Les lycéens français ont poursuivi leurs
manifestations de protestation contre les mesures du gouvernement droitier du
président français Nicolas Sarkozy la semaine dernière.
Deux manifestations ont eu lieu à Paris les 15
et 17 avril, auxquelles ont participé respectivement 40 000 et 30 000
personnes, venues de toute la région parisienne. Si la majorité des
manifestants étaient des lycéens venus d’établissements parisiens et de
banlieue, il y avait aussi dans les manifestations de nombreux enseignants et
étudiants. Plusieurs syndicats d’enseignants avaient appelé à faire grève ces
deux jours-là. Le 15 avril, les instituteurs en grève ont rejoint les écoles du
secondaire pour protester contre une réforme de l’école primaire.
Des manifestations plus petites de lycéens ont
aussi eu lieu dans d’autres villes de la région Ile-de-France, où de nombreux
lycées et collèges ont été bloqués.
La manifestation du 17 avril était la septième
en trois semaines. La région parisienne se trouvant à présent en vacances, les
protestations ont commencé dans les régions qui n’étaient pas mobilisées parce
qu’en vacances et qui ont à présent repris les cours. Cette semaine des
manifestations ont eu lieu à Strasbourg, Lille, Toulon, Rouen, Marseille et
Tours.
La répression de la part de l’Etat s’est
encore accrue depuis que les protestations ont commencé le mois dernier. Les
rassemblements devant les écoles se sont vus systématiquement confrontés à des
détachements armés de police, les chefs d’établissement appelant
systématiquement la police dès que les lycéens se rassemblent devant leur
établissement ou le bloquent. Des lycéens ont été arrêtés et envoyés devant les
tribunaux au moindre prétexte, certains ont même eu selon un reportage de
presse, leur salive prélevée pour le fichier national des empreintes
génétiques.
La présence policière autour des
manifestations a été massive, les manifestants étant filmés par les forces de
l’ordre. Des heurts se sont déroulés entre des groupes de jeunes précédant ou
accompagnant les manifestations et la police.
Comme dans les mobilisations précédentes, les
manifestants ont exigé que les mesures annoncées par le ministre de
l’Education, Xavier Darcos, soient retirées. Celles-ci comprennent la
suppression de 11 200 postes d’enseignants, la compression de la
préparation du bac professionnel (bac pro, la version professionnelles du
baccalauréat général qui boucle les études secondaires et permet l’entrée à
l’université) de quatre à trois ans et la suppression du BEP (Brevet d’étude
professionnel, une qualification obtenue sur deux ans).
Les syndicats ont avancé la revendication d’un
« collectif budgétaire », une loi qui corrigerait la loi de finances
déjà votée au parlement en novembre dernier et qui sert de base aux coupes
budgétaires entraînant les suppressions d’emplois annoncées. Une revendication
purement symbolique puisque l’UMP (Union pour un mouvement populaire), le parti
gouvernemental dispose d’une large majorité au parlement.
Le gouvernement prépare toute une série
d’autres attaques sur le système éducatif existant, dont aucune n’a été
sérieusement remise en question par les syndicats. Le « rapport
Pochard », rédigé par une commission installée en septembre dernier a
proposé rien moins qu’une « réorganisation fondamentale du métier
d’enseignant ». Cette commission comprenait des dirigeants du Parti
socialiste comme l’ancien premier ministre Michel Rocard et l’ex-ministre de
l’Education Jack Lang. Elle a fait une série de propositions pro- marché
largement critiquées par la profession.
Les deux syndicats lycéens, l’UNL (Union
nationale lycéenne) et la FIDL (Fédération indépendante et démocratique
lycéenne), toutes deux dans la mouvance du Parti socialiste, ont eu des
rencontres officielles avec Darcos les 11 et 15 avril. Le ministre de
l’Education a réitéré sa volonté d’imposer les suppressions d’emplois, laissant
entendre qu’il pourrait apporter quelques modifications mineures à ses projets
pour ce qui est du baccalauréat professionnel et du BEP.
Les syndicats lycéens se sont emparés de ces
commentaires qui n’engageaient Darcos à rien et déclaré que le ministre allait
dans leur sens. La secrétaire nationale de la FIDL, Alix Nicolet a
dit « on a obtenu un assouplissement [de la position du
ministre] » et dans une lettre publiée le 20 avril sur le site internet de
l’UNL son secrétaire national, Florian Lecoultre écrivait : « L’UNL
prend acte de la volonté ministérielle de consulter les lycéens sur la réforme
du Bac pro et la réforme du lycée… Des premiers signes encourageants comme la
garantie du maintien du BEP ont été obtenus… »
Peu après la dernière rencontre entre Darcos
et les syndicats étudiants, le ministère faisait savoir qu’il n’y avait « pas
de remise en cause du principe de la généralisation du bac professionnel en 3
ans » et quant au BEP, il assurait qu’« il n'a jamais été question
qu'il soit supprimé ».
Depuis les syndicats n’ont pas cessé de
répéter à tout-va qu’ils voulaient être « constructifs » et qu’ils
recherchaient le dialogue avec le gouvernement, alors que Darcos restait sur
ses positions, espérant qu’avec les vacances de Pâques dans la région
parisienne et l’approche du baccalauréat il pourrait imposer sa volonté. L’« appel
au dialogue » des syndicats n’exprime ici rien d’autre que leur
détermination à empêcher que le gouvernement ne soit mis au défi.
Darcos sait bien que les syndicats ne
représentent pas une opposition, mais qu’il peut s’appuyer sur eux en tant qu’alliés
politiques. Peu de temps après la manifestation du 16 avril, il déclarait dans
une interview provocante que l’enseignement de certaines matières devait être
considéré du point de vue des coûts et il a même annoncé la suppression possible
de 3000 postes d’enseignants sur cette base. Il a pris l’exemple de
l’enseignement de langues étrangères « rares » qui ne pouvait être
maintenu, parce que soi-disant trop peu de gens en faisait usage. L’éducation
devait être jugée selon le « service rendu ». Le Monde le cite
ainsi dans son édition en ligne du 18 avril : « Il n'est pas possible
de se désintéresser de ce que coûte l'éducation à la nation et de ce qu'elle
obtient en contrepartie des dépenses auxquelles elle consent. »
A l’Assemblée nationale, répondant au député
du Parti socialiste Régis Juanico qui demandait un « moratorium » sur
les suppressions de postes, Darcos déclarait avec arrogance : « Vous
dites moratoire, je dis réforme. Vous dites suspension, je dis audace. Vous
dites attendons, je dis changeons », ajoutant : « le progrès n'a
pas besoin d'un moratoire ».
Ces manifestations ont lieu dans des
conditions où le gouvernement Sarkozy a été déstabilisé et où sa crise est
évidente. Un an après avoir gagné l’élection présidentielle, de récents
sondages montrent que deux tiers de la population française juge sa présidence
de façon négative.
Nombre de ceux qui participent aux
manifestations considèrent que les actuelles attaques ne sont que le prélude à
d’autres attaques qui seront lancées dans les semaines et les mois à venir. Une
enseignante d’anglais dans un lycée parisien, citée par le Nouvel
Observateur du 18 avril dit : « la suppression de postes
annonce le projet de réforme des lycées. Il devrait être présenté en mai. Ce
sera les conclusions du rapportPochard. A
mon avis, on ne va pas laisser passer ça »
De nombreux lycéens et enseignants sont
mobilisés non pas juste contre les coupes budgétaires dans l’Education mais
aussi contre ce qu’ils considèrent être le prélude à une privatisation de
l’éducation. Une forte proportion d’enseignants et de lycéens s’opposent
ouvertement à ce que les écoles fonctionnent comme des entreprises, cela se
résume dans l’opposition à ce que d’aucuns appellent « l’approche
comptable » du gouvernement. Ou encore comme l’exprime un slogan rencontré
dans les manifestations « touche pas à mon école ».
Les principaux syndicats, qui ont tous une
section éducation, ont appelé à soutenir les manifestations. Mais les
bureaucraties syndicales ont consciencieusement évité d’associer d’autres
catégories de salariés aux protestations, bien que ces mesures touchent
directement la population travailleuse et que ce soient les enfants de la
classe ouvrière qui font les frais de ces attaques.
Comme lors d’autres mouvements dans
l’Education, le principal travail des syndicats et des partis politiques qui
leurs sont associés est d’empêcher que le gouvernement ne se voie mis
réellement au défi et de faire en sorte que ces mouvements n’aient qu’une
perspective syndicale étroite, celle du « faire pression ». Les
bureaucraties syndicales veulent être associées aux réformes, et non s’y
opposer. Cet ordre du jour pro-capitaliste des syndicats a déjà conduit à de sérieuses
défaites dans un passé récent.
En 2003, une grève massive de huit semaines
contre la réforme des retraites dans l’éducation, la décentralisation de
l’éducation et la suppression de personnel de soutien s’est terminée par une
défaite, les enseignants grévistes subissant des retenues de salaire pour avoir
fait grève. En 2005, une lutte des lycéens contre une loi favorable au
patronat, la loi Fillon (d’après le nom de l’actuel premier ministre et
ministre de l’Education d’alors, François Fillon) se solda finalement par son
passage sous forme de décrets, quelques-uns des aspects les plus contestés
ayant été retirés.
En 2006, il y eut une fois encore une
mobilisation massive des lycéens et des étudiants contre le CPE (Contrat
premier embauche), mais après une retraite tactique de la part du gouvernement,
la Loi sur l’égalité des chances, dont le CPE n’était qu’une partie, fut
maintenue. En 2007 enfin, il y eut la longue lutte des étudiants contre la loi Pécresse
sur l’« autonomie » des universités qui se termina elle aussi par une
victoire du gouvernement.
Ces mouvements furent à chaque fois rendus
impuissants par une perspective syndicale des plus réduites, s’appuyant sur un
programme pro-entreprise tacite et en opposition à tout défi lancé à l’élite au
pouvoir et qui fut, sur cette base, encouragé par les soi-disant
« gauche » et « extrême gauche ». Le gouvernement qui avait
dirigé l’offensive resta à chaque fois en place, capable de préparer l’attaque
suivante ou bien une transition en bon ordre vers un autre gouvernement, plus à
droite encore.
Ce qui fait défaut, c’est un mouvement
politique de l’ensemble de la classe ouvrière contre le gouvernement Sarkozy
sur la base d’un programme socialiste. Pour la réussite d’un tel mouvement, une
rupture politique est nécessaire d’avec les syndicats et les partis de la
« gauche » et de l’« extrême-gauche » officielles. Les
lycéens et les enseignants devraient rejeter des organisations qui partagent le
programme politique de fond de ce gouvernement conservateur et devraient
prendre eux-mêmes la lutte en main.