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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Les puissances européennes poursuivent la ratification du traité de Lisbonne en dépit du « non » des Irlandais

Par Steve James
20 juin 2008

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Les principales puissances européennes, sous la direction de l’Allemagne et de la France, ont clairement fait entendre qu’elles vont chercher à défier le rejet du traité de Lisbonne par l’Irlande lors du référendum du 12 juin. Avec un taux de participation de 53 pour cent, 53 pour cent ont voté « non » tandis que 46 pour cent votaient en faveur du « oui ».

Le vote aurait dû torpiller l’adoption du traité de Lisbonne qui requiert le soutien unanime des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE). Mais José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, a dit « Dix-huit Etats membres ont déjà ratifié le traité, et la Commission pense que les ratifications qu’il reste à obtenir devraient suivre leur cours. Je pense que le traité est vivant. »

La chancelière allemande Angela Merkel a insisté, « Nous devons poursuivre le processus de ratification », tandis que le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier a dit, « Nous maintenons fermement notre cap de mettre en application ce traité et donc le processus de ratification doit se poursuivre. » Un porte-parole du gouvernement allemand a dit au Irish Times, « La ratification se poursuivra, soit l’Irlande votera à nouveau soit nous préparerons un nouveau texte. »

La France assurera le mois prochain la présidence de l’Union européenne et le président français, Nicolas Sarkozy, a pressé les Etats communautaires de poursuivre la ratification du traité. Le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, a dit que « des mécanismes particuliers ad hoc de coopération » pourraient être trouvés pour l’Irlande « dans ce cadre-là », il a ajouté que « le plus important est que le processus de ratification dans les autres pays continue » et ensuite de « voir avec les Irlandais comment nous fonctionnons, quel arrangement juridique nous pouvons trouver. »

Le gouvernement travailliste de Grande-Bretagne poursuit également son processus de ratification. Mercredi, le traité de Lisbonne doit être examiné pour la troisième lecture à la chambre haute. Le ministre britannique pour l’Europe, Jim Murphy a dit qu’il revenait au gouvernement de Dublin d’avancer des propositions en vue de sauver le traité. « Il est nécessaire que le gouvernement irlandais se présente à la réunion du Conseil européen cette semaine pour nous dire, au gouvernement britannique et aux autres gouvernements de l’Union européenne, comment il pense que nous devrions procéder sur la base de la décision souveraine du peuple irlandais, » a-t-il dit.

Le Conseil européen se réunira à Bruxelles à la fin de cette semaine et l’Allemagne et la France ont pris l’initiative d’isoler l’Irlande et de pousser en avant la ratification. Face aux objections provoquées par cette position, ils continuent à faire peser la menace d’une Union européenne « à deux vitesses ». Ceci exerce une très forte pression sur la Grande-Bretagne afin qu’elle tienne bon, elle qui a toujours redouté un tel résultat. Les deux pays chercheront également à faire tout leur possible pour que soient rapidement adoptées les parties du traité pouvant être appliquées sans amendement.

Une campagne de propagande est montée pour affirmer que le vote d’un pays dont la population représente moins d’un pour cent des 490 millions d’habitants de l’UE ne devrait pas saborder un traité que 18 Etats membres ont déjà ratifié. Axel Schäfer, le porte-parole du groupe parlementaire social-démocrate allemand pour les questions européenne, a souligné, « Nous ne pouvons pas admettre que l’immense majorité de l’Europe soit dupée par une minorité de la minorité de la minorité… Nous pensons que c’est un sacré toupet que le pays qui a le plus profité de l’UE puisse faire cela. Il n’y a pas d’autre Europe que celle de ce traité. »

Le président italien, Giorgio Napolitano, a dit, « L’heure est venue d’accomplir un choix courageux pour ceux qui veulent donner un développement cohérent à la construction européenne, laissant en dehors ceux qui, en dépit de promesses solennelles et signées, menacent de la bloquer. »

Ces réponses illustrent le caractère antidémocratique de l’ensemble du projet communautaire. La réalité, c’est que la ratification avait pour but d’empêcher tout examen minutieux par la population, sans parler d’un vote sur la question. Seul le gouvernement irlandais était tenu par sa Constitution d’organiser un référendum parce que le traité de Lisbonne entraîne un changement de la Constitution irlandaise vu que sa participation aux projets de défense et de sécurité communautaires mettait un terme à sa position officielle de neutralité. Le fait que, dans un pays qui a soi-disant été le principal bénéficiaire de la générosité européenne, le vote soit allé contre l’acceptation, montre à quel point l’hostilité contre l’UE est grande sur l’ensemble du continent.

