Les manifestations de colère de la part
d’enseignants, de parents et de chefs d’établissements se sont multipliées ces
derniers temps dans de nombreuses régions de Californie. Elles sont dirigées
contre des coupes budgétaires de plus de 6 milliards de dollars dans
l’Education publique annoncées récemment par le gouverneur de l’Etat, Arnold
Schwarzenegger pour l’exercice 2008-2009
Ces coupes de 4,8 milliards de dollars dans
l’enseignement secondaire et de 1,3 milliard dans l’enseignement supérieur font
partie des coupes budgétaires générales de dix pour cent proposées dans les
programmes sociaux de l’Etat et entreprises dans le but de redresser, en
partie, un déficit prévu de 16 milliards de dollars dans les finances de l’Etat
californien. Le gouverneur lui-même a déclaré une « situation d’urgence
fiscale » au début du mois de janvier afin de parer au déficit prévu qui
s’élevait alors à 14,5 milliards de dollars.
Cette situation budgétaire n’est pas unique à
la Californie. Vingt-deux autres Etats se trouvent déjà en face d’un déficit
d’ensemble d’environ 39 milliards de dollars pour l’année fiscale 2008-2009
selon le Center on Budget and Policy Priorities. Cela représente une
multiplication par deux du nombre d’Etats qui avaient annoncé un déficit il y a
six mois.
Schwarzenegger doit publier une proposition de
révision du budget le 15 mai. De nombreux analystes ont prévu une forte baisse
de l’impôt sur la propriété qui ne ferait qu’aggraver la crise budgétaire
actuelle et conduire éventuellement à des coupes plus importantes encore.
Schwarzenegger refuse toujours d’augmenter les impôts quels qu’ils soient, en
particulier ceux prélevés sur les plus riches résidant dans cet Etat dont il
dit cyniquement qu’ils n’ont pas les moyens de payer des contributions
supplémentaires.
Les propositions de Schwarzenegger ont déjà
conduit à l’annonce du licenciement de plus de 20 000 enseignants et de
personnels des écoles pour les seuls établissements regroupant toutes les
classes de la maternelle à la terminale. Si son actuelle demande de budget
passait, il est fort probable que 87 000 enseignants et personnels
supplémentaires perdraient leurs emplois dans ces établissements.
Ces coupes budgétaires auront aussi un impact
important sur l’université publique en Californie, conduisant à d’autres réductions
des dépenses, à l’augmentation des frais d’inscription ainsi qu’à des
licenciements de personnel. Dans le temps, les étudiants californiens pouvaient
fréquenter ces universités gratuitement, mais ils ont vu leurs frais
d’inscription augmenter de plus de 100 pour cent au cours des quatre dernières
années.
Des milliers d’enseignants, de personnel de
soutien, d’intendants, de parents et d’élèves ont manifesté dans toute la
Californie pour s’opposer à cette situation. Ces deux derniers mois, des
centaines d’élèves ont quitté leurs classes à la Encinal High School, près de
San Francisco ; 4000 enseignants, parents et élèves ont manifesté à Mission
Viejo ; 1500 étudiants ont défilé dans la capitale de l’Etat, Sacramento,
le 21 avril et le 18 avril plus de 2500 élèves venus de 40 lycées de tout
l’Etat ont participé à des manifestations et à des rassemblements de
protestations contre les coupes budgétaires.
Il faut voir ces manifestations dans leur
contexte historique. Avec une économie au bord du gouffre et deux guerres
impopulaires, une situation se développe où des masses de gens se heurtent
directement à l’establishment politique qui exige d’eux qu’ils payent
pour des crises dont ils ne sont en rien responsables.
Un
phénomène mondial
Le droit à une éducation gratuite et de
qualité est attaqué partout dans le monde
Dans des pays comme la Grande-Bretagne, les
vieux partis sociaux-démocrates comme le New Labour ont abandonné toute
prétention à faire des réformes sociales et mènent une lutte pour la
privatisation de l’éducation et pour la réduction du salaire des enseignants.
Le 24 avril, plus de 200 000 enseignants britanniques ont fait grève afin
de protester contre des augmentations de salaires restant bien en dessous du
niveau de l’inflation.
