Un rassemblement s’est tenu le 24 février à la
Courneuve, dans la banlieue nord de Paris, pour marquer le premier anniversaire
de la mort de Raveenthiranathan Sentil Ravee (Senthil), membre du Comité
international de la Quatrième Internationale (CIQI). Il est mort dans un
accident de voiture aux premières heures du 28 février 2007, sur
l’autoroute M20 en direction de Londres. Né le 12 octobre 1969 à Jaffna,
au Sri Lanka, Senthil faisait partie d’une génération qui a payé le prix
fort pour la trahison du Parti Lanka Sama Samaja (LSSP), qui a mené la
politique liquidatrice du révisionnisme pabliste à sa conclusion logique et
rejoint en 1964 le gouvernement capitaliste du Sri Lankan Freedom Party de
Madame Bandaranaike.
Quelque 150 personnes, famille, amis et camarades, de France
et aussi venus d’Allemagne, de Grande-Bretagne et de Suisse ont pris part
au rassemblement commémoratif, pour accompagner le père de Senthil, Arumugam
Raveenrhiranathan, sa mère Raveenthiranathan Rasamma, son épouse Anparasi et
leurs enfants Turphin, Ajann et Leon ainsi que sa soeur aînée Mme Ratnaraja
Karunathevi.
Les personnes présentes représentaient trois générations, mais
la majorité avait la vingtaine et la trentaine.
Bien que ce fût une cérémonie familiale, les personnes
présentes soutenaient la lutte politique menée par Senthil. Les problèmes
inhérents à la vie d’une diaspora de réfugiés immigrés, chassés de leur
pays par la guerre civile et la persécution, ont fait qu’il était
difficile pour les gens d’avoir vraiment connaissance de la contribution
de Senthil à la lutte consistant à donner une orientation aux siens et à les
intégrer au mouvement du monde s’opposant aux ravages de
l’impérialisme. Lors de discussions pendant la cérémonie, il est apparu
avec évidence qu’ils étaient venus parce qu’ils voulaient mieux
comprendre cette lutte et mieux connaître ce pour quoi Senthil se battait.
Des messages de Chris Marsden, secrétaire du Socialist
Equality Party britannique et de Peter Schwarz, secrétaire du CIQI ont été lus.
Ils présentaient leurs condoléances et faisaient part de leur soutien à la
famille, aux amis et camarades face à la douleur causée par la mort tragique d’une
personne si jeune.
Chris Marsden, mettant l’accent sur le fait que « Ici,
en Grande-Bretagne, nous chérissons comme étant des nôtres »
l’épouse et les enfants de Senthil, a écrit : « Senthil était
une personne de poids, quelqu’un qui respirait une confiance et une
autorité tranquilles. Il en était ainsi parce qu’il était mu par des
convictions profondes, des convictions qui étaient le produit de ses propres
expériences amères avec le mouvement nationaliste au Sri Lanka et
l’éducation politique qu’il avait reçue du mouvement trotskyste sur
cette question.
« Il était parmi les premiers d’une génération de
jeunes Tamouls qui aujourd’hui conduisent la lutte pour
l’internationalisme socialiste et l’unité des travailleurs du monde
entier, au Sri Lanka, dans le sous-continent indien et parmi la population
émigrée d’Europe.
« De plus, comme cela apparaît avec clarté, son rôle dans
le développement de cadres recrutés en grande partie parmi ceux qui ont été
contraints à l’exil du fait de la terrible tragédie infligée aux masses
tamoules, continue d’avoir un impact puissant sur le développement du
Comité international et son influence dans la classe ouvrière française,
britannique et allemande.
« C’est là une raison pour laquelle Senthil
continuera toujours d’être honoré et pour laquelle, non seulement ses camarades,
mais tous ceux qui le connaissaient devraient partager ce sentiment de fierté.
Il y a aujourd’hui parmi vous des personnes qui doivent beaucoup à
Senthil, des personnes pour lesquelles il était un camarade de lutte et un
mentor politique. Il était fier d’eux, de même que nous sommes extrêmement
fiers de lui. »
Peter Schwarz a écrit: « Un an après la mort de Senthil,
on a encore du mal à se rendre compte que nous l’avons perdu. Il a
travaillé avec nous pendant 15 ans, toujours présent, déterminé,
quelqu’un sur qui on pouvait compter.
