Lors d'une conférence de presse commune avec
le président américain George W. Bush hier, le premier ministre anglais, Gordon
Brown, a annoncé que des troupes supplémentaires seraient envoyées en
Afghanistan, portant le contingent anglais dans ce pays à « son niveau le
plus élevé ».
À la suite de spéculations dans les médias sur
un différent entre Londres et Washington quant aux déploiements de troupes en
Irak, il a ajouté qu'il n'y avait aucun « calendrier » pour un
retrait de troupes de ce pays. La Grande-Bretagne a encore 4200 soldats en Irak
autour de Bassora et elle a pris part à l'offensive américano-iraquienne de la
fin mars contre les miliciens chiites de la ville. Brown a aussi soutenu Bush
qui veut que des sanctions plus fortes soient imposées à l'Iran parce que ce
pays n'a pas mis fin à son programme d'énergie nucléaire.
Le secrétaire à la Défense Des Browne a par la
suite déclaré au parlement que 230 soldats supplémentaires seraient envoyés en
Afghanistan, portant le total à environ 8030 au début 2009.
L'édition du dimanche du journal l'Observer
affirmait que Bush avait envoyé un « message sans détour » à Brown la
semaine précédente, le mettant en garde contre une réduction supplémentaire des
forces britanniques en Irak. La Maison-Blanche a essayé de désamorcer l’affaire
en déclarant, « Ce qu'a dit le président est ce que le président a
toujours dit et ce que le premier ministre Brown a dit depuis le début. »
Downing Street a déclaré qu'il n'était pas dans la politique britannique
d'établir des « calendriers arbitraires » pour un retrait des
troupes.
À la conférence de presse, Bush a déclaré, « Je
n'ai aucun problème avec la manière dont Gordon Brown s'occupe de l'Irak. Il a
été un partenaire fiable. »
Il a enchaîné, « Je voudrais simplement
vous rappeler que [Brown] a maintenu plus de troupes en Irak qu'il ne le
prévoyait initialement. Comme moi, il prendra ses décisions d'après la situation
sur le terrain sans calendrier artificiel basé sur la politique. »
Il a chaudement accueilli la promesse de Brown
d'envoyer plus de troupes en Afghanistan et d'accentuer les sanctions contre
l'Iran, le complimentant pour sa « fermeté contre le terrorisme. »
À propos de l'Irak et de l'Afghanistan, Brown
a déclaré, « Il y a encore du travail à faire, et la Grande-Bretagne joue,
et continuera à jouer, son rôle. » Il loua Bush comme un « ami
sincère de la Grande-Bretagne » et pour la « détermination sans
faille qu'il a montrée en débusquant le terrorisme partout dans le monde. »
Sur l'Iran, Brown a affirmé, « Je
répéterai que nous prendrons toute mesure nécessaire pour que l'Iran soit conscient
du choix qu'il doit faire : commencer à jouer son rôle comme un membre à
part entière et respecté de la communauté internationale, ou être confronté à
un isolement accru. »
La Grande-Bretagne pourrait insister pour que
l'Europe impose « des sanctions supplémentaires » à l'Iran, a-t-il
dit, en gelant les avoirs des plus grosses banques du pays et en imposant de
nouvelles sanctions sur le pétrole et le gaz.
Bush a remercié Brown pour sa « déclaration
forte » et a ajouté, « Les Iraniens doivent comprendre que nous
sommes sérieux quand nous sommes unis et parlons d'une seule voix. » Il a
dit, menaçant, qu’il était nécessaire de faire pression pour « résoudre ce
problème diplomatiquement », mais que « les Iraniens [devaient]
cependant comprendre que toutes les options [étaient] envisageables ».
Dans ses déclarations, Brown a donné à Bush
tout ce qu'il demandait. Cela constitue un démenti pour ceux qui, dans l'élite
dirigeante et dans une partie de la presse, espéraient que l'accession de Brown
au poste de Premier ministre signifierait la fin de « l'erreur » de
Tony Blair qui avait été d'aligner trop fidèlement la Grande-Bretagne sur les
États‑Unis.
Le soutien servile de Brown à Bush montre
qu'il s’agissait de bien plus qu'une erreur politique de la part de Blair. Les
deux hommes représentent l'élite financière dominante, dont l'objectif central
est d'utiliser les relations avec Washington pour déployer une présence
militaire et économique globale pour l'impérialisme britannique, tout en le
renforçant vis-à-vis de ses principaux rivaux européens, l'Allemagne et la
France. Et bien que les choses aient mal tourné, rien n'indique que dans les
cercles dirigeants il y ait quelqu’un, et Brown moins que tout autre, pour
offrir une perspective différente.
Les annonces de Brown ne font que mettre en
lumière l'impotence de la perspective préconisée par la Coalition anti-guerre (StWC
- Stop the War Coalition), qui a participé à l'organisation d'une
manifestation anti-Bush dimanche en coopération avec la Campagne pour le
désarmement nucléaire (CND – Campaign for Nuclear Disarmament) et l'Initiative
musulmane britannique. Au départ, il leur fut interdit de se rassembler à midi
devant le Parlement ; la police autorisa finalement la manifestation en
début d'après-midi, mais continua à leur refuser la permission de couvrir les
quelques centaines de mètres les séparant de Downing Street, où Brown recevait
Bush.