Ceci pose des difficultés apparemment insurmontables à tous ceux qui réclament un deuxième référendum irlandais, comme cela fut le cas précédemment en 2001-2002.

Le traité de Lisbonne qui a été signé en décembre 2007 est, à quelques changements cosmétiques près, la continuation de la constitution européenne qui fut rejetée par les électeurs des Pays-Bas et de France en 2005. Le traité tout comme la constitution représente la tentative de la part des puissances européennes de mettre sur pied un appareil politique, diplomatique et militaire au service d’un bloc commercial et monétaire européen capable de résister à ses principaux rivaux les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les puissances européennes ont vu, à maintes reprises, leurs aspirations à projeter l’influence de l’UE contrariées en l’absence d’une politique étrangère cohérente et d’une capacité militaire correspondante au poids économique considérable du bloc commercial. Afin de surmonter ceci, le traité s’est mis d’accord pour créer un « Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune » conduisant à un « Service d’Action externe européenne.» Le traité crée aussi un président du Conseil européen et une politique consolidée en matière de sécurité, de justice, de politique énergétique, de recherche et de cohésion territoriale.

Le traité comprend aussi des mesures pour assurer que les « quatre grands », la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, dominent le processus de prise de décision au sein du bloc. Le droit de veto national serait supprimé. Durant la période qui a précédé l’invasion de l’Irak en 2003, la politique étrangère européenne avait été entravée par les efforts américains d’organiser une « nouvelle Europe » formée par les anciens pays du bloc de l’Est et la Grande-Bretagne contre la « vieille Europe » formées par les puissances continentales.

Le traité qui est également basé sur des mesures existantes en vue de désactiver la réglementation de l’industrie nationale des services dans l’intérêt des plus grosses entreprises communautaires du secteur des services publics et qui s’accroissent le plus rapidement.

Le « non » a été un choc pour une grande partie de l’establishment politique irlandais qui jusqu’à la fermeture des bureaux de vote le 12 juin prédisait un résultat serré en sa faveur. C’est un revers majeur que vient d’essuyer le « Taoiseach » (premier ministre) nouvellement élu, Brian Cowen, qui a remplacé il y a six semaines Bertie Ahern après que celui-ci ait démissionné suite à des allégations de corruption financière.

Une coalition au pouvoir formée par le Fianna Fail, le Fine Gael et le Parti travailliste a fait campagne pour le « oui » en mentionnant les subventions versées par l’UE pour le développement économique irlandais des années durant, et en qualifiant un vote favorable comme un « devoir patriotique » et même comme preuve que les Irlandais sont de « bons Européens. » Même le pape Benoît XVI a profité de l’occasion de la messe qu’il a donnée sur la place St Pierre pour décrire Colomban (Columbanus), le saint irlandais comme « l’un des pères de l’Europe » qui pourrait même être appelé un « saint européen ».

Le vote « non » exprime à la fois une aliénation grandissante de la population laborieuse par rapport à l’élite politique irlandaise et une opposition à l’encontre des mesures antidémocratiques contenues dans le traité et l’Union européenne en général. Une première analyse des schémas de vote a suggéré que dans de vastes zones où vit une population laborieuse rurale et urbaine, le score du « non » était plus élevé que dans des régions plus prospères et en dépit d’un taux de participation plus faible. Un sondage réalisé par l’institut MRBI et publié par le Irish Times avant le référendum sur le traité de Lisbonne a montré que le « oui » avait seulement enregistré une majorité parmi les électeurs plus fortunés des ABC1 tandis que pour la catégorie de la classe ouvrière C2DE une forte majorité en faveur du « non » s’était dégagée.