En France des dizaines de milliers de lycéens
ont protesté ces récentes semaines contre des réformes de l’éducation proposées
par le gouvernement Sarkozy et qui comportent le licenciement de plus de 11 200
enseignants et une sérieuse réduction des matières enseignées. Ces
protestations se sont produites dans l’ensemble du pays et se sont heurtées à
une sévère répression policière, alors que les dirigeants de la soi-disant
opposition à Sarkozy dans le Parti socialiste et les syndicats lycéens n’ont
fait que saluer les infimes modifications dans les plans du gouvernement.
Les coupes prévues en Californie sont une
attaque de ce qui a été dans le passé le système d’éducation le plus
progressiste de tous les Etats-Unis. Cet héritage a ses origines dans la California
Constitutional Convention. Le président de cette convention, Robert Semple, y
dit en 1849 : « Si le peuple est appelé à se gouverner lui-même,
il doit être à même de le faire. Il doit être éduqué, il doit éduquer ses
enfants, il doit fournir les moyens de diffuser les connaissances et le progrès
de principes éclairés. »
Quelque 160 ans plus tard, on peut dire sans
exagérer que le « progrès de principes éclairés » est la dernière
chose à laquelle pensent l’actuel gouverneur de Californie et le parlement de
l’Etat et de récentes statistiques sont tout à fait explicites de ce point de
vue. De plus, ces coupes dans l’éducation font suite à des coupes représentant
des milliards de dollars que Schwarzenegger et son prédécesseur démocrate, Gray
Davis, avaient déjà imposées durant la dernière décennie.
Pour l’année budgétaire 2006-2007, la
Californie a eu un prorata enseignant-élève de près de 26,1 à 1, un des plus
élevés des Etats-Unis et selon la revue hebdomadaire Education Week Magazine
qui ajuste les chiffres des dépenses par élève au niveau de vie de chaque Etat,
la Californie arrivait en 47e place dans le pays. En termes de personnel
scolaire total (proviseurs, enseignants, conseillers d’éducation, bibliothécaires,
etc.) la Californie arrive en dernière place avec une moyenne de seulement 68
membres du personnel par établissement, ce qui représente 76 pour cent de la
moyenne nationale qui est de 90 employés par établissement.
Les enseignants californiens arrivent à la 32e
place dans le pays pour ce qui est des salaires, après ajustement du niveau de
vie. Et comme d’autres enseignants dans le pays, ils sont souvent forcés
d’utiliser tout argent qui leur reste de leur maigre salaire pour subvenir aux
besoins éducationnels élémentaires de leurs élèves. Les frais qu’ils sont
incapables de couvrir eux-mêmes sont souvent couverts par des associations
locales de parents d’élèves qui organisent souvent des collectes, non pas pour
permettre à leurs enfants la visite d’un musée ou d’une ferme comme dans le
passé, mais simplement pour leur fournir le matériel le plus élémentaire, ce
qui va du papier et des crayons à l’ordinateur.
Ce phénomène représente un pas vers une
privatisation de fait du système public d’éducation avec la stratification de
classe qui l’accompagne, les élèves des établissements les plus pauvres étant
incapables de trouver des finances adéquates pour payer les fournitures les
plus élémentaires.
Alors que plus de 370 000 élèves de
terminale obtiendront leur diplôme en 2008 en Californie, cet Etat arrive
seulement à la 40e place pour ce qui est du passage en université. La situation
de la Californie est l’expression d’une crise éducationnelle plus générale.
Selon des statistiques récemment publiées par le ministère américain de
l’Education, les 50 villes les plus importantes des Etats-Unis avaient des taux
d’obtention du diplôme de fin d’études secondaires de 58 pour cent ou moins
pour l’année scolaire 2003-2004.
Le Public Policy Institute of California a
réalisé une étude selon laquelle 84 pour cent des Californiens ont répondu que
pour eux, financer une scolarisation en lycée représentait aujourd’hui au moins
un certain problème, tandis que 53 pour cent parlaient de « gros
problème ». 66 pour cent des personnes interrogées pensaient aussi que le
coût des études en université empêchait ceux qui obtenaient leur diplôme de
faire des études universitaires.
