Les principales puissances européennes, sous
la direction de l’Allemagne et de la France, ont clairement fait entendre
qu’elles vont chercher à défier le rejet du traité de Lisbonne par l’Irlande
lors du référendum du 12 juin. Avec un taux de participation de 53 pour cent,
53 pour cent ont voté « non » tandis que 46 pour cent votaient en
faveur du « oui ».
Le vote aurait dû torpiller l’adoption du traité
de Lisbonne qui requiert le soutien unanime des 27 Etats membres de l’Union
européenne (UE). Mais José Manuel Barroso, président de la Commission
européenne, a dit « Dix-huit Etats membres ont déjà ratifié le traité, et
la Commission pense que les ratifications qu’il reste à obtenir devraient suivre
leur cours. Je pense que le traité est vivant. »
La chancelière allemande Angela Merkel a
insisté, « Nous devons poursuivre le processus de ratification », tandis
que le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier a dit,
« Nous maintenons fermement notre cap de mettre en application ce traité
et donc le processus de ratification doit se poursuivre. » Un porte-parole
du gouvernement allemand a dit au Irish Times, « La ratification se
poursuivra, soit l’Irlande votera à nouveau soit nous préparerons un nouveau
texte. »
La France assurera le mois prochain la
présidence de l’Union européenne et le président français, Nicolas Sarkozy, a
pressé les Etats communautaires de poursuivre la ratification du traité. Le
secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, a dit
que « des mécanismes particuliers ad hoc de coopération » pourraient
être trouvés pour l’Irlande « dans ce cadre-là », il a ajouté que
« le plus important est que le processus de ratification dans les autres
pays continue » et ensuite de « voir avec les Irlandais comment nous
fonctionnons, quel arrangement juridique nous pouvons trouver. »
Le gouvernement travailliste de
Grande-Bretagne poursuit également son processus de ratification. Mercredi, le
traité de Lisbonne doit être examiné pour la troisième lecture à la chambre
haute. Le ministre britannique pour l’Europe, Jim Murphy a dit qu’il revenait
au gouvernement de Dublin d’avancer des propositions en vue de sauver le
traité. « Il est nécessaire que le gouvernement irlandais se présente à la
réunion du Conseil européen cette semaine pour nous dire, au gouvernement
britannique et aux autres gouvernements de l’Union européenne, comment il pense
que nous devrions procéder sur la base de la décision souveraine du peuple
irlandais, » a-t-il dit.
Le Conseil européen se réunira à Bruxelles à
la fin de cette semaine et l’Allemagne et la France ont pris l’initiative d’isoler
l’Irlande et de pousser en avant la ratification. Face aux objections
provoquées par cette position, ils continuent à faire peser la menace d’une
Union européenne « à deux vitesses ». Ceci exerce une très forte
pression sur la Grande-Bretagne afin qu’elle tienne bon, elle qui a toujours redouté
un tel résultat. Les deux pays chercheront également à faire tout leur possible
pour que soient rapidement adoptées les parties du traité pouvant être
appliquées sans amendement.
Une campagne de propagande est montée pour
affirmer que le vote d’un pays dont la population représente moins d’un pour
cent des 490 millions d’habitants de l’UE ne devrait pas saborder un traité que
18 Etats membres ont déjà ratifié. Axel Schäfer, le porte-parole du groupe
parlementaire social-démocrate allemand pour les questions européenne, a
souligné, « Nous ne pouvons pas admettre que l’immense majorité de
l’Europe soit dupée par une minorité de la minorité de la minorité… Nous
pensons que c’est un sacré toupet que le pays qui a le plus profité de l’UE puisse
faire cela. Il n’y a pas d’autre Europe que celle de ce traité. »
Le président italien, Giorgio Napolitano, a
dit, « L’heure est venue d’accomplir un choix courageux pour ceux qui
veulent donner un développement cohérent à la construction européenne, laissant
en dehors ceux qui, en dépit de promesses solennelles et signées, menacent de
la bloquer. »
Ces réponses illustrent le caractère
antidémocratique de l’ensemble du projet communautaire. La réalité, c’est que
la ratification avait pour but d’empêcher tout examen minutieux par la
population, sans parler d’un vote sur la question. Seul le gouvernement
irlandais était tenu par sa Constitution d’organiser un référendum parce que le
traité de Lisbonne entraîne un changement de la Constitution irlandaise vu que
sa participation aux projets de défense et de sécurité communautaires mettait
un terme à sa position officielle de neutralité. Le fait que, dans un pays qui
a soi-disant été le principal bénéficiaire de la générosité européenne, le vote
soit allé contre l’acceptation, montre à quel point l’hostilité contre l’UE est
grande sur l’ensemble du continent.