Les dirigeants de l’UE peuvent bien faire référence aux bienfaits que les subventions communautaires ont apportés à l’Irlande, autrefois l’une des nations les plus pauvres de l’Europe. Mais ces subventions étaient surtout consacrées au développement de l’infrastructure et des entreprises afin de faciliter le développement de l’Irlande en tant que plateforme d’exportation pour les groupes américains cherchant à accéder à l’Europe et aux sociétés européennes en quête d’un régime à faible taux d’imposition plus proche du continent.

Bon nombre de ces entreprises sont en ce moment en train d’être délocalisées vers des régions encore moins chères en Europe de l’Est. Dans le même temps, le boom dans le secteur du bâtiment et la bulle spéculative immobilière arrivent rapidement à leur terme. Deux jours avant le référendum, les chiffres avaient montré que le chômage avait pour la première fois depuis 1999 dépassé les 200 000. En un an, de mai 2007 à mai 2008, le chômage avait augmenté de 31 pour cent, près d’un millier de travailleurs par semaine avaient rejoint la file des chômeurs. A Dublin, le chômage a augmenté de 22 pour cent en un mois tandis que dans le comté de Wexford, situé à la pointe sud-est de l’île, un autre centre où le bâtiment était en plein boom, il a augmenté de 40 pour cent.

L’inflation des prix progresse également, en avril le taux annuel était de 4,7 pour cent. Les prix des aliments ont augmenté de 8 pour cent, les coûts du carburant de 23 pour cent et le mazout a connu une augmentation massive de 47 pour cent. Globalement, les ventes au détail ont régressé de 3,2 pour cent depuis le début de l’année. Les frais d’intérêts hypothécaires qui accablent d’ores et déjà lourdement de vastes sections de travailleurs, ont augmenté de 2 pour cent en un seul mois. Les dettes pour prêt hypothécaire résidentiel se situent à présent à 75 pour cent du PIB, soit une augmentation de 24 pour cent par rapport à 1997. Breugel, le groupe de réflexion européen, a mis en garde que la situation économique en Irlande s’était « considérablement assombrie ces derniers temps dans le contexte d’un sérieux ralentissement du marché immobilier. »

Une autre raison du « non » a été le souhait de maintenir la neutralité constitutionnelle de l’Irlande qui reflète d’une manière partielle et faussée le sentiment anti-guerre et l’opposition contre la participation du gouvernement irlandais à l’effort de guerre américain et britannique en Irak qui a permis aux avions de l’armée américaine d’utiliser l’aéroport de Shannon comme point de ravitaillement en carburant.

Mais bien que la campagne du « non » ait profité d’un tel sentiment, elle était constituée par des groupes qui ne formulent en aucune manière les inquiétudes sociales et les intérêts politiques de la classe ouvrière irlandaise. Le camp du « non » comprenait de nombreux groupes catholiques soucieux de ce que l’avortement demeure illégal en Irlande. Son porte-parole le plus en vue est l’homme d’affaires irlandais pro-américain Declan Ganvey et son organisation Libertas. Ganvey au même titre que Sinn Fein, le seul parti au parlement à avoir appelé à voter « non » s’opposent au traité parce qu’ils veulent sauvegarder le droit de l’Irlande de fixer indépendamment de l’UE les impôts sur les sociétés et dont le taux se situe pour le moment à 12,5 pour cent dans le but de maintenir un avantage concurrentiel pour attirer des investissements mondiaux. Nombre des groupes concernés, y compris le syndicat Unite, soutiennent l’UE et l’adhésion permanente de l’Irlande et ne rejettent que le traité en soi.

Même si un vote « non » est l’expression d’un mécontentement et d’une opposition légitimes, il est tout à fait insuffisant, comme le montrent les projets de poursuivre la ratification. La classe ouvrière se trouve dans une lutte politique contre les principales institutions des grands groupes européens et pour réussir elle requiert son propre programme politique et sa propre direction. Un tel développement est pourtant empêché par les groupes de gauche irlandais, le Socialist Party irlandais et le Socialist Workers Party qui ont tous deux joué un rôle actif dans la campagne du « non ». Ce sont eux qui ont tout fait pour que les travailleurs n’aient pas eu la possibilité de se démarquer par rapport aux positions de Libertas et consorts. A aucun moment ils n’ont développé un semblant de perspective indépendante sur les questions primordiales de l’intégration européenne.

Le Socialist Party irlandais avait placé au centre de sa campagne une série de déclarations de Joe Higgins, membre du Dáil Éireann, le parlement irlandais, jusqu’à l’année dernière quand il a perdu son siège de député. Higgins avait promis en janvier 2008 que le Socialist Party exposerait sa perspective en « opposant une Europe démocratique et socialiste des travailleurs au club capitaliste de l’UE. » Mais rien de tout cela ne fut jamais mentionné dans le matériel électoral qui a été publié.

A la veille du référendum la rubrique de Higgins « Pourquoi voter Non à Lisbonne », a avancé comme justification l’opposition à la baisse des salaires, à la Cour européenne de Justice, aux attaques contre les services publics et le militarisme, mais ne s’est pas opposé à l’UE en tant que tel. Au lieu de cela, il a laissé croire que l’UE pouvait être réformée en déclarant que le traité de Lisbonne était une occasion perdue : « Lisbonne aurait dû être une occasion d’exclure une fois pour toutes les services publics des règles du marché et du commerce international. »

Le Socialist Workers Party a critiqué l’UE de façon tout aussi vague par le biais de son site web « Votez Non » (Vote No) en faisant remarquer que le traité de Lisbonne « fait peu de cas d’une Europe sociale », « ne remédie nullement au problème du manque de démocratie » et « oblige les pays à accroître les dépenses militaires. »

Sa réponse aux questions fréquemment posées sur le traité de Lisbonne renferme également de façon explicite une réforme de l’UE en disant, « La Confédération européenne des syndicats réclame un amendement du traité. Mais tout amendement du traité ne pourra se faire que sur la base d’un "non" irlandais obligeant à une renégociation. »

Le permanent syndical irlandais de haut rang du parti, Jimmy Kelly du syndicat Unite, avait été plus explicite en écrivant dans un article, en avril 2008, que le Congrès irlandais des syndicats devrait exiger que le gouvernement irlandais « ajourne le traité de Lisbonne pour avoir suffisamment de temps pour se consacrer à la question des droits syndicaux » (soulignement ajouté). Il s’est plaint de ce que « le gouvernement irlandais n’a rien fait pour permettre aux travailleurs de considérer ce référendum comme tenant réellement ses promesses sur la question des droits sur le lieu de travail ou sur la question de l’Europe sociale comme le stipulait à l’origine le traité de Lisbonne » (soulignement ajouté).

L’UE ne peut pas être réformée. Et il n’existe pas d’« Europe sociale ». L’UE est un énorme appareil qui se consacre à mettre en place un bloc commercial et militaire qui s’étende sur tout le continent afin de mieux concurrencer les concurrents de l’Europe grâce à la destruction systématique des salaires et des conditions sociales.

L’unification de l’Europe est un objectif à la fois progressiste et nécessaire mais elle doit être mise en place par la classe ouvrière en opposition à toutes les cliques rivales de capitalistes et de leurs partisans politiques, qu’ils soient en faveur d’une intégration plus poussée de l’UE ou qu’ils l’opposent.

Seule la perspective des Etats unis socialistes d’Europe en tant que partie intégrante d’une fédération socialiste mondiale offre la perspective d’une Europe pacifique et avancée sur le plan culturel et technologique et qui recourt à ses vastes capacités productrices pour satisfaire les besoins de l’humanité de par le continent et le monde. Faire avancer une telle perspective en Irlande met à l’ordre du jour le besoin urgent de construire une section du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article original paru le 16 juin 2008)


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