique a été abattu le même jour durant un échange de coups de feu dans la vallée de Sangin, alors qu’un soldat américain était tué et trois autres blessés lorsque leur camion-patrouille a frappé une mine dans la province de l’est de Nangahar.

Le jour précédent, une attaque aérienne américaine a apparemment tué un jeune homme et un enfant à Nangahar, provoquant une manifestation et des appels à la vengeance parmi les membres des tribus locales. Des confrontations ont également eu lieu du vendredi au dimanche dans la province orientale de Paktikam entre les troupes américaines et un large contingent d’insurgés qui avait traversé du côté du Pakistan. Les sources militaires américaines affirment que 55 militants auraient été tués, principalement suite aux attaques aériennes.

Pression sur le Pakistan

Alors que l’insurrection prend de l’ampleur, les pays de l’OTAN continuent de résister aux appels des Etats-Unis, du Canada et de la Grande-Bretagne pour qu’ils envoient plus de troupes en Afghanistan. L’Allemagne a annoncé cette semaine qu’elle allait déployer 1000 soldats additionnels en Afghanistan, mais seulement après octobre et uniquement dans le secteur relativement calme du nord du pays.

La crise qui fait rage à l’OTAN quant à l’envoi des forces de combat additionnelles réclamées par les chefs militaires mène également à des demandes de plus en plus pressantes sur le nouveau gouvernement pakistanais d’en faire plus pour stopper les insurgés qui utilisent son territoire comme refuge. Il se développe en conséquence une situation volatile au Pakistan.

Les insurgés afghans sont presque toujours qualifiés de « talibans » – ou loyalistes du régime fondamentaliste renversé en 2001. Une telle étiquette ne fait que masquer l’étendue de l’opposition militaire et politique à l’invasion menée par les Etats-Unis.

L’insurrection contre l’occupation américaine est motivée par différents facteurs, le sentiment anti-colonial jouant un rôle majeur. Durant plus d’un siècle, les tribus pachtounes des deux cotés de la frontière séparant l’Afghanistan du Pakistan se sont longtemps livrées à une guérilla contre toute tentative de subjuguer leur territoire. La résistance aux forces américaines et de l’OTAN et aux troupes du gouvernement pakistanais déployées dans les régions tribales est simplement le dernier chapitre d’une longue lutte pour maintenir leur indépendance.

Le régime de Karzaï à Kaboul n’est pas haï seulement parce qu’il est pro-américain. Des facteurs ethniques, tribaux et religieux, jouent également un rôle. Bien que Karzaï soit pachtoune, de vastes sections de l’élite tribale pachtoune voient en son gouvernement un laquais des chefs de guerre tadjiks et ouzbèques qu’ils combattirent dans les années 1990.

Les talibans firent leur apparition en tant que mouvement pachtoune soutenu par le Pakistan visant à mettre fin au régime très instable des seigneurs de guerre qui suivit l’effondrement du régime pro-soviétique en 1992. L’extrémisme islamique et le nationalisme pachtoune furent exploités pour recruter les jeunes des sordides camps de réfugiés afghans au Pakistan, ainsi que les membres des tribus, afin de former une force militaire. Les talibans furent financés et équipés par les militaires pakistanais, particulièrement les services de renseignement (ISI). Lorsque les talibans ont pénétré dans le sud de l’Afghanistan en 1994, plusieurs des tribus pachtounes s’y sont ralliées. En 1996, Kaboul tombait.

L’insurrection en cours a clairement des parallèles avec la guerre civile de 1994-1996. Les seigneurs de guerre défaits par les talibans se sont reconstitués pour former l’Alliance du Nord. En 2001, l’administration Bush les a remis au pouvoir. Maintenant, les talibans et leurs milices alliées combattent pour ramener l’hégémonie pachtoune.

