Moins de la moitié du nombre attendu de manifestants a
participé aux protestations du 17 juin pour la défense des droits de retraite
et contre la déréglementation du temps de travail. La faible mobilisation pour
la journée d’action, moins de la moitié de l’objectif attendu d’un million de
manifestants, est une condamnation des syndicats et de leurs apologistes de
l’« extrême-gauche ».
Un mouvement qui a connu plusieurs journées de grève de plus
de 2 millions de travailleurs et des manifestations dans tout le pays contre la
politique de sévère régression sociale du gouvernement de Nicolas Sarkozy a été
délibérément étouffé.
Manifestants à Paris le 17 juin
Les deux plus grandes confédérations syndicales, la CGT
(Confédération générale du travail, proche du Parti communiste) et la CFDT
(Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste)
ont organisé le 17 juin des protestations cherchant de façon frauduleuse à dissimuler
la trahison qu’elles avaient perpétrée en signant le 9 avril dernier la
« position commune » avec les employeurs. Ce document propose la
possibilité, à titre « expérimental », de déréglementer le temps de
travail dans entreprise par entreprise, ce qui permet aux employeurs de se
libérer des contraintes légales au niveau national et par branche d’industrie.
Les signataires espéraient que ceci passerait de façon inaperçue dans la loi.
Néanmoins, cela a ouvert la voie à un projet de loi sur la
représentativité syndicale et le temps de travail, publié le 27 mai, et qui
démantèle de façon manifeste et permanente des sections essentielles du code du
travail garantissant les conditions de travail, avec en contrepartie un
renforcement des privilèges syndicaux. Le caractère manifeste de cette attaque
sur les travailleurs a obligé les syndicats, soucieux de conserver une certaine
crédibilité, à appeler à la journée d’action du 17 juin. Après les
mobilisations du 22 mai, ils espéraient mettre fin, jusqu’après les vacances
d’été, à la longue série de protestations dispersées de cette année contre le
programme de régression sociale du président Sarkozy.
La rengaine de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR)
d’Olivier Besancenot et de Lutte ouvrière (LO) d’Arlette Laguiller, à savoir
que les syndicats peuvent être contraints par la pression des masses à agir
dans l’intérêt de la classe ouvrière, s’est révélée au grand jour comme une
complète imposture. L’éditorial d’Arlette Laguiller dans le journal Lutte
ouvrière de cette semaine exprimait la perspective creuse de ces deux
organisations : « La colère qui finira par exploser forcera la main
des directions syndicales et pourra alors se déployer pleinement contre le
patronat et le gouvernement. »
C’est exactement le contraire qui s’est produit. Les
syndicats ont fait tout leur possible pour désamorcer le mécontentement
grandissant contre la politique régressive du gouvernement.
L’acte de sabotage peut-être le plus flagrant de cette
journée d’action a été la décision prise par la CGT de ne pas appeler les
cheminots et les agents des transports en commun parisiens à se joindre à la
grève du 17 juin, bien qu’ils aient été au centre de la lutte pour la défense
des droits à la retraite et qu’ils aient fait grève pendant une quinzaine de
jours en octobre et novembre derniers pour défendre leurs régimes spéciaux de
retraite. La CGT n’a émis un préavis de grève pour cette journée que pour
garantir une protection légale pour les travailleurs qui souhaitaient
individuellement agir, c'est-à-dire afin de « permettre aux cheminots de
participer aux manifestations. »
Alors que les grèves et manifestations contre le programme
social de Sarkozy depuis son élection en mai de l’année dernière ont impliqué
des millions de personnes, cette journée d’action, selon les chiffres gonflés
de la CGT, a fait descendre dans la rue 500 000 manifestants dans toute la
France. Le chiffre réel pourrait être la moitié ou le tiers de celui annoncé.
Les équipes de reporters du WSWS ont observé un nombre bien réduit de
manifestants à Paris et Amiens.