« La vie de Senthil avait un sens parce qu’il
luttait pour un objectif. Il était profondément convaincu qu’il peut y
avoir un meilleur avenir pour l’humanité, si la classe ouvrière surmonte
les divisions nationales et s’unit dans une lutte internationale pour le
socialisme. Il était un socialiste et un internationaliste convaincu. » Schwarz
a ajouté que « Le Comité international se souviendra et chérira toujours
le nom de Senthil. »
Des camarades, des amis et des membres de la famille ont pris
la parole pour rendre hommage à Senthil et faire une évaluation de la
signification et de la pertinence de sa vie. Amuthan, principal éditeur de la
page tamoule du WSWS, présidant la cérémonie, a dit dans ses remarques
préliminaires : « Honorer Senthil c’est promouvoir l’importance
et la justesse de la perspective pour laquelle il a lutté parmi la classe
ouvrière du monde entier. »
Amuthan a dit: « Pour comprendre la vie de Senthil, ses
expériences et la situation politique à laquelle il a été confronté, il nous
faut considérer les événements au Sri Lanka non pas d’un point de vue nationaliste,
mais d’un point de vue internationaliste. Les évolutions politiques
internes du Sri Lanka furent modelées par les changements se produisant dans
les centres de l’impérialisme mondial et les changements dans les directions
des bureaucraties staliniennes : une chose est claire, c’est que ces
évolutions n’étaient pas la conséquence des préférences personnelles
subjectives des dirigeants locaux. Et les dirigeants cingalais et tamouls ne
font pas exception. »
Il a rappelé que « Quand Senthil s’est rapproché de
notre mouvement, il y a de cela plus d’une décennie, les questions
qu’il posait étaient d’une très grande importance pour la classe
ouvrière, les paysans et les masses opprimées des anciennes colonies : comment
faire que la paix règne pour toujours au Sri Lanka ? Comment mettre fin à
la guerre ? Pourquoi n’a-t-il pas été possible à la classe ouvrière
cingalaise et tamoule de s’unir et de lutter pour leurs droits sans
divisions nationalistes et racistes ? Quelle est notre perspective en
matière de luttes de libération nationale ? Pourquoi cette fin tragique de
l’Union soviétique ? Et ainsi de suite.
« Senthil n’était pas une personne qui se laissait
convaincre facilement. Pendant plus de trois ans, nous avons discuté de ces
questions.
« Il parvint à la conclusion que la lutte pour résoudre
les problèmes non résolus des droits démocratiques du peuple tamoul est
inséparablement liée à la lutte pour unifier la classe ouvrière du sous-continent
indien dans la lutte pour le socialisme et qu’un aspect de cette lutte est
que la classe ouvrière et les opprimés tamouls et cingalais doivent
s’unir dans une lutte commune contre leur propre bourgeoisie nationale et
leurs maîtres impérialistes.
« Notre tâche pour défendre le peuple tamoul contre
l’oppression de la bourgeoisie sri lankaise ne dépend jamais des
programmes et de la politique des mouvements de libération nationale. La tâche
de notre perspective n’est pas de former de petites nations séparées pour
chaque nationalité. Au contraire, notre perspective consiste à unifier
indépendamment de leur bourgeoisie nationale, les travailleurs et les étudiants
à l’échelle du monde entier pour renverser le système d’Etat-nation
capitaliste dépassé. »
Amuthan a ainsi conclu: « C’est à cette
responsabilité historique que Senthil s’était consacré. On se souviendra
toujours de lui comme de quelqu’un qui a lutté pour une perspective
socialiste internationale. »
Stéphane Hughes, parlant au nom du CIQI en France, a fait un
compte-rendu des quinze années de son travail avec Senthil :
« J’ai rencontré Senthil pour la première fois au printemps 1992
dans un petit parc du boulevard Sébastopol à Paris. Senthil avait fait
l’expérience de l’accord indo-sri lankais et de la trahison des
mouvements nationalistes tamouls. Il avait compris que le mouvement
nationaliste bourgeois était en faillite, mais il ne savait pas pourquoi.
« En discutant avec le CIQI, il a commencé à comprendre
les questions historiques et il s’est tourné vers le programme du
trotskysme. Au centre de cette perspective, se trouve la théorie de la
révolution permanente que Trotsky avait développée en 1905/6 par une étude des
100 ans d’histoire depuis la Révolution française. Cette théorie
reconnaissait que la bourgeoisie avait été une classe révolutionnaire et avait
conduit les révolutions anglaise et française. Trotsky réussit à démontrer que
depuis, dans les différentes révolutions, en France en 1830, en Europe en 1848
et pendant la Commune de Paris en 1871 le rôle de la bourgeoisie avait
profondément changé. De classe révolutionnaire ayant mené des révolutions
nationales, elle était devenue une classe d’exploiteurs et
d’oppresseurs de la classe ouvrière et de la paysannerie. La bourgeoisie
défendait à présent le statu quo plutôt que la lutte pour la démocratie et les
droits pour tous.