Ceci pose des difficultés apparemment
insurmontables à tous ceux qui réclament un deuxième référendum irlandais,
comme cela fut le cas précédemment en 2001-2002.
Le traité de Lisbonne qui a été signé en
décembre 2007 est, à quelques changements cosmétiques près, la continuation de
la constitution européenne qui fut rejetée par les électeurs des Pays-Bas et de
France en 2005. Le traité tout comme la constitution représente la tentative de
la part des puissances européennes de mettre sur pied un appareil politique,
diplomatique et militaire au service d’un bloc commercial et monétaire européen
capable de résister à ses principaux rivaux les Etats-Unis, la Russie et la
Chine.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique,
les puissances européennes ont vu, à maintes reprises, leurs aspirations à
projeter l’influence de l’UE contrariées en l’absence d’une politique étrangère
cohérente et d’une capacité militaire correspondante au poids économique
considérable du bloc commercial. Afin de surmonter ceci, le traité s’est mis
d’accord pour créer un « Haut représentant de l’Union européenne pour la politique
étrangère et de sécurité commune » conduisant à un « Service d’Action
externe européenne.» Le traité crée aussi un président du Conseil européen et
une politique consolidée en matière de sécurité, de justice, de politique
énergétique, de recherche et de cohésion territoriale.
Le traité comprend aussi des mesures pour
assurer que les « quatre grands », la France, la Grande-Bretagne,
l’Allemagne et l’Italie, dominent le processus de prise de décision au sein du
bloc. Le droit de veto national serait supprimé. Durant la période qui a précédé
l’invasion de l’Irak en 2003, la politique étrangère européenne avait été
entravée par les efforts américains d’organiser une « nouvelle
Europe » formée par les anciens pays du bloc de l’Est et la
Grande-Bretagne contre la « vieille Europe » formées par les
puissances continentales.
Le traité qui est également basé sur des
mesures existantes en vue de désactiver la réglementation de l’industrie
nationale des services dans l’intérêt des plus grosses entreprises
communautaires du secteur des services publics et qui s’accroissent le plus
rapidement.
Le « non » a été un choc pour une
grande partie de l’establishment politique irlandais qui jusqu’à la
fermeture des bureaux de vote le 12 juin prédisait un résultat serré en sa
faveur. C’est un revers majeur que vient d’essuyer le « Taoiseach »
(premier ministre) nouvellement élu, Brian Cowen, qui a remplacé il y a six
semaines Bertie Ahern après que celui-ci ait démissionné suite à des
allégations de corruption financière.
Une coalition au pouvoir formée par le Fianna
Fail, le Fine Gael et le Parti travailliste a fait campagne pour le
« oui » en mentionnant les subventions versées par l’UE pour le
développement économique irlandais des années durant, et en qualifiant un vote
favorable comme un « devoir patriotique » et même comme preuve que
les Irlandais sont de « bons Européens. » Même le pape Benoît XVI a
profité de l’occasion de la messe qu’il a donnée sur la place St Pierre pour
décrire Colomban (Columbanus), le saint irlandais comme « l’un des pères
de l’Europe » qui pourrait même être appelé un « saint européen ».
Le vote « non » exprime à la fois une
aliénation grandissante de la population laborieuse par rapport à l’élite
politique irlandaise et une opposition à l’encontre des mesures
antidémocratiques contenues dans le traité et l’Union européenne en général.
Une première analyse des schémas de vote a suggéré que dans de vastes zones où
vit une population laborieuse rurale et urbaine, le score du « non »
était plus élevé que dans des régions plus prospères et en dépit d’un taux de
participation plus faible. Un sondage réalisé par l’institut MRBI et publié par
le Irish Times avant le référendum sur le traité de Lisbonne a montré
que le « oui » avait seulement enregistré une majorité parmi les
électeurs plus fortunés des ABC1 tandis que pour la catégorie de la classe
ouvrière C2DE une forte majorité en faveur du « non » s’était
dégagée.
