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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La Russie et la Géorgie au bord du conflit armé au sujet de l’Abkhazie

Par Vladimir Volkov
14 mai 2008

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Les tensions se sont exacerbées entre la Russie et la Géorgie au point de déclencher un conflit armé ouvert.
Les deux pays s’accusent mutuellement d’intensifier les tensions et les préparatifs en vue d’une opération militaire, menaçant de plonger la région dans une nouvelle série de conflits sanglants. Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les conflits dans le Caucase ont coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.
L’Abkhazie, un petit territoire de la partie nord-ouest de la Géorgie en bordure de la Russie et situé le long des côtes de la mer Noire, se trouve au cœur de l’actuelle confrontation. La majorité de la population d’Abkhazie détient des passeports russes.
Côté abkhaze on affirme que 1500 soldats géorgiens ont été envoyés dans la vallée de la Kodori, limitrophe de la république, et 2000 soldats dans la région de Zugdidi. Selon la Russie, pratiquement tous les jours, la Géorgie se fait livrer du matériel militaire, notamment par la Turquie.
La Géorgie accuse la Russie de tenter une « annexion rampante » de l’Abkhazie et d’y concentrer ses forces armées. Au début du mois de mai, la Russie a augmenté d’une fois et demie son contingent de ce qu’elle appelle les gardiens de la paix en Abkhazie, lesquels sont passés de 2000 à 3000 hommes. Elle justifie cette action par les préparatifs militaires entrepris par la Géorgie ainsi que le souhait du régime géorgien d’adhérer à l’OTAN.
La situation s’est sérieusement détériorée depuis qu’un drone, avion de reconnaissance sans pilote, a été abattu le 20 avril. La Géorgie insiste pour dire qu’il a été détruit par un avion de chasse MiG.29 russe, mais Moscou affirme qu’il a été abattu par l’armée abkhaze.
Quelques jours plus tard, un avion-espion géorgien identique était abattu et deux autres encore le 4 mai.
Le 27 avril, Valery Kenyaikin, un représentant du ministère russe des Affaires étrangères a mis en garde que si l’affaire prenait des proportions de conflit armé, la Russie serait prête à recourir à « des méthodes militaires » pour défendre ses citoyens.
Depuis lors, la situation reste tendue bien que la Russie ait mis quelque peu en sourdine sa campagne de propagande afin d’accompagner l’inauguration du Kremlin de son nouveau président, Dmitry Medvedev.
L’un des derniers épisodes de la confrontation a été la déclaration faite le 5 mai par le ministère géorgien des Affaires étrangères disant que le pays mettait fin à sa participation au pacte de 1995 entre les nations de la Communautés des Etats indépendants (CIS) en matière de collaboration militaire. Ce document qui stipule la création d’un système conjoint de défense aérienne, avait été signé par les chefs de dix Etats de la CIS : Arménie, Biélorussie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan et Ukraine. Bien que la participation de la Géorgie ait en grande partie été purement symbolique, son geste de répudiation du pacte témoigne de la profondeur de ce conflit qui va s’intensifiant.

La signification géopolitique de la Géorgie

Les relations tendues existant entre la Russie et la Géorgie remontent au coup d’Etat de Tbilissi soutenu par les Etats-Unis et qui eut lieu à la fin de 2003 et qui est connu sous le nom de « Révolution des roses ». Au cours de ces événements, le président géorgien d’alors, Edouard Chevardnadzé, ministre des Affaires étrangères de l’URSS durant la « perestroïka » de Gorbatchev, avait été forcé de démissionner et le pouvoir était passé à un triumvirat de jeunes politiciens qu’il avait promu et qui avaient été ses protégés les plus proches.

Mikhaïl Saakashvili, avait pris le poste de président, Zurab Zhvania était devenu premier ministre et Nino Burdzhanadze était devenue la présidente du parlement. En février 2005, dans des circonstances jusque-là inexpliquées et plutôt étranges, Zhvania, qui était considéré comme un politicien expérimenté et extrêmement influent, fut retrouvé mort. Après sa mort, le pouvoir se concentra entre les mains de Saakashvili qui se révéla être un partenaire servile, et à la base, une marionnette des Etats-Unis.

