Selon le magazine allemand Der Spiegel une frappe
militaire israélienne de l’Iran n’est plus qu’une question de temps. Cet
hebdomadaire d’information publie en effet dans sa dernière édition un article
de quatre pages intitulé « Plans pour une attaque » et consacré aux
préparatifs entrepris actuellement en Israël pour des attaques aériennes contre
l’Iran.
L’article commence par la remarque que le gouvernement israélien
a rejeté des sanctions économiques comme moyen d’empêcher l’Iran de construire
l’arme nucléaire. Il dit ensuite qu’un « large consensus commence à se
dessiner (en Israël) en faveur d’une attaque militaire des installations
nucléaires de Téhéran, et si nécessaire, sans les Américains ».
Celui qui fait le plus ouvertement campagne en faveur d’une
frappe militaire contre l’Iran est l’actuel ministre des Transports et ancien
ministre israélien de la Défense Shaul Mofaz qui a dit qu’une action militaire contre
l’Iran était « inévitable » et dont les paroles ont été citées
abondamment. Mofaz a dit cela pour la première fois suite à de récentes
discussions avec de hauts responsables américains à Washington.
Il répéta ses commentaires pas plus tard que vendredi
dernier dans une interview donnée au journal Yedioth Ahronoth. Faisant
allusion à des menaces proférées à l’encontre d’Israël il y a quelque temps par
le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, Mofaz a déclaré que c’était
« l’Iran [qui] disparaîtrait avant Israël ».
Il poursuit ainsi : « Si l’Iran continue son
programme de développement de l’arme nucléaire, nous l’attaquerons. Les
sanctions sont inefficaces…Une attaque de l’Iran afin d’arrêter ses préparatifs
nucléaires sera inévitable ».
Mofaz, qui est lié étroitement à l’establishment
militaire israélien est connu pour préconiser une ligne dure vis-à-vis de
l’Iran. Illustrant le « large consensus » qui existe en Israël en
faveur d’une attaque militaire de l’Iran, Der Spiegel rapporte aussi
l’opinion de Dani Yatom, général de division en retraite et député du Parti
travailliste qui déclare : « Nous ne croyons plus à l’efficacité des
sanctions… une opération militaire est nécessaire si le monde veut arrêter
l’Iran ».
L’article cite ensuite l’historien israélien Bebby Morris,
qui est lui aussi en faveur d’une solution militaire : « si la
question est de savoir qui de l’Iran ou d’Israël doit périr, alors ce sera l’Iran ».
Et DerSpiegel de conclure : « En vérité…
il y a maintenant un consensus au sein du gouvernement israélien sur le fait
qu’une attaque aérienne des installations nucléaires iraniennes est devenue
inévitable ».
L’article explique encore qu’il existe un accord
pratiquement unanime dans le cabinet israélien sur une frappe militaire de l’Iran.
La seule question qui se pose encore est le moment de l’attaque :
« En Israël, il ne s’agit plus de savoir si l’attaque aura lieu ou non,
mais quand elle aura lieu. »
Selon Der Spiegel : « Les colombes expliquent
que les efforts diplomatiques des Nations unies doivent se poursuivre jusqu’au
moment où l’Iran sera en passe d’obtenir la bombe. De cette manière, Israël
pourrait au moins expliquer de façon convaincante que toutes les options non
militaires ont été épuisées. »
« Les faucons en revanche croient que le temps presse.
Ils insistent sur le fait qu’il y a maintenant une "occasion propice"
qui n’existera plus une fois arrivée l’élection présidentielle américaine en
novembre et qu’Israël ne peut compter sur le soutien américain que tant que
l’actuel président américain, George W. Bush, restera en place à Washington. »
L’article aborde ensuite la faisabilité d’une attaque
aérienne israélienne et inclut une carte de l’Iran montrant des cibles
potentielles pour les avions israéliens. Il note que l’aviation israélienne a
déjà effectué avec succès un raid aérien contre le réacteur nucléaire irakien
d’Osirak en 1981 et que plus récemment, en septembre 2007, elle a détruit une
cible identifiée par les services de renseignement israéliens comme un site nucléaire
suspect dans l’est de la Syrie.