Les dirigeants de l’UE peuvent bien faire
référence aux bienfaits que les subventions communautaires ont apportés à
l’Irlande, autrefois l’une des nations les plus pauvres de l’Europe. Mais ces
subventions étaient surtout consacrées au développement de l’infrastructure et des
entreprises afin de faciliter le développement de l’Irlande en tant que
plateforme d’exportation pour les groupes américains cherchant à accéder à
l’Europe et aux sociétés européennes en quête d’un régime à faible taux
d’imposition plus proche du continent.
Bon nombre de ces entreprises sont en ce
moment en train d’être délocalisées vers des régions encore moins chères en
Europe de l’Est. Dans le même temps, le boom dans le secteur du bâtiment et la
bulle spéculative immobilière arrivent rapidement à leur terme. Deux jours
avant le référendum, les chiffres avaient montré que le chômage avait pour la
première fois depuis 1999 dépassé les 200 000. En un an, de mai 2007 à mai
2008, le chômage avait augmenté de 31 pour cent, près d’un millier de
travailleurs par semaine avaient rejoint la file des chômeurs. A Dublin, le
chômage a augmenté de 22 pour cent en un mois tandis que dans le comté de
Wexford, situé à la pointe sud-est de l’île, un autre centre où le bâtiment
était en plein boom, il a augmenté de 40 pour cent.
L’inflation des prix progresse également, en
avril le taux annuel était de 4,7 pour cent. Les prix des aliments ont augmenté
de 8 pour cent, les coûts du carburant de 23 pour cent et le mazout a connu une
augmentation massive de 47 pour cent. Globalement, les ventes au détail ont
régressé de 3,2 pour cent depuis le début de l’année. Les frais d’intérêts
hypothécaires qui accablent d’ores et déjà lourdement de vastes sections de travailleurs,
ont augmenté de 2 pour cent en un seul mois. Les dettes pour prêt hypothécaire
résidentiel se situent à présent à 75 pour cent du PIB, soit une augmentation
de 24 pour cent par rapport à 1997. Breugel, le groupe de réflexion européen, a
mis en garde que la situation économique en Irlande s’était « considérablement
assombrie ces derniers temps dans le contexte d’un sérieux ralentissement du
marché immobilier. »
Une autre raison du « non » a été le
souhait de maintenir la neutralité constitutionnelle de l’Irlande qui reflète
d’une manière partielle et faussée le sentiment anti-guerre et l’opposition
contre la participation du gouvernement irlandais à l’effort de guerre
américain et britannique en Irak qui a permis aux avions de l’armée américaine
d’utiliser l’aéroport de Shannon comme point de ravitaillement en carburant.
Mais bien que la campagne du « non »
ait profité d’un tel sentiment, elle était constituée par des groupes qui ne
formulent en aucune manière les inquiétudes sociales et les intérêts politiques
de la classe ouvrière irlandaise. Le camp du « non » comprenait de
nombreux groupes catholiques soucieux de ce que l’avortement demeure illégal en
Irlande. Son porte-parole le plus en vue est l’homme d’affaires irlandais pro-américain
Declan Ganvey et son organisation Libertas. Ganvey au même titre que Sinn Fein,
le seul parti au parlement à avoir appelé à voter « non » s’opposent
au traité parce qu’ils veulent sauvegarder le droit de l’Irlande de fixer
indépendamment de l’UE les impôts sur les sociétés et dont le taux se situe
pour le moment à 12,5 pour cent dans le but de maintenir un avantage
concurrentiel pour attirer des investissements mondiaux. Nombre des groupes
concernés, y compris le syndicat Unite, soutiennent l’UE et l’adhésion
permanente de l’Irlande et ne rejettent que le traité en soi.
Même si un vote « non » est
l’expression d’un mécontentement et d’une opposition légitimes, il est tout à
fait insuffisant, comme le montrent les projets de poursuivre la ratification.
La classe ouvrière se trouve dans une lutte politique contre les principales
institutions des grands groupes européens et pour réussir elle requiert son
propre programme politique et sa propre direction. Un tel développement est
pourtant empêché par les groupes de gauche irlandais, le Socialist Party irlandais
et le Socialist Workers Party qui ont tous deux joué un rôle actif dans la
campagne du « non ». Ce sont eux qui ont tout fait pour que les
travailleurs n’aient pas eu la possibilité de se démarquer par rapport aux positions
de Libertas et consorts. A aucun moment ils n’ont développé un semblant de
perspective indépendante sur les questions primordiales de l’intégration
européenne.
Le Socialist Party irlandais avait placé au
centre de sa campagne une série de déclarations de Joe Higgins, membre du Dáil
Éireann, le parlement irlandais, jusqu’à l’année dernière quand il a perdu
son siège de député. Higgins avait promis en janvier 2008 que le Socialist Party
exposerait sa perspective en « opposant une Europe démocratique et
socialiste des travailleurs au club capitaliste de l’UE. » Mais rien de
tout cela ne fut jamais mentionné dans le matériel électoral qui a été publié.
A la veille du référendum la rubrique de Higgins
« Pourquoi voter Non à Lisbonne », a avancé comme justification
l’opposition à la baisse des salaires, à la Cour européenne de Justice, aux
attaques contre les services publics et le militarisme, mais ne s’est pas
opposé à l’UE en tant que tel. Au lieu de cela, il a laissé croire que l’UE
pouvait être réformée en déclarant que le traité de Lisbonne était une occasion
perdue : « Lisbonne aurait dû être une occasion d’exclure une fois
pour toutes les services publics des règles du marché et du commerce
international. »
Le Socialist Workers Party a critiqué l’UE de
façon tout aussi vague par le biais de son site web « Votez Non »
(Vote No) en faisant remarquer que le traité de Lisbonne « fait peu de cas
d’une Europe sociale », « ne remédie nullement au problème du manque
de démocratie » et « oblige les pays à accroître les dépenses
militaires. »
Sa réponse aux questions fréquemment posées
sur le traité de Lisbonne renferme également de façon explicite une réforme de
l’UE en disant, « La Confédération européenne des syndicats réclame un
amendement du traité. Mais tout amendement du traité ne pourra se faire que sur
la base d’un "non" irlandais obligeant à une renégociation. »
Le permanent syndical irlandais de haut rang
du parti, Jimmy Kelly du syndicat Unite, avait été plus explicite en écrivant dans
un article, en avril 2008, que le Congrès irlandais des syndicats devrait
exiger que le gouvernement irlandais « ajourne le traité de
Lisbonne pour avoir suffisamment de temps pour se consacrer à la question des
droits syndicaux » (soulignement ajouté). Il s’est plaint de ce que
« le gouvernement irlandais n’a rien fait pour permettre aux travailleurs
de considérer ce référendum comme tenant réellement ses promesses sur la
question des droits sur le lieu de travail ou sur la question de l’Europe
sociale comme le stipulait à l’origine le traité de Lisbonne »
(soulignement ajouté).
L’UE ne peut pas être réformée. Et il n’existe
pas d’« Europe sociale ». L’UE est un énorme appareil qui se consacre
à mettre en place un bloc commercial et militaire qui s’étende sur tout le
continent afin de mieux concurrencer les concurrents de l’Europe grâce à la
destruction systématique des salaires et des conditions sociales.
L’unification de l’Europe est un objectif à la
fois progressiste et nécessaire mais elle doit être mise en place par la classe
ouvrière en opposition à toutes les cliques rivales de capitalistes et de leurs
partisans politiques, qu’ils soient en faveur d’une intégration plus poussée de
l’UE ou qu’ils l’opposent.
Seule la perspective des Etats unis
socialistes d’Europe en tant que partie intégrante d’une fédération socialiste
mondiale offre la perspective d’une Europe pacifique et avancée sur le plan
culturel et technologique et qui recourt à ses vastes capacités productrices
pour satisfaire les besoins de l’humanité de par le continent et le monde. Faire
avancer une telle perspective en Irlande met à l’ordre du jour le besoin urgent
de construire une section du Comité international de la Quatrième
Internationale.