Associant libéralisme économique de « marché libre » et mécénat du monde des affaires avec des attaques contre les conditions de vie des citoyens ordinaires de Géorgie, Saakashvili est obligé de compter de plus en plus sur le soutien politique et militaire de l’Occident, et en premier lieu des Etats-Unis. Il cherche aussi son salut dans une rhétorique nationaliste toujours plus agressive. L’une des pierres de touche de cette dernière étant le slogan appelant au rétablissement du contrôle de Tbilissi sur les deux régions séparatistes de Géorgie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

Une autre région historique de Géorgie, l’Adjarie qui devint de facto indépendante dans les années 1990 sous la direction du politicien régional, Aslan Abashidze, fut restituée au printemps de 2004 à l’autorité de Tbilissi, sans que soit pratiquement versée une seule goutte de sang. Abashidze fut exilé et, selon des rumeurs, il se cacherait encore en Russie.

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Saakashvili a reçu des Etats-Unis un soutien politique et militaire, l’aidant notamment à armer, équiper et renforcer l’armée géorgienne qui durant les décennies passées avait surtout été un rassemblement d’unités disparates subordonnées à différents commandants.

Pour les Etats-Unis, ce soutien a une signification majeure. Selon la doctrine élaborée durant la période post-soviétique par d’influents centres de l’establishment de Washington, la région de l’Asie centrale, de la Mer Caspienne et du Caucase est déterminante pour la domination géopolitique du monde dans l’actuelle période historique. Riche en pétrole, en gaz et en richesses minières, cette région représente un pont entre l’Asie du Sud-Est avec les économies croissantes de la Chine et de l’Inde et l’Europe, le concurrent le plus important de l’élite dirigeante américaine.

Le contrôle de l’accès aux ressources naturelles de la région et à leur approvisionnement des marchés mondiaux peut fournir un avantage décisif dans la lutte pour la domination géopolitique au moment où l’économie américaine est en train de perdre de plus en plus sa position de leader mondial et où l’économie capitaliste en général est en train de plonger dans une crise économique sans précédent depuis la Grande Dépression des années 1930.

La Russie à son tour, émerge comme l’un des participants actifs dans cette lutte géopolitique qui s’exacerbe. Misant sur ses ressources naturelles et engrangeant des profits énormes en raison de la flambée des prix des matières premières et possédant la plus grande machine militaire d’Eurasie, y compris un arsenal nucléaire puissant, la Russie a été en mesure, sous la présidence de Vladimir Poutine, de rattraper sur la scène mondiale une partie du retard qu’elle avait pris dans les années 1990.

Pour le moment, Moscou a réussi à garder le contrôle sur les routes pour le pétrole et le gaz en direction de l’Europe et en provenance de la région de l’Asie centrale et de la Mer Caspienne, mais cette situation pourrait rapidement se détériorer si les nations de la région décidaient de soutenir les projets pour lesquels les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest font pression.

Le renforcement de l’influence militaire et politique des Etats-Unis dans le Caucase, l’Ukraine et les autres pays de l’Europe de l’Est est un élément crucial dans les efforts de l’élite dirigeante américaine de sauvegarder ses intérêts géopolitiques à l’encontre de ses concurrents européens. Les projets américains de développement d’un système de défense anti-missile américain basé en Pologne et dans la République Tchèque ainsi que des propositions identiques émanant de la Turquie sont motivés par la poussée directrice de Washington d’asseoir son hégémonie dans la région.

La politique agressive de l’impérialisme américain est la source principale de la confrontation croissante que connaît le Caucase. Ceci, ne change cependant en aucun cas le fait que la réaction belliqueuse de la Russie est exclusivement dictée par les intérêts égoïstes des clans dirigeants de l’oligarchie et de la bureaucratie du Kremlin dont le pouvoir est basé sur l’exploitation impitoyable de la classe ouvrière russe et le pillage des ressources naturelles du pays.

La menace d’une confrontation avec l’OTAN

En mars 2006, un nouveau tournant s’est opéré dans la confrontation au Caucase quand la Russie a introduit des sanctions économiques contre la Géorgie (et aussi la Moldavie). Une interdiction totale sur l’importation en Russie d’eau minérale et de vins de Géorgie a été imposée et pour lesquels la Russie a toujours été le principal marché traditionnel. Ces sanctions ont été un coup dur porté aux agriculteurs géorgiens qui n’ont pas été en mesure de rediriger leurs produits vers les marchés d’autres pays. Les pertes encourues par l’économie géorgienne se sont chiffrées en dizaine, si ce n’est en centaines de millions de dollars.

A la fin de la même année et après qu’une partie du personnel russe ait été arrêtée sur des soupçons d’espionnage, l’ambassade russe a cessé toute émission de visa aux citoyens géorgiens. Le Kremlin a aussi attisé une campagne chauvine en vue de persécuter des industriels géorgiens vivant en Russie.

Plus tard, la Russie a levé certaines des sanctions et des restrictions mais en général l’atmosphère de suspicion, de peur et d’incrimination mutuelle n’a fait que s’intensifier.