Israël a récemment signé un accord avec Washington portant
sur l’achat de bombardiers F-22 Stealth, idéaux pour le genre de raids préparés
par le commandement de l’aviation israélienne. L’actuelle flotte d’avions de chasse
F-15 pourrait, elle aussi, être utilisée pour lancer une attaque à plusieurs
niveaux sur les installations d’enrichissement d’uranium de l’Iran.
L’article se termine avec une citation de Bruce Riedel,
expert du Moyen-Orient et ancien agent de la CIA, qui déclare qu’alors qu’un
président américain devait s’attendre à une opposition en cas d’attaque par les
Etats-Unis, « la situation est différente vue depuis Israël… Il y a un
risque qu’Israël pense qu’il n’a pas le temps d’agir et qu’il a [encore] le feu
vert de certains hommes politiques américains. »
Lorsqu’on lui demanda quelles seraient les conséquences
d’une telle attaque, Riedel insista sur le fait qu’elle serait vue comme une
attaque américaine et que les représailles iraniennes seraient dirigées
« tant contre Israël que contre les Etats-Unis ». Les conséquences en
seront funestes. « Nous verrons le Moyen-Orient en flammes. »
Plans de guerre
israéliens et activité diplomatique fébrile au Moyen-Orient
Il ne se passe guère de jour sans que ne paraissent des
articles parlant de nouvelles initiatives diplomatiques au Moyen-Orient et dans
lesquelles le gouvernement israélien est directement ou indirectement impliqué.
Le jour même (jeudi 19 juin) où le gouvernement de Jérusalem annonçait un
cessez-le-feu avec le mouvement Hamas dans la Bande de Gaza, le premier
ministre israélien Ehoud Olmert déclarait que son gouvernement était prêt à des
négociations de paix avec le Liban. Israël conduit depuis longtemps des
opérations militaires régulières contre les Palestiniens dans la bande de Gaza
et a mené en 2006 une guerre de frontière acharnée avec les milices du
Hezbollah, situées à l’intérieur du Liban.
D’autres pays comme la France, l’Allemagne et la Turquie ont
eux aussi fait la promotion active d’une amélioration des relations
internationales avec le régime syrien, qui fut longtemps traité de
« paria » tant par Israël que par les Etats-Unis et devait à
l’origine figurer sur la liste des pays constituant « l’Axe du mal »
de Washington. Le président français Nicolas Sarkozy a récemment visité
Beyrouth à la tête d’une nombreuse délégation et il a invité le président
syrien Bachar al-Assad à assister aux célébrations du 14 Juillet à Paris.
Sarkozy y a aussi invité le premier ministre israélien et espère que les deux
ennemis jurés pourront être persuadés de se réconcilier.
Un examen attentif des différentes « initiatives de
paix » rivales montre que les gouvernements israéliens et européens
suivent des stratégies différentes. Israël se sert de la campagne de propagande
menée par Washington et visant à diaboliser le régime iranien afin de préparer
sa propre attaque de l’Iran. Jérusalem cherche en même temps à neutraliser un
certain nombre d’alliés traditionnels de l’Iran comme le mouvement Hamas à
Gaza, le Hezbollah au Liban et le gouvernement syrien dirigé par Assad, afin de
réduire le risque de représailles de leur part suite à une attaque militaire de
l’Iran.
Les gouvernements européens comme la France et l’Allemagne
sont certainement très conscients de la menace d’une attaque militaire de
l’Iran, soit de la part d’Israël soit de la part des Etats-Unis, et qui
mettrait en danger leurs intérêts économiques et politiques au Moyen-Orient qui
sont considérables. Des avertissements pressants quant aux conséquences d’une
telle attaque ont déjà été lancés en novembre 2007 en Allemagne par le
président de la commission parlementaire des Affaires étrangères, le
chrétien-démocrate Ruprecht Polenz et, il y a tout juste deux semaines, par
l’ex-ministre des Affaires étrangères allemand Joschka Fischer.
