Seulement 67 pour cent des travailleurs du syndicat des
Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) et employés de Ford Canada
ont accepté une entente de concessions négociée secrètement par la direction
syndicale.
Il s’agit, dans toute l’histoire du syndicat,
du pourcentage le plus bas pour une ratification de contrat avec l’un des
trois grands constructeurs automobiles américains. De plus, à Oakville, une usine
modèle d’assemblage de Ford tout juste à l’ouest de Toronto, les
membres des TCA du local 707 ont rejeté l’entente à 56 pour cent. Le
rejet à Oakville constitue un événement historique. Jamais auparavant un local
des TCA n’avait voté contre un contrat principal négocié par la direction
syndicale avec l’un des Trois Grands.
Des comptes-rendus de la réunion de ratification à Oakville
l’ont décrite comme étant « très animée ». Par la suite, les
chefs syndicaux ont à peine pu contenir leur mépris pour la volonté
démocratique des membres.
Le président du local 707 Gary Beck a mentionné que les
travailleurs « n’ont pas vu plus loin que ce qui se passait à notre
usine ». Les commentaires de Beck ne sont qu’une vulgaire tentative
de Beck d’insinuer que les membres du local 707 sont
« égoïstes », car ils ont rejeté l’argument de la bureaucratie
syndicale selon lequel des concessions massives sont nécessaires afin de
maintenir la « compétitivité » de Ford et ainsi « protéger les
emplois ».
En réalité, les concessions sans précédent offertes à Ford,
qui consistaient à rouvrir l’actuelle convention collective et procéder à
des coupes d’une ampleur jamais vue dans les salaires et avantages
sociaux, ont pour but de défendre les intérêts des actionnaires de Ford et de
la bureaucratie des TCA aux dépens des travailleurs de Ford et de la classe
ouvrière en entier. L’entente avec Ford sera en effet utilisée par la
grande entreprise et les syndicats pour forcer davantage de concessions des
travailleurs dans l’industrie de base.
Le président des TCA, Buzz Hargrove, s’est joint à Beck
pour discréditer le rejet de l’entente par les membres du local 707.
Selon Hargorve, « c’était simplement une de ces situations où une
poignée de personnes prennent le contrôle des micros dès le début et changent
le climat ». Le fait que personne hormis les bureaucrates syndicaux
n’ait parlé en faveur de l’entente a soulevé l’ire de
Hargrove. « Des demi-vérités et des distorsions » furent propagées,
a-t-il maintenu.
En fait, Hargrove et le leadership des TCA ont pratiquement
forcé la main des membres pour qu’ils acceptent l’entente de
principe.
Après des semaines de négociations secrètes, Hargrove a
stupéfait autant l’industrie que ses propres membres avec l’annonce
qu’une nouvelle convention collective avait été négociée avec Ford cinq
mois avant que la convention collective en vigueur ne se termine.
Traditionnellement, le mois de juillet annonce l’ouverture d’une
saison de négociation qui dure normalement jusqu’à septembre. Mais, avec
la convention qui n’expirera que le 15 septembre et avant que le syndicat
n’ait tenu sa traditionnelle convention sur les négociations (où les
priorités des membres sur la convention collective sont supposément décidées),
Hargrove a annoncé qu’un accord sur une nouvelle convention collective
avait été conclu avec Ford et que cet accord n’avait jamais été conclu
aussitôt.
Le lundi le 28 avril, la direction des TCA avait dans un
premier temps annoncé qu’elle était arrivée à un accord général avec Ford
s’appliquant à l’ensemble des usines. Les détails particuliers à
chaque usine furent ensuite négociés dans les trois ou quatre jours suivants.
Les travailleurs de Ford ont été forcés de voter sur l’ensemble de
l’accord la fin de semaine du 3 et du 4 mai.
Au final, les travailleurs de l’automobile de Windsor,
Saint-Thomas et Brampton, toutes des zones de chômage élevé et composées
d’usines qui font continuellement face à l’élimination
d’emplois et à des fermetures, ont fait penché la balance en faveur de
l’accord. Une clause dans la convention promettant une année de vie de
plus à l’usine d’assemblage de Saint-Thomas (qui avait déjà perdu
200 emplois en raison de l’élimination du deuxième quart de travail) a eu
comme conséquence que le vote en faveur de l’entente a été
particulièrement élevé dans cette ville du sud-ouest de l’Ontario. Les
travailleurs de Windsor, qui ont aussi appuyé l’accord, ont néanmoins
exprimé de l’insatisfaction aux journalistes du Windsor Star alors
qu’ils quittaient la réunion concernant la ratification. « Je pense
que c’est une capitulation pour nos retraités », a dit Steph Brown.
« Pour moi, a dit le travailleur d’expérience Pete Despenic, je peux
vivre avec. Si j’étais plus jeune, je ne le sais pas. J’aurais probablement une opinion différente. »
Corporatisme et protectionnisme
En accueillant la ratification de l’entente de
concession, Mike Vince, le dirigeant du local Ford de Windsor (local 200) et le
président du principal comité de négociation des TCA de Ford, exprima la
perspective et corporatiste de la bureaucratie des TCA. Ce faisant, il rendit très
clair le fait que les TCA ont l’intention de mobiliser encore plus
brutalement les travailleurs de Ford Canada contre leurs frères et sœurs
de classe aux États-Unis dans une lutte fratricide pour savoir qui produira le
plus de profits pour les patrons de l’automobile.
Vince dit : « Le fait de finaliser cette entente
cinq mois avant son échéance et ensuite sa ratification envoie un message
extrêmement puissant au gouvernement fédéral et aux provinces, mais plus
important à la compagnie Ford Canada, le message que nous comprenons que les
temps ont changé… Nous voulons regarder les choses d’un nouveau
point de vue. Cela nous place dans une bien meilleure position pour les
investissements futurs qui iront bien au-delà de ce de que nous avons à
l’usine d’Essex. »
Et pour souligner le fait que le syndicat est dans une
guerre pour les emplois, Vince ajouta : « Nous voulons que la
compagnie Ford Canada soit bien disposée à notre égard. »
Hargrove, comme il fallait s’y attendre, a qualifié
l’entente avec Ford de « victoire » et affirmé que les compressions
des salaires et des avantages sociaux n’étaient pas des concessions, mais
simplement des « compensations ». Cependant, dans un moment
d’inattention, le président des TCA a dit aux journalistes :
« je suis plus soulagé que jamais ».
Dans leurs commentaires après la ratification, Hargrove et
Vince indiquèrent que la direction des TCA avait l’intention de canaliser
la colère et les appréhensions des travailleurs de l’automobile à propos
du sort de leurs emplois et de leurs salaires dans une campagne réactionnaire
de coopération tripartie encore plus étroite entre les syndicats, le
gouvernement et les trois grands et pour l’adoption de mesures protectionnistes
visant à renforcer les trois grands contre les compagnies concurrentes
possédées par les Européens et les Asiatiques. Les TCA sont déjà pleinement
partenaires dans le Conseil du
Partenariat pour le secteur canadien de l'automobile, un conseil tripartite.
« Nous avons fait ce que nous avions à faire en
arrivant à un accord négocié et pragmatique, a déclaré Hargrove. Nous
continuerons à faire pression sur le gouvernement fédéral pour résoudre les
problèmes qui entraînent l’érosion actuelle de l’industrie
automobile. »
Quant aux dirigeants de Ford, ils ont exprimé leur
enthousiasme pour le nouveau contrat, notant qu’avec les nouvelles
concessions du syndicat, Ford réaliserait des économies pour longtemps en ne
donnant presque rien en échange.
Des concessions sans
précédent
En vertu du nouvel accord, les salaires des ouvriers de Ford
sont gelés pour trois ans, les vacances sont raccourcies de 40 heures par
année, la couverture du régime d’assurance-maladie est limitée. Les
employés devront payer une plus grande part de leurs médicaments, verront leurs
prestations de retraite réduites et les ajustements pour l’inflation
annulés pour la dernière année du contrat actuel et la première année de la
nouvelle entente.
Le contrat met aussi la table pour d’autres mises à pied
avec des clauses « de bénéfices de restructuration améliorés » et
promet sinistrement « l’engagement d’explorer et
d’établir un fonds prépayé pour les soins des retraités qui ne sera plus dans
le bilan de la compagnie ». Ceci est un euphémisme pour enlever à la
compagnie la responsabilité de gérer les avantages des retraités (qui seront
coupés) pour les donner aux organisations syndicales. Pour avoir abandonné des
gains réalisés par des dizaines d’années de lutte, les ouvriers recevront
en échange deux « bonus » annuels dont la somme atteindra
5700 $.
L’entente conclue avec Ford ressemble sur plusieurs
points aux contrats négociés par le syndicat américain des travailleurs de
l’auto (UAW) avec les trois grands de l’automobile à Detroit l’automne
dernier. Dans cette ronde de négociations, l’UAW a complètement capitulé
face aux demandes des fabricants automobiles. Elle a accepté un système de
salaires à deux vitesses et des coupes importantes dans les avantages sociaux.
De plus, cette entente a fait passer la responsabilité pour gérer et couper les
« coûts futurs » des programmes d’avantages sociaux des épaules
de la compagnie à celles des syndicats. Ainsi, l’ UAW deviendra
rapidement un des plus grands fournisseurs d’assurance-maladie aux
Etats-Unis, avec un intérêt à couper dans les avantages de ses propres membres.
Se vantant de l’entente de concessions avec Ford,
Hargrove a insisté sur le fait que la structure de salaires à deux vitesses
qu’elle comprend n’empêchera pas les nouveaux ouvriers d’avoir
un jour le salaire et les avantages sociaux dont jouissent les ouvriers
actuels. C’est une tentative évidente de cacher le fait qu’avec le
programme prétentieusement nommé « système de croissance pour les nouveaux
employés » que le syndicat a endossé, les nouveaux ouvriers vont
constituer pendant des années une main-d’œuvre à bon marché. Les
nouveaux ouvriers chez Ford n’auront en commençant que 70 pour cent du
salaire et des avantages sociaux de base et n’arriveront au plein salaire
qu’après trois ans.
Les travailleurs ne peuvent douter que ces provisions seront utilisées
dans les prochaines négociations contractuelles comme un levier pour obtenir
d’autres réductions de salaire, tant pour les ouvriers vétérans que ceux
nouvellement embauchés. Dans l’usine d’Oakville, une usine très
rentable, Ford va embaucher presque immédiatement 500 nouveaux ouvriers à taux
réduit.
Hargrove a justifié le fait qu’il a négocié avec Ford
dans le dos des membres de son syndicat en indiquant la dégradation de la
situation économique. Mais il ne peut y avoir de doute que le militantisme
croissant des travailleurs de l’automobile, particulièrement aux
Etats-Unis, a aussi été un facteur clé, et ceci pour deux raisons. Hargrove a
tout d’abord voulu démontrer aux patrons de l’automobile que les
TCA peuvent offrir la « paix ouvrière » et plus important encore
qu’ils peuvent empêcher les ouvriers canadiens de l’automobile de
se joindre aux ouvriers américains dans une lutte commune contre la destruction
des emplois, des salaires et des conditions de travail.
L’automne dernier, les travailleurs de l’auto de
chez GM, Ford et Chrysler aux Etats-Unis se sont battus contre
l’imposition de nouvelles concessions, ce qui a forcé la direction
de l’UAW à déployer ses représentants dans les usines rebelles, qui
ne disaient pas toute la vérité sur les plans d’investissements pour ces
usines particulières ou, d’autres fois, recouraient à des méthodes de
persuasion plus fermes. Lors de ces événements, des poches importantes de
résistance ont forcé l’UAW à organiser ces tristement célèbres
demi-journées de grève dans le but de laisser sortir un peu de frustration. Les
contrats ont éventuellement été ratifiés, mais qu’avec une très faible
marge.
Pourtant, la rébellion au sein des travailleurs de l’auto
aux Etats-Unis n’a pas cessé. Les membres de l’UAW aux usines de la
compagnie American Axle dans le Michigan et New York mènent actuellement une
lutte acerbe depuis onze semaines contre la compagnie et leur syndicat, qui
font les préparatifs pour couper les salaires de 11 à 14 dollars l’heure
et fermer plusieurs usines.
La popularité de l’accord intervenue entre Ford Canada
et les TCA parmi les dirigeants de l’industrie est montrée par le fait
que tant GM que Chrysler ont maintenant accepté de s’asseoir avec les TCA
dans une tentative d’arriver à un accord, bien avant la fin des contrats
qui est en septembre pour ces deux compagnies.
Les TCA ont commencé leurs négociations avec GM le jeudi 8
mai. Stew Low, un porte-parole de la compagnie, a été très clair sur le fait
que sa compagnie cherchera à obtenir les mêmes gains que ceux que Ford a obtenus,
mais qu’à cause de différences dans l’opération de GM et de Ford,
des « variations », c’est-à-dire des concessions encore plus
importantes, seront considérées. « Tout ce qui se trouve dans
l’accord de Ford ne se retrouvera pas nécessairement dans la
nôtre », a dit Low.
Hargrove, pendant ce temps, a exprimé sa confiance que les
grandes concessions acceptées par Ford seront aussi adoptées par ses deux
compétiteurs. « Selon moi, il serait difficile pour GM et pour Chrysler de
dire que c’est une bonne entente pour Ford, mais qu’elle nuirait à
leur compagnie. »
L’entente de concessions imposée aux travailleurs de
Ford Canada souligne l’urgence pour les travailleurs de l’auto
d’adopter une stratégie entièrement nouvelle dans leur opposition aux
TCA, une stratégie basée sur le refus d’accepter que la vie économique et
les besoins sociaux soient subordonnés aux profits des grandes entreprises et
sur les intérêts de classe communs des travailleurs de l’automobile en
Amérique du Nord et à travers le monde.