Le catalyseur direct du récent accroissement des tensions est le projet d’accepter l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN et qui a été aggravé par la déclaration d’indépendance du Kosovo en février de cette année. La reconnaissance par l’Occident de l’indépendance du Kosovo a créé un précédent pour la légitimation de régimes séparatistes dans des régions telles l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en Géorgie et Pridnestrovie en Moldavie. La Russie a mis en garde qu’elle pourrait réagir à la reconnaissance de l’indépendance kosovare en reconnaissant l’indépendance des trois régions prorusses citées ci-dessus.

Jusqu’à présent cependant, le Kremlin s’est retenu d’engager une telle démarche en dépit du fait que la Douma d’Etat de la Russie avait organisé des débats publics et parlé en faveur de la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Cette précaution est animée par la crainte qu’une limite pourrait être franchie dans les relations russo-américaines qui mènerait directement à une confrontation géopolitique voire même militaire avec Washington.

Entre-temps, l’intervention américaine au Caucase et en Europe de l’Est se poursuit. Le mois dernier, lors d’un sommet de l’OTAN à Bruxelles, l’Alliance [atlantique] a examiné la question d’octroyer à l’Ukraine et à la Géorgie le statut de candidat à l’adhésion à l’OTAN. Bien que la décision ait été négative, la majorité des commentateurs a indiqué qu’il ne s’agissait que d’un report provisoire.

L’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN, si elle se produit, accentuera considérablement le danger d’un conflit armé entre la Russie et le bloc de l’OTAN, ce qui aurait des conséquences imprévisibles. La question du statut de l’Abkhazie est l’un des désaccords renfermant les graines d’un conflit sanglant dans la région.

C’est pourquoi le Kremlin a préféré ne pas reconnaître l’indépendance juridique de l’Abkhazie tout en décidant au contraire de renforcer les liens économiques avec la république. Le 6 mars, la Russie a annoncé la suppression des sanctions économiques contre l’Abkhazie, et le 16 avril, le président Poutine a ordonné au gouvernement russe d’établir des rapports spéciaux avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ayant pour fonction essentielle de mettre en marche un mécanisme visant à intégrer ces régions dans la sphère sociale et économique de la Russie.

Le journal Kommersant a écrit le 17 avril que Poutine « a en fait… ordonné la mise en place de relations avec ces républiques non reconnues conformément au modèle des relations existant entre le centre fédéral et les régions de la Russie ».

Les pays dominants de l’Ouest ont condamné l’action de la Russie. Lors de la séance du Conseil de sécurité de l’ONU, le 23 avril, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne se sont prononcés en faveur du gouvernement géorgien.

Pour le moment, aucun des pays membres de l’OTAN n’a fait de proposition pour le retrait de la zone de conflit des forces de maintien de la paix russes ou pour leur remplacement par d’autres forces. Mais l’atmosphère destinée à préparer l’opinion publique mondiale à un éventuel conflit armé avec la Russie continue de s’intensifier.

Les sénateurs Joseph Biden (démocrate du Delaware) et Richard Lugar (républicain de l’Indiana), qui sont respectivement président et membre principal de la minorité démocrate à la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, ont récemment déclaré que des tentatives en vue d’amadouer Moscou avaient échoué. Ils ont dit que le moment était venu de faire preuve d’unité et de résoudre le problème au sein de la communauté transatlantique et que l’OTAN devrait décider d’octroyer à la Géorgie et à l’Ukraine un Plan d’action en vue de l’adhésion (MAP) lors de son prochain sommet en décembre prochain. « Si nous n’agissons pas bientôt, une résolution pacifique de la crise deviendra impossible », ont déclaré Lugar et Biden.

En fait, ceci signifierait un ultimatum au Kremlin pour qu’il reconnaisse que la perte de l’une de ses plus importantes positions géopolitiques à savoir « l’étranger proche » est un fait accompli.

La campagne idéologique engagée par les médias russes n’est pas moins agressive. L’un des observateurs politiques influents du Kremlin, le journaliste Mikhail Leontiev, a dit lors d’une interview à la radio en février dernier : « Je vois des menaces et des défis colossaux. J’ai le sentiment que la Russie doit se préparer à la guerre et ne pas rester là, à se curer le nez. »

Il a ajouté : « Ils [les Américains] veulent nous détruire… Si nous nous préparons correctement pour la guerre, alors peut-être qu’elle n’aura pas lieu… Mais si nous nous préparons mal, il est certain qu’elle aura lieu. »

(Article original paru le 10 mai 2008)


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