L’appui du Pakistan aux talibans dans les années 1990 n’était pas motivé par des considérations religieuses, tribales ou ethniques, mais par les intérêts géopolitiques de l’élite dirigeante pakistanaise. Leur principale préoccupation était que les seigneurs de guerre tadjiks et ouzbèques étaient en train de tomber sous l’influence de l’Inde, leur principal rival régional, en plus de l’Iran et de la Russie.

Malgré une vaste opposition populaire au militarisme américain à l’intérieur du Pakistan, la dictature de Pervez Musharraf a donné son accord à la destruction de son état-satellite taliban dans le but de maintenir son alliance avec Washington. Elle s’est aussi pliée aux demandes américaines qu’elle fasse cesser les activités talibanes au sein du Pakistan en envoyant plus de 90 000 soldats dans les provinces tribales autonomes.

Près de sept ans plus tard, cependant, il y a possibilité de rupture entre les Etats-Unis et le Pakistan à cause de l’influence accrue de l’Inde en Afghanistan et des demandes américaines incessantes que des mesures militaires plus draconiennes soient prises dans les zones frontalières pakistanaises.

Seth Jones, un analyste pour l’entreprise américaine Rand Corporation, a noté dans Voice of America, le 13 juin : « Ce qu’on a maintenant, c’est un gouvernement basé à Kaboul qui est fortement lié à l’Inde, pas au Pakistan. Alors, je crois que c’est vraiment inquiétant. On voit un bon nombre de projets de développements indiens installés en Afghanistan. On voit des routes en chantier. On voit dépenser beaucoup d’argent indien. Je pense que cela a causé une profonde inquiétude parmi les hauts responsables du gouvernement pakistanais, et certainement à des échelons plus bas. »

Jones a affirmé que les insurgés afghans recevaient de l’aide provenant de l’intérieur du Pakistan. « Des renseignements de source sûre recueillis par l’OTAN et plusieurs autres organisations dont les Nations unies montrent que des éléments au sein du gouvernement pakistanais et surtout des services de renseignement (ISI) et du Frontier Corps fournissent non seulement un soutien passif en refusant d’intervenir sur le sol pakistanais, mais également du soutien logistique, de l’aide à l’entraînement et l’octroi de renseignements. »

Il y a une vague de fond d’accusations américaines contre l’armée pakistanaise. L’Observer britannique a rapporté dimanche que l’armée américaine avait des « boîtes pleines » de preuves que les membres du Frontier Corps pakistanais – la force paramilitaire responsable de la sécurité dans les régions tribales – prenaient part aux attaques transfrontalières.

Une source anonyme a dit à l’Observer : « Le fait est qu’il y a des unités tellement opposées à ce que la coalition fait et tellement liées à l’autre côté que lorsque l’occasion se présente ils vont tirer sur les troupes afghanes et de la coalition. Et ce n’est pas un hasard. Ça peut être très bien coordonné. »

Le 11 juin, des frappes aériennes furent menées contre des positions du Frontier Corps dans la région tribale pakistanaise de Mohmand, tuant 11 soldats. L’armée américaine continue d’insister qu’elle a bombardé des insurgés talibans qui avaient attaqué les troupes afghanes et s’étaient ensuite retirés de l’autre côté de la frontière.

Le New York Times a publié des informations le 24 juin selon lesquelles l’armée pakistanaise était « en train de marchander des cessez-le-feu et des échanges de prisonniers » avec les talibans et « permettait aux militants de consolider leurs refuges tout en étendant leurs tentacules le long de la zone frontalière. »

Le 15 juin, le président afghan Hamid Karzaï a déclaré que ses forces militaires avaient le droit de traverser la frontière à la poursuite des insurgés talibans. Les accusations de complicité pakistanaise directe dans l’insurrection afghane vont contribuer à augmenter les tensions. Au bout du compte, ça pourrait déclencher une guerre frontalière afghano-pakistanaise qui amènerait d’autres puissances à entrer en conflit direct avec le Pakistan, y compris les Etats-Unis et l’Inde.

 

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