Mais s’ils conduisent vigoureusement leur propre diplomatie
au Moyen-Orient, les gouvernements européens ne sont pas prêts à s’opposer
publiquement à la propagande belliciste anti-iranienne d’Israël et des
Etats-Unis.
Ce fut le sens de la récente tournée des pays européens
entreprise par le président américain. Dans chaque pays où il fut reçu, George
W. Bush put répéter ses menaces contre l’Iran sans qu’aucun leader européen ne
s’y oppose.
L’article du Spiegel note ce fait et il remarque que
le point de vue des faucons israéliens qui demandent une action militaire
rapide contre l’Iran a été renforcé par le récent voyage de Bush en Europe.
« Le président Bush a cependant envoyé récemment des
signaux qui rappellent de façon suspecte les semaines qui ont précédé la guerre
contre l’Irak. Car à l’époque comme aujourd’hui, il insistait sur le fait que "toutes
les options restaient envisageables". Et comme aujourd’hui, il essayait
alors d’apaiser les européens en disant qu’on épuiserait d’abord toutes les
possibilités diplomatiques. Mais durant sa récente visite en Slovénie, Bush a
dit : "Il y a un tas de choses pressantes lorsqu’il s’agit de l’Iran,
et les Israéliens qui sont politiques…, si vous allez en Israël et que vous
[les] écoutez attentivement, vous entendrez cette urgence dans leur voix." »
Le rapprochement fait par Der Spiegel entre la
période actuelle et celle qui a précédé la guerre contre l’Irak est tout à fait
approprié. Avant de lancer l’invasion militaire de 2003, des leaders européens
sans courage ont soutenu docilement les sanctions imposées au régime de Saddam
Hussein et qui ont coûté la vie à des centaines de milliers d’Irakiens. Ensuite,
ils restèrent soit silencieux (comme la France et l’Allemagne) ou se firent les
complices de Washington (comme la Grande-Bretagne) alors que le gouvernement
Bush débitait un chapelet de mensonges pour justifier son invasion destructrice
de l’Irak.
Le silence actuel des gouvernements (et de la plupart des
médias) européens devant le danger d’une attaque militaire israélienne soutenue
par les Etats-Unis est tout aussi assourdissant qu’alors. Après les évènements
d’Irak, personne parmi les gens politiquement conscients ne peut affirmer que
les conséquences d’une « frappe préventive » contre l’Iran ne sont
pas encore visibles. On prépare sous le nez des élites dirigeantes européennes
un nouveau crime de guerre catastrophique et pas un seul gouvernement du
continent n’est prêt à s’opposer aux gouvernements de Jérusalem et de Washington.
Au contraire, ces élites sont déjà en train de lancer des
signaux disant qu’ils seront du côté du régime israélien dans l’éventualité
d’une guerre contre l’Iran. Le même homme politique allemand qui en novembre
dernier a fait avec tant d’emphase cette mise en garde quant aux conséquences
d’une attaque israélienne de l’Iran, dit clairement dans le dernier article du Spiegel
que l’Allemagne serait à coup sûr du côté d’Israël dans le cas d’hostilités
ouvertes.
Ruprecht Polenz résume le rôle joué par les européens dans
l’encouragement de sanctions plus sévères vis-à-vis de l’Iran comme étant celui
d’une possible dissuasion à l’action militaire, une stratégie qui, en même
temps, lie plus encore les nations européennes à Israël.
« En lançant cet avertissement, nous prenons plus
encore la responsabilité de (garantir que) notre approche préférée apportera
des résultats » dit Polenz. En d’autres mots, si l’Iran continue de
poursuivre son programme nucléaire, l’Occident devra resserrer les rangs autour
de Jérusalem. « En aucune circonstance, on ne peut donner l’impression
qu’on abandonnerait Israël face à la possibilité d’une bombe atomique iranienne ».