« Trotsky, en se basant sur Marx, concevait le
capitalisme comme un système mondial. La théorie de la révolution permanente
considérait le rôle de la bourgeoisie sur une base mondiale. Dans les pays
avancés comme dans les pays économiquement arriérés la bourgeoisie était
incapable de lutter pour les masses laborieuses. Ainsi en Russie, la
bourgeoisie était impuissante et incapable de conduire sa propre révolution
bourgeoise. Seule la classe ouvrière, luttant sur la base d’un programme
socialiste et internationaliste, était capable de mener les luttes contre le
féodalisme et contre le colonialisme même si elle ne constituait qu’une
petite minorité comme au Sri Lanka.
« Aujourd’hui, la démocratie et le bien-être ne
peuvent être réalisés qu’au niveau mondial.
« Une fois que Senthil a compris cela, il a compris la
crise du nationalisme bourgeois. Le LTTE était incapable d’apporter une
réponse à ces questions. Il se préoccupait trop de sa relation avec les
bourgeoisies indienne, européenne et américaine. Le LTTE servait les intérêts
égoïstes de la bourgeoisie tamoule tout comme le gouvernement sri lankais de
Rajapakse servait les intérêts de la bourgeoisie cingalaise.
« A présent, même les mouvements nationalistes les plus
radicaux et les plus respectés, tel l’OLP, sont discrédités. La question
des perspectives politiques était essentielle. Senthil l’avait compris.
Il avait compris que l’unique perspective durable était une perspective
qui se fonde sur la classe ouvrière internationale et sur la lutte pour
renverser le système tout entier : le capitalisme était à l’agonie
et historiquement en faillite. Seule la classe ouvrière est en mesure de briser
la domination de tout le système capitaliste sur la population mondiale.
« Pour le faire, la classe ouvrière doit être consciente
de cette nécessité historique : c’est le rôle de notre parti et du
WSWS. Si je dis cela, c’est parce que c’est cela même que Senthil
voudrait nous faire comprendre. S’il avait été parmi nous
aujourd’hui, c’est ce que Senthil vous aurait dit. C’est pour
cela que cette rencontre dans ce petit parc en 1992 a été la rencontre la plus
importante de sa vie. »
Athyan, un dirigeantdu CIQI au sein de la communauté
tamoule en France a informé l’assemblée que pour honorer la mémoire de
Senthil, ils publieraient un livre retraçant sa vie. Il a dit que « En
cette époque d’économie mondialisée intégrée il avait compris de façon
scientifique qu’une véritable libération du peuple tamoul opprimé au Sri
Lanka était impossible en formant un petit Etat tamoul. La réponse de Senthil
était qu’il existait une perspective révolutionnaire : et que
celle-ci n’était autre que la perspective du Comité international de la
Quatrième Internationale. »
Athyan a poursuivi: « Que nous apprennent les agressions
de l’Afghanistan et de l’Irak et les menaces sur l’Iran de la
part de l’impérialisme américain ? Cela met toute l’humanité
face à la prochaine grande catastrophe humaine. En cette époque impérialiste,
la solution à la crise se trouve dans le développement d’une conscience
politique de la classe ouvrière mondiale et dans la construction de son propre
parti. Pour continuer son exploitation, le capitalisme divise la classe
ouvrière par les questions de race, de religion, de castes, de couleurs de peau
et d’autres différences encore et l’assujettit à l’intérieur
de frontières nationales. »
« Senthil avait compris, en particulier, que la
perspective du nationalisme tamoul n’était qu’un piège pour le
peuple tamoul et était absolument ferme sur la nécessité de développer une
perspective pour les peuples du sous-continent indien. Tant que les puissances
indiennes et les autres puissances impérialistes qui soutiennent le
gouvernement raciste du Sri Lanka, ne sont pas renversées, il n’y aura
pas de libération du peuple opprimé du Sri Lanka. C’est dans cette lutte
que Senthil marche la tête haute en tant qu’internationaliste. »
Chezhian, ami proche et camarade de Senthil, et qui était avec
lui lorsqu’il est mort, a pris la parole: « Lorsque Senthil et moi-même
nous sommes rapprochés du mouvement marxiste, le problème auquel nous étions
confrontés était de trouver les raisons de l’effondrement de
l’Union soviétique, de la faillite des mouvements de libération tamoule
au Sri Lanka. Nous nous demandions aussi sur quelle base il était possible
d’atteindre la véritable libération du peuple tamoul. Lorsque nous avons clairement
compris ces questions, nous avons rejoint le CIQI. »
Chezhian a rappelé : « Jusqu’à la dernière
minute, Senthil n’a cessé de penser à l’avenir de l’humanité.
Il était très engagé dans ses convictions. Il se souvenait affectueusement des
personnes qui l’avaient formé. Jusqu’au moment où l’accident
s’est produit, dans la voiture, nous discutions de comment construire
notre parti dans le sous-continent indien. Il sera à nos côtés dans chacune de
nos réussites. »
La cousine de Senthil, reconnaissant le chagrin de ses
camarades de lutte a dit, « Comment puis-je, moi qui l’ai connu
depuis son enfance, l’oublier ? Je l’ai connu quand il était
encore dans le ventre de sa mère. Tout petit déjà il était d’une grande
honnêteté. Il écoutait toujours patiemment. Sa disparition est une grande
perte. » Elle a souligné l’importance de l’héritage culturel
tamoul et fait remarquer que « l’histoire nous dit que le Sri Lanka
avait été séparé de l’Inde il y a quelque 6 000 ans. De même, le
tamoul est une langue très ancienne. On dit qu’à une époque on le parlait
jusque dans la région de l’Himalaya. C’est une langue qui est
parlée depuis 50 000 ans et une langue écrite depuis 3 000
ans. »
Elle a ajouté « Pour survivre en tant que personne, il
faut s’entraider. C’est ça le socialisme. » Elle a suggéré,
« Nous devrions mettre en place un fonds à l’intention de son épouse
et de ses enfants. »
Kanda a pris la parole et dit que sa très forte amitié avec
Senthil datait de plus de 20 ans. Senthil s’opposait aux inégalités criantes
du monde : « En 1997, le cinquième le plus riche de la population
mondiale recevait 86 pour cent des revenus mondiaux tandis que le cinquième le
plus pauvre ne recevait que 1,3 pour cent. Plus de 1,3 milliard de personnes
sont contraintes de survivre avec moins de 1 dollar par jour, ce qui est une
situation qui met en danger la vie. » Afin de résoudre cette crise,
Senthil « était absolument convaincu par la perspective de la révolution
permanente. Alors, il s’est battu pour la révolution socialiste mondiale
qui est l’unique solution permettant à la classe ouvrière de se libérer
de la souffrance de la polarisation sociale existant à l’échelle
mondiale. Alors, il a fièrement rejoint le CIQI et a lutté pour la perspective
socialiste mondiale. »
Après les discours, un repas était organisé, et lors des
discussions, s’est exprimé un réel intérêt pour la théorie de la révolution
permanente. Les gens étaient particulièrement d’accord avec
l’observation faite par Stéphane Hughes que la direction du LTTE
représentait les intérêts égoïstes de la bourgeoisie tamoule et le gouvernement
Rajapakse ceux d’une minuscule élite privilégiée cingalaise et non ceux
de la masse du peuple sri lankais.
Lors d’une discussion avec le père de Senthil, après la
cérémonie, ce dernier a dit qu’il n’était pas engagé politiquement.
Il a dit avoir toujours encouragé Senthil à lire. Il a dit que lui-même
s’était mis à lire les livres de Senthil. Il a dit qu’il existait
de nombreuses religions : hindoue, musulmane, chrétienne, mais qu’il
était nécessaire de méditer et de mettre en valeur ce qu’il y a de
scientifique dans ces religions. Il a qu’il pensait que la Quatrième
Internationale était d’une grande importance.
Il avait été directeur d’un établissement scolaire et il
est actuellement à la retraite. Il ne connaissait pas alors ce qu’était
le trotskysme : s’il avait su, il n’aurait pas laissé ses élèves
rejoindre les nationalistes, mais il n’avait pas eu conscience qu’il
existait une alternative.
Il y avait dans le nord du Sri Lanka une situation de guerre civile,
mais il pensait qu’il était essentiel que les gens de là-bas aient des
contacts avec le monde extérieur. Pour cela, il fallait trouver un moyen de
faire parvenir le WSWS à la population civile et de le traduire dans toutes les
langues pour les gens du monde entier.
Le rassemblement commémoratif a vraiment montré qui était
Senthil, a dit son père. Il a dit lire le WSWS tous les jours et a déjà lu les
deux premiers chapitres de « La troisième Internationale après
Lénine » de Trotsky qui a été traduit pour la première fois en tamoule par
le comité de rédaction tamoul du WSWS pour le vingtième anniversaire de la mort
de Keerthi Balasuriya. Cela le rend très fier de ce qu’a fait son fils.
Il a dit qu’il préparerait un exposé sur le développement de Senthil, pour
le cinquième anniversaire de sa mort.
Lors d’une discussion, Amuthan a fait remarquer que les
personnes présentes au rassemblement avaient connu, 25 ans durant, des décès
dans leur famille et leur communauté. On venait d’apprendre qu’un
camarade du SEP du Sri Lanka avait perdu 8 membres de sa famille au cours d’un
bombardement fait au hasard par les forces aériennes sri lankaises au-dessus de
territoires détenus par le LTTE.
Néanmoins, ces personnes ont reconnu que la mort de Senthil était
une tragédie et une perte particulières du fait du combat qu’il menait.
De nombreuses personnes ont dit qu’elles assisteraient à la réunion du 16
mars à Paris en commémoration du 20e anniversaire de la mort de Keerthi Balasuriya.