Récemment, la California Postsecondary Education
Commission a trouvé que 18 pour cent des jeunes quittant un lycée public
diplôme en poche et 29 pour cent des jeunes quittant un lycée privé dans les
mêmes conditions, avaient des dettes qui excéderaient ce qu’ils pourraient
rembourser s’ils acceptaient un emploi leur rapportant un salaire équivalent à
celui d’un professeur débutant.
Inégalité
sociale en Californie
La cause immédiate de l’actuelle crise
budgétaire est l’effondrement des « bulles » de l’immobilier et de la
High-tech. Mais elle a aussi pour une bonne part ses origines dans les
décisions législatives prises à la fin des années 1970 et par lesquelles la
charge fiscale des habitants les plus riches de l’Etat a été réduite de façon
considérable, posant les bases de déficits fréquents et requérant
l’intervention du système politique étatique contre la classe ouvrière.
Les affirmations de Schwarzenegger et de ses
alliés politiques selon lesquelles « l’Etat n’a pas de problème de revenu,
il a un problème de dépenses » sont complètement frauduleuses. La
Californie est l’Etat le plus riche du pays et, en mars 2006, 91 milliardaires
(près de 19 pour cent de ceux qui existent dans le monde) y résidaient. Tandis
que cette minuscule couche sociale continue d’accumuler des quantités
astronomiques de richesse parasitaires, plus de 20 000 enseignants sont
privés de leurs revenus et on demande à des millions de jeunes de se
débrouiller avec un système éducatif gravement sous-financé et donc
terriblement inadéquat.
Les attaques actuelles sur l’éducation
publique serviront à saper encore plus le niveau de vie, non pas seulement de
tous ceux qui travaillent dans ce secteur, mais de toute la population de
l’Etat qui dépend des écoles, des lycées et des universités publics pour
s’assurer ainsi qu’à leurs enfants une éducation décente. Cette dernière
attaque arrive alors que l’inégalité sociale va croissant et que la situation économique
s’aggrave pour des millions de Californiens.
La polarisation de la richesse et des revenus
aux Etats-Unis a eu de lourdes conséquences en Californie. Un rapport du California
Budget Office intitulé « Une génération d’égalité divisée : l’Etat de la
Californie laborieuse de 1979 à 2006 », note que bien que de nombreuses
personnes vivant dans l’Etat travaillent plus longtemps qu’elles ne le
faisaient il y a trente ans, le nombre de salariés disposant d’une assurance
maladie et d’autres allocations avait fortement diminué. Plus d’un californien
de moins de 65 ans sur cinq (21,3 pour cent) n’avait pas d’assurance maladie en
2005, comparé à 18,5 pour cent en 1987. Le nombre de travailleurs qui ont un
plan de retraite a diminué, passant de 57,7 pour cent au début des années 1980
à 49,4 pour cent aujourd’hui. De plus, cette étude a trouvé qu’environ 2
millions sur les 9,3 millions de familles laborieux (21,1 pour cent) se
trouvaient à 200 pour cent au dessous du seuil de pauvreté fédéral en 2005, ce
qui représente un niveau de revenu misérable ne permettant pas de subvenir au
coût de la vie élevé de la Californie.
Le gouvernement Schwarzenegger continue avec
sa litanie de « pas de nouvelles taxes », alors que
l’« opposition » du Parti démocrate approuve de fait les coupes
drastiques du gouverneur insistant seulement pour que certains des déficits
soient comblés par des impôts régressifs.
Le président démocrate de l’Assemblée de
Californie, Fabian Nunez, a par exemple appelé à la création d’une taxe sur internet
accompagnée d’une augmentation des frais d’enregistrement annuels des
véhicules, qui toutes deux vont affecter surtout les gens qui travaillent et
les pauvres.
Les mesures proposées par Nunez et d’autres
exacerberont ce qui est déjà une structure fiscale tout à fait régressive.
Selon un rapport établi par le California Budget Project, le cinquième le plus
pauvre des ménages californiens disposant d’un revenu moyen annuel de 11 000
dollars, versent en moyenne 11,7 pour cent d’impôt à l’Etat. Comparez cela aux
ménages qui ont un revenu moyen de 1,6 million de dollars et qui versent
seulement 7,1 pour cent de leur revenu à l’Etat et aux municipalités.