La StWC a été le principal bénéficiaire du
mouvement massif contre la guerre en Irak et du désir largement répandu d'une
alternative aux travaillistes qu'elle a généré. Un rôle essentiel y a été joué
par le SWP (Socialist Workers Party) qui affirmait qu'il n'était pas
possible que la lutte contre la guerre soit menée sur la base du socialisme. Il
fallait selon lui formuler des demandes qui pouvaient être soutenues par tout
le monde, y compris par une poignée de renégats du Parti travailliste, des
fonctionnaires syndicaux, les libéraux-démocrates, les partis nationalistes,
des conservateurs dissidents ainsi que les principaux alliés de la Coalition :
le CND et l'Association musulmane de Grande-Bretagne, un petit groupe
d'islamistes arabes qui présentaient la guerre contre l'Irak en termes
religieux.
La mainmise de Blair sur le pouvoir devenant
de plus en plus instable, la StWC a promu l'idée que Brown, alors son
chancelier, romprait avec des politiques qu'il avait complètement soutenues.
Une lettre a été rédigée par Andrew Murray, chef du Parti communiste de
Grande-Bretagne, et Lindsey German, organisatrice de la StWC et dirigeante du
SWP, qui, tout en reconnaissant que « Brown a été la main droite du
Premier ministre tout au long des décisions sur l'Irak et l'Afghanistan »
affirmait que « néanmoins, nous avons la conviction que la pression
populaire, combinée avec l'égoïsme électoral, peuvent forcer le gouvernement
britannique à rompre avec les guerres de George Bush. »
Les interventions en Irak et en Afghanistan
étaient décrites comme « les guerres de Bush » pour fournir une
amnistie rétroactive à tous les travaillistes qui avaient voté en faveur de la
guerre aux côtés de Blair et Brown.
La manifestation de dimanche a également vu le
député anti-guerre Georges Galloway profiter de l'occasion pour semer des
illusions dangereuses à propos du candidat démocrate à la présidentielle, Barack
Obama. Il a réitéré les déclarations qu'il avait faites au début du mois sur Arab
TV lorsqu'il avait dit, « Je prie pour la sécurité de Barack Obama, et
je prie pour qu'il puisse faire évoluer l'attitude des États-Unis. Ainsi, alors
que nous nous rapprochons des élections de novembre, et d'un véritable espoir
d'une large victoire pour Obama, tout le monde va devoir trouver ses marques,
et ces présidents fantoches, ces rois corrompus [du Moyen-Orient] pourraient se
rendre compte que les choses ont changé, si Allah le veut. »
Plus tôt dans l'année, Galloway avait déclaré,
« Mon opinion est que l'Amérique cherche un vrai changement, et seul Barack
Obama le représente. »
Obama cherche à se présenter comme un opposant
à la guerre en Irak, mais il a rejeté à plusieurs reprises ce qu'il appelle un « retrait
précipité » des troupes – ce qui correspond à la notion de « calendrier
artificiel » de Bush – en affirmant qu'il avait « toujours eu la
conviction que nos troupes [devaient] être retirées d'une manière responsable »
et que les troupes impliquées dans les opérations « contre-terroristes »
devaient rester. En pratique, cela veut dire maintenir l'occupation
indéfiniment.
Dans son discours du 4 juin devant le Comité
des affaires publiques américano-israéliennes [American Israel Public Affairs
Comitee, le principal lobby pro-israelien, ndt], tout en réitérant son
soutien aux discussions diplomatiques avec l'Iran, Obama a dit, « Je
garderai toujours la menace de l'action militaire en réserve pour défendre la
sécurité et Israël, notre allié. »
Obama représente une section de l'élite
dirigeante américaine qui a conclu qu'il fallait un changement important de
discours et de personnel pour sauvegarder les intérêts de l'impérialisme
américain au Moyen-Orient et internationalement. Ces gens ne sont pas opposés
aux actions militaires en elles-mêmes, ils considèrent plutôt la détermination
bornée de l'administration Bush à obtenir une victoire militaire en Irak comme
irréfléchie et désastreuse à long terme. Une présidence Obama ne représenterait
pas une rupture fondamentale avec la politique de l'impérialisme américain,
mais plutôt sa continuation sous une nouvelle forme.
La tentative d'empêcher et de restreindre une
manifestation pacifique contre la guerre est rendue nécessaire en raison de
l'absence totale de mandat démocratique pour les politiques menées par Brown et
Blair avant lui. Elle a mené à des confrontations entre un grand nombre de
policiers et certains manifestants, entraînant vingt-cinq arrestations et
quelques blessures sérieuses. Deux rangées de barrières ont été érigées pour
empêcher l'accès à Whitehall (siège du ministère de la Défense n.d.t.), défendu
par plusieurs rangées de policiers et de fourgons anti-émeute.