Selon les chiffres officiels, seuls 7 pour cent ont fait
grève à la Poste, 11 pour cent à France Télécom, 7 pour cent chez les cheminots
et 2,6 pour cent dans l’Education nationale. La participation avait été beaucoup
plus importante lors des mobilisations du 22 mai sur les retraites où un quart
des cheminots de la SNCF était en grève, un train sur deux ne circulait pas et
où la grève était aussi bien plus suivie dans les autres secteurs. Le 15 mai,
quand ces mêmes syndicats avaient limité les actions aux travailleurs de la
fonction publique et à la question des suppressions de postes dans l’Education
et la fonction publique, entre un tiers et la moitié de tous les enseignants
ainsi que plus d’un million de travailleurs de la fonction publique et des
collectivités territoriales s’étaient mis en grève.
La faible mobilisation du 17 juin est la conséquence d’une
tactique délibérée de la part des syndicats de séparer les questions d’emplois
et de retraites afin de garder le contrôle du mouvement et d’empêcher que
celui-ci ne remette politiquement en question le gouvernement. Cette faible
mobilisation représente un désaveu massif des syndicats par la classe ouvrière
française, dont l’hostilité à la politique sociale du gouvernement Sarkozy
s’est amplifiée à tel point que la cote de popularité du président a chuté de
plus de 65 pour cent à 33 pour cent.
Des manifestants interviewés par le WSWS ont unanimement
condamné la dispersion du mouvement opérée par les syndicats et exprimé la
nécessité urgente d’une action unifiée de la classe ouvrière et des jeunes
contre la politique du gouvernement. Nombreux étaient ceux qui n’étaient pas au
courant que la CGT et la CFDT avaient signé une « position commune »
avec les organisations patronales. Ils ont marqué un vif intérêt pour la
déclaration distribuée par les sympathisants du WSWS durant la manifestation.
(Lire Il
faut rompre avec les syndicats qui collaborent avec Sarkozy Il faut construire
un mouvement de la classe ouvrière qui soit indépendant )
Le Monde du 17 juin a interviewé Dominique Labbé, enseignant-chercheur
à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Lorsqu’on lui a demandé si la CGT
et la CFDT avaient été discréditées aux yeux de la base en signant cet accord,
il a répondu : « Oui, mais je crois qu'il y a aussi une déception sur
l'attitude que ces organisations syndicales ont eue depuis 2003 et la réforme
des retraites. La CFDT dit un jour qu'elle est d'accord pour l'allongement de
la durée de cotisation puis, le lendemain, elle affirme le contraire. C'est une
position illisible. La CGT, quant à elle, a finalement consenti assez
facilement à la réforme des régimes spéciaux de retraite à l'automne dernier.
Ces deux organisations en paient le prix aujourd'hui. L'attitude plus
qu'ambiguë de la CFDT depuis 2003 et celle de la CGT sur les régimes spéciaux
ont certainement beaucoup démobilisé les salariés ; elles ne peuvent mobiliser
des gens qui ont l'impression qu'on ne les a pas soutenus. »
La faible participation à l’appel des syndicats le 17 juin a
été caractérisée avec bienveillance de « demi-échec » par la plupart
des médias et de mobilisation « significative » par le Parti
socialiste (PS.) Bien que le PS ait finalement déclaré son soutien à la journée
d’action, ses membres en vue « ont brillé par leur absence » dans la
manifestation parisienne.
Le camp Sarkozy
encouragé
Le camp du président Sarkozy s’est immédiatement saisi de la
faible mobilisation comme d’un signal indiquant que la voie était ouverte pour
poursuivre rapidement la législation visant à démanteler la semaine de 35
heures.
Le quotidien de droite Le Figaro a pavoisé :
« C'est surtout le signe que Nicolas Sarkozy a remporté une victoire
psychologique majeure : montrer que la France n'est plus le pays
irréformable qu'on nous décrit depuis trente ans. [...] Il a joué le dialogue
autant qu'il était possible, mais sans oublier l'essentiel : la nécessité
impérieuse de "sortir du statu quo des 35 heures". »
Le Figaro s’est demandé : « Le ménage à
trois entre l'Élysée, la CFDT et la CGT est-il brisé ? » après avoir
« Accouché de plusieurs réformes ». Le journal fait remarquer que,
selon un membre de l’UMP (Union pour un mouvement populaire, qui est au
pouvoir) ce risque avait été pris pour permettre au ministre du Travail Xavier
Bertrand de « durcir son image, et à se rapprocher de la base électorale
de l'UMP ».
L’ancien ministre UMP du Travail, Gérard Larcher a dit
espérer que l’on reprendrait bientôt les bonnes habitudes avec la CFDT
normalement docile : « Tout s'est tellement bien passé depuis 18 mois !
Il appartient au gouvernement de montrer que la relation de confiance qui le
lie notamment à François Chérèque n'est pas distendue. »
La Tribune a commenté : « Les syndicats
aboient, la caravane des réformes passe… le nouvel échec, hier, des syndicats
permet à l'exécutif d'avancer. »
Ouest-France a affirmé que « Nicolas Sarkozy
avait assez remarquablement relancé le dialogue social à son arrivée à
l'Élysée. Remise en marche, la démocratie sociale avait même permis et produit
des avancées un peu inespérées. » Dans les récentes manœuvres avec la CGT
et la CFDT « àcourt terme, le gouvernement joue gagnant. Il a
affaibli et fait éclater en partie le front syndical. Il a un boulevard tout
tracé pour contourner à sa guise les 35 heures. »
Les dirigeants
syndicaux accusent les travailleurs
Les dirigeants de la CGT et de la CFDT ont tous deux accusé
les travailleurs de la fonction publique pour cette faible mobilisation. Le
Figaro rapporte que le dirigeant de la CGT, Bernard Thibault, « Pour
expliquer cette mobilisation moins importante qu'il ne l'espérait (il avait
lancé le chiffre d'un million de manifestants), et pour justifier que ses
troupes étaient moins nombreuses que celles de la CFDT, il a rappelé que les
fonctionnaires avaient déjà manifesté la semaine dernière. »
Un dirigeant de la CFDT présent à la manifestation a dit de
même, « c’est parce que le public ne se sent pas concerné par les
35 heures. » Gérard Aschieri de la confédération syndicale de
l’Education, la FSU, a laissé entendre que son secteur ne s’était pas mobilisé,
car il avait fait grève la semaine précédente.
Des dirigeants de la CGT ont cherché à se justifier en
impliquant que les leaders du syndicat FO (Force ouvrière) étaient aussi voyous
qu’eux-mêmes. Le Figaro du 17 juin rapporte : « D'autres
cadres de la CGT, remontés contre FO, dénonçaient les "intérêts de
boutiquiers" de la centrale de Jean-Claude Mailly. "Si l'on devait
compter les accords dérogatoires aux heures supplémentaires signés par FO dans
les entreprises, les dix doigts ne suffiraient pas." »
Après la journée d’action du 17 juin, la CGT et la CFDT ont
toutes deux mis fin à toute action de la classe ouvrière jusqu’après la période
estivale. Le dirigeant de la CFDT François Chérèque a dit : « Nous
voulons reprendre le dialogue. » Thibault a promis une « rentrée en
fanfare » après les vacances et a fixé au 7 octobre la prochaine
mobilisation. Cela permet au gouvernement de faire passer la loi au parlement
sans être gênée par des actions de masse : la loi sera débattue à
l’Assemblée nationale le 24 juin, soumise au vote le 26 juin et utilisant la
procédure d’urgence elle passera devant le Sénat à la mi-juillet.
Thibault a fait observer dans Le Nouvel Observateur
du 17 juin que le gouvernement « veut manifestement nous prendre de
vitesse » et a émis la menace creuse, ayant démobilisé les troupes, que
« s’il utilise la procédure d'urgence, nous prendrons des dispositions notamment
auprès des députés. »
Les reporters du WSWS se sont entretenus avec des
travailleurs durant la manifestation parisienne.
Xavier qui travaille dans le Val de Marne voit les
conditions de travail se dégrader. « C’est pour cela que je suis dans la
rue,a-t-il dit. Je ne pense pas qu’il soit possible de gagner si les différents
secteurs de la classe ouvrière et les jeunes réagissent séparément. Il faudrait
faire une grève unitaire. Je ne suis ni à la CFDT, ni à la CGT. Je manifeste
contre ce projet-là et je ne manifeste pas avec ces syndicats-là. Mais c’est
eux qui pour le moment donnent la possibilité de descendre dans la rue. C’est
dommage qu’il n’y ait pas d’unité entre les syndicats ni entre les salariés du
privé et du public et avec les étudiants.
« En 2003, ils ont montré que s’ils veulent faire
passer des lois, ils le font quoiqu’il arrive… Il y a de moins en moins de gens
dans la rue, il y a de moins en moins de gens dans les syndicats. C’est
peut-être aussi la faute des syndicats. A côté de ça, on est peut-être en train
de s’endormir. Et plus ça va, plus notre démocratie n’est plus démocratique. Il
faudrait réagir par rapport à cela. Les syndicats n’avancent pas pour faire
tomber le gouvernement.
« La gauche n’agit pas pour renverser le gouvernement,
elle agit pour doucement mettre les gens dans son sillon. Les attaques qu’on
subit en France sont internationales. Le monde va mal en règle générale. Mais
plus il va mal, plus il y a une partie qui va bien. La politique de Sarkozy est
internationale, donc il faut une lutte internationale. »
Xavier a quelque espoir en Olivier Besancenot et la Ligue
communiste révolutionnaire : « Besancenot, il a un franc-parler. Il
dit des choses qu’on n’entend pas ailleurs dans les grands médias. Il parle des
luttes et des libertés qu’on est en train de casser, des choses qu’on entend,
qu’on peut entendre dans les conversations, dans les entreprises, dans les
familles. Mais je me demande ce que ce type-là devient une fois qu’il a le
pouvoir. »
Martin Blanc, 18 ans est élève du lycée Saint Sernin à
Toulouse. Il a dit : « Les syndicats ont peut-être perdu l’espoir de
faire un changement radical. Mais avec tous les gens qui bougent, on voit que
c’est possible. Il faut un retour aux valeurs socialistes et arrêter de suivre
les syndicats. Soit on va droit dans le mur, soit il faut changer. Si on ne
lutte pas, ça sera catastrophique. »
Yannick, 39 ans, travaille à Vitry sur Seine. Après avoir
été mis au courant de la « position commune » il a dit :
« En ce moment, il y a beaucoup de choses, on ne sait pas se positionner.
Les conditions de travail vont de plus en plus mal. Mes parents et
grands-parents se sont battus pour avoir des acquis. Avec les gouvernements
d’aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on est en train de tout perdre. On va vers le
Moyen-âge. C’est malheureux de parler comme ça. Il faut être tous ensemble,
tous. Le même lieu, le même jour, que tout soit fermé. Que le gouvernement
vraiment réagisse. Pourquoi est-ce que les syndicats collaborent ? C’est à
eux de répondre. En Europe, on est bloqué. Il y a la Chine qui se développe, il
y a les USA. Tout le monde doit se rassembler, cheminots, marins pêcheurs,
profs. Gagner, c’est récupérer nos acquis, notre pouvoir d’achat. »
François Lefèvre, 35 ans, participait à une petite manifestation
d’un millier de personnes à Amiens. Il travaille à EDF depuis huit ans, service
d’électricité en train d’être privatisé et il a donné les raisons principales
pour lesquelles il manifeste. Il a dit : « Il n’y a plus de repère au
niveau des fournisseurs. Il y a des sociétés privées comme Suez, on n’est plus
un service public. Ce qui compte, c’est le rendement, les actionnaires, les
chiffres. On laisse de côté le social.
« C’est vrai qu’on a du mal à se démarquer. La Fédé ne
transmet pas tout de ce qui se fait. Elle n’informe pas les syndiqués. On signe
des accords sans avoir résolu les problèmes. Gagner, ce serait taxer les
profits. Reprendre la main sur tous les milliards de bénef, et les
redistribuer, pour les retraites etc. Je ne pense pas que Sarkozy reculera. On
l’a déjà vu.
« Tant que la classe ouvrière est tenue par ses
dettes, elle n’ira pas dans la rue. Il est impossible de gagner à l’échelle
nationale. Il faut un monde où il y a un commerce équitable, retrouver les
valeurs sociales. Il faut mobiliser la classe ouvrière à la hauteur de
l’Organisation mondiale du commerce. »