Qui plus est, aucun homme politique de
Californie, d’un côté comme de l’autre, n’a mentionné et encore moins lutté
pour récupérer les 10 milliards de dollars volés au Trésor pendant la crise
énergétique de 2001 et où les grandes entreprises énergétiques ont manipulé
l’approvisionnement et les marchés de l’énergie de l’Etat pour engranger
d’immenses profits.
La
réponse des syndicats
La réponse des syndicats à la situation
actuelle, comme le montre l’exemple de la California Teachers Association
(Association des enseignants de Californie, CTA) a été lamentable. Elle a
pressé les parents, les enseignants et les personnels à appeler et à contacter
leurs députés par e-mail pour exprimer leur opposition aux coupes. Mais même
une avalanche d’e-mails et de coups de téléphone ne convaincra pas les députés
démocrates ou républicains d’annuler les coupes budgétaires. En fait, John Garamendi,
le gouverneur adjoint de Californie a donné à cette perspective l’aspect d’une
farce, lui qui a récemment pressé les parents les lycéens et les enseignants de
continuer à protester contre les coupes et à en appeler aux politiciens de l’Etat
(y compris lui, probablement) pour qu’ils règlent la crise budgétaire.
En outre, la CTA a dit à ses adhérents qu’elle
lutterait pour que les enseignants ne soient pas affectés par les coupes. En
d’autres mots, sa stratégie est de placer le fardeau des coupes sur les épaules
des personnels de soutien comme si cela n’avait pas un impact important sur les
conditions d’enseignement dans tout le système d’éducation public et pour les
enseignants eux-mêmes.
Qui plus est, les déclarations faites par la
direction de la CTA ne mentionnent pas l’impact des coupes budgétaires
proposées sur d’autres secteurs de l’économie, si ce n’est pour insinuer que,
sur les dizaines d’autres programmes qui sont destinés à être décimés, seul le
financement de l’éducation était important. Une de ses récentes motions déclare
que la « CTA appelle le gouverneur et les parlementaires à faire passer
nos élèves en premier » et « s’oppose à des coupes sur toute la ligne
qui endommageraient nos écoles publiques ».
La CTA, en collusion avec les démocrates,
s’est montrée incapable de mener la bataille pour des services publics de base
et des droits démocratiques tels que l’accès à une éducation de qualité, comme
le démontrent amplement ses actions des années passées.
En 2004, la soi-disant « coalition de
l’Education » dirigée par la CTA, approuva une réduction de 2 milliards de
dollars dans la proposition de finance 98 en échange de la promesse du
gouverneur que l’argent serait remboursé lorsque l’Etat aurait de nouveau un
surplus financier. L’argent, et ce n’est guère surprenant, n’a jamais été
remboursé.
Les deux millions de dollars manquants n’ont
jamais été mentionnés au cours de la présente crise ni par le CTA ni par les
députés démocrates.
Toutes ces expériences montrent la nécessité
d’une rupture décisive d’avec le Parti démocrate et ses alliés dans la
bureaucratie syndicale y compris celle de la CTA. La lutte actuelle doit être
poursuivie en solidarité avec toute la classe ouvrière et en particulier avec
ceux qui sont affectés de diverses manières par les coupes de budget, y compris
les intendants, les surveillants, les professionnels de la santé, les plus de
7000 employés de l’Etat qui vont bientôt perdre leur emploi et les centaines de
milliers de Californiens qui dépendent de services publics tout simplement pour
maintenir un niveau de vie décent.
Alors que l’assaut sur l’éducation se
manifeste de diverses manières dans l’ensemble du pays et dans le monde, chaque
expression a son origine objective dans l’effondrement du système capitaliste
et de l’ordre social mondial. Une mobilisation indépendante de la classe
ouvrière sur la base d’un programme socialiste et internationaliste est
nécessaire pour défendre l’éducation publique et pour lutter pour la
réorganisation de la société afin de subvenir aux besoins de la grande majorité
et non pas aux profits